Ce lyber est uniquement destiné à une lecture à titre personnel.

Miriam Stein

Bouffées de chaleur.

Briser le tabou de la ménopause

Traduit de l’allemand par Jenny Bussek

Zones
Table
Remerciements
Introduction. - Gestion de crise en période de fortes chaleurs. Il est temps d’en parler !
Première partie - W(hat) t(he) f(uck) ?! (« C’est quoi ce bordel ?! ») - Mauvais timing, peu de connaissances : mon corps en chute libre
1. Flots de sang. Femme coagulée : des caillots de sang, des haussements d’épaules dans les cabinets de gynécologie et de la sagesse des baleines
2. Une légère irritabilité. Ne prends donc pas les choses si personnellement : crises de colère réprimées et hommes irascibles
3. Tomber d’épuisement. Un cycle en dents de scie : le ballet des glandes endocrines et les alternatives aux mesures de prévention standard
4. Répartition des graisses. Exercices physiques : aimer son ventre, le prix du fitness et les contradictions du sport
5. Sécheresse vaginale. Vive la vulve : sexe, exhibitionnistes moyenâgeuses et rayons laser
6. Cycles irréguliers. « Geler ses avoirs » : progrès technologique, fertilité autodéterminée et social freezing
7. Poils mal placés. L’homme en moi : sous le joug des symboles de fertilité, un surplus de testostérone et le grain de sel de monsieur stein
8. Problèmes de concentration. Retour en arrière : une courte histoire du climatère
Petit intermède. Un florilège d’insultes
Seconde partie - Un nouveau départ - Mon âme a le vent en poupe : le climatère, une coming-of-middle-age story ou l’histoire d’une renaissance
9. Intranquillité. Les femmes asiatiques vieillissent elles aussi : clichés, mèmes et données factuelles
10. Rides et boutons. La beauté naturelle est intérieure : rougeurs au visage, chirurgie plastique et la fiancée de Frankenstein
11. Coups de fringale. Comment se réconforter soi-même : mécanisme de compensation, privation de sucre et start-ups sur la ménopause
12. Problèmes de sommeil. Le mythe de la séparation entre vie privée et vie professionnelle : aptitude au travail, culture du travail et sensibilisation sur le lieu de travail
13. États dépressifs. La valeur des vieilles femmes : des rêves de vie éhontés, ma visite chez dr sheila de liz, de nouveaux modèles et un regain de liberté
14. Solitude. Nouvelles opportunités : une architecte d’intérieur dans un nid vide et le pouvoir des rituels
15. Bouffées de chaleur. Changer de perspective : joni mitchell, la beauté de l’expérience, l’énergie du changement et l’espoir de rester plus ou moins en bonne santé
16. La fin des menstruations. Fluctuations de la fertilité : adieu, la peur de tomber enceinte sans le vouloir ; le lâcher prise et la revalorisation de la sollicitude et de l’esprit de communauté
Épilogue. - Mon défouloir périménopausique. Casser beaucoup de vaisselle et faire communauté
Bibliographie

Remerciements

Mes livres sont le fruit d’un travail en commun, celui-ci tout particulièrement. Je remercie profondément Anja Scherret, Mirna Funk, Theda Borde, Sheila de Liz, Neky Cheung et Susanne Liedtke. Sans vous, Bouffées de chaleur. Briser le tabou de la ménopause n’aurait pas vu le jour.

Merci à Zeit Online qui a publié mon essai « Care-Arbeit : die Zukunft ist fürsorglich » (« Le travail du care : l’avenir est à la sollicitude »). Dans le chapitre 16, j’ai en partie repris des réflexions développées dans cet article. Un grand merci également à Harper’s Bazaar Germany, et surtout à Kerstin Schneider pour sa collaboration durable, fructueuse et inspirante. En tant que responsable des rubriques « culture » et « voyages » du magazine, j’ai eu l’opportunité d’interviewer des femmes extraordinaires telles que Cynthia Nixon, Alicia Keys et Isabelle Huppert.

Merci beaucoup à Franziska Günther pour son soutien indéfectible. Il n’y a pas meilleure agente qu’elle. Cela vaut aussi pour les « femmes en or » : notamment Elizabeth Bandulet, qui a toujours de bonnes idées, et Doreen Fröhlich, qui a appuyé mon projet de livre dès le début. Merci aussi à Angelika Lieke pour son regard attentif et à ma primo-lectrice Nicola Graef pour son temps et ses suggestions.

À Camilo et Santi, la meilleure famille qui soit, même dans les grands moments de tension.

Je remercie tout spécialement mes amies, pour les histoires qu’elles m’ont confiées et leur soutien : Anna, Annabelle, Anne, Barbara, Birgit, Caro, Clare, Corinna, Esra, Eva, Evelyn, Heike, Honor, Isabel, Jenna, Julia, Julie, Jutta, Katharina, Marie, Marlene, Natalie, Petra, Rebecca, Sue, Stephanie, Ute et Zilla.

Vous êtes ma Peng.

« En fin de compte, vieillir rend heureux.

On grossit et on prend des rides, bien sûr,

mais en même temps, on est beaucoup plus libre. »

Isabella Rossellini

Introduction.

Gestion de crise en période de fortes chaleurs.
Il est temps d’en parler !

À partir de mon quarantième anniversaire, c’en fut fini des nuits tranquilles. Au lieu d’avoir un sommeil reposant, je me réveille désormais au beau milieu de la nuit dans un pyjama trempé de sueur. Dans le pire des cas, je reste éveillée pendant des heures. Tantôt mes cycles s’étalent sur plusieurs semaines, tantôt mes règles semblent se suivre coup sur coup. De plus, d’obscurs nuages envahissent mon esprit, qui s’accompagnent non seulement d’incertitudes mais parfois aussi d’une colère noire. Ils éclatent sans prévenir en tempêtes orageuses : récemment, pour un peu, j’aurais jeté une casserole à la tête de mon mari. Il m’arrive d’avoir peur de moi-même : mais qui est cette furie aux traits tirés ?

Avant, je dormais comme une marmotte et je ne me serais pas décrite comme une personne au tempérament « explosif ». Bien au contraire, je me contrôlais plutôt très bien en général. De l’extérieur, je pourrais d’ailleurs continuer à passer pour une femme parfaitement fonctionnelle : j’ai 44 ans, mon fils va au lycée, je travaille depuis dix ans avec succès en tant qu’autrice et journaliste. Financièrement, je ne dépends pas de mon mari, notre mariage est heureux depuis quinze ans, et quant à mes grandes crises existentielles, je les ai réglées entre 20 et 30 ans. Les années passant, j’ai de moins en moins de mal à prendre des décisions claires. Qui plus est, mes pensées ne tournent plus sans arrêt autour des hommes – quel gain d’énergie ! Ce devrait être la meilleure période de ma vie, je devrais regarder vers l’avant avec dynamisme, intelligence et assurance. Mais mon corps semble avoir d’autres projets : je peux tomber de sommeil à tout moment. Je deviens larmoyante, irritable et hypersensible. Pourquoi ?

Je me trouve dans une phase qu’on appelle le « climatère », plus exactement dans la « périménopause », une période d’une durée indéfinie pouvant s’étendre jusqu’à dix ans avant les dernières règles, le point final de ma fertilité, la véritable ménopause (en grec ancien : men – mois, pausis – fin). N’importe quoi, vous direz-vous, je suis encore beaucoup trop jeune pour ça. Mais les premiers symptômes peuvent tout à fait apparaître dès la quarantaine. D’un point de vue purement biologique, le climatère fait partie du processus de vieillissement naturel. Cela étant dit, les règles qui s’appliquent ici pour les femmes ne sont pas les mêmes que pour les hommes. Le processus de vieillissement masculin est perçu de façon linéaire ; en d’autres termes : les hommes mûrissent. Les femmes, quant à elles, deviennent vieilles, c’est tout.

D’un point de vue social, la balançoire hormonale sur laquelle oscille mon corps ressemble en effet à un siège éjectable, réservé exclusivement aux femmes d’âge moyen. Voilà que je me retrouve isolée dans une embarcation vétuste chargée de mythes, d’informations erronées et d’une interminable série de contradictions.

À ce stade, on me considère de manière latente comme un poids pour la société. Je ne semble pas suffisamment résistante, pas assez raisonnable pour être prise au sérieux : Tu ne souffrirais pas d’un léger déséquilibre hormonal par hasard ? Sans déconner.

La ménopause, si tant est qu’on en parle, est encore plus méprisée que le syndrome prémenstruel. Comme si j’avais besoin de ça, car, en toute honnêteté, qui pourrait bien avoir envie d’entrer dans la ménopause ? D’être d’humeur dépressive ? D’avoir des bouffées de chaleur ? De devoir supporter clichés, mauvaises blagues, voire taquineries et insultes gratuites ?

Au mieux, on me qualifie désormais de « fatigante », au pire de « folle », car « ménopausée » signifie encore pour beaucoup « desséchée », « non féminine » et « malade ». Et, d’une certaine manière, cette « maladie » est embarrassante parce qu’elle remet en question ce qui, de toute façon, est entamé ou que nous sommes en passe de conquérir depuis quelques années seulement : l’estime de soi sur le plan sexuel.

Bien sûr, on n’exige plus sérieusement d’une femme de plus de 40 ans de « se retirer » de la vie sociale. Mais elle ne peut continuer à y participer qu’à certaines conditions. Pour moi en tant que « femme moderne » d’âge moyen, le deal implicite est le suivant : durant la ménopause, je suis priée de garder mes états d’âme pour moi et de continuer à fonctionner normalement au-dehors. Je dois me dépatouiller d’éventuelles difficultés par moi-même et à l’écart des autres puisque, après tout, chaque femme les vit de manière tout à fait individuelle et à des moments divers. Ou peut-être pas du tout. Ce faisant, je dois, autant que possible, paraître mince et sportive ou bien avoir l’air particulièrement naturel.

Contrairement aux difficultés biologiques liées à la ménopause, le processus de vieillissement externe, lui, est public et fait l’objet de commentaires non sollicités. Si j’assume mon âge, laissant mes cheveux gris pousser et mes rides se creuser, alors je vieillis « dignement » et suis condamnée à parler en permanence de la vieillesse et des années accumulées. Si je fais combler mes rides avec du botox et repulper la peau de mon visage avec des injections de collagène sans qu’on le remarque, je suis resplendissante et peux tout simplement continuer sur ma lancée. Si l’on me demande ensuite mon âge et que je réponds sincèrement, on me complimente comme si j’avais accompli quelque chose. Mais si ces interventions deviennent visibles aux yeux des autres, je dois fournir des explications, car j’ai alors de toute évidence un « problème » avec le vieillissement, je me « rajeunis à coups de seringue », je suis « incapable de lâcher prise ». Mais attention à ne pas se lamenter trop fort trop longtemps à ce sujet, sous peine de sembler vraiment désespérée.

Si je parviens à trouver un juste milieu dans le soin apporté à mon apparence et à gérer dans mon coin mes symptômes physiques repoussants, je peux continuer à faire entendre ma voix de femme active et même à me présenter comme un être quasi sexuel – avec certaines restrictions, bien entendu. Lorsqu’il est question de femmes post-ménopausées, la quittance de cet acte de tolérance apparaît souvent au détour d’un certain type d’apposition : Iris Berben, « si sensuelle, à 65 ans » (ou bien à plus de 70 ans, puisque c’est l’âge qu’elle a désormais) ; Jennifer Lopez, « un body pour le bikini, à 52 ans » ; Judy Dench, « star du grand écran, à 72 ans ». Comme si la sensualité au-delà de 50 ans était quelque chose de sensationnel en soi. La concession « sexy, active, à succès, etc. malgré son âge » s’affiche comme si de rien n’était dans tous les gros titres.

Bien évidemment, je dois toujours faire preuve de bonne humeur, voire de complaisance : une attitude par trop agressive est à proscrire, tout autant qu’une attitude larmoyante ou, pire encore, plaintive. « Ça ne te va pas de pleurnicher », m’a-t-on vraiment dit un jour. Une collègue de plus de 50 ans s’est rendue chez le médecin parce qu’elle ne sentait plus ses doigts et a été envoyée sans commentaire chez le psychiatre. Or ce n’est pas d’antidépresseurs qu’elle avait besoin, mais d’un traitement neurologique sérieux. Au lieu de cela, on lui a diagnostiqué sans l’ausculter une « légère irritabilité ».

Manifestement, mon entourage, professionnel surtout, a une peur bleue des émotions féminines. C’est pourquoi on exige de la discipline. Il faut prendre sur soi. Rester cool, détendue et, par-dessus tout, objective. Ne surtout pas devenir hystérique, ça fait très mauvais genre.

La bonne blague. Comme si le corps féminin avait jamais fait l’objet de discussions objectives. La plupart des recherches sur le climatère n’ont été entreprises qu’après l’étude de la Women’s Health Initiative (« Initiative pour la santé des femmes ») qui a montré en 2002 que les femmes sous traitements hormonaux développaient 100 % de thromboses, 41 % d’attaques cérébrales, 29 % d’arrêts cardiaques de plus que la moyenne et avaient 26 % plus de chances de contracter un cancer du sein. En clair, cela signifie qu’on a, pendant des décennies, distribué généreusement et sans aucun recul à des femmes des médicaments qui les rendaient malades. La conséquence de ce scandale : des interdictions ! La conclusion : les traitements sont à fuir !

Ce livre est une tentative de démystification de la ménopause. Je veux parler de tabous, de contradictions et de fausses croyances autour de ce thème, ainsi que de mythes sur la santé et le bien-être.

De plus en plus de femmes atteignent un âge moyen et, parmi elles, il y en a probablement beaucoup qui, comme moi, prennent depuis plus de vingt ans leurs propres décisions et comptent bien continuer à le faire jusqu’à la fin de leur vie. Je refuse de considérer le processus de vieillissement féminin comme un trouble psychique, la perte de tout pouvoir de séduction, voire de toute puissance créatrice. Une réflexion actuelle et globale sur la ménopause prenant en compte la dimension culturelle en plus de la dimension médicale se révèle de prime importance ici.

Les chapitres qui suivent sont une invitation à ne voir la ménopause ni comme une métamorphose riche de sens ni comme une crise existentielle longue d’une décennie, mais comme une période durant laquelle, après la puberté et la grossesse, les hormones suscitent une fois de plus des changements dans une vie. Une période que l’on peut mettre à profit pour soi-même, une fois passée l’indignation causée par le sentiment de perte de contrôle de son propre corps. Cela devient plus supportable quand on sait simplement une chose : les années à venir seront peut-être éprouvantes, mais ça ira. Car les changements libèrent une énorme quantité d’énergie.

Au sujet des symptômes, on dit qu’ils sont forts pour un tiers des femmes, moyens pour un autre tiers et inexistants pour le dernier tiers. Afin de dire la ménopause autrement, je voudrais trouver une langue qui ne sombre ni dans la pathologisation ni dans le jugement : dans ce livre, on ne trouvera pas de consignes pour « survivre à », « endurer », voire « combattre » la ménopause. Ceci n’est pas un guide de survie ou un recueil de condoléances, mais la tentative de parler ouvertement et d’un point de vue actuel d’un sujet qui concerne tout de même la moitié de la population mondiale : la fin biologique de la fertilité féminine.

Jusqu’à présent, le ton du savoir populaire sur la ménopause a été dicté par les livres de développement personnel : la ménopause y est décrite comme une sorte d’adieu, volontiers illustré par une femme souriante enserrant une tasse de thé de ses deux mains, comme s’il s’y cachait une grande vérité. Elle porte une grosse écharpe, comme si elle voulait dissimuler derrière un look cosy les rides et la peau flasque qui se forment avec prédilection autour du cou au-delà de 40 ans. Je ne me retrouve pas dans ces images. Je ne me sens pas « concernée ». Il se trouve que parfois, j’ai chaud (ou froid). Je ne fais mes « adieux » à rien, je ne me « flétris » et ne me « dessèche » pas non plus. Mon corps change, c’est la vie.

La féministe et journaliste américaine Gloria Steinem a déclaré dans son essai « If men could menstruate » que, « si les règles arrivaient aux hommes », ils se vanteraient de leur abondance et de leur durée. Ils fêteraient la ménopause comme un jalon positif dans leur vie, marquant chez l’homme l’accumulation de tant de sagesse cyclique qu’il n’aurait désormais plus besoin de saigner. C’est ainsi que je veux me voir : comme une personne qui, après trente années de menstruations et une grossesse, a accumulé tant de savoir sur le cycle de la vie qu’elle peut désormais passer à autre chose et transmettre à d’autres son expertise.

Car on en manque cruellement. Nous abordons les questions sur la ménopause de façon approximative. En googlant « ménopause », on apprend que le terme renvoie de fait aux dernières règles suivies d’une période de douze mois sans menstruations. Les quelque quatre à dix années précédentes, qui s’accompagnent de bouffées de chaleur et de troubles du sommeil, sont quant à elles connues sous le nom de « périménopause ». C’est la phase dans laquelle je me trouve actuellement.

L’ensemble des changements hormonaux survenant durant la préménopause (les années précédant l’apparition de symptômes sévères, lors desquelles le taux d’hormones baisse cependant déjà significativement), la périménopause et la ménopause sont désignées par le terme « climatère ».

À partir de maintenant, je parlerai de climatère et de périménopause. Si l’on veut pouvoir réfléchir à la ménopause en écartant clichés et jugements de valeur, il faut commencer par choisir les mots justes. Le terme « climatère » me semble adéquat. Il vient du grec ancien klimaktér, qui signifie « échelon » ou encore « étape de la vie (difficile à franchir) », soit un moment critique dans une vie. À la fin du XIXe siècle, en allemand, on employait même le mot Stufenjahre (« années échelonnées »). Par bonheur, le terme laisse complètement ouverte la question de savoir si ces échelons vont vers le haut ou vers le bas. Si le mot d’origine grecque peut sembler compliqué, au moins n’est-il pas, contrairement à « ménopause », marqué par trois cents ans de mythes et de malentendus.

Sur le « climatère », il est possible d’écrire avec un regard neuf, de tourner une nouvelle page, de coucher sur le papier des récits pertinents et proches de la réalité.

Ces trois cents dernières années, le climatère a été accaparé par de puissants courants médicaux et culturels. Par conséquent, force est de constater que beaucoup de femmes, même émancipées, ne savent pas comment aborder cette période de leur vie. Lorsque les troubles deviennent visibles aux yeux de tous – sous la forme de bouffées de chaleur ou d’une crise de colère intempestive –, il semble qu’il y ait toujours des raisons d’avoir honte ou de s’excuser. Même des femmes réfléchies ignorent souvent comment le climatère se manifeste exactement.

Je suis allée chercher de l’aide : auprès de la naturopathe Anja Scherret, spécialisée dans le domaine de la santé féminine, de la gynécologue Sheila de Liz, de la théologienne bouddhiste Neky Cheung, de l’écotrophologue1 Susanne Liedtke, fondatrice d’une start-up consacrée à la ménopause, ou encore de l’autrice Mirna Funk, qui veut garder la main sur sa fertilité à travers le social freezing – la congélation de ses ovocytes –, et de la chercheuse en santé publique Theda Borde, à l’origine d’une des rares études internationales sur le climatère chez des femmes issues de différents contextes migratoires.

Dans cette partie du monde, les mythes autour de la ménopause sont fortement sous-tendus par la culture du jeunisme caractéristique du XXe siècle. Le marché de la santé et de la beauté en profite : les produits pour « mieux vieillir » ainsi que ceux axés sur la ménopause sont désormais en plein boom. Dans des pays comme la Corée du Sud, mon pays d’origine, dans lesquels l’âge est assimilé, pour des raisons culturelles, à des qualités positives telles que l’expérience et la sagesse, les symptômes relevés chez les femmes sont moins importants. Ces dix dernières années, la tendance est cependant largement à la hausse. À quoi cela est-il dû ? J’examinerai aussi cette question.

