24/7

24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 : le capitalisme à l'assaut du sommeil

Aux États-Unis, la recherche militaire s’intéresse de très près à un certain oiseau migrateur, le bruant à gorge blanche. Sa particularité : pouvoir voler plusieurs jours d’affilée sans dormir. Les scientifiques qui l’étudient rêvent de façonner, demain, des soldats insomniaques, mais aussi, après-demain, des travailleurs et des consommateurs sans sommeil.
« Open 24/7 » – 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 – tel est le mot d’ordre du capitalisme contemporain. C’est l’idéal d’une vie sans pause, active à toute heure du jour et de la nuit, dans une sorte d’état d’insomnie globale. Cet essai expose ce processus de grignotage du temps : où l’on apprend qu’un adulte américain dort aujourd’hui 6 heures et demie par nuit en moyenne, contre 8 heures pour la génération précédente, et 10 heures au début du XXe siècle.
Si personne ne peut réellement travailler, consommer, jouer, bloguer ou chater en continu 24 heures sur 24, aucun moment de la vie n’est plus désormais exempt de telles sollicitations. Cet état continuel de frénésie connectée érode la trame de la vie quotidienne et, avec elle, les conditions de l’action politique.
Dans cet essai brillant et accessible, Jonathan Crary combine références philosophiques, analyses de films ou d’oeuvres d’art, pour faire un éloge paradoxal du sommeil et du rêve, subversifs dans leurs capacités d’arrachement à un présent englué dans des routines accélérées.

Jonathan Crary est professeur de théorie de l’art moderne à l’Université de Columbia à New York. Il est notamment l’auteur de L’art de l’observateur, vision et modernité au XIXe siècle, paru chez Jacqueline Chambon en 1994.

 

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Grégoire Chamayou

 

Ce titre est maintenant disponible au format poche aux Éditions La Découverte.

ISBN 9782355220661
Parution
Nb de pages 180
Dimensions 140 x 205 mm

Extraits Presse

En préambule, un conseil de lecture: lisez 24/7 avant de vous endormir. Pourquoi ? Parce que le livre de Jonathan Crary va vous réconforter dans l’abandon au sommeil, dans cet état où la conscience s’abandonne. Le professeur de théorie de l’art moderne à l’université de Columbia à New York signe, chez Zones, une étude, non pas des bras de Morphée, mais de leur inverse: le régime 24/7, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, ce rythme qui est celui des marchés financiers, de l’industrialisation absolue. Il écrit: «Depuis la dernière décennie du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui, avec l’effondrement des formes de capitalisme contrôlées ou régulées aux États-Unis et en Europe, il n’y a plus aucune nécessité interne à ce que le repos et la récupération demeurent des facteurs de croissance et de profitabilité économique.» A quoi bon perdre un temps qui pourrait être utilisé à consommer et produire? «Dégager du temps de repos et de régénération humaine coûte à présent tout simplement trop cher pour être encore structurellement possible au sein du capitalisme contemporain.» Crary décrit, avec force arguments historiques et analyses d’images (de la peinture anglaise du XVIIIe siècle à Chantal Akerman et Chris Marker), la fabrication du flux ininterrompu, qui «sonne toujours comme une réprimande et comme une réprobation à l’encontre de la faiblesse et des carences du temps humain». Quant au sommeil, il en serait donc la résistance, même si la durée moyenne d’une nuit a baissé sans cesse depuis quelques générations. Car, sans dormir, sans rythme quotidien, tout n’est que cauchemar, comme le montrait le cinéaste Tarkovski dans Solaris, «l’une des tentatives les plus visionnaires pour exposer le sort qu’un monde entièrement illuminé, sans jour ni nuit, réserverait à la spectralité». L’espace public s’est vidé du repos, les bancs publics ne sont plus conçus pour qu’un somme y soit fait, la sieste n’est prévue que très timidement par les directions des ressources humaines. Il faut saluer la belle traduction signée Grégoire Chamayou qui respecte les mots de Crary, doux ou violents, riches ou limpides. Comme les éléments d’un songe. L’onirisme est là, mais il est politique. On lit: «Imaginer un futur sans capitalisme commence par des rêves de sommeil.»

Clément Ghys - Next - 01/04/2014

Si la nature a horreur du vide, le capitalisme du nouveau millénaire a horreur du sommeil, du désoeuvrement, de la déconnexion, du repos et de l’isolement: traquant les lacunes qui demeurent encore, obsédé par les derniers manques à gagner, il mesure chaque sieste, chaque retrait, chaque réticence et chaque heure passée ave la télévision éteint ou le smartphone en mode avion an profits ratés, en plénitude gâchée, en occasions manquées – la chasse au temps mort est sa prédation préférée. C’est à cette folie-là, qui dévaste le monde et bouleverse nos vies, jusqu’à nos façons de penser ou d’aimer – du tweet au speed dating -, que l’historien de l’art new yorkais Jonathan Crary consacre un essai stimulant, et non moins effrayant, qui fait du sommeil la dernière frontière de la domination. En partant d’études de l’armée américaine sur les oiseaux migrateurs insomniaques et les effets de la privation de sommeil, Crary pointe les dernières étapes franchies dans la destruction systématique du repos, du silence, de la réserve et du temps de régénérescence. On y croise la « société du spectacle » de Guy Debord en « cauchemar éveillé », prophétie de cet univers qui ne ferme jamais; mais aussi les « sociétés de contrôle » de Gilles Deleuze comme régime de l’exposition permanente à tout et de la cessation impossible; on y voit les slogans de Mai 68 appelant à « jouir sans entraves » et à « vivre sans temps mort » devenus les mantras des nouveaux managers; et on aprçoit en face, fragiles antidotes à ce poison du temps complet, les surréalistes, Shakespeare ou le cinéaste Chris Marker en apôtres du rêve, de l’eclipse et des vides bienfaisants. On comprend vite, entre ces pages limpides, que ce n’est pas nous, pauvres sujets assujettis, qui ne nous arrêtons plus, mais plutôt la grande machinerie du néocapitalisme qui ne nous arrête plus, et nous persuade même que c’est là notre plus cher désir. On en ressort exsangues, convaincus que si la révolution n’est pas un diner de gala, elle pourrait bien consister dans cet ultime tabou, cette année de résistance massive: le roupillon. Morphée en héros du Grand Soir.

François Cusset - Beaux-Arts - 01/09/2014

« 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 », c’est le mot d’ordre du capitalisme contemporain: une vie active et à toute heure du jour et de la nuit, un état d’insomnie globale. Si, en réalité, personne ne peut travailler, consommer ou chatter continuellement, aucun moment de la vie n’est exempt de telles sollicitations. L’auteur combine références philosophiques et analyses de films ou d’oeuvres d’art, et fit l’éloge du sommeil et du rêve.

60 millions de consommateurs - 01/10/2014

Dans un essai fouillé, Jonathan Crary, théoricien de l’art et professeur à l’université Columbia de New York, montre à quel point le capitalisme contemporain grignote notre temps de sommeil. Finalité : exploiter et faire consommer sans arrêt, 7j/7 et 24h/24.

Politis - 02/05/2014

Pourrons-nous un jour acheter du temps de sommeil ? Et nos rêves seront-ils alors interrompus par des publicités ? Idée-force d’Inception, film de Christopher Nolan sorti en 2010, le rapport entre sommeil et capitalisme est au coeur du nouveau livre de l’Américain Jonathan Crary, nourri d’exemples artistiques et philosophiques, souvent français (Deleuze, Godard, Debord, Stiegler). Un essai bref, à la trajectoire percutante, qui s’ouvre d’ailleurs sur la précision d’un vol d’oiseau : celui du bruant à gorge blanche, ayant l’extraordinaire capacité de rester éveillé sept jours d’affilée en période de migration. La créature est étudiée de près par le département de la Défense américaine : « On voudrait des gens capables de se passer de sommeil et de rester productifs et efficaces. Le but, en bref, est de créer un soldat qui ne dorme pas », résume Crary. Or, selon l’auteur, nous serions tous de bons petits soldats, mis au pas par un capitalisme global qui a presque tout colonisé sur son passage, grâce à la puissance de son tempo : le 24/7 – vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Le mot d’ordre implacable d’une vie sans pause.