En fin de compte, je souhaite montrer que la perte de fertilité peut signifier un gain de liberté et d’autodétermination. « À mesure que les femmes vieillissent, la vie s’améliore et devient plus facile pour elles », avait confié l’autrice nigériane Chimamanda Ngozi Adichie peu avant son quarantième anniversaire à l’ancienne Première ministre d’Écosse Nicola Sturgeon lors du Festival international du livre d’Édimbourg en 2017. « Vous vous rendez compte que plus ça va, moins vous avez envie de vous emmerder. » Chimamanda Ngozi Adichie a le même âge que moi – elle est née en 1977 – et n’est donc pas encore vraiment vieille mais plus vraiment jeune non plus. Je sens que mon corps change de vitesse, dicte un autre tempo. Je me trouve à mi-parcours et veux vivre la seconde moitié de ma vie aussi pleinement que la première, climatère ou pas. La « ménopause » ne cessera d’être stigmatisée socialement que si les femmes parlent haut et fort, et avec un brin d’irritation en effet, de leur vieillissement.

Pour être tout à fait honnête, j’ai constaté en rédigeant ce livre que je ne suis moi-même pas exempte de préjugés sur le climatère. Par exemple, quand je racontais à des ami·e·s que j’écrivais sur la ménopause, je me retrouvais régulièrement devant des moues embarrassées, du style : « Ah vraiment ? Perso, je suis très loin de ça ! »

En révélant mes propres difficultés, j’ai soudain peur de l’effet que je pourrais produire : va-t-on me prendre pour la vieille peau qui a écrit sur les ovaires qui se « dessèchent » ? Vais-je être dévalorisée parce que je me prononce publiquement sur un sujet lié à la prétendue fin de la féminité ? Serai-je encore considérée comme baisable après avoir décrit les saignements hémorragiques de la périménopause et la graisse abdominale ultra-molle due au climatère ?

Voilà que je dois moi-même me rappeler que, sexe ou pas sexe, mon corps existe en tant qu’entité biologique avec des besoins. J’en rirais presque. Les clichés sur ce qui est féminin et donc désirable sont si profondément ancrés en moi que je dois me remettre en tête ma volonté d’écrire aussi ce livre pour poser la question de la définition de la féminité en soi : ne pourrions-nous et ne devrions-nous pas, au temps des conceptions de genre non binaires, de la congélation d’ovocytes et de la fécondation in vitro, enfin arrêter d’indexer la féminité sur la fertilité ?

Aussi loin que je me souvienne, on m’a toujours conseillé de passer ma vie « aux côtés d’un homme ». Mais, en ce qui concerne la fin de ma fertilité biologique, à l’instar de toutes les aspérités de la vie d’une femme – je pense aux menstruations ou à la période du post-partum –, je dois me débrouiller seule. Pourtant, le climatère, même s’il donne du fil à retordre, a quelque chose d’absolument fascinant : mon corps, qui a fait son job plus ou moins bien pendant de nombreuses années, exige à présent de l’attention, un soin particulier et de la prévenance – ou bien du care2 comme on dit désormais. Il ne se laisse plus contrôler, réclamant au contraire une saine coexistence.

Je voudrais répondre à cette exigence. J’ignore encore les répercussions que cela aura. Comme je le disais : chaque femme ressent la ménopause différemment. L’important, c’est que je n’aie pas à la traverser seule. Je peux échanger avec d’autres femmes, accepter de l’aide, faire l’expérience d’une nouvelle communauté. Donc : parlons des profondeurs abyssales du corps féminin, de la peau qui s’affine, de la pilosité du visage, des pics de sueur. Même ça – et surtout ça ! –, c’est féminin.

Quand elle avait mon âge, l’actrice Isabella Rossellini, égérie Lancôme, s’est fait virer par le géant des cosmétiques. Cela remonte à l’année 1996. « À l’époque, on m’a expliqué que la publicité jouait avec les rêves et que les femmes rêvaient toujours d’être jeunes. Je ne pouvais plus incarner cet idéal », se souvient-elle. En 2018, la nouvelle directrice générale de Lancôme, Françoise Lehmann, a rappelé Isabella Rossellini, alors âgée de 65 ans, car « les femmes de son âge se sentent ostracisées, invisibles. Nous voulons leur donner le sentiment d’en être ».

Nous en serons, car le temps est de notre côté. Mondialement, on compte 500 millions de femmes de plus de 50 ans et le nombre va croissant. On ne peut pas marginaliser toutes ces femmes pour le restant de leur vie – que je leur souhaite longue.

Première partie

W(hat) t(he) f(uck) ?!
(« C’est quoi ce bordel ?! »)

Mauvais timing, peu de connaissances : mon corps en chute libre

1. Flots de sang.
Femme coagulée : des caillots de sang, des haussements d’épaules dans les cabinets de gynécologie et de la sagesse des baleines

Mon corps vient d’expulser une grosse masse rouge brique. Se pourrait-il que ce soit un signe de bonne santé ? C’est ce que je me demande, debout face à la cuvette des toilettes. Au fond gît une boule sombre, de la couleur d’un foie de volaille, mais plus grande, de la taille d’une petite banane, je dirais.

Juste après la naissance de mon fils, j’avais produit quelque chose de similaire. Mais, à l’époque, je savais parfaitement ce dont il s’agissait : le placenta. Cette fois-ci, j’ai simplement mes règles. Une version XXL pour être exacte : avant même que le bloc gélatineux ne voie la lumière du jour, j’avais perdu tant de sang que je m’étais demandé pendant combien de temps on pouvait saigner aussi fort sans perdre connaissance. Ou sans se vider entièrement. À la limite du gore. Et maintenant ça.

J’envisage un instant d’appeler une ambulance. Après tout, cet énorme grumeau pourrait cacher tout un tas de choses, un bout d’organe vital par exemple, théoriquement même un fœtus. Je vais chercher un cure-dent dans la cuisine, l’enfonce dans l’amas de cellules et ne sens heureusement aucune résistance musculaire. Ce n’est donc pas un organe et ceci n’est pas une urgence médicale. Malgré tout, ce paquet gluant contient mon ADN. Chacune de ses cellules a en quelque sorte été programmée pour s’autodétruire. Pour des raisons non encore explicitées par la science, au bout d’un moment, les cellules arrêtent tout simplement de se régénérer. Chez les hommes, ce processus s’appelle le « vieillissement naturel ». Chez moi ainsi que chez les êtres humains nés femmes, il se nomme « climatère » et un de ses symptômes repose, désormais bien visible, dans la cuvette couleur coquille d’œuf de mes toilettes.

Par chance, il est possible de googler « gros caillots pendant les règles ». Quelques clics sur mon smartphone et je me sens déjà mieux. L’explication biologique est à la fois rassurante et éclairante : quand le cycle devient irrégulier, l’endomètre, la muqueuse qui tapisse l’intérieur de l’utérus, s’épaissit. En cas de règles, les amas ainsi formés – parfois aussi larges que la paume d’une main – sont évacués. C’est bon à savoir. Donc pas besoin de rendez-vous médical, il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Merci Internet.

Néanmoins, je ne dirais pas que l’incident est banal. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre son for intérieur de façon aussi pénétrante. Pourtant, je ne suis pas particulièrement impressionnable en matière de menstruations. N’ayant jamais supporté la pilule, j’ai opté très jeune pour le stérilet en cuivre comme moyen de contraception. Or les stérilets ont tendance à faire saigner davantage. Pour moi, le sang des règles n’est un objet ni de dégoût ni d’empowerment mais un corollaire naturel de mon être de femme.

Cette nouvelle alerte mensuelle à l’hémorragie est cependant un peu forte de café. Récemment, un matin au réveil, et alors même que j’avais un tampon, j’ai semé des gouttes de sang en allant au petit coin, comme après mon accouchement. Ça coulait le long de mes jambes, my own private Horrorfilm (« mon petit film d’horreur à moi »). Quand j’étais plus jeune, la plupart des femmes de mon entourage faisaient comme si elles ne perdaient pas de sang du tout, comme si on en avait « fini » avec les règles – un tampon et c’est bon. Dans les années 1990, les menstruations n’étaient pas un sujet public. Et maintenant, comment réagir face aux saignements hémorragiques ? Avec calme, mais à quel point ? Ai-je vraiment intérêt à rester cool ?

Certains de mes amis, des hommes entre 40 et 50 ans, se plaignent désormais moitié en pleurnichant, moitié en plaisantant d’épines calcanéennes, d’atrophie musculaire ou encore de vieillissement de la peau (« d’après le médecin, les marques sur mon visage sont des taches de vieillesse ! »), tandis que leurs femmes laissent leurs verres de vin à moitié pleins et commencent à bâiller à partir de 23 heures. Aucune de mes amies n’a encore parlé de bains de sang mensuels ni de placentas menstruels en grand comité, face à des copains des deux sexes. Les « petits bobos » de ce type sont moins bien admis socialement que des désagréments courants tels que le mal de dos. J’imagine la scène d’ici : à la suite d’un récit archidétaillé d’une IRM des cervicales, je prends la parole :

« Moi aussi il m’est arrivé quelque chose de drôle : ce matin, une grosse masse de sang coagulé est tombée de ma vulve ! » Sploutch.

Cocasse, non ?

L’autre jour, une copine m’a confié qu’en fait, si elle ne voulait pas perdre sa famille, elle ferait mieux d’aller à l’hôtel une fois par mois durant la phase prémenstruelle. Elle a le même âge que moi, environ 45 ans. Dans la seconde moitié du cycle, son corps serait « hors de contrôle ».

Je connais ça. Le syndrome prémenstruel (SPM), un moment étrange – le sentiment que ça cloche quelque part. Il est temps de solliciter l’aide d’une experte. J’appelle ma gynécologue. Quand j’explique à sa secrétaire que je pense souffrir de troubles de la périménopause, elle me demande s’il y a autre chose à part ça. Non, suis-je sur le point de répondre, mais je me ravise à la dernière seconde : « J’ai toujours très mal au ventre au milieu du cycle. »

Aussitôt, j’ai droit à un rendez-vous – dans douze semaines.

Le jour tant attendu, ma gynécologue déclare que mes ennuis n’ont rien d’anormal. La pilule serait le plus efficace dans ce cas. (Je lui rappelle que je ne la supporte pas. Il en existerait des nouvelles, meilleures, me répond-elle. C’est ce qu’elle dit toujours, si bien que je réplique : Non merci. Elle prend une grande inspiration et se tait.) Ensuite, elle me recommande le poivre des moines. Il faudrait attendre environ trois mois pour qu’il fasse effet, précise-t-elle, l’homéopathie aussi pourrait aider. (Malheureusement, je n’y crois pas, ce qui me vaut un autre silence appuyé de sa part.) Autrement, il existerait des traitements hormonaux qu’elle ne conseillerait toutefois pas. (Pourquoi ? Le dosage serait extrêmement difficile. Mmh.)

« Mais qu’arrive-t-il à mon corps ? demandé-je.

— Probablement des fluctuations hormonales.

— Pouvez-vous savoir par une prise de sang ou un prélèvement salivaire quelle est l’hormone qui fluctue ?

— Pour quoi faire ? » rétorque-t-elle. « Votre taux d’hormones varie d’un jour à l’autre. Ce serait inutile. À votre âge, il est normal d’avoir certains désagréments. Vous devez apprendre à vivre avec. »

Fin de la consultation.

La gynécologue doit avoir cinq ans de moins que moi. Elle ne me dit pas non plus où se situe la limite « certaine » du supportable. Je me demande si, dans cinq ans, compte tenu de l’âge qu’elle aura alors, elle aussi s’accommodera de ces « désagréments », un accompagnement n’étant manifestement pas prévu et un traitement étant jugé inutile.

D’ailleurs, il n’existe apparemment pas de consensus médical sur les troubles du climatère. Peu après mon quarantième anniversaire, j’ai fait mon premier check-up de la quarantaine chez ma généraliste. À l’époque, j’étais dans un état d’épuisement constant à cause d’un sommeil agité que je ne m’expliquais pas. J’avais l’impression de vivre au ralenti et j’étais vraiment très inquiète : est-ce que j’avais quelque chose ? Bien que mon bilan sanguin n’ait heureusement révélé aucune maladie grave, la fatigue de plomb est restée.

À la fin de notre échange, ma généraliste, qui doit pour sa part avoir dix à quinze ans de plus que moi, avait commenté mes analyses de sang en disant : « Vous souffrez probablement de troubles précoces de la ménopause. La périménopause, ça vous dit quelque chose ? »

À ce moment-là, je n’avais pas compris. Sur le plan purement acoustique, « périménopause » n’est pas un mot facile pour moi. Mes organes de reproduction ne sont pas les seuls à décliner, mes sens faiblissent aussi. Depuis quelques années, ma myopie et ma déficience de l’audition, plus précisément ma surdité à haute fréquence, s’accentuent. Ne percevant quasiment plus les sons aigus, je ne peux plus distinguer les consonnes. Le mot « périménopause » devient « é*i*é*o*au*e ». Je l’avais regardée d’un air interrogateur.

« P-É-R-I-M-É-N-O-P-AU-S-E(uh) ! », avait-elle répété en insistant sur chaque lettre.

« Ah, d’accord », avais-je répondu en ayant le sentiment d’avoir dépassé la quarantaine depuis bien longtemps. Pour en avoir le cœur net, j’avais demandé : « Déjà ? »

Elle avait hoché la tête stoïquement avant d’ajouter sur un ton inhabituellement maternel : « Essayez d’être attentive à ce qui vous arrive. C’est tout à fait normal. La plupart des femmes n’ont aucune idée de la précocité des premiers symptômes. S’ils deviennent trop gênants, parlez-en à votre gynécologue. »

J’aimerais bien, mais c’est peine perdue. À l’inverse, les causes de ma surdité sont moins nébuleuses : un vestige de mon passé de fêtarde – j’ai dû passer trop de temps dans des concerts et des clubs. Désormais, mon ouïe est si mauvaise que je dois porter des appareils auditifs. J’ai mis cinq ans à m’en occuper. Notre premier réflexe est souvent d’ignorer sciemment l’usure liée à l’âge : mes ami·e·s en sont la preuve qui, au lieu d’aller simplement s’acheter des lunettes de lecture, éloignent de plus en plus leurs livres, leurs magazines ou encore les menus des restaurants de leurs yeux pour pouvoir les déchiffrer. De la même manière, pendant des années, j’ai remis à plus tard une visite chez mon audioprothésiste. Je m’étais persuadée que les conversations entrecoupées étaient préférables à des mots lourds de sens tels que « périménopause » ou « climatère ». Désormais équipée de prothèses auditives, j’entends de nouveau un peu mieux.

Si seulement il existait l’équivalent de lunettes ou d’appareils auditifs contre les troubles du climatère. Quelque chose de concret qu’on pourrait repousser pendant quelques mois avec mauvaise conscience avant de s’y résoudre en serrant les dents et dont on se féliciterait ensuite, tant le soulagement serait immense. La médecine moderne peut faire battre les cœurs à l’aide de stimulateurs cardiaques, mettre les corps en état d’« animation suspendue » pour les opérer1, créer des bébés-éprouvette et même contrecarrer les troubles hormonaux de l’érection grâce à un médicament fiable. En revanche, elle n’a visiblement pas grand-chose à opposer aux troubles du climatère.

Ce serait si beau pourtant : une seule pilule bleue et adieu la chemise de nuit trempée de sueur à 2 heures du matin. Une seule pilule bleue et soudain le brouillard qui envahit régulièrement mon esprit, voilant pensées et corrélations, se lèverait d’un coup. Une seule pilule bleue et ce feu venu de nulle part n’embraserait plus ma cage thoracique pour me monter à la tête en passant par le cou. Fini aussi les joues rouges comme si j’avais avalé une double vodka au petit-déjeuner.

Une seule pilule bleue et me voilà aussi résiliente et solide physiquement que dans mes meilleures années.

Une seule pilule bleue et exit les films gore dans la salle de bains une fois par mois.

Guère étonnant dans ces circonstances que la génération des femmes de l’âge de ma mère, qui ne pouvaient pas s’en remettre au dépotoir omniscient de l’Internet, fussent entrées en ménopause dans la honte et l’ignorance la plus complète. À l’époque, il existait un traitement universel contre les symptômes : la thérapie hormonale. Elle existe toujours, bien évidemment. Le déficit organique peut être compensé par des préparations diverses à base d’hormones synthétiques ou bio-identiques. Seulement, cela pose deux problèmes : les hormones synthétiques sont potentiellement cancérigènes et on peine encore à définir le meilleur moment pour démarrer une thérapie. Faire de la prévention avec des campagnes d’information serait déjà une bonne chose. N’oublions pas : le savoir, c’est le pouvoir.

« Nous avons consacré beaucoup de temps et d’efforts à préparer les adolescents aux changements physiques de la puberté. Or, chez les femmes, l’âge moyen s’accompagne d’une autre forme de puberté, la périménopause, une piste sur laquelle nous glissons à l’aveugle, sans informations suffisantes de la part de médecins, voire d’autres femmes, tout en nous étonnant, honteuses et sans mot dire, de l’intensité et du caractère apparemment sans fin des changements », écrit Lisa Selin Davis dans un article du New York Times.

Les caisses d’assurance maladie allemandes ne prennent pas en charge les consultations sur le climatère. Entre autres parce que la période est trop difficile à délimiter. Impossible d’en faire une description générale du type : « Le climatère commence pile à 43 ans et s’arrête à 52. Ces neuf années peuvent être divisées en trois phases de trois ans chacune : durant la première, on dort mal ; durant la deuxième, on a constamment chaud ou froid ; à la fin, on n’a plus de règles et voilà : adieu la fertilité ! »

Désolée mes chères, le souhait d’une telle définition ne peut être exaucé. Pourquoi pas ? Tout d’abord parce que, jusqu’à présent, le climatère et la ménopause restent trop peu étudiés. En matière de santé féminine, l’humanité qui a cartographié chaque millimètre carré de cette Terre et voyagé dans l’espace, manque encore cruellement de connaissances.

La représentation d’hommes et de femmes dans les essais cliniques pour l’autorisation de mise sur le marché de médicaments destinés aux deux sexes n’est obligatoire que depuis 19932. Auparavant, les tests se faisaient principalement sur les hommes, les résultats étant ensuite appliqués à tous et toutes.

Depuis les années 1990, la médecine utilise en outre le questionnaire de l’échelle MRS (Menopause Rating Scale). Les symptômes suivants sont évalués selon une échelle allant de 0 (aucune gêne) à 4 (très gênant) :

– bouffées de chaleur, transpiration (sensation de chaleur, pics de sueur) ;

– gêne au niveau du cœur (battements de cœur inhabituels, palpitations, battements irréguliers, sensation d’oppression) ;

– problèmes de sommeil (difficultés à s’endormir, difficultés à dormir d’une traite, réveil matinal) ;

– humeur dépressive (vous vous sentez déprimée, triste, au bord des larmes, vous manquez d’énergie, vous avez des sautes d’humeur) ;

– irritabilité (sensation de nervosité, de stress, d’agressivité) ;

– anxiété (sentiment d’angoisse, de panique) ;

– fatigue physique et mentale/intellectuelle (diminution des performances en général, problèmes de mémoire, diminution de la concentration, tendance à l’oubli) ;

– problèmes sexuels (modification de la libido, de l’activité sexuelle et de la satisfaction sexuelle) ;

– problèmes urinaires (difficultés à uriner, besoin croissant d’uriner, incontinence) ;

– sécheresse vaginale (sensation de sécheresse ou de brûlure du vagin, difficultés lors des rapports sexuels) ;

– gêne musculaire et articulaire (douleurs aux articulations, rhumatismes).