Juliette Cerf - Télérama - 21/05/2014

Les bruants à gorge blanche : c’est la passion des chercheurs de la Défense américaine. Du cerveau de ces oiseaux migrateurs, capables de voler sans dormir jusqu’à sept jours d’affilée, ils espèrent tirer la formule qui façonnera le soldat rentable : insomniaque et vigilant 24/7 (24 heures sur 24 et 7 jours sur 7). Et pas que le soldat : le travailleur, le consommateur, le rêveur… L’ultra-individu d’aujourd’hui est sommé de vivre « en continuité constante ». Cette « continuité constante », que Marx avait déjà repérée parmi les fondements des mécanismes du capitalisme, se jouerait désormais sur le sommeil. Après l’accélération du temps, analysée par le philosophe Hartmut Rosa, le théoricien de l’art Jonathan Crary décortique dans un petit livre touffu cette autre réduction de nos temporalités. Avec ce mot d’ordre – « Ouvert 24/7 » – s’est incarné l’idéal d’une vie sans pause, sans vide, sans attente, connectée et disponible à tout moment.

Philosophie Magazine - 01/06/2014

« Créer un soldat qui ne dorme pas », dont les capacités physiques se rapprocheraient davantage de celles de machines et de réseaux numériques, tel est l’objectif d’un programme d’études financé depuis cinq ans par le département de la Défense des États-Unis. Au cœur des recherches : le bruant à gorge blanche, un oiseau qui possède la capacité très inhabituelle de pouvoir rester éveillé jusqu’à sept jours d’affilée en période de migration. Si Jonathan Crary nous interpelle d’emblée avec cette ébouriffante information, c’est que notre quotidien est, à terme, concerné. L’histoire l’a montré : « Des innovations nées dans la guerre tendent nécessairement à être transposées à une sphère sociale plus large : le soldat sans sommeil apparaît ainsi comme le précurseur du travailleur ou du consommateur sans sommeil. » La prédiction n’est pas insensée. Il n’y a qu’à observer. Les marchés actifs 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, les infrastructures permettant de travailler et de consommer en continu existent depuis déjà bien longtemps, « mais c’est à présent le sujet humain lui-même qu’il s’agit de faire coïncider de façon beaucoup plus intensive avec de tels impératifs. » Qu’importe la fragilité de la vie humaine, « on s’aligne sur l’existence de choses inanimées, inertes ou intemporelles ». L’auteur n’ignore pas que, jusqu’à nouvel ordre, aucun individu ne peut consommer, jouer, travailler, bloguer, télécharger ou envoyer des SMS 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, mais la perspective est là. Le on/off est dépassé, les réseaux toujours en éveil, tant et si bien que « les activités de la vie réelle qui ne possèdent pas de corrélat en ligne commencent à s’atrophier, voire à perdre de leur pertinence ». Dans le monde tel qu’il est ici présenté, le sommeil apparaît comme une anomalie ; on ne peut pas en extraire de la valeur. Alors, « il se peut (…) qu’imaginer un futur sans capitalisme commence par des rêves de sommeil », avance l’auteur. La révolution serait-elle au bout du polochon ?

Clément Lefranc - Sciences Humaines - 01/07/2014

Le sommeil, voilà l’ennemi. Pendant qu’ils dorment, les gens ne travaillent pas. Ne consomment pas. Ne font pas tourner la machine. Sont parfaitement inutiles. Superflus. C’est insupportable, ridicule, scandaleux. Passer une immense partie de leur vie endormis, voilà « l’un des plus grands affronts que les êtres humains puissent faire à la voracité du capitalisme contemporain », analyse l’essayiste américain Jonathan Crary. Si les nécessités apparemment irréductibles de la vie humaine, la faim, la soif, le désir sexuel et, récemment, le besoin d’amitié (bonjour, « Facebook » !), ont « été converties en formes marchandes ou financiarisées », rien à tirer du sommeil: « La réalité, aussi surprenante qu’impensable, est que l’on peut en extraire de la valeur. » Du coup, la société s’est mise à le combattre. […] Pour résister, une seule solution: pionçons !

Jean-Luc Porquet - Le Canard enchaîné - 21/05/2014