Les symptômes sont difficiles à contrôler et à catégoriser. Certaines femmes n’en ont que peu, d’autres plus, d’autres encore souffrent de maux tout à fait différents : des problèmes de peau ou d’intolérances par exemple. Finalement, le climatère reflète l’esprit du monde occidental contemporain : strictement individuel, il en existe autant de versions que de femmes.

On peut néanmoins retenir quelques faits irréfutables : pour toutes les femmes, la fertilité s’arrête un jour. Les changements hormonaux affectant le corps provoquent des symptômes divers chez les femmes de toutes les classes sociales et dans toutes les cultures du monde. La plupart d’entre elles deviennent probablement moins accommodantes et dorment moins bien. Quoi qu’il en soit, le climatère n’a jamais laissé l’humanité indifférente : les premières hypothèses à son sujet datent de l’Antiquité. Mais, au fond, personne n’est en mesure de dire quand il commence et combien de temps il dure. Or c’est précisément à cause de ces incertitudes que ma gynécologue aurait été bien inspirée de me faire une mise au point complète – en m’expliquant ce à quoi m’attendre et ce que je pourrais y faire –, au lieu de hausser les épaules en me proposant la pilule.

« Demande à ta mère », me conseille une amie de 50 ans qui parle « bien évidemment » du climatère avec ses copines et sa propre mère.

« Tu as quel genre de symptômes, toi ?

— Aucun pour le moment ! » me répond-elle d’un air triomphant, comme si c’était une victoire personnelle. « Mais si je devais remarquer quelque chose, j’en parlerais à ma mère direct. »

La mienne est décédée il y a quelques années d’un cancer du sein dans les canaux lactifères. Je ne peux plus lui demander comment elle a vécu le climatère. D’ailleurs, je ne me souviens pas l’avoir entendue évoquer le moindre symptôme. De toute façon, elle n’a jamais été stable, ayant souffert toute sa vie d’une forme sévère d’anxiété. À 45 ans, elle s’est complètement effondrée. En proie à d’intenses crises d’angoisse, elle n’a plus quitté la maison pendant des années. Aujourd’hui, je m’interroge sur le rôle que les hormones ont pu jouer dans l’aggravation de ses troubles psychiques et me demande si ces derniers n’ont pas été en partie provoqués par un syndrome climatérique. « [Les bouffées de chaleur] ressemblent à des attaques de panique, elles arrivent sans prévenir et ne durent pas plus de quatre minutes », écrit Darcey Steinke dans son livre Flash Count Diary. A New Story about the Menopause (« Le journal intime d’un compte à rebours. Une nouvelle histoire sur la ménopause »). Un discours sur le climatère plus ouvert et plus franc aurait-il été bénéfique à la santé mentale de ma mère ? Et si son gynécologue l’avait informée ? Si ses amies s’étaient confiées sur leur mal-être ?

D’ailleurs, pour info : les mythes sur la ménopause sont étroitement associés à ceux qui entourent le corps féminin. Dans mon cas, la chose se complique encore un peu plus. Orpheline d’origine coréenne et de parents inconnus, je suis souvent un mystère pour la médecine occidentale pourtant ô combien avancée. Ne connaissant pas mes proches biologiques, il m’est par exemple impossible de répondre à la question de mes antécédents familiaux. À cela s’ajoute un préjugé tenace : Hé, vous les Asiatiques, vous ne souffrez pas vraiment de la ménopause ! OK. Nous, soit environ 500 millions de femmes asiatiques, sommes toutes sans distinction en pleine forme, minces et sans âge. Il faut dire qu’on se ressemble toutes, pas vrai ?!

Et ça ne s’arrête pas là : ma mère elle-même soutenait qu’une femme qui avait ses règles ne devait pas faire de pâte levée (celle-ci ne lèverait pas) ni aller chez le coiffeur (les couleurs et les permanentes ne prendraient pas). D’après elle, une femme enceinte devait manger « pour deux », les femmes en général étaient incapables de « penser logiquement » et leurs maris devaient les « porter aux nues »… du moins tant qu’elles étaient encore pulpeuses et fertiles.

Apparemment, le corps féminin n’a d’intérêt qu’en tant qu’objet sexuel ou machine à enfanter et à allaiter. Désormais vieillissante et biologiquement sur le déclin, on me le rend sans commentaires. Autour de la quarantaine, la réification et la sexualisation qu’il a subies pendant des années sont inversées socialement. Décrépi et quasiment stérile, mon corps indiffère. Pas étonnant que certaines femmes se mettent à faire des crises d’angoisse. Encore et toujours, la question de ce qui définit l’être féminin se pose : que reste-t-il exactement d’une femme quand elle perd sa fertilité, sa prétendue vocation biologique ?

Une vieille peau.

Soudain se révèle la bêtise qui affuble l’image de la femme sous nos latitudes. L’idiotie des questions qui m’ont longtemps tourmentée me saute aux yeux :

– Suis-je trop ou pas assez apprêtée ?

– La couche de fond de teint sur mon visage est-elle trop épaisse ou trop fine, mon rouge à lèvres est-il trop vif ou trop brillant ?

– Les femmes asiatiques sont-elles plus excitantes que les autres ?

– Ai-je eu trop ou pas assez de partenaires sexuel·le·s jusqu’à présent ?

– Ai-je eu assez de « vrais » orgasmes ?

– Mon compagnon est-il un « bon parti » ?

– Ai-je bien géré ma carrière ?

– Ai-je été trop agressive durant la réunion ?

– Ai-je su m’imposer ?

– Mon boulot est-il compatible avec la maternité ?

– Ai-je trouvé un bon équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ?

– Enceinte, étais-je normalement grosse ou trop mince ?

– Pourquoi n’ai-je eu qu’un enfant et pas plus ?

– Me suis-je assez occupée de moi ?

– Ai-je trop fait pour les autres ?

– Ai-je été trop exubérante ou trop discrète à cette soirée ?

– Ai-je fait bonne impression ? Ai-je été charmante et smart ? Ai-je laissé assez d’espace aux invités masculins ?

Et ainsi de suite. Cette rengaine m’est si familière que je n’y vois pas l’expression d’un « manque d’assurance » mais un simple monologue intérieur. Les hommes se font-ils aussi constamment ce genre de réflexions ?

Certains experts prétendent que, dans leur vingtaine et leur trentaine, les femmes seraient plus coopératives, plus flexibles et plus sensibles au jugement d’autrui du fait d’un taux élevé d’hormones sexuelles féminines. La production de ces dernières s’effondrant d’un coup durant le climatère, les femmes auraient petit à petit moins de mal à exprimer leurs besoins et à se détacher du regard des autres.

Si cela est vrai, alors je suis enfin libre. Au terme de cette phase d’instabilité corporelle avec ses pics de sueur, ses crises de colère, son acné de la quarantaine et ses visites nocturnes aux toilettes, je ne serai plus une femme mais seulement un être humain. Une personne pouvant, à sa guise, se donner l’apparence d’une « femme » à l’aide de cosmétiques modernes, d’accessoires de mode et de beaucoup de travail. Voilà ce que ma gynécologue aurait peut-être dû me dire.

Au cours de ses recherches sur le climatère, l’autrice intrépide d’âge moyen que je suis découvre par ailleurs que la ménopause est, en soi, une défaillance sur le plan de l’évolution. Seuls les êtres humains de sexe féminin, les orques et les narvals passent par le climatère, tous les autres mammifères sont fertiles jusqu’à leur décès. Les avis divergent sur la raison pour laquelle Dame Nature a doté la fertilité des femmes d’une date de péremption. L’explication la plus populaire s’appuie sur la théorie dite de la grand-mère : d’après celle-ci, les grands-mères seraient les plus à même d’aider la génération de leurs petits-enfants à survivre, sans entrer en conflit avec la génération fertile des mères. Les grands-mères peuvent par exemple se concentrer sur des tâches d’organisation et de planification au sein de familles ou de communautés. En d’autres termes, elles ont des capacités de leadership. Une étude du US Centre for Whale Research (« Centre américain pour la recherche sur les baleines ») a pu valider cette thèse pour les orques : seules les femelles qui ne sont plus en mesure de se reproduire sont responsables de groupes. N’étant plus limitées ni dans leurs mouvements ni dans leurs activités et n’ayant plus besoin d’allaiter, elles consacrent toute leur énergie à les guider. Ça se tient.

Les baleines semblent me donner la leçon suivante : ce n’est pas ma vie de femme tout entière qui prend fin mais simplement une période de cette vie. Après la tétine et la louche, j’ai enfin le droit de manier le sceptre tribal. Ou, théoriquement, de briguer la fonction de chancelière, à l’instar d’une autre femme d’âge moyen, connue de tous et toutes. Car désormais, et pour peu que j’aie bien dormi, mes pensées sont claires d’un point de vue biologique.

L’assurance maladie pourrait bien verser 80 euros aux gynécologues pour qu’ils ou elles me racontent ça (et m’expliquent l’histoire folle des hormones). Fraîchement informée, je me ferais un plaisir d’annoncer au monde que le climatère n’est pas seulement un adieu mais aussi une phase de libération durant laquelle les injonctions patriarcales faites aux femmes s’agglutinent comme du vieux sang menstruel et tombent – splatch – sous la forme de gigantesques caillots du corps qui est le nôtre.

De temps en temps, cela a du bon d’être brutalement mis face à soi-même. Cette masse sortie de mes entrailles m’a rappelé ce qui fait de moi une femme et un être humain. Vieillir, d’accord, mais à mes propres conditions.

2. Une légère irritabilité.
Ne prends donc pas les choses si personnellement : crises de colère réprimées et hommes irascibles

Récemment, dans un supermarché asiatique à Berlin-Schöneberg : j’attrape une botte de ciboule de Chine dans le rayon frais pour cuisiner un plat de nouilles. À côté de moi, une cliente se penche, elle aussi, sur le rayon. Son long corps est couvert d’habits multicolores. Cela fait un moment que je sens son regard sur moi, elle m’observe avec une curiosité mêlée de sympathie.

« Je t’ai vue prendre ça (elle désigne la ciboule). Qu’est-ce que c’est ? »

À sa façon de me tutoyer, je comprends qu’elle m’estime bien plus jeune qu’elle. Je la dévisage et en conclus que nous devons être plus ou moins du même âge, deux femmes dynamiques de 45 ans. Elle n’articule pas exagérément mais avec précaution. Je connais ce ton. Je l’emploie moi-même – souvent de façon automatique – quand je parle à des enfants en bas âge que je trouve mignons et dont je veux absolument me faire aimer. Cette forme d’adresse n’est ni désobligeante ni hostile, au contraire. S’il existait un baromètre du racisme, cet exemple très discret de discrimination positive atteindrait peut-être 0,8 %. Par conséquent, mon énervement me semble disproportionné, mais, parfois, ce sont les toutes petites piques qui font bondir.

Une amie cantonaise, productrice de publicité à Londres, me rapporte que ses collègues lui demandent tout le temps des conseils de cuisine au wok alors qu’elle n’a, pas même une fois, mentionné savoir cuisiner ou préparer des plats stir fry. Du fait de son origine ethnique, on pense qu’elle a la cuisine au wok dans le sang. Des interpellations telles que la question sur la ciboule sont un peu agaçantes mais sans gravité. On connaît la chanson, alors on sourit, on donne l’info demandée et on vaque à ses occupations. C’est exactement ce que j’aurais dû faire.

Mais : en ces temps difficiles et de la part d’une femme de mon âge, j’attends UN PEU PLUS DE SENSIBILITÉ ! SI NOUS N’APPRENONS PAS À ÊTRE PLUS SOLIDAIRES LES UNES DES AUTRES, ALORS TOUT EST PERDU ! AU REWE1, JE NE DEMANDE PAS NON PLUS À LA BONNE FEMME À CÔTÉ DE MOI DE ME DONNER LA RECETTE D’UN BON GÂTEAU AUX POMMES BIEN ALLEMAND ! AAARGH !!!

Je ne crie pas, bien entendu.

« De la ciboulette chinoise », dis-je au lieu de cela d’un ton crispé, avant de me détourner d’elle et de me retrancher dans un réflexe passif-agressif derrière le rayon pâtes à l’autre bout du magasin. Là, entre les nouilles de riz et les pâtes aux œufs, je m’efforce de contenir ma colère en respirant. Alors que j’aimerais jeter des paquets de raviolis surgelés partout en hurlant : « LE RACISME POSITIF, C’EST AUSSI DU RACISME ! »

Je serre les dents. Aucune denrée alimentaire congelée n’est transformée en arme. À la place, j’achète beaucoup trop de nouilles (les glucides, c’est mauvais pour la santé : LA FERME !!!). Au fond du magasin, les clients font la queue à la caisse (DES FILES D’ATTENTE À CETTE HEURE-CI ?!). Seule une sur quatre est en service (GÉNIAL !!!), les distances de sécurité ne sont pas respectées non plus (DÉJÀ OUBLIÉ LA COVID ??) et un type bouche l’accès au tapis roulant (ENCORE UN QUI NE PENSE QU’À LUI, HEIN ?!).

Il y a quelques années, j’ai failli me faire agresser pour un crime similaire dans la droguerie de l’Alexanderplatz. Après avoir bloqué le tapis de caisse un instant, ayant eu du mal à manœuvrer mon caddie, l’homme d’âge moyen derrière moi m’avait houspillée en disant que « notre problème, [ce n’étaient] plus les classes mais les races ! ».

Depuis, je fais toujours attention à ne pas barrer l’accès aux caisses. APPAREMMENT, CE TYPE-LÀ N’A PAS ÉTÉ MIS AU PARFUM !!!

Je me sens comme une bouteille de champagne qu’on aurait secouée. Pourtant, je ne dis rien, surtout pas sur le ton grossier qui gronde dans ma tête. Dans mon esprit, je vois défiler un best of des meilleurs coups de gueule de ces dernières années, d’hommes de plus de 50 ans coincés dans des files d’attente en même temps que moi : ce type à la gare de Munich qui m’a hurlé dessus en disant que je devais « faire la queue comme tout le monde » lorsque je m’étais avancée d’un pas pour jeter un œil à une devanture ; ou encore ce resquilleur au supermarché Edeka qui avait crié « conna*** » dans tout le magasin quand mon amie l’avait poliment apostrophé – que des mecs passionnés, vigoureux et sûrs d’eux ! Si je faisais une scène pareille maintenant, je passerais, quant à moi, pour une vieille bique hystérique aux hormones déréglées !

Je sors du magasin asiatique en rongeant mon frein. Tout en m’éloignant rapidement, j’essaie de donner un rythme à mes pas. J’ai chaud, mon tricot me colle à la peau. Une fois chez moi, j’aurai retrouvé mon calme. Comme un mantra, je me répète que ce n’était pas si grave. SI, ÇA L’ÉTAIT !!

Avant, je n’étais pas perpétuellement en rogne. Désormais, je m’énerve tout le temps : quand je dois créer un nouveau compte d’accès pour chaque site Internet, pour chaque jeu convoité par mon fils, chaque appareil ou toute autre connerie de ce genre ! Quand j’achète un nouvel outil informatique et qu’aucun casque ou chargeur ne marche avec ! Quand j’entre dans la salle de bains et que TOUS LES TUBES DE CRÈME ET DE DENTIFRICE SONT RESTÉS OUVERTS SUR LE LAVABO ! Quand un journal se réjouit que les femmes, passé 40 ans, n’ont plus à porter d’écharpes grâce aux nombreuses techniques de chirurgie esthétique non invasive qui réduisent le « cou de dindon » et « liftent avec succès leur âge réel » ! TOUTES LES FEMMES N’ONT PAS 350 EUROS À METTRE DANS UN LIFTING AU FIL !!! AAARGH !!

À la maison, je raconte à mon mari l’incident du supermarché. Son commentaire : « Un peu à cran aujourd’hui, hein ? Je vais te dire un truc : tu prends les choses beaucoup trop personnellement ! »

Je fonds en larmes.

En rêve, je crie sans qu’aucun son ne sorte de ma bouche. Je veux frapper quelqu’un, mais mon bras reste raide. Une fois de plus, je me réveille à 5 heures du matin, trempée de sueur. Je crève de soif, comme si j’avais dormi dans le désert.

Ne prends donc pas les choses si personnellement.

Avec Le Passage. L’expérience de la ménopause, paru en 1992, la féministe Germaine Greer a écrit le premier livre féministe sur cette période. En 2019, l’ouvrage a été réédité dans une version révisée par l’autrice. On y lit que l’aversion de notre société pour les femmes ménopausées serait l’« expression d’une intolérance vis-à-vis de la colère féminine ».

D’après une étude datant de 2008, l’irritabilité figure au premier rang des symptômes pour 70 % des femmes climatériques. Suzanne Moore, journaliste et militante, s’insurge : « Je n’ai pas de sautes d’humeur, mon humeur se résume à de la colère ! Je suis en colère quand je me réveille, contre les informations, contre l’état du monde, parce que je n’arrive plus à dormir et du coup, je ne dors plus du tout ! »

La poétesse Mary Ruefle est plus imagée : elle décrit la ménopause comme l’envie passagère de « se planter soi-même un couteau dans le cœur ». Peut-être qu’elle aussi s’est entendu dire qu’elle ne devrait pas prendre les choses si personnellement.

La cause chimique des crises de colère est un neurotransmetteur : la sérotonine. Elle intervient dans la régulation des émotions et agit sur l’équilibre affectif. Pour que le corps en produise, il a besoin d’œstrogènes. Comme on sait, le taux d’œstrogènes diminue progressivement durant le climatère, entraînant une dérégulation du taux de sérotonine, d’où ma ressemblance intérieure avec Mme Malzahn, le terrible dragon du roman de Michael Ende Jim Bouton et Lucas le chauffeur de locomotive. Le feu de la colère se consume dans ma gorge d’où ne s’échappent toutefois que des volutes de fumée noire. Je ne crache pas de flammes. Car je n’ai pas appris à laisser exploser ma rage mais à la ravaler, encore et toujours. Quand j’étais enfant, les petites filles qui s’énervaient étaient vite soupçonnées de souffrir de troubles du comportement. Aujourd’hui, les choses se sont un peu améliorées, mais la colère demeure une émotion mal aimée.

Désormais, elle me brûle jour et nuit sous forme d’aigreurs d’estomac sous le sternum.

Des copines du même âge que moi, qui vivent dans des conditions aussi privilégiées que les miennes, se sont trouvé des passe-temps compensatoires : elles tricotent, font du jardinage, de la poterie et fondent des clubs de lecture (deux dans mon cercle de connaissances). Je cuisine sauces et soupes à un niveau quasi professionnel, des jours durant. Quand je suis au plus mal, je fais de la pâtisserie comme si ma vie en dépendait : lapins de Pâques briochés, biscuits, tartes et gâteaux.

J’ai pâtissé secouée de contractions, avec un col de l’utérus ouvert de près de 8 huit centimètres. Mon instinct de nidification hormonal veut être converti en hydrates de carbone riches en gluten. J’aime imaginer ma colère toxique et bouillonnante se muer en gourmandises sucrées et bienfaisantes. C’est presque de l’exorcisme. Ou une forme de fuite.

J’aimerais savoir ce que font les femmes de leur fureur, où elles crachent le feu de leur colère, si elles l’évacuent par des exercices de respiration au yoga, la passent à la casserole, la figent dans de l’argile, la mettent en terre avec des plantes, la sèment dans des marathons, la mettent K.O. au kickboxing ou la hurlent dans leurs oreillers. Des conjoint·e·s témoignent parfois d’accès de rage foudroyants : d’attaques surprises de marmites et d’assiettes volantes, par exemple. Elle est devenue complètement folle, la vioque ! se dit-on alors.

J’imagine des salves de colère climatérique éclater sous la forme de marmites et d’assiettes brisées dans un grand rituel, une sorte de défouloir spécial périménopause. Quand je pense à toute cette vaisselle dans la cave de mes parents, collectionnée par ma mère et ma grand-mère, du trousseau de mariage aux services de table délaissés, pour le quotidien ou les jours de fête, en passant par les assiettes à fondue, les coupes en verre, les petites assiettes, les tasses, les soucoupes, les assiettes de présentation et les saladiers d’époques et de styles différents. J’aurais aisément pu transformer tout cela en un gigantesque tas de débris, symbole des frustrations de toute une vie, enfin exprimées à la ménopause.

Fais pas cette tête – et vlan, trois tasses Arabia Ruska, année 1982.

Allez, un petit sourire – une cafetière bleue de la marque Friesland, année 1997.

Ne prends donc pas les choses si personnellement – une saucière Melitta Helsinki, année 1977.

En plein SPM, hein ? – un service de table entier de la Studio-Line de Rosenthal datant des années 1980, un rêve de longue date de ma mère, pour lequel elle avait économisé pendant des années.

ELLE AVAIT QUOI DANS LA VIE, MA MÈRE, À PART SA PUTAIN DE COLLECTION DE VAISSELLE ? AAARGH !!

Le pire, c’est que la colère féminine, traditionnellement réduite à un effet hormonal, n’est absolument pas reconnue par ailleurs. On l’associe à la puberté, au syndrome prémenstruel ou bien – je vous le donne en mille – à la ménopause. Ramenée à un symptôme biochimique, elle n’est plus un sentiment s’inscrivant communément dans le spectre des émotions. Si une femme pète les plombs sans cause hormonale, le monde crie au scandale ! Quelle garce !

Un exemple : Serena Williams, joueuse de tennis exceptionnelle qui, en vingt-trois ans de carrière, a remporté vingt-trois titres en grand chelem, a été condamnée deux fois à de lourdes amendes. En 2009, elle s’était emportée contre une juge de ligne en lui disant de « se fourrer la balle dans le gosier » et, en 2018, manifestement très remontée, elle avait pointé l’arbitre du doigt en l’interpellant. Voilà ce que j’appelle d’authentiques accès de colère ! Dans les deux cas, elle a écopé d’amendes à cinq chiffres et perdu les matchs concernés.

La muflerie du colérique John McEnroe lui a, quant à elle, été largement pardonnée. Aujourd’hui encore, elle est même sa marque de fabrique. Grâce à son talent, Serena Williams est heureusement devenue si riche qu’elle pourrait, d’une part, se payer toutes les amendes qu’elle veut et, d’autre part, fracasser toute la porcelaine fine du monde et se la racheter ensuite.

Ou bien : en 1999, la chanteuse Kelis est devenue célèbre avec sa chanson Caught Out There (« Pris sur le fait »). Le Je lyrique découvre que son copain lui a menti et qu’il l’a trompée. Voici le refrain :

I hate you so much right now

(« Je te déteste tant en cet instant »)

I hate you so much right now

I hate you so much right now

Aaaaaargh

I hate you so much right now !

Dans le clip, Kelis jette les vinyles de son copain infidèle par terre et crie face caméra. Plus tard, on la retrouve dans un genre de cellule capitonnée et, enfin, on la voit, elle qui était âgée de 20 ans à l’époque, marcher dans la rue, escortée d’une horde de femmes d’âge moyen furibondes, en peignoir et avec des bigoudis sur la tête. Ces femmes-là ont certainement elles aussi tout un tas de vieilles tasses en porcelaine dans leur sous-sol.

Selon des études psychologiques, nous serions plus lents à lire la colère sur le visage d’une femme que sur celui d’un homme. Mais, une fois identifiée, la fureur féminine passe pour être plus redoutable que celle des hommes. Souvenez-vous des figures archétypales telles que Méduse, les Furies ou Kali, la déesse indienne de la mort et de la destruction, dont la colère est réputée pour être dévastatrice et peu attrayante. En allemand, il existe un mot pour ce genre de femmes : Schreckschrauben (littéralement der Schreck, « l’effroi » et die Schraube, « la vis »). À l’origine, (der) Schrecken (la terreur) signifiait « sauter » : effrayer quelqu’un revient en effet souvent à le faire « sursauter ».

Seules des femmes âgées peuvent être des Schreckschrauben. Des équivalents seraient « harpie », « sorcière », « dragon », etc. Bien avant moi, les femmes d’un certain âge devaient donc déjà être de mauvais poil. On rapporte qu’elles vivaient en marge des villages dans des cabanes isolées. Craintes, pathologisées, moquées, esseulées.

La colère des femmes âgées n’a pas seulement été réprouvée, stigmatisée, voire criminalisée dans le pire des cas. L’Inquisition a souvent traité les femmes seules d’âge mûr de sorcières, les brûlant vives en place publique à travers toute l’Europe. Au XVIIe siècle, en Angleterre et en Écosse, la scold’s bridle, la « bride de la commère », aussi appelée masque de la honte, un instrument de torture en forme de muselière métallique qui immobilisait la langue de la femme condamnée à l’aide d’une plaquette en fer, était un châtiment infligé aux épouses trop râleuses et bavardes.

« Or la colère, exprimée et mise au service de notre vision et de notre avenir, est un acte de clarification libérateur et pourvoyeur de force », écrit Audre Lorde dans son essai « The uses of anger » (« Comment user de la colère »). Puis elle ajoute : « La colère est chargée d’énergie et d’informations. »

La poétesse Maya Angelou a déclaré une chose similaire dans la série documentaire Iconoclasts : « Tu devrais être en colère. Sers-t’en, écris-la, peins-la, danse-la, montre-la. Choisis-la. Exprime-la. N’arrête jamais de l’exprimer. »

La colère, c’est une bonne chose, me dis-je en inscrivant ma fureur dans ces lignes.

Du côté du féminisme, on trouve peu de conseils concrets sur le climatère. En référence à cette période, Germaine Greer parle dans Le Passage de la « femme mature » qui, d’une part, se plaint du manque de « vêtements raffinés » adaptés à son âge et qui, d’autre part, est méprisée socialement si elle « se laisse aller ». On lit : « La ménopause est un temps de deuil […]. La femme en retour d’âge devrait avoir droit à son temps de tranquillité et de tristesse. » Tout comme Darcey Steinke dans Flash Count Diary, Greer déconseille vivement aux femmes les traitements hormonaux substitutifs. Ce genre de cures serait l’apanage d’industries pesant plusieurs milliards de dollars, qui viseraient à maintenir les femmes en état de « disponibilité sexuelle ».

Sheila de Liz, gynécologue et autrice du bestseller Woman on Fire (« Femme en feu »), recommande quant à elle fortement les hormones bio-identiques. Ces dernières années, le débat à ce propos s’est enflammé dans le monde anglophone. Des praticiennes de médecines dites alternatives (Perimenopause Power – « Le pouvoir de la périménopause » de Maisie Hill), des gynécologues (The Menopause Manifesto – « Le manifeste de la ménopause » de la doctoresse Jen Gunter) et des journalistes (What Fresh Hell Is This – « Quel est donc ce nouvel enfer ? » de Heather Corinna) se sont mises à écrire sur le climatère. Ces autrices relient également la stigmatisation de la ménopause à des mythes patriarcaux. Dans leurs pages, nul rejet unanime du traitement hormonal, qu’il soit synthétique ou bio-identique. Si la souffrance devient trop importante, les femmes climatériques devraient pouvoir se faire aider, quitte à recourir aux hormones de substitution. Selon le principe : est juste ce qui est subjectivement ressenti comme tel.

Plus le nombre de femmes informées et autonomes d’âge mûr augmentera, plus le climatère aura d’importance pour le féminisme contemporain, plus le nombre de témoignages augmentera et plus nombreuses seront les idées et les images créées. Il suffit de jeter un œil à la philosophie majoritairement masculine pour mesurer l’importance de ce processus. Voici du Schopenhauer dans le texte : « Une femme vieille, c’est-à-dire qui a passé l’âge de la menstruation, ne nous inspire que de la répugnance. La jeunesse sans la beauté conserve toujours des attraits, la beauté sans la jeunesse n’en a aucun. »

Même Simone de Beauvoir était révoltée par la ménopause qu’elle qualifiait de vengeance biologique cynique de l’anatomie féminine. Dans Le Deuxième Sexe (II, « L’expérience vécue »), elle écrit : « Chaque période de la vie féminine est étale et monotone : mais les passages d’un stade à un autre sont d’une dangereuse brutalité ; ils se trahissent par des crises beaucoup plus décisives que chez le mâle : puberté, initiation sexuelle, ménopause. Tandis que celui-ci vieillit continûment, la femme est brusquement dépouillée de sa féminité ; c’est encore jeune qu’elle perd l’attrait érotique et la fécondité d’où elle tirait, aux yeux de la société et à ses propres yeux, la justification de son existence et ses chances de bonheur : il lui reste à vivre, privée de tout avenir, environ la moitié de sa vie d’adulte. »

Mais il reste de l’espoir. Car la valeur d’une femme ne dépend pas de sa capacité de procréation, à aucun moment de sa vie. Son pouvoir de séduction non plus. Ces dernières années, j’ai interviewé l’artiste Yoko Ono et l’actrice Susan Sarandon. Toutes deux âgées de plus de 70 ans au moment de notre rencontre, elles m’ont impressionnée par leur force de caractère et leur beauté. Chacune portait un décolleté glamoureux, non ostentatoire, mais bien visible.

Je suis sûre que Yoko et Susan traversent elles aussi de violentes crises de colère de temps à autre. Elles les subliment par la création : en 2020, Yoko a exposé des œuvres inédites à Porto et à New York, et Sarandon travaille sans relâche à de nouveaux films et projets de séries. La fureur peut aussi libérer une grande quantité d’énergie. De ce point de vue, les pics de colère ne manquent pas de piquant.

3. Tomber d’épuisement.
Un cycle en dents de scie : le ballet des glandes endocrines et les alternatives aux mesures de prévention standard

Mes troubles climatériques se comportent comme des agents dormants des services secrets. Des semaines durant, parfois même des mois, ils disparaissent complètement avant d’exercer sans crier gare des attaques ciblées sur ma santé. Pour peu que je me décide enfin à consulter un ou une médecin pour lui décrire mes symptômes, ils se planquent. Tantôt je tombe littéralement de sommeil. Tantôt cet abattement se dissipe aussi vite qu’il est arrivé, me laissant en pleine forme et plus efficace que jamais. De tels symptômes, associés à une prise de poids et de l’apathie, peuvent aussi être un signe d’hypothyroïdie. Rien d’anormal à 40 ans passés, m’apprend ma généraliste, que je consulte désormais régulièrement. Néanmoins, je souffre assez pour qu’elle me prescrive une autre prise de sang, assortie d’une lettre de recommandation pour une spécialiste en médecine nucléaire.

Pour éviter de me blesser avec ses longs ongles en acrylique, la doctoresse qui fait une échographie de ma thyroïde tient la sonde en biais contre ma gorge. Elle me fait penser à Dolly Parton en train de jouer de la guitare (?!). Comment fait-on des accords ou des échographies avec de tels ongles ? Plutôt bien, comme le prouvent la véritable Dolly et cette médecin glamour d’une soixantaine d’années. Je lui demande si mes troubles ont un lien avec ma thyroïde ou le climatère. Sa réponse : « Malheureusement, les dérèglements hormonaux ou des glandes endocrines causent rarement des pathologies compréhensibles. Toute cette folie dans la vie d’une femme ne me manque pas. Le climatère a été la meilleure chose qui puisse m’arriver. » À ces mots, un sourire se dessine sur les lèvres couleur rose givrée du Dr Dolly.

« Moi aussi, j’ai hâte d’en avoir fini avec tout ça », dis-je en haletant tandis qu’elle appuie la sonde contre ma gorge, « mais je trouve ces hauts et ces bas un peu fatigants. Et pour être honnête, les médecins ne sont pas d’une grande aide.

— Parce que nous traitons des pathologies. Le climatère n’en est pas une, donc, nous ne le traitons pas. Les médecines alternatives ont un avantage ici. Elles sont préventives. »

OK. Va pour les médecines parallèles alors. La science factuelle me semble plus convaincante et plus importante que jamais, surtout en ces temps de pandémie et de changement climatique. Mais si le climatère gagne à être abordé de manière préventive et que la médecine conventionnelle n’a pas de temps pour cela, alors je ferais bien de consulter une spécialiste en médecine douce recommandée par une amie. En tant que journaliste s’entend, pas comme patiente.

Anja Scherret, deux ans de moins que moi, est devenue naturopathe par des voies détournées. Après des études d’histoire et de littérature, elle a opté pour le métier de « guérisseuse ». Avec de nombreuses formations complémentaires à son actif, allant de l’homéopathie jusqu’au biomagnétisme médical en passant par le shiatsu, les massages tantriques et la Gestalt-thérapie, elle couvre un large éventail de spécialités en médecine alternative. Il y a quelques années, elle a quitté le centre de Berlin pour s’installer à Rahnsdorf-am-Müggelsee. Son cabinet se trouve à Friedrichshagen, en banlieue berlinoise.

Dans le S-Bahn1, station Alexanderplatz, mes paupières se font de plus en plus lourdes. Le centre-ville, cotonneux, défile devant mes yeux ; mes pensées se dissolvent au milieu des bâtiments historiques. Je flotte, je vogue, jusqu’à ce qu’une voix inconnue me tire de ce monde ouaté : « Hé, ho ! Vous êtes sourde ? Votre portable sonne ! »

J’appuie ma tête contre la vitre du compartiment. Le type assis en face de moi me regarde d’un air ahuri. Dehors, les bâtisses monumentales de Berlin ont disparu, remplacées par le vert intense de la Wuhlheide (la « lande de la Wuhl ») au début de l’été. J’ai l’impression d’avoir dormi des heures et de m’être réveillée dans un autre coin d’Allemagne, peut-être même dans un autre univers. Sans mon masque FFP2, ma joue serait maintenant collée à la fenêtre, comme dans un gag.

Anja Scherret m’appelle : « Je viens te chercher à la station Rahnsdorf. Ce sera plus simple. »

Peu après, j’attends sous un soleil radieux devant la gare du S-Bahn, classée monument historique. Dans son break, Anja me fait un signe de la main. Je tiens à souligner encore une fois que notre rencontre est un blind date journalistique. Elle m’ouvre côté passager et débarrasse le siège de CD de musique pour enfants. Anja a eu une fille en 2012. À première vue, elle correspond davantage au cliché de la maman hipster à la berlinoise, en tee-shirt rayé et minijupe en jean, qu’à celui de la praticienne de médecine alternative, qu’on s’imagine peut-être plutôt drapée dans de longues robes éthérées. J’ignore ce à quoi je m’attendais – en tout cas, je ferais bien d’abandonner mes idées reçues de toute urgence. Les temps où toutes les naturopathes se promenaient en robes à superposition asymétriques en chanvre et toutes les mamans en tabliers lavables et fonctionnels sont – grâce à Dieu – finis. (Ont-ils d’ailleurs jamais existé ?)

Dans le jardin d’Anja, les plantes sont en fleurs, le gazon est d’un vert lumineux et un grand chêne fait de l’ombre. Elle raconte que la ville l’épuisait et que, ici, elle a réappris à respirer et à prendre conscience de ses désirs. Âgée de 42 ans, elle s’intéresse tout particulièrement à la santé féminine et aux hormones bio-identiques depuis deux ans. Ses propres troubles ont été à l’origine de cette spécialisation. Ses règles, elle ne les a eues de façon naturelle qu’après la naissance de sa fille. Avant, comme quasiment toutes les femmes de ma génération, elle avait pris la pilule pendant des années et ignorait tout de son cycle.

« En médecine douce, la pilule est vue d’un œil critique, me dit-elle, mais les méthodes de contraception alternatives ne me semblaient pas assez sûres. J’étais déjà tombée enceinte sans le vouloir. Je ne voulais plus jamais vivre ça. L’interruption de grossesse a été terrible pour moi – le sentiment de culpabilité et tout le toutim. Ça aussi, c’est encore un sujet tabou. Il y en a tant chez nous, les femmes, dont il faudrait parler. »

Le problème de la souveraineté reproductive constitue une bonne introduction à un entretien sur la ménopause. Car les femmes ne sont toujours pas seules à régner sur leur corps, qu’il s’agisse d’avortement ou de techniques de fertilité et de préservation de la fertilité telles que l’insémination artificielle ou le social freezing, la congélation d’ovocytes.

Après des années de pilule, la périménopause a été précoce chez Anja Scherret aussi : « À 39 ans, je me sentais dans la fleur de l’âge, au zénith de ma vie. Puis, soudain, j’ai eu des bouffées de chaleur. Je me suis dit, bon, qu’est-ce qui se passe ? Je suis bien dans ma vie, je sais ce que je vaux et ce dont je suis capable. Mais je ne suis pas encore une femme ménopausée qui doit s’effacer. Hors de question ! Ma parole ! Putain ! À l’évidence, ma déroute était étroitement liée à la peur de ne plus être désirable, de ne plus être cette MILF (mother I’d like to fuck, « mère bonne à baiser ») que je voulais incarner. Au secours, voilà que je n’étais plus loin de la mamie tricot-mamie gâteau ! »

Anja n’a parlé ni à son mari ni à ses amies de ses bouffées de chaleur. « Franchement, impossible de dire : “Je suis entrée dans la ménopause.” Pour moi, c’était… je ne voulais pas l’admettre. »

Au lieu de cela, elle a pensé pouvoir régler le « problème » en s’informant le plus possible sur le sujet. Pendant ce temps, ses copines eurent un deuxième puis un troisième enfant, « promenant gaiement leur fécondité au nez et à la barbe de leur amie ».

En proie à des sautes d’humeur, alternant entre états euphoriques et dépressifs, Anja s’est demandé d’où ça venait. C’est ainsi qu’elle a commencé à s’interroger sur la santé féminine, l’équilibre hormonal et surtout la périménopause. Je lui décris mes symptômes en insistant sur ma fatigue de plomb.

« Au-delà des troubles liés à la périménopause, tu as probablement une carence en cortisol », m’explique-t-elle d’une voix assurée. « Cela dit, ce genre de diagnostic en l’air n’est absolument pas sérieux, il faudrait que je regarde tes taux d’hormones pour être plus précise.

— Le cortisol, c’est pas l’hormone du stress ? demandé-je, surprise.

— Si, exactement. Le cortisol est sécrété par les glandes surrénales et, en cas de stress, il influe sur le métabolisme pour que toutes les fonctions vitales puissent être mobilisées par le corps dans une situation dangereuse. Autrefois, l’être humain devait se décider en quelques secondes : fuir ou combattre.

— Quel rapport entre le cortisol et le climatère ?

— Pour le savoir, il faut faire un bilan hormonal. Prête pour un petit cours de biologie ? Pour réguler notre cycle menstruel, nous avons besoin d’hormones diverses mais surtout d’œstrogènes, de testostérone et de progestérone. Sur un cycle de vingt-huit jours, le taux d’œstradiol augmente du troisième au onzième ou douzième jour. L’œstradiol est un œstrogène qui pousse la muqueuse utérine à s’épaissir. Simultanément, d’autres hormones sont en hausse au début du cycle : la sérotonine procure un sentiment de bonheur, l’ocytocine de sérénité. La testostérone donne de l’énergie et favorise l’attention et la concentration. Entre le onzième et le quatorzième jour, l’hormone FSH déclenche l’ovulation et, ensuite, le niveau de ces hormones diminue de nouveau.

— D’accord…

— En fait, tout ce que tu dois retenir, c’est que, dans la première moitié du cycle, ce sont les œstrogènes et la testostérone qui augmentent, tandis que, dans la seconde moitié, c’est le cas d’une autre hormone, très importante elle aussi, la progestérone. Celle-ci fournit des nutriments à la paroi utérine et prépare la nidation de l’œuf. En effet, nous formons des follicules et « pondons » des ovocytes qui ne sont rien d’autre que des œufs ordinaires, à ceci près que leur membrane est plus fine et poreuse que les coquilles en calcium. La progestérone nous donne aussi un sentiment de bien-être.

— Très bien, mais où est le hic, alors ?

— En cas de souci, la progestérone est l’hormone qui chute le plus rapidement. Elle est intimement liée aux autres glandes endocrines majeures, la thyroïde et les glandes surrénales, qui produisent justement du cortisol. Il en résulte une dominance œstrogénique, ce qui paraît bizarre, puisqu’on est censé constamment manquer d’œstrogènes durant la périménopause. En principe, c’est vrai d’ailleurs, mais le truc, avec les hormones, c’est l’équilibre. Quand le taux d’une hormone chute, le corps compense – en remplaçant par exemple la progestérone par du cortisol. Pour info, le réflexe fuir-ou-combattre remonte au temps où nous étions nomades. Nos ancêtres avaient besoin de cortisol pour évaluer correctement la dangerosité des tigres à dents de sabre et des mammouths. Seulement, à l’âge de pierre, une fois le péril écarté, les êtres humains retrouvaient leur calme. Leur niveau de cortisol redevenait normal. C’est la différence avec aujourd’hui.

— De nos jours, on ne se prélasse pas des journées entières au camp, la peau du ventre bien tendue, pour se remettre de la chasse ?

— Non, la plupart d’entre nous sommes dans un état de stress permanent.

— OK, concrètement, cela signifie-t-il que, au lieu d’être en périménopause, je fais un burn-out parce que je produis soit trop, soit pas assez de cortisol ?

— Eh bien, ça dépend. Dans leur trentaine, beaucoup de femmes atteignent des sommets de performance : elles gèrent leur carrière, se concentrent sur leur situation personnelle, certaines ont des enfants en bas âge et portent de ce fait une double charge. Bref, toutes sont hyper stressées, ce qui maintient leur taux de cortisol à un niveau élevé. Si cette période de stress se prolonge, la production de cortisol finit par s’épuiser et le corps se met en mode urgence. D’abord, cela veut dire qu’il revoit ses priorités. Qu’est-ce qui n’est pas vital, de quoi puis-je me passer ? Beaucoup de femmes perdent leurs cheveux, on ne le remarque pas forcément. Notre corps est très malin : la régulation du métabolisme est sa priorité absolue. En revanche, les hormones sexuelles ne sont pas nécessaires pour vivre. Du coup, les glandes surrénales, qui sont en surrégime, piquent de la progestérone aux ovaires et à la glande thyroïde pour compenser la carence en cortisol.

— C’est pour ça que beaucoup de femmes développent des problèmes de thyroïde ?

— Tout à fait. Elle est à sec. Les conséquences peuvent être un système immunitaire fragile, une hypothyroïdie ou encore un déficit hormonal dans les ovaires qui peut conduire à des troubles de la ménopause. »

Je repense au Dr Dolly Parton de Berlin-Steglitz.

« Il y a quelques jours, j’étais chez une spécialiste en médecine nucléaire pour un examen de la thyroïde à cause de mon épuisement permanent. A priori, tout semblait en ordre, mais elle n’a pas vérifié mon taux de cortisol.

— Malheureusement, la médecine conventionnelle ne fait toujours pas ce genre de rapprochement. On trouve normal qu’une femme de 40 ans aille chez le médecin et lui récite la liste des symptômes habituels : fatigue, prise de poids, troubles du sommeil, etc. Le diagnostic courant est l’hypothyroïdie, sanctionné par une prescription d’hormones. Or cette façon de faire n’est jamais remise en question et jamais on ne fait le lien avec le stress ou la périménopause. »

Je fais mes devoirs et vérifie ces informations : dans la médecine conventionnelle, l’insuffisance surrénalienne est aussi appelée maladie d’Addison. Les symptômes sont une pigmentation brunâtre de la peau, une hypotension artérielle, une forte sudation, une grande fatigue, de l’irritabilité, un état dépressif, apathique, et, chez les femmes, la perte des poils pubiens, un manque d’appétit et une perte de poids. Un test sanguin permet d’établir le diagnostic, qui nécessite un traitement hormonal substitutif à base d’hydrocortisone.

Or la médecine conventionnelle récuse l’idée défendue par Anja d’un épuisement des glandes surrénales ou d’un déficit en cortisol causé par le stress. On alerte même contre ce type de diagnostic : il serait à la mode, antagonisé par des « traitements onéreux », au détriment de diagnostics sérieux tels que celui de la maladie d’Addison.

En revanche, le phénomène est abordé dans différents ouvrages parus récemment sur la ménopause. La praticienne britannique de médecine alternative Maisie Hill mentionne dans son livre Perimenopause Power. Navigating Your Hormones on the Journey to Menopause (« Le pouvoir de la périménopause : avec ses hormones en route vers la ménopause ») l’épuisement des glandes surrénales, et la conseillère en ménopause Ellen Cornely-Peeters met les points sur les i dans Ach, Meno ! (« Mais bon sang ! ») : « En période de nervosité accrue, nous avons besoin d’une grande quantité d’hormones de stress telles que le cortisol. Pour couvrir la demande, notre corps va puiser dans nos ressources en progestérone, ce qui déséquilibre fortement notre système hormonal et peut causer d’énormes dégâts. »

Selon Anja Scherret, la médecine conventionnelle rejette ce diagnostic à cause de l’absence d’études sur le lien entre fatigue, cortisol et périménopause. Elle ajoute : « Pour la médecine traditionnelle, seul existe ce qui a été prouvé par la recherche. Mais alors, que faire quand celle-ci n’a pas encore été menée ? À l’évidence, les productions d’hormones sont interconnectées. Tu as probablement un déficit en cortisol et en progestérone, qui fait chuter toutes les autres hormones. Le début de la périménopause est souvent lié au stress, le corps qui a réussi à le pallier pendant des années n’étant plus en mesure de le faire.

— Si je comprends bien, je passe donc directement d’un déséquilibre hormonal à cause du stress dans ma trentaine à un déséquilibre hormonal à cause de la périménopause dans ma quarantaine ?!

— C’est ça. La périménopause n’est rien d’autre qu’un déficit hormonal. Il y a là matière à réflexion sur le plan microbiologique mais aussi philosophique. Les deux sont importants.

— Le stress aggrave-t-il la périménopause ?

— Disons les choses ainsi : j’étais méga stressée à cause de ma fille. Elle pleurait tout le temps. Je n’en pouvais plus, j’étais malade sans arrêt et je me mettais énormément de pression. Toutes ces exigences et ces idées qu’on s’impose ! Dans le même temps, je n’avais absolument pas conscience d’être stressée à ce point. Je crois que ça arrive à beaucoup de gens. Ironiquement, les hormones font qu’on se sent plutôt bien. En effet, les glandes surrénales sécrètent aussi de l’adrénaline qui nous dynamise, aiguise notre concentration et nous pousse à relever tous les défis. L’adrénaline nous donne un coup de fouet. Elle assure l’approvisionnement du sang en glucose. »

En réalité, je ne me sens pas stressée. En réaction aux mots d’Anja, je me sonde : je suis évidemment très exigeante envers moi-même. Ces dix dernières années, j’ai travaillé à temps plein et écrit deux bouquins. Avec mon mari, nous avons élevé notre fils, mis de l’ordre dans nos finances, traversé une très grosse crise conjugale et déménagé une fois. Globalement, je compte peut-être une année entière de stress à cause du boulot. Mais ces derniers mois, durant lesquels mon corps m’a tant fait subir, je ne me souviens pas de moments réellement oppressants. Les aurais-je refoulés ?

Tous les médecins que j’ai consultés pour mes problèmes de fatigue et d’insomnie m’ont effectivement demandé si j’étais stressée. Ne me sentant pas prise au sérieux, cette question m’avait un peu agacée. Pour moi, c’était un diagnostic de paresseux : mère active d’âge moyen n’arrive pas à gérer le quotidien et ne trouve plus le sommeil. Je m’en sors. Je suis bien organisée. Je suis performante, tout comme un homme, et je n’ai nul besoin d’un traitement de faveur, ou bien si ?

« Tournant toujours à plein régime, on ne remarque le stress qu’une fois au repos, ajoute Anja.

— Et que peut-on faire contre ça ? »

Anja sourit et garde le silence un moment. Puis elle dit : « Relax, Max. Relâche la pression », tout en s’appuyant confortablement contre le dossier de sa chaise. Elle aiderait ses patientes à se détendre grâce à des exercices de méditation ou des promenades en forêt. Ou bien avec des hormones bio-identiques – à base de plantes, de racines d’igname ou de soja – dont la structure moléculaire équivaut à celle des hormones produites par le corps féminin. En revanche, la structure chimique des « hormones de synthèse » prescrites dans le cadre de thérapies hormonales classiques diffère de celle des hormones naturelles.

« Tu peux réparer la machine corporelle à répétition, resserrer régulièrement un boulon par-ci ou par-là, mais si tu ne revois pas ton état d’esprit, ton état global ne s’améliorera pas. Il faudrait toujours se poser la question suivante : pourquoi est-ce que je me sens emprisonnée, à quel point est-ce que je néglige mes besoins ?

— L’éternelle question des besoins – et les doutes qui vont avec.

— Dans la périménopause, on se remet soi-même en question : où se situent nos fragilités et à quel moment celles-ci deviennent-elles problématiques, autrement dit, quand développe-t-on une souffrance réelle ? Ou plus clairement : à quel stade quelque chose doit-il être traité ?

— Par exemple : à partir de quel moment ma fatigue perturbe-t-elle tant mon quotidien qu’elle devient un handicap ?

— Exactement. Il est important de faire un point sur la réalité. Ce qu’on ne fait pas quand on va bien. C’est aussi une phase de grands bouleversements.

— De quel genre ? On est plutôt du côté de Shakespeare ou de Grey’s Anatomy ?

— Je choisis exprès des images fortes pour que ce soit plus clair, il s’agit probablement d’un mélange des deux, de grands bouleversements existentiels et de perturbations plus ordinaires. On se met à douter : ai-je le bon métier ? Suis-je bonne à quelque chose ? Ai-je réussi à devenir quelqu’un ? Est-ce que je vaux quelque chose ? Ce sont là des questionnements typiquement féminins qui reviennent souvent, tant dans mon cabinet que chez moi personnellement.

— Et en ce qui te concerne, tu as trouvé des réponses ?

— Non. Je me rends compte qu’il faut sans cesse y répondre de nouveau. La question de l’estime de soi ne peut pas être réglée une fois pour toutes, c’est se tromper que de le croire. Le cycle féminin le montre bien : les choses vont et viennent, encore et toujours.

— On ne peut donc rien faire ? Faut-il supporter passivement le cours naturel des choses ?

— Non. On peut agir de façon très pragmatique, par l’alimentation par exemple. Dans mes consultations diététiques sur les habitudes alimentaires de mes patientes, je constate régulièrement que les femmes ont tendance à ne pas manger assez de protéines. Or les hormones sont fabriquées à partir de ces dernières. Mais je me garde d’imposer des interdits alimentaires. En mettant à leur tour la patiente sous pression, ils provoquent le contraire de ce qu’ils visent et causent plus de stress encore.

— Et bonjour la folie des régimes.

— Les femmes me racontent toujours la même histoire : discipline de fer pendant trois semaines. Puis arrive le syndrome prémenstruel et c’est l’échec. Résultat, mes patientes se terrent chez elles avec des chips et du chocolat, pleurent à chaudes larmes, se consolent avec de la malbouffe et se détestent. Je connais ça ! C’est pourquoi il est important d’honorer aussi ces moments-là, quand on est au fond du trou.

— Comment célèbre-t-on le mal-être ?

— En lâchant prise, en abandonnant le contrôle. Nous avons désappris à le faire. À travers la menstruation et la ménopause, qui peuvent chacune déclencher des symptômes physiques importants, ton corps te dit : hé, laisse couler, arrête de vouloir tout contrôler. En ce qui me concerne, le simple fait de bouger a pu être difficile. Mon corps m’a obligée à me reposer et à me relâcher. Notre vision des choses telles qu’elles doivent être – le travail, soi-même, le foyer, l’enfant – est mise à l’épreuve. Quand la famille te casse les pieds, il est rudement important de se détacher de l’image de la mère parfaite qui n’existe pas ! Accorde-toi une pause ! Dans la périménopause, le corps nous force à ralentir. C’est aussi une chance. »

J’aime l’idée de voir le climatère non pas comme une pausis, « fin » en grec ancien, mais comme une vraie « pause ». J’en aurais bien besoin, me dis-je sur le chemin du retour dans le S-Bahn, les paupières de nouveau lourdes. Bien sûr, je ne peux pas m’octroyer un break de dix années. D’ailleurs, cela ne m’aiderait probablement pas. Mais j’essaierai de descendre d’un ou trois crans dans les périodes de très grande fatigue.

4. Répartition des graisses.
Exercices physiques : aimer son ventre, le prix du fitness et les contradictions du sport

Mes pantalons ne me vont plus vraiment. J’aimerais pouvoir écrire ici que cela m’est égal, que j’aime mon corps comme il est – on appelle ça le body positive de nos jours. Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas seulement un énième terme tendance mais le nom d’un mouvement pour l’acceptation de toutes les morphologies. Grâce aux militant·e·s body-posi, la publicité montre désormais des gens avec des corps plus réalistes. Parfois.

Je travaille depuis huit ans pour un magazine de mode. De mon bureau, je vois changer l’idéal de beauté, lentement mais sûrement. En une de couverture, nous avons eu Heidi Klum à 46 ans et sans maquillage, Cindy Crawford à 54 ans et Kristin Scott-Thomas à 58 ans. C’est super, seulement aucune de ces femmes ne ressemble à une femme ordinaire d’âge moyen.

Bien avant que Photoshop ne gomme ridules et irrégularités, une armée de nutritionnistes, stylistes, esthéticiennes et coachs sportifs et sportives s’occupait déjà de ces femmes par ailleurs bénies sur le plan génétique. Parfois quotidiennement. Car une bonne condition physique et une belle apparence font désormais partie du métier d’actrice, sans parler des mannequins. Pour moi en revanche, c’est un challenge supplémentaire.

Une ancienne acrobate de cirque et éducatrice de fitness entraîne deux fois par semaine deux couples d’âge moyen, l’un après l’autre sur trois étages de mon immeuble, en partant du sixième pour descendre au fur et à mesure. Mes voisin·e·s raffolent d’elle et de ses méthodes d’entraînement globales. C’est tentant, seulement la carte de dix séances coûte 900 euros.

On peut trouver moins cher, mais alors en groupe. Nous habitons près d’un parc. Dès que le sol n’est plus gelé, l’espace vert se transforme en une sorte de gymnase en plein air. Là se déploie toute la gamme des activités physiques possibles : des femmes de mon âge en leggings de yoga très in émergent de SUV parfois immenses pour se laisser asticoter pendant une heure par un jeune Adonis sur le terrain de basket sous le pont. J’entends souvent Allez, on donne tout ! ou des consignes plus sibyllines comme Get over yourself ! (« Lâchez-vous ! »). D’autres groupes entourant un·e coach qui s’égosille se forment à côté d’arbres dont les branches sont emmaillotées de bandes en latex et transformées en appareils de résistance musculaire. Une de mes amies participe à ce genre de bootcamp et se dit elle-même accro.

Une autre amatrice de sport, visiblement ambitieuse, fait preuve de créativité : une femme de près de 40 ans fait régulièrement du yoga sur une voie cyclable très empruntée. Sans rire. Elle déroule son tapis et fait les « cinq tibétains » au milieu des vélos cargos, des draisiennes, des coureurs, des promeneurs et des vélos en libre-service. Sur la place devant notre immeuble, des groupes de salsa alternent avec des cours d’aérobic classiques. Personnellement, je préfère les dames de la salsa, leur musique me plaît davantage et leurs mouvements sont plus fluides que ceux des adeptes du bootcamp. Je me surprends à les imiter à la fenêtre de mon balcon, espérant que personne ne me voie.

Mon pantalon préféré reste trop serré. Je voudrais aimer mon ventre, mais j’aimerais encore mieux qu’il n’ait pas besoin de preuve d’amour, le bourrelet en trop ayant l’obligeance de disparaître comme il est arrivé – ça part mal pour la pensée body positive. Un nouveau coup de pression, du stress en plus et c’est encore raté pour « Relax, Max ». OK. S’aimer soi-même. Ventre flasque. Soit ! Pouh ! Debout devant le miroir, je contemple cette masse au milieu de mon corps. Avant, on disait que, avec l’âge, tout ce qui était encore ferme dans notre jeunesse était voué à s’affaisser sous l’effet de la pesanteur : la poitrine, les triceps, le ventre et les joues.

Le problème, c’est qu’à chaque fois que je me résous à penser « OK », le premier apôtre de la santé passant par là, qu’il ou elle soit médecin, kinésithérapeute ou ostéopathe, me réprimande : la fonte musculaire entraînerait des postures de décharge causant à leur tour des crispations dans la nuque et les épaules. Donc : faites du sport, du sport et encore du sport ! Si les médecins sont certes aussi à fond pour la détente, ils recommandent tout de même une pratique sportive, au mieux quelque chose d’« amusant, qui vous plaise vraiment ! ». Yeah, let’s move ! (« Bouger, c’est la santé ! »)

Car peu importe si ou combien on aime son corps, un peu de renforcement musculaire contribue au bien-être. Donc, la détente, ce sera pour plus tard, d’abord, il faut s’entraîner, mais pour son propre corps cette fois-ci et non pas contre lui. D’accord. La motivation est différente, mais le principe de performance reste le même, ou bien quoi ? OU BIEN QUOI ?! Comment S’Y RETROUVER ?! Je ne suis pas AGACÉE, je suis CONFUSE (peut-être même les deux).

Là encore : des contradictions. Faciles à expliquer dans un premier temps puisque le body positive est un courant social, la prévention, quant à elle, étant médicale. En clair : si je dois prendre une taille au-dessus pour mes pantalons, je n’ai pas à me sentir mal en tant que femme mais en tant qu’entité physiologique. Les hommes n’échappent pas non plus à cet effet du vieillissement, eux aussi doivent s’y mettre, éliminer les graisses, faire de l’exercice.

Malheureusement, je ne suis pas sportive pour un sou. Depuis toujours. Dépourvue de talent, dispensée d’amusement. Du coup, je joue sans aucune motivation les funambules sur des rails de chemin de fer désaffectés dans le parc et m’exerce à garder l’équilibre sur le terrain de jeux désert en soirée.

« N’aie pas peur ! », m’encourage mon fils. Parfois, je peine à croire que mes gènes défectueux en matière de motricité aient pu engendrer un enfant aussi agile. Il s’entraîne à surfer dans le salon en se balançant sur une planche en bois posée sur un rouleau en liège. Le principe est très simple et consiste à déplacer le poids du corps de telle sorte que la planche soit toujours à l’horizontale sur le rouleau. Je n’arrive même pas à me mettre debout sur ce truc sans prendre appui quelque part. Une fois dessus, je me sens aussi gracieuse qu’une éléphante sur une slackline. Les exercices de maintien de l’équilibre sont censés renforcer le haut du corps.

Sur toutes les listes de choses à faire contre les troubles de la périménopause, « bouger » et « faire travailler ses muscles » figurent à côté de « arrêter l’alcool, la viande et le sucre » (nous y reviendrons) et « pratiquer la méditation ». Tout ce qui renforce les muscles est bon, de la marche nordique à la musculation.

Les silhouettes athlétiques de femmes célèbres d’âge moyen parlent d’elles-mêmes : Madonna, Jennifer Lopez, Viola Davis et Michelle Yeoh, quatre femmes de plus de 50 ans, de quatre ethnies différentes et couronnées de succès, ressemblent davantage à des videuses sexy qu’à des grands-mères fragiles. Au lieu de s’empiffrer de gâteaux à la crème, ces « mamies »-là coupent du pain à la figue végane du tranchant de la main et incarnent un nouvel idéal de beauté pour les « femmes mûres ». Pour ma mère, les femmes musclées étaient des « viragos » (soit des femmes « viriles », à l’allure et au comportement masculins).

Un corps ciselé serait-il donc la solution contre ma graisse périménopausique ? Les femmes climatériques doivent-elles littéralement se battre contre l’atrophie des ovaires ? Celles qui veulent être plus que des grands-mères ou des belles-mères doivent-elles désormais nécessairement ressembler à Arnold Schwarzenegger du temps où il était Mister Univers ?

Oui. Car une masse musculaire saine renforce le squelette et augmente sa résistance contre les influences extérieures. À mesure que les êtres humains vieillissent, leur masse osseuse rétrécit, rendant les os plus fragiles. Durant et après la ménopause, le manque d’œstrogènes rend les femmes plus vulnérables à l’ostéoporose, cette diminution redoutée de la densité des os. Pour endiguer le phénomène, faire du sport et du renforcement musculaire semble judicieux. À l’heure actuelle, un mode de vie sain est quasiment impensable sans sport. Et c’est tant mieux. À voir les femmes entre 40 et 50 ans à la plage de nos jours, on est loin d’un quelconque mouvement de repli. Au lieu de cela, on en aperçoit de plus en plus avec des tablettes de chocolat et des bras pareils à ceux de Madonna au sommet de sa forme. Ces femmes ne se retirent aucunement, elles vont continuer à travailler, à vivre, à s’entraîner et, parfois, à s’affaler sur le canapé en chialant, un paquet de chips dans les mains.

Cependant, les contradictions demeurent : est-ce de l’émancipation féminine ou un pas supplémentaire vers l’optimisation de soi-même, pour satisfaire à des exigences sociales ? S’agit-il d’amour de soi ou plutôt de la peur de ne plus être assez sexy ? Et si c’était les deux ?

Du reste, cela ne fait pas si longtemps que les femmes ont le droit de faire du sport. Et voyez-vous ça : l’histoire moderne du sport féminin a des allures de stop-and-go où se relayent autodétermination et oppression. Même le sport de compétition tel que nous le connaissons aujourd’hui n’est apparu qu’au XIXe siècle. Avant cela, l’exercice physique était un loisir réservé aux hommes de l’aristocratie.

En 1896, les premières Olympiades des temps modernes eurent lieu à Athènes – exclusivement pour les hommes, bien entendu. À l’époque, l’organisateur déclara que les jeux Olympiques constituaient l’« exaltation solennelle et périodique de l’athlétisme mâle ». Ah, ah. Dans la vision du baron Pierre de Coubertin, les femmes aussi avaient une place d’honneur – dans les tribunes : l’applaudissement féminin devait récompenser et galvaniser les sportifs. Les femmes étant déjà exclues des Jeux dans l’Antiquité, les Jeux modernes se tiendraient également sans elles (un argument fallacieux, des femmes ayant bien participé aux JO antiques).

Très clairement, le sport fut donc d’abord une affaire d’hommes. Par conséquent, un corps athlétique avait une connotation masculine. Du corps féminin, on disait qu’il était trop faible et fragile pour la compétition. Sachez qu’au début du XIXe siècle, idéalement, un corps féminin était censé être délicat, passif et frêle. Certains historiens et certaines historiennes de l’art se demandent d’ailleurs si l’idéal de beauté souffreteux de l’époque victorienne n’a pas été influencé par l’allure des malades de la tuberculose. Des corps pâles et chétifs étaient jugés « féminins » (souvenons-nous de l’expression « sexe faible »). Dans l’Angleterre victorienne, on trouvait « beau » ce qui était conforme aux valeurs conservatrices de la société d’alors : une femme malingre est plus facile à dominer qu’une femme en bonne santé ; une femme de 45 ans souffrant d’ostéoporose et que la fatigue cloue à la maison se rebelle moins qu’une femme du même âge, hyper affûtée et en pleine forme, dont la vitalité pulse dans chaque fibre de son corps.

Pratiquer une activité physique raffermit le corps et aiguise la conscience qu’on en a – or c’est précisément ce qui devait être évité. Dès lors, on décréta qu’un corps musculeux n’était « pas féminin ». On prétendit que les femmes sportives mettaient leur santé en péril : l’exercice abîmerait les ovaires et l’utérus. Faire de l’escalade, du saut ou de la course à pied, c’était risquer de devenir stérile ou de se faire rejeter par les hommes (ou – que Dieu nous en garde ! – les deux). Bref, à cause du sport, rien de moins que la féminité tout entière était en jeu.

Les femmes actives dont le travail était très rude, telles que les lavandières, les serveuses, les fermières ou tout simplement les mères de famille nombreuse, avaient souvent de graves problèmes de dos. Mais il n’était pas question de prévenir ces maux par de la gymnastique ou d’autres exercices adaptés. L’espérance de vie de ces travailleuses était d’autant plus courte.

À la fin du XIXe siècle, des sports tels que l’équitation, le golf, le tir à l’arc et le tennis furent peu à peu admis en tant que loisirs pour les femmes des classes supérieures. L’exercice physique ouvrit la voie à une forme inespérée d’émancipation : le temps d’une séance de sport, les femmes reprenaient le pouvoir sur leur corps. Dès les deuxièmes jeux Olympiques, vingt-deux femmes prirent part à la compétition en voile, en croquet et en équitation, et deux autres en tennis et en golf. Les hommes ayant considéré que les femmes ne devaient pas concourir avec eux, des compétitions spécifiquement féminines furent organisées.

Les femmes de la classe ouvrière, quant à elles, devaient se contenter de longues promenades. Or, là aussi, des épreuves avaient lieu : le « pédestrianisme », une forme de marche athlétique avant l’heure, est un précurseur du marathon moderne. Marcher étant déjà un sport populaire à l’époque, la participation des femmes fut autorisée. Les règles étaient on ne peut plus simples : il s’agissait de marcher, aussi loin et aussi vite que les pieds le permettaient.

En 1889, l’invention de la bicyclette pour dames, avec cadre bas, révolutionna le sport de masse en permettant aux femmes de bouger et de se déplacer librement. Toutefois, l’accès aux clubs de sport, voire seulement à des informations sur le sport féminin, resta fermé aux femmes non aristocratiques.

Au début du XXe siècle, les années folles mirent fin à l’idéal de beauté maladif de l’époque victorienne. Les flapper girls, les garçonnes, échangèrent les corsages et les chignons contre des robes courtes près du corps et des coupes au carré (aussi appelées « bob »). Les corps minces et androgynes devinrent tendance. Une libération ? D’un côté, certainement. Mais au corset en tissu succéda celui, invisible, des attentes sociales à l’égard du corps féminin, sommé d’être moderne et désirable à la fois. Il s’ensuivit la plus grande vague de régimes alimentaires et de sports que le monde occidental ait connue jusqu’alors. Si le look moderne causa les premiers cas d’anorexie, il popularisa aussi le sport de masse.

Cette évolution fit émerger une pionnière en matière de fitness. Abbye « Pudgy » Stockton pourrait être qualifiée de première influenceuse fitness de l’histoire, sorte d’arrière-grand-mère de Pamela Reif et Cie. Elle fit parler d’elle au début des années 1940, à la Muscle Beach (la « plage des bodybuilders ») de Santa Monica en Californie. Cette femme de moins de 1 m 60 était si forte que son mari Les, 1 m 80 et grand adepte du culturisme lui aussi, pouvait faire l’équilibre en appui sur ses bras tendus au-dessus de sa tête.

Or Pudgy ne voulait pas seulement renforcer son corps à elle, mais aussi ceux d’un maximum de femmes. En 1944, elle publia le tout premier programme d’entraînement féminin dans le magazine de fitness le plus influent de l’époque, Strength & Health (« Force et santé »). Après guerre, elle ouvrit avec son mari non pas un, mais deux centres de fitness, un pour les hommes et un pour les femmes, l’un à côté de l’autre à Beverly Hills. Cela fait d’elle une des fondatrices du fitness moderne pour femmes et une pionnière de l’autodétermination féminine et corporelle.

Ou peut-être pas ? Des femmes comme Pudgy n’ont-elles pas ouvert la voie à l’obsession de la beauté et au culte du corps ? À la commercialisation de l’activité physique ? Les femmes allaient et continuent d’aller à la salle de gym pour faire du sport et tonifier leur corps, mais aussi pour ne pas grossir et plaire aux hommes. Il y a une continuité entre Pudgy, les cours d’aérobic à enjeu politique de Jane Fonda (elle a financé son militantisme avec les recettes de ses vidéos) et les produits de la marque de bien-être Goop de Gwyneth Paltrow : à savoir que le culte du corps est un immense business. Ainsi, la frontière est floue entre santé et autodétermination grâce au sport d’une part, et soumission à un diktat de la beauté dominé par le male gaze (« regard masculin ») d’autre part. En d’autres termes : où commence l’amour de soi et où s’arrête l’aspiration à des idéaux de beauté irréalistes ? À quel moment suis-je en train de céder au principe de la performance et à quel moment suis-je en train de faire quelque chose pour moi ?

Quand je pratique la marche nordique par exemple. Même Jane Fonda n’arriverait pas à être affriolante en faisant des tours de parc au pas de course, un bâton de ski dans chaque main. Pratique et nullement sexy, la marche nordique est au sport ce que les vêtements techniques sont à l’habillement. Il se trouve que c’est aussi la discipline qu’on recommande souvent aux femmes climatériques. Elle serait moins éprouvante et moins violente pour les articulations que le jogging, tout en ayant, selon les spécialistes, les mêmes bienfaits sur la santé. Ce type de marche brûlerait environ 7 calories par minute. Comparée à la course à pied, elle permettrait en outre une meilleure oxygénation du sang et des organes. La hausse de la fréquence cardiaque, qui augmente logiquement le débit sanguin, est bonne pour le système cardiovasculaire. La pratique régulière de la marche dénoue aussi les tensions, les muscles deviennent plus élastiques, plus résistants et plus robustes, soulageant os et articulations. Ainsi, la marche nordique peut aider à prévenir à la fois l’ostéoporose et l’arthrose, ou en atténuer les symptômes. Grâce aux bâtons, les épaules, le dos, la poitrine et les bras sont également fortifiés – le seul hic, c’est qu’on n’a pas vraiment la classe avec. Mais n’est-ce pas là aussi le sens de l’exercice, justement ? De ne pas accorder trop d’importance au style ? Alors, à nos bâtons ! Quant au hot yoga, je laisse ça à ma projection astrale.

Cela étant dit, quand j’arrive à me motiver, ce que je préfère, c’est nager. À la piscine, des femmes d’âge moyen me font des signes de tête entendus quand, dans le doux clapotis des vaguelettes d’eau chlorée, nous faisons nos longueurs au rythme placide des baleines. Certes, les bouchons d’oreille, le bonnet et les lunettes de bain ne sont pas très stylés non plus. Mais nager me rend heureuse et la natation – ou l’exercice physique en général – soulage singulièrement les sensations de tiraillement dans la poitrine ou les crampes d’estomac.

Car peu importe combien peut être libératrice l’indifférence croissante face au regard des autres au fil des années, le vieillissement corporel lui-même, la décrépitude, restent toujours aussi effrayants. Les rides et les bourrelets sont certes contrariants mais finalement superficiels et, si on en a l’envie et les moyens, il est tout à fait possible d’en retarder l’apparition, de les combler ou de les faire aspirer. De nos jours, une seringue de botox à s’injecter soi-même vaut aux alentours de 300 euros et dure environ six mois, une liposuccion du ventre coûte environ 2 000 euros et un lifting au fil non invasif d’une durée de deux ans, environ 350 euros. Précisons que tout ceci est purement esthétique. Les problèmes cardiovasculaires et l’ostéoporose sont beaucoup plus ardus à traiter. Or les libertés du vieillissement se laissent mieux apprécier en pleine forme et en bonne santé.

Toutes les femmes de tous les âges, et plus encore durant et après le climatère, peuvent et devraient prendre soin de leur musculature et de leur corps. Il n’y a pas à tortiller : impossible de profiter de la seconde partie de sa vie si on est percluse de douleur, malade ou invalide.

Je n’arriverai plus à égaler le budget fitness de Jennifer Lopez, le programme d’entraînement de Michelle Yeoh ou la discipline de Viola Davis, mais voulant tout de même rester mobile, j’essaie de me secouer le plus souvent possible. Je fais du vélo, je vais me balader, nager ou faire de la marche nordique. Je ne serai jamais une grande athlète, mais une chose est sûre : les corps athlétiques de femmes de plus de 50 ans ne sont ni plus ni moins féminins que la graisse de mon bas-ventre ou ma cellulite.

Au XXIe siècle, la féminité ne devrait plus dépendre de représentations corporelles préétablies. Notre société hyper individualisée n’a plus besoin d’idéaux de beauté collectifs. Est féminin ce qui est subjectivement ressenti comme tel.

5. Sécheresse vaginale.
Vive la vulve : sexe, exhibitionnistes moyenâgeuses et rayons laser

Une copine célibataire de 55 ans tout à fait désireuse de faire des rencontres me confie pourtant ne plus pouvoir s’imaginer avoir des relations sexuelles. Même chez le gynécologue, elle a des douleurs si intenses qu’elle frémit à la seule idée de la pénétration.

J’en parle à une autre amie, 42 ans, beaucoup d’expérience en matière de dating et nullement l’intention de s’arrêter de là. Sa réaction : la terreur absolue.

« Quoi ?! Mais c’est affreux ! À chaque fois ? Même ma mère a encore une vie sexuelle, à plus de 70 ans. »

Sheila de Liz, gynécologue et militante pro-sexe (hourra !) pour la cause des femmes ménopausées, écrit dans Woman on Fire que 70 % des femmes souffrent d’un resserrement et d’une rigidification de la vulve pendant et surtout après le climatère. En cause : la sécheresse vaginale.

S-É-C-H-E-R-E-S-S-E V-A-G-I-N-A-L-E

C’est du lourd – et parce que c’est si terrible, je le répète :

S-É-C-H-E-R-E-S-S-E V-A-G-I-N-A-L-E, soit Scheidentrockenheit en allemand.

Cette suite de lettres de l’horreur combine pas moins de deux termes à la misogynie latente pour les associer au sexe féminin : Scheide (qui signifie « vagin », mais aussi « fourreau ») et Trockenheit (« sécheresse »). Je vais donc une nouvelle fois ici privilégier un terme médical pour nommer le phénomène biologique en question : l’atrophie vulvo-vaginale, soit le vieillissement de la vulve/du vagin, un dommage collatéral extrêmement pénible du climatère. Le principe est le même que pour le mot « climatère » : le terme médical peut sembler effrayant, mais, au moins, il n’est pas connoté négativement. À cause du manque d’œstrogènes, les lèvres et les muqueuses vaginales ne sont plus assez irriguées, la peau s’affine et perd en élasticité. L’atrophie vulvo-vaginale peut ainsi entraîner irritations, infections urinaires et douleurs lors des rapports sexuels. Mais aucune soi-disant « sécheresse », ce terme étant, selon de Liz, non seulement trompeur, mais faux.

Personnellement, je ne me fais pas au mot Scheide, communément employé en allemand pour désigner le sexe féminin. Les petites filles l’entendent dès l’enfance : Jetzt schön Popo und Scheide waschen… (« Et maintenant, on se lave bien les fesses et la foufounette », dirait-on en français). C’est ce que me disait ma mère. Je me souviens que, à l’époque déjà, je trouvais ce mot idiot : mais pourquoi, en fait ?

Peut-être est-il utile de rappeler l’image qu’il véhicule : littéralement, le terme désigne le « fourreau d’une épée » et vient du langage militaire. Souvenez-vous de Game of Thrones : à mon sens, le bruit de l’épée que l’on tire ou que l’on remet au fourreau suggère tout sauf ce que nous appelons aujourd’hui, dans le contexte actuel en matière de sexe, le consentement.

De plus, un « fourreau » (Schwertscheide) sans épée (Schwert) ne me semble pas très utile, c’est pourquoi je refuse d’appeler mes organes génitaux Scheide. Ma « foufoune » existe aussi sans « épée » (Schwert), voire pour le plaisir, alors merci, mais sans façon.

Donc, quel mot serait le mieux ? « Con », « minou » ? À l’origine, ces termes renvoient à des femmes « légères ». « Chatte », euh, « pot aux confitures », nan, ça fait trop porno. J’aimais bien Vagina issu du latin, mais, traduit de façon littérale, cela ne signifie rien d’autre que Scheide.

Comme un boomerang, le fourreau de l’épée revient invariablement vers moi. Au final, ni Scheide ni Vagina ne sont corrects, le vagin n’étant que le tunnel qui relie l’entrée du sexe féminin à l’utérus. La partie visible de l’organe sexuel de la femme qui comprend les lèvres, le clitoris et l’urètre ainsi que le vagin s’appelle une « vulve ». D’ailleurs, par un fait heureux, mon fils a justement étudié ces caractéristiques anatomiques dans son cours d’éducation sexuelle.

Pour mieux comprendre en quoi réfléchir aux mots est une question de dignité et pourquoi cela vaut la peine d’apprendre et d’employer des termes complexes dérivés du latin, procédons à une comparaison avec l’anatomie masculine : pour l’organe sexuel masculin, l’équivalent de l’appellation Scheide (« vagin ») serait « canal déférent » ou « corps spongieux » (ou « épée », aïe). L’appareil génital masculin comprend un canal déférent et un corps spongieux, tout comme il y a un vagin, Scheide si vous voulez, dans l’appareil génital féminin.

En conséquence, les troubles de l’érection devraient être appelés « sécheresse du canal déférent » ou « ramollissement du corps spongieux », ce qui serait analogue à « sécheresse vaginale ». En bon français, cela donnerait : Le ramollissement du corps spongieux est fréquent chez les hommes entre 45 et 55 ans.

J’en ai des sueurs froides rien qu’à l’écrire. Car ce n’est pas sympa de se moquer de problèmes intimes. Aussi serions-nous bien inspiré·e·s de jeter aux oubliettes l’image de la « vieille desséchée ». Le mal dont souffrent les femmes climatériques s’appelle l’atrophie vulvo-vaginale. N’ayez crainte. Ce n’est pas si difficile à retenir.

Cela dit, je ne suis pas de ces femmes qui ont plaisir à examiner leur vulve dans le miroir. J’admire volontiers des vulves abstraites dans l’art. Mais quand je tape les mots « vagina », « vulve » ou « Scheide » dans Google et que des centaines d’organes génitaux féminins surgissent devant mes yeux, ça me rend nerveuse.

Peut-être pourrais-je aborder le sujet autrement. Avec l’aide d’une femme que j’aurais aimé avoir comme amie. Elle semble nettement plus âgée que moi et vient d’une époque moins libre – du XIe ou XIIe siècle. Son nom est Sheela-na-Gig. Elle est un des mystères de notre histoire culturelle et se trouve en Grande-Bretagne et en Irlande, sur des façades d’églises datant du Moyen Âge. Sa véritable fonction est inconnue jusqu’à ce jour – cette dame sculptée dans la pierre, petite et glabre, regarde les visiteurs avec curiosité, sa vulve grande ouverte tendue vers eux, tendance porno. Bien sûr, les historiens (de sexe masculin) ont longtemps pensé que Sheela devait mettre en garde les hommes et les moines contre le désir diabolique des femmes.

Seulement voilà, Sheela n’est pas sexy du tout. Plutôt effrontée et impudente, voire carrément flippante.

Dans sa chanson Sheela-na-Gig datant des années 1990, la musicienne PJ Harvey a rendu hommage à cette figure sur fond d’un riff grunge et percutant :

Sheela-na-Gig, Sheela-na-Gig

You exhibitionist ! (« Espèce d’exhibitionniste ! »)

Pourquoi Sheela montre-t-elle sa vulve ? Les historiens et historiennes avancent différentes théories : dans la Grèce antique, on disait que le dévoilement des parties génitales féminines pouvait chasser le mauvais sort, voire les démons. Étonnamment, l’idée d’un exhibitionnisme féminin magique s’étend aux cultures du monde entier. En grec ancien, il existe même un terme spécifique pour le désigner : le noble mot anasyrma.

Voici quelques exemples d’anasyrma : d’après l’auteur romain Pline l’Ancien, une femme dévoilant sa vulve pendant ses menstrues aurait le pouvoir de détourner des tempêtes de grêle. On dit que, dans les Balkans, les femmes soulevaient leurs jupons dans les champs pour mettre fin aux périodes de pluie. Au Nigeria, en dénudant son sexe, une femme peut jeter un sort à quelqu’un : avec sa vulve, elle donne la vie et la reprend (logique, dans un sens).

La vulve a donc elle aussi une signification culturelle qui n’a rien de sexuel et qui renvoie au contraire, à l’instar du phallus, à une position de force. Tiens, tiens, qui l’eût cru. Elle n’est pas un simple contenant qui attend d’être « rempli », mais un signal magique de dissuasion, un système de défense intégré contre les pouvoirs démoniaques !

Ainsi, mon amie Sheela a pu être un talisman, un des nombreux symboles que le christianisme et les coutumes païennes de l’Antiquité ont en commun, comme le lapin de Pâques et le sapin de Noël. Peut-être était-ce une déesse de la fertilité ou une gargouille grivoise. Mais pas un objet de désir, en tout cas.

Aujourd’hui, c’est la sainte patronne des féministes irlandaises. L’artiste britannique Sarah Lucas lui a dédié une sculpture.

Contrairement à ses sœurs de l’âge de pierre, les statuettes préhistoriques de la Vénus de Willendorf et de la Vénus de Hohle Fels, Sheela semble pour ainsi dire désexualisée. Les Vénus, bien plus anciennes mais guère mieux étudiées ou mieux interprétées, représentent des corps féminins imposants aux seins et à la vulve démesurés. On ignore toujours à quoi elles servaient, si c’étaient des divinités, des déesses mères ou des figurines érotiques. Probablement des symboles de fertilité. Sheela, pour sa part, n’a ni cheveux, ni poils, ni poitrine, mais des airs de gobelin. Contrairement aux Vénus, elle ne peut guère être dévoyée en modèle pornographique. Les spécialistes d’histoire culturelle tendent à penser qu’il s’agit d’une femme âgée, d’une crone (une vieille), voire d’une hag, une sorcière1.

J’aimerais faire de Sheela la figure de proue des femmes climatériques. Même privée de sa fameuse fertilité, elle possède encore suffisamment d’énergie féminine pour repousser démons et tempêtes. Sa vulve n’est pas desséchée, elle est puissante. Son corps n’est ni faible ni inutile, il protège et défend.

Bon, mais alors, pourquoi ai-je un problème avec les vulves ? Eh bien, parce que je n’ai pas grandi avec elles. J’ai grandi avec un vagin (Scheide) qu’il faut laver, couvrir et cacher. Il sert uniquement à la reproduction et n’a pas d’autre fonction. Ma mère en savait sans doute très peu sur sa propre anatomie, elle ne m’a donc pas appris grand-chose d’utile à ce sujet. Sans connaissances, sans informations, nos besoins physiques sont laissés pour compte. Ma mère est morte d’un cancer du sein après avoir refusé pendant des années d’aller chez le médecin. Évitait-elle son gynécologue parce que les examens lui étaient désagréables ? Parce que, à cause du rétrécissement de son vagin, les interventions, quelles qu’elles fussent, étaient douloureuses ?

Sheila de Liz écrit que les gels lubrifiants et les huiles, loin d’aider en cas d’atrophie vulvo-vaginale, peuvent même parfois aggraver le problème. Mais il existe quelque chose qui aide : les crèmes hormonales à appliquer localement et les traitements laser que de Liz pratique dans son cabinet à Wiesbaden. Sur son site Internet, on lit : « Enfin, nous avons une parade : un traitement au laser CO2 “Mona Lisa Touch”. À l’aide d’une sonde, on vient lasériser la muqueuse vaginale pour stimuler la production de cellules et de collagène. C’est un procédé sûr, d’une quinzaine de minutes tout au plus. Dans la plupart des cas, une amélioration est perceptible dès la première séance. »

En Allemagne, ce traitement est désormais proposé dans la majorité des villes. Trois séances sont recommandées, puis une séance d’entretien une fois par an. Une session coûte environ 400 euros2. Pas donné, mais quand je pense au prix de mes appareils auditifs… En guise de consolation, sachez que le Viagra n’est pas remboursé non plus, les caisses d’assurance maladie n’offrant une prise en charge qu’en cas d’indications médicales spécifiques. Selon le fabricant, quatre comprimés de Viagra coûtent entre 8 et 22 euros3. Vu sous cet angle, l’expression Sex sells (« le sexe rapporte ») revêt un tout autre sens.

Si seule une vulve trop serrée s’interposait entre moi et une vie sexuelle épanouie, je raclerais les fonds de tiroir pour me payer un traitement au laser. Comme mentionné précédemment, je porte bien des prothèses auditives hors de prix pour améliorer ma qualité de vie. Du reste, il ne viendrait à l’idée de personne de me dire : Un appareil auditif, c’est contre nature et ça ne sert que des intérêts mercantiles. Tu vieillis et tu entends moins bien, accepte-le donc. Surtout pas : quand le nerf auditif ne fonctionne plus comme il faut, le cerveau « oublie » les sons et les bruits, accélérant la dégradation des capacités cognitives et la démence. Alors il vaut mieux investir en vitesse quelques milliers d’euros dans des aides auditives.

On devrait songer à étudier le rôle de l’absence de vie sexuelle pour cause d’atrophie vulvo-vaginale dans la fragilisation du bien-être et de la santé des femmes d’un certain âge. Si une telle étude existait, je pourrais maintenant vous donner des arguments géniaux, médicaux et factuels en faveur des crèmes aux œstrogènes et des traitements au laser. Alors, l’assurance maladie rembourserait peut-être une partie des frais. Malheureusement, ce type de recherches ne se fait pas encore. Moralité : fixez-vous des priorités, faites vos propres investigations et pensez à Sheela-na-Gig. Je parie qu’elle se moquait totalement de ce que les autres pensaient d’elle.

6. Cycles irréguliers.
« Geler ses avoirs » : progrès technologique, fertilité autodéterminée et social freezing

Depuis le début de mon embarras périménopausique, non seulement mes règles sont beaucoup plus abondantes, mais je les ai aussi plus souvent. En ce moment, mon cycle s’étale sur dix-neuf à vingt-cinq jours et mon humeur est très changeante : mes règles à peine finies, je redeviens émotive, comme en phase prémenstruelle. Je tombe de Charybde en Scylla, pourrait-on dire.

La nuit, je rêve que je suis enceinte. J’ai la nette sensation d’un petit être dans mon ventre et je me demande comment sera cette deuxième maternité – le retour aux soins du bébé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à l’allaitement – car, avec mon fils de 12 ans, j’ai quasiment retrouvé ma liberté d’avant. Au matin, je me réveille confuse. Était-ce là une réminiscence de mon corps ou la manifestation nocturne d’un désir de grossesse refoulé ? Il est vrai que, à l’origine, nous voulions un autre enfant, mais, finalement, ça ne s’est pas fait. Quand j’ai enfin été sûre de vouloir redevenir maman, je fêtais tout juste mon quarante-et-unième anniversaire, soit l’âge butoir pour la prise en charge de la fécondation in vitro (FIV) par les caisses d’assurance maladie allemandes. À l’époque, ma fertilité biologique était déjà en baisse. Mon taux d’AMH, soit l’hormone anti-müllerienne qui détermine le nombre d’ovocytes produits par les ovaires, était si bas que j’aurais dû me transformer en glande hormonale géante pour avoir encore une chance de tomber enceinte.

En outre, nous aurions dû nous marier, seuls les couples mariés ayant la possibilité de se faire rembourser une FIV en Allemagne (trois essais, pas davantage). Au final, nous avons laissé tomber. Après tout, nous avions déjà un fils merveilleux.

Une amie queer m’a appris qu’en Allemagne, pour concevoir un enfant par des moyens autres que naturels, les femmes célibataires étaient encore plus mal loties que les couples non mariés. L’insémination avec le sperme d’un donneur n’est autorisée pour les femmes seules que depuis 2020, la loi préférant les modèles familiaux hétéronormatifs aux couples homosexuels et aux célibataires1. L’article 6 de la loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne (Grundgesetz) protège explicitement la famille, le mariage, la mère et, dans un paragraphe dédié, les « enfants nés hors mariage » : « La législation doit assurer aux enfants naturels les mêmes conditions qu’aux enfants légitimes en ce qui concerne leur développement physique et moral et leur statut social. »

Si la protection de la famille est inscrite dans la Charte des Nations unies, elle ne l’est dans aucune Constitution, hormis celle de la République fédérale d’Allemagne. Cela fait de l’article 6 une exception allemande, héritée de la sensibilité catholique de Konrad Adenauer et de son ministre de la Famille Franz-Josef Wuermeling. Ce dernier était convaincu que la famille – un père, une mère et leurs enfants – était le « cœur de la société ». Les parents célibataires ou les mères actives n’avaient pas leur place dans l’univers mental des pères fondateurs de la République fédérale. Pourtant, la République de Bonn – qui n’a pas de mère fondatrice – peut elle-même être considérée comme une « enfant naturelle ».

En clair : jusqu’en 2020, une femme célibataire en âge de procréer avait besoin d’un partenaire sexuel fertile en chair et en os en guise de donneur de sperme. Bonne chance pour la recherche ! Rien n’est plus fascinant à observer qu’une femme en quête du géniteur parfait pour son premier enfant. C’est exactement ce qu’a vécu l’écrivaine Mirna Funk. À 28 ans, sans compagnon, elle s’est mise à vouloir un bébé absolument. Elle se souvient : « J’ai choisi le père de ma fille dans une situation de contrainte. Parce que j’étais tellement en demande. Par conséquent, j’ai jeté mon dévolu sur un père relativement médiocre pour mon enfant. Génétiquement, il est super, tout va bien, j’aime ma fille, je referais tout pareil s’il le fallait, mais mon choix n’a pas été très rationnel. En aucun cas je ne voudrais me retrouver dans la même situation à 46 ou 48 ans. »

Je fais la connaissance de Mirna Funk dans le cadre d’une interview sur Zoom. Elle se vernit les ongles des pieds sur son lit avant d’aller à son bureau où le signal Wifi est meilleur. Mirna vient de publier son deuxième roman Zwischen Du und Ich (« Entre toi et moi ») et travaille actuellement sur une série télé. Commentatrice d’actualité, Mirna, par ailleurs juive pratiquante, incarne le nouveau visage de la génération moderne d’hommes et de femmes juifs allemands. Cette femme de 41 ans est un phénomène, elle n’entre dans aucune case. Elle se dit féministe mais, étant née à Berlin-Est, elle ne se retrouve pas dans le féminisme d’Allemagne de l’Ouest. Non contente d’abreuver ses followers sur Instagram de commentaires politiques, elle leur donne aussi des conseils « sexe et beauté ». Durant notre échange, elle se réclame même de Khloé Kardashian.

Tout ceci suffit à créer la confusion : une féministe ne se doit-elle pas d’être de gauche ? Une journaliste culturelle sérieuse ne devrait-elle pas être au-dessus de sujets aussi profanes que la vie des stars de la beauté ou des vedettes de la téléréalité ? Et enfin et surtout : une féministe a-t-elle le droit de conduire une Porsche dorée ?!

Ayant « grandi dans l’oppression socialiste », Mirna tient plus que tout à sa liberté, qu’elle ne risquerait pour rien au monde. À l’instar de nombreuses personnes de notre génération nées dans l’ancienne RDA (République démocratique d’Allemagne), elle a d’abord dû se familiariser avec le capitalisme. Désormais, elle s’intéresse beaucoup à la finance. Une conversation avec Funk alterne en permanence entre déclarations réfléchies, publiables en l’état, et piques acerbes qui l’auraient, il y a quelques années encore, estampillée « greluche ». Chez elle, on cherche en vain les attributs classiques des femmes allemandes à succès bien comme il faut – modestie, retenue et simplicité.

Si Mirna était un homme, elle porterait des costumes sur mesure, une montre vintage très chic et hors de prix, et conduirait une Porsche (qu’elle possède depuis longtemps déjà). En somme, Monsieur Funk serait de la trempe des hommes qu’on dit persuasifs, charmants et pleins d’assurance. Monsieur Funk serait ambitieux, déterminé, admiré et désiré. Seulement, dans la vraie vie, il se trouve que ce Monsieur Funk est une Madame Funk qui, en conséquence, polarise tout autant qu’elle fascine. Récemment, elle s’est décidée pour une intervention importante, artificielle et fort capitaliste : comme le ferait un homme indépendant et au sommet de sa carrière, elle veut se ménager la possibilité d’avoir encore des enfants au-delà de 50 ans (c’est-à-dire par-delà le climatère). Elle va donc faire congeler ses ovocytes et recourir au social freezing pour pouvoir choisir librement d’avoir ou non un enfant vers la fin de la quarantaine ou au début de la cinquantaine. Mais pourquoi ?

« Pour l’instant, je n’ai pas de désir d’enfant », m’explique-t-elle, « mais à 40 ans, j’ai compris que nous traversons différentes phases et que ça peut changer à tout moment. Dans six mois, j’aurai peut-être grave envie d’avoir un gosse et alors je me dirai, OMG, j’ai déjà 41 ans, il me faut un mec d’urgence, et ce sera reparti pour un tour. Mais si j’ai mes ovocytes au frais, je serai plutôt du genre : détends-toi, si le gars ne se présente pas maintenant, tu le feras plus tard. »

L’intervention est pratiquée dans un centre de fertilité. Mirna Funk a trouvé sa gynécologue sur les conseils d’une amie, mère célibataire elle aussi, qui vient d’avoir son deuxième enfant grâce à une fécondation in vitro. La ponction des ovocytes coûte 3 500 euros et leur conservation 500 euros par an. Un plaisir onéreux. Quand Mirna Funk s’était intéressée à la question pour la première fois en 2014, les frais s’élevaient encore à près de 10 000 euros2.

« Et comment ça se passe, concrètement ?

— On prend des hormones pendant dix jours, pour fabriquer le plus d’ovocytes possible. Le traitement commence au deuxième jour des règles, avant même l’ovulation, et les ovocytes sont prélevés sous anesthésie générale.

— Il y a des risques ?

— Comme on sait, il ne faut pas multiplier les anesthésies générales, c’est mauvais pour le cœur. Au-delà de ça, il ne semble pas y en avoir.

— Dans cinq à dix ans, quand tu feras décongeler et inséminer les ovocytes, seront-ils féconds dans tous les cas ?

— Bien sûr que non. Il n’y a aucune garantie, il ne faut pas l’oublier. Chez Khloé Kardashian par exemple, la totalité des vingt ovocytes étaient foutus. J’en suis consciente, mais je prends le risque. Je crois que si ça doit se faire, il y en aura bien un qui prendra. L’important, c’est que je m’ôte la pression. Pour pouvoir prendre de meilleures décisions.

— Tu t’achètes donc un peu d’autodétermination reproductive ?

— Absolument. Si j’étais actuellement dans une situation financière particulièrement confortable, j’aurais peut-être un deuxième enfant là tout de suite. Je sais que j’aimerais en avoir encore un ou deux, je trouverais ça sympa, pour plus tard et pour ma fille. Mais je connais mes possibilités et mes limites, et je sais que, pour l’instant, même si je me débrouille bien avec ma gamine, notre vie ressemble à un château de cartes. Ce château, il tient tout juste. Pour le moment, ça marche du tonnerre, tout roule super, mais il suffirait qu’une carte s’ajoute aux autres ou vienne à manquer pour que tout s’écroule.

— Ça te stresse ?

— Non. Pour le moment, nous sommes heureuses, ma fille et moi. Et avec plus d’enfants, je voudrais me sentir aussi bien que maintenant. »

Le débat sur le social freezing s’est enflammé pour la première fois sur la scène internationale en 2014. À l’époque, les grands groupes Apple et Facebook avaient déclaré qu’ils couvriraient les frais de vitrification ovocytaire pour leurs collaboratrices. La nouvelle avait suscité un tollé au niveau mondial : les entreprises s’immisçaient trop dans la vie privée de leurs employé·e·s. « J’en frissonne, quand j’y pense. Celles et ceux pour qui avoir un enfant n’est pas qu’une question rationnelle – comment l’intégrer au mieux au plan d’activité de l’employeur ? – seront dorénavant considérés comme naïfs, idiots, vieux jeu et rétrogrades », écrivit Anna Reimann dans le magazine Der Spiegel. « Et surtout, ce sera de leur faute, s’ils ne font pas carrière. » Manuela Schwesig, alors ministre de la Famille, trouva elle aussi le projet « très inopportun ». Seule la journaliste Teresa Bücker y vit aussi des avantages. En 2014, elle posta le commentaire suivant sur le blog Edition F : « De cette façon, les entreprises donnent plus de liberté de choix aux jeunes femmes incertaines de vouloir des enfants un jour ou encore en attente du partenaire idéal, mais également à celles qui sont malades ou qui le seront peut-être plus tard. » Dans son analyse, Bücker prit en compte le système d’assurance maladie aux États-Unis : là-bas, il n’existe en effet toujours pas de système de santé public et uniforme. Un contrat de travail correct comprendra ainsi une offre globale de couverture santé pour les employé·e·s. La journaliste soulignait en outre que la démarche pourrait mettre le thème des traitements de fertilité et plus largement de la santé féminine au cœur des échanges quotidiens et ainsi le normaliser. Entre collègues, on parle bien de problèmes dentaires, par exemple.

Je laisse à chaque propriétaire d’une réserve d’ovocytes cryogénisés le soin de déterminer s’il existe un moment idéal pour avoir un enfant par ce biais. Le fait est que les femmes prêtes à se lancer dans ce type de projet et disposant du budget nécessaire peuvent décider un peu plus librement quand et surtout pendant combien de temps elles aimeraient être en capacité de concevoir.

Dans les forums des plateformes Internet telles que Zeit Online, les articles sur le social freezing suscitent de vifs échanges. Beaucoup de commentateurs et de commentatrices estiment qu’on devrait tout simplement devenir parents jeunes. La charge d’un enfant serait plus facile à assumer à 20 ou 30 ans. Physiquement pour le moins, les personnes d’âge moyen ne seraient plus capables de suivre. La question est : cela vaut-il pour les deux sexes ? Ne dit-on pas des hommes que leur carrière décollerait pour de bon vers la quarantaine ? Cela ne demande-t-il pas aussi de l’énergie ? Et que dire de tous ces hommes d’âge mûr qui deviennent pères ? Ou le corps des femmes est-il le seul à devenir trop vieux et trop las pour élever des petits ?

« Tu n’as pas peur de ne plus être assez en forme pour un enfant, à 45 ou 50 ans ?

— Premièrement : je ferais tout pour avoir la constitution physique d’une quadragénaire jusqu’à ma mort. Pour faire ce que j’aime dans la vie, je dois de toute façon être en pleine possession de mes moyens. Je mange sainement. Je fais de l’exercice pour la première fois de mon existence, de la muscu hyper balèze, depuis deux ans. Pour pouvoir continuer à profiter de tout ce qui se présente à moi.

— Une de mes amies a été enceinte à deux reprises, une fois à 30 ans et une autre fois dix ans après. L’autre jour, elle m’a dit avoir bien senti que, à 40 ans, son corps n’était plus aussi résistant qu’avant. Ce genre d’expériences ne t’effraie pas ?

— Sans même parler de mon âge, je n’ai pas forcément besoin de revivre une grossesse.

— Pourquoi pas ?

— J’avais des rêves : je voulais accoucher naturellement, toute seule dans la forêt, couper le cordon ombilical avec mes dents et retourner en ville, mon enfant ensanglanté dans les bras. Après mon premier accouchement, j’ai compris que c’était vraiment du grand n’importe quoi. Au final, on a dû me faire une césarienne parce que mon bébé ne voulait pas sortir. J’avais prévu d’allaiter un an, mais je n’ai pu le faire que six semaines, à cause d’une infection du sein. Rien de ce que j’avais imaginé ne s’est réalisé, mais le monde ne s’est pas arrêté de tourner pour autant. J’ai une enfant en pleine santé qui n’a aucune allergie, on a une relation vraiment géniale et la vie se passe bien. Si c’était permis, je me chercherais une femme épatante comme mère porteuse, lui trouverais un bel appartement et lui ferais porter un enfant à ma place.

— Est-ce que tu pourrais aussi t’imaginer adopter ? Si ce qui compte, c’est l’enfant et pas nécessairement la parenté génétique ?

— J’ai toujours envisagé l’adoption, une de mes copines de Tel Aviv est adoptée. Mais je ne suis pas du genre « Supermaman ». J’ai des amies à Cologne, un couple de lesbiennes, qui ont adopté deux petites filles – elles ont vraiment fondé la famille parfaite. Je ne suis pas comme ça. C’est pas mon style. Il m’arrive aussi de vouloir être seule et, vis-à-vis d’un enfant adopté, j’aurais mauvaise conscience. Il y a des gens qui veulent adopter à tout prix. Je préfère leur laisser la priorité.

— Au fait, tu savais dès le départ que tu voulais avoir un enfant seule ?

— Non. J’étais avec le père de ma fille, on était fiancés, on voulait se marier – j’avais quand même ce rêve de la famille au sens classique. Après notre séparation, j’étais en état de choc et je me suis dit, merde, c’est pas ce que tu voulais.

— Et alors ?

— Alors, je me suis rendu compte qu’après tout, ce n’était pas si grave, au contraire. J’avais plus d’énergie qu’avant avec lui.

— Dans les rubriques « Commentaires » au bas d’articles sur le social freezing, on lit souvent que, avec le temps, les femmes deviennent trop vieilles pour la maternité, non seulement d’un point de vue biologique mais aussi social. Selon l’adage : la nature fait bien les choses… Tu n’as pas peur des critiques, si tu redevenais mère à 50 ans ?

— Non, absolument pas. »

Mirna m’explique qu’elle conseille désormais à toutes, mais surtout aux jeunes femmes de son entourage, de faire congeler leurs ovocytes pour se laisser le plus de liberté de choix possible. D’après les expert·e·s, pour un résultat optimal, l’idéal serait une ponction entre 25 et 30 ans. Dans une certaine mesure, les femmes qui en ont les moyens peuvent ainsi espérer échapper à leur horloge biologique3.

Pour garantir ne serait-ce qu’une relative égalité des chances, notre système de santé devrait peut-être prendre en charge le social freezing soit partiellement comme dans le cas des FIV, soit entièrement pour des femmes défavorisées financièrement, comme pour les avortements. À l’origine, le procédé avait été développé pour des femmes cancéreuses incapables d’ovuler. Dans ce cas, l’assurance maladie couvre les frais de droit4. Et encore une fois : si les règles arrivaient aux hommes et s’ils pouvaient enfanter, eux feraient tout pour prolonger leur capacité de procréation.

De premières études montrent que la majorité des ovocytes congelés restent inutilisés du fait de l’évolution des situations, les femmes finissant par rencontrer quelqu’un dont elles tombent enceintes naturellement. Peut-être la constitution d’une réserve ovocytaire permet-elle tout simplement de relâcher la pression liée à la question de l’enfantement. J’entends souvent parler de couples qui ont mis des années à avoir un bébé par FIV avant d’en avoir finalement un autre de manière naturelle.

Que serait ce monde si un nombre croissant de femmes faisaient congeler leurs ovocytes ? La pression biologique et sociale ne se répartirait-elle pas automatiquement de façon plus équitable ? Les hommes d’âge mûr arrêteraient-ils de se mettre en quête de femmes jeunes et prêtes à procréer ?

Pour moi, cette option arrive trop tard. Je ne crois pas qu’il y ait un moment idéal pour devenir parent, mais je suis persuadée que le climatère ferait moins peur si les femmes n’étaient pas forcées de planifier leur vie en fonction du déclin annoncé de leur fertilité.

Dans le même temps, on pourrait faire avancer la réflexion sur le découplage entre féminité et fertilité. Pour que l’amour-propre d’une femme ne dépende plus tant de son pouvoir de conception biologique, de son attrait sexuel et de sa maternité, mais de l’image qu’elle se fait d’elle-même.

D’ailleurs : aux premiers signes de troubles climatériques, Mirna Funk a l’intention de prendre toutes sortes de préparations et de médicaments non nocifs. Elle ne voit pas pourquoi elle devrait se résigner à l’inconfort. Avant notre échange, elle ne savait pas grand-chose sur la ménopause, hormis qu’on ne peut plus avoir d’enfants après. Dorénavant, elle pensera aux hormones bio-identiques si elle n’arrive plus à dormir d’une traite. En tout cas, elle n’a pas peur.

7. Poils mal placés.
L’homme en moi : sous le joug des symboles de fertilité, un surplus de testostérone et le grain de sel de monsieur stein

Dans la salle de bains, la pince à épiler est devenue ma meilleure amie. Je l’utilise pour enlever les poils épais et récalcitrants qui poussent depuis peu à la commissure de mes lèvres. De près, on dirait des soies d’animal ou de fines aiguilles. Ils sont d’un noir profond et bien que je les arrache avec la racine, ils finissent toujours par repousser de manière étonnamment stoïque. Voilà ce qui m’attend probablement ces trente prochaines années. Peut-être que, un jour, cela me sera égal, mais, pour l’instant, ces poils doivent disparaître, sinon, dans six mois, je risquerais de faire concurrence à des moustachus notoires tels que Salvador Dalí ou Gengis Khan. Je n’ai rien contre les looks non binaires, mais je n’assume pas encore d’être une femme à barbe. WTF ?!

D’ailleurs, notre appartement est plein de cheveux longs et noirs, comme si nous avions un animal domestique. La naissance de mes cheveux s’est décalée vers le haut, au sommet de ma tête poussent des filaments secs et blancs comme neige. Tant qu’ils font moins de 10 centimètres, ils pointent en l’air tels des antennes. Ceux-là aussi, je les arrache, et eux aussi repoussent résolument, comme pour me narguer : « C’est nous qui gagnons ! Tu deviens vieille et grise ! »

Globalement, la couleur de mes cheveux change. Personne ne doit le voir à part moi, mais ce qui était noir de jais autrefois est aujourd’hui plus terne, moins brillant, d’un noir plutôt mat. Perdre pile cent cheveux par jour serait soi-disant normal. Au-delà, la médecine parle de chute de cheveux. Hum. Je n’ai pas encore fait le compte.

Apparemment, la perte de cheveux fait partie du climatère au même titre que la mauvaise humeur et les pics de sueur. Là encore, des fluctuations hormonales et une mauvaise irrigation sanguine en sont la cause. Il existe ainsi une large gamme de shampoings dédiés aux chevelures fragilisées des femmes périménopausiques. Ces produits qui « renforcent » et « densifient » les cheveux sont également censés « vitaliser » le cuir chevelu. Outre la chute de cheveux, ces shampoings me donnent des pellicules. Après une nuit sur une taie d’oreiller bleu marine, au matin, celle-ci est couverte de cheveux noirs et de poussières blanches. Résultat : mieux vaut le shampoing pour enfants bio sans parfum.

Dans de nombreuses cultures, les cheveux sont des symboles de fertilité et de séduction. Par le passé, il n’était pas rare qu’on rase publiquement la tête de femmes incriminées pour les humilier. Dans l’Antiquité, on pensait que la vitalité d’une personne résidait dans sa chevelure. Selon la Bible, Samson puisait sa force dans ses cheveux et les soldats de la Grèce antique portaient des casques pour protéger non pas leur crâne mais leur crinière, censée contenir leur énergie vitale. En Amérique, les peuples indigènes scalpaient leurs ennemis dont ils situaient également la puissance vitale dans le cuir chevelu.

L’obsession universelle des êtres humains pour les cheveux ne vient donc pas de nulle part, une chevelure souple et abondante étant depuis toujours signe de bonne santé et de capacité de procréation.

Les femmes de plus de 40 ans, en revanche, semblent avoir un problème avec leurs cheveux, tant elles sont nombreuses à se les faire couper radicalement court. En 2019, une rédactrice du magazine Brigitte a commenté ce phénomène dans un article en ligne. Sa compagne s’étant fait faire une « coupe courte de confort », elle était allée consulter un expert : « À partir de 40 ans, beaucoup de femmes portent les cheveux plus courts pour marquer le début d’une nouvelle phase dans leur vie. Elles ne sont pour ainsi dire plus sur le marché et ne veulent plus paraître aguichantes. La plupart du temps, elles sont mariées, ont des enfants et souhaitent quelque chose de pratique », explique le maître-artisan coiffeur Philipp Zilse, cité dans le post. « Une thèse osée », commente la journaliste, l’article ne répondant pas à la question de savoir si Monsieur Zilse, la quarantaine passée, n’est « plus sur le marché » lui non plus.

Une bonne chose que la marque de soins pour la peau Nurture Replenish ait commandé une étude sur le sujet en 2013, pour laquelle on a demandé à deux mille femmes à partir de quel âge elles devraient renoncer aux cheveux longs. Réponse : 46 ans. Peut-être aurait-on mieux fait d’investir le coût de l’enquête dans la recherche sur les troubles climatériques. Vous avez déjà jeté un coup d’œil à la tignasse d’un homme de plus de 40 ans ? Ou plutôt à ce qui fut sa tignasse ? Alors imaginez si tous les hommes aux cheveux clairsemés devaient se retirer du « marché »…

Malheureusement, l’idée que les femmes matures devraient avoir les cheveux courts semble être un préjugé universel. En Asie de l’Est, la « coupe mamie » est carrément devenue incontournable pour toutes les femmes à partir de 45 ans : un bob permanenté s’arrêtant juste en dessous des oreilles. Pour protéger leur peau, ces dames portent en outre de grandes visières solaires de couleur noire, le soleil étant l’ennemi naturel de la beauté de toutes les femmes asiatiques. Il fait bronzer (à éviter, seules les paysannes ont la peau brune) et donne des rides, autrement dit, il rend vieux (ah bon ?).

Ma grand-mère allemande, pour sa part, a eu les cheveux longs jusqu’à sa mort. Tous les matins, elle brossait sa belle chevelure brune avant de la nouer en un chignon impeccable. Les années passant, ce dernier s’était affiné et, à l’approche de ses 80 ans, il avait commencé à grisonner. Petite, je trouvais ses cheveux très beaux et je ne comprenais pas pourquoi toutes les autres mamies avaient les cheveux courts. Ma mère n’était pas de mon avis, elle jugeait la coiffure de sa mère « démodée » et « incommode ».

Établir des règles de beauté pour les femmes en fonction de leur âge me semble d’une grande bêtise. Si on s’avisait de me proposer une coupe « adaptée à mon âge », je changerais immédiatement de salon. Le mythe des cheveux « symboles de fertilité et de jeunesse » date de l’époque préindustrielle. Mais les temps changent et la symbolique aussi. C’est fou quand même : tandis qu’on fait croire aux jeunes femmes qu’elles seraient moins féminines les cheveux courts, les femmes plus âgées sont exhortées à se débarrasser de leur crinière.

Je me souviens parfaitement de l’année où j’ai coupé mes nattes pour la première fois – à 11 ans, en sixième. À l’époque déjà, mon entourage s’était affligé : Oh non, tes beaux cheveux ! Plus tard, des coiffeurs de seconde zone se sont plaints de « ne malheureusement rien pouvoir faire de ces cheveux » ou d’« émousser leurs ciseaux s’ils les coupaient avec ». Régulièrement, des gens me demandent (ou pas d’ailleurs) s’ils peuvent me toucher les cheveux, verdict inclus : Waouh, du crin de cheval !

Lorsque, à 16 ans, je me les suis décolorés en blond platine, ça tenait encore du scandale, à l’instar des coupes garçonnes des jeunes femmes au début du XXe siècle ou des coupes ultra courtes de celles qu’on qualifiait de « lesbiennes », terme synonyme de « érotiquement-non-attirantes-pour-les-hommes ». Jusqu’à aujourd’hui, la moitié des hommes de mon entourage font une syncope si j’ose me couper les cheveux au-dessus du menton. Un monsieur de ma connaissance est allé jusqu’à interdire à sa fille de 8 ans d’avoir les cheveux plus courts qu’aux épaules. Sans rire. Et ce n’est pas un catho, juste un fétichiste.

Après toute cette agitation autour de ma satanée crinière ces quarante-quatre dernières années, celle-ci s’éclaircit, blanchit et se déplace désormais sur ma lèvre supérieure. Visiblement, ma part de masculinité est en train de s’affirmer. Un type prometteur à première vue – pas un poil sur le ciboulot, de la barbe au coin des lèvres et un caractère de chien.

Ce Monsieur Stein est une curieuse personne. En effet, non seulement il porte la barbe, mais il est aussi nettement plus ferme que l’aimable et timide Madame Stein. Peut-être est-ce lui qui a décidé que, après plus de quinze ans de relation, la vie sociale que nous entretenons, mon mari et moi, n’avait plus besoin d’être systématiquement partagée à deux. Contrairement à Madame Stein qui préfère sortir en couple, Monsieur Stein est plus à l’aise pour faire la tournée des bars seul, avec les copains et les copines. Ce Monsieur Stein est capable de lancer à son compagnon un joyeux Amuse-toi bien ! quand ce dernier part en soirée, tandis que Madame Stein a douté d’elle pendant des années quand, pour changer, son homme voulait passer quelques heures seul avec des ami·e·s. Monsieur Stein ne s’oblige plus non plus à s’occuper des semaines entières de sa belle-mère en visite, il lui suffit de le faire durant un week-end prolongé et de se carapater ensuite dans son bureau à Munich jusqu’à la fin de son séjour. Ce faisant, il n’a même pas l’impression de manquer à ses devoirs domestiques. Rien à voir avec Madame Stein : par acquit de conscience, cette dernière serait restée sagement à la maison où elle aurait affiché un comportement passif-agressif de tout premier ordre.

Confus·e ? Ce n’est que le début. Prenant exemple sur différentes autrices qui ont écrit sur la ménopause avant moi, je vais maintenant personnaliser mes hormones. Monsieur Stein, soit l’excès de testostérone, a toujours vécu en harmonie avec Madame Stein (les œstrogènes) et, disons, Maman Stein (la progestérone). À présent que Madame Stein et Maman Stein se retirent, il semble se montrer plus souvent. Malheureusement, il a tendance à manquer de fiabilité et à être imprévisible. La colère et l’irritabilité des femmes climatériques dépendent donc en partie de leur gaillard intérieur, c’est-à-dire d’un trop-plein de testostérone. Ironique, non ?

Comme évoqué précédemment, le climatère est souvent qualifié de seconde puberté, les mécanismes biologiques à l’œuvre étant similaires : l’équilibre hormonal se dérègle, le corps change et on peine à se reconnaître soi-même. Au lieu de poils sur le corps, le climatère nous dote de poils sur le visage. Quelle étrange évolution : tandis que la fertilité se distingue par une pilosité sous les aisselles et sur le pubis, la non-fertilité se signale par des poils pubiens blancs et des moustaches inopinées.

Pour l’humanité, les cheveux sont un des sujets les plus sensibles qui soient, aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Cependant, ces derniers compensent plus facilement la perte des leurs par de la prestance. Au fond, un grand nombre de mes copines craignent de se faire couper les cheveux. Mais les cheveux longs, « ça se fait » quand on est plus âgée ? Voilà une question qu’on ne devrait même pas se poser. Chacun et chacune devrait pouvoir porter ses cheveux comme il ou elle l’entend.

Maintenant, quand je détecte un poil noir bien dru sur ma lèvre, je sors toujours ma pince à épiler, mais je remercie aussi ma testostérone – et mon Monsieur Stein intérieur – pour ma nouvelle opiniâtreté et nonchalance. Si le prix à payer, c’est des poils de barbe, alors soit. Je peux vivre avec.

8. Problèmes de concentration.
Retour en arrière : une courte histoire du climatère

Le 9 juillet 2002 aux États-Unis, les lignes téléphoniques des médecins et endocrinologues étaient saturées. Le nombre d’appels de patientes était si massif que des gynécologues ont avoué plus tard au New York Times avoir tout bonnement débranché leurs téléphones. Ce moment est l’instant zéro de l’histoire du climatère au XXIe siècle : peu avant, des chercheurs et chercheuses du Mount Zion Women’s Health Research Center (« Centre de recherches en santé de la femme du Mont Sion ») de l’université de San Francisco avaient publié une étude selon laquelle les traitements hormonaux de substitution contre les troubles de la ménopause favorisaient les cancers du sein, les infarctus du myocarde, les accidents vasculaires cérébraux et les caillots de sang. Sur une échelle de Richter imaginaire des scandales médicaux, cette étude, entrée dans l’histoire de la santé féminine sous le nom Women’s Health Initiative était au moins de magnitude 9, avec des répercussions au niveau mondial. Elle représente une césure dans le discours moderne sur la ménopause. Ses conclusions : un traitement validé depuis trente ans nuisait plus aux patientes qu’il ne leur était utile. Ce 9 juillet n’a pas seulement marqué la rupture avec une façon jusque-là courante d’aborder les troubles climatériques, mais aussi la fin d’une success story sans précédent de l’industrie pharmaceutique moderne remontant aux années 1960.

Dans son bestseller Féminine pour toujours, publié en 1967, le gynécologue Robert A. Wilson qualifiait la ménopause de « maladie de déficience en œstrogènes » faisant « dépérir » les femmes « de leur vivant ». En Allemagne, son livre parut sous le titre éloquent Die vollkommene Frau (« La femme parfaite »). D’après l’auteur, les traitements à base d’œstrogènes, soit l’hormonothérapie substitutive, pouvaient repousser cette déchéance pour que les femmes restent, comme le suggère le titre, « éternellement féminines ». Wilson préconisait même le traitement de manière préventive, pour permettre aux femmes de rester séduisantes pour les hommes : « Il n’est nullement inéluctable que les appétits sexuels d’une femme de plus de 40 ans déclinent plus rapidement que ceux de son mari. » En refusant la thérapie, les femmes deviendraient l’« équivalent d’eunuques ». Or quelle femme de plus de 40 ans accepterait sans broncher de se faire traiter de « castrat » ? Le gynécologue fonda la Wilson Research Foundation (« Fondation Wilson pour la recherche ») et entreprit avec son épouse Thelma une grande tournée de conférences et de lectures à travers tous les États-Unis. Rien que là-bas, 6 millions de femmes se firent « soigner » selon sa méthode. Robert A. Wilson devint un homme à la fois très occupé et très riche. Le « médecin qui sauva les femmes du dessèchement » décéda en 1981.

Lorsque les lignes téléphoniques se mirent à chauffer en 2002, son fils Ronald déclara que le géant pharmaceutique Wyeth-Ayerst, producteur des hormones synthétiques, avait financé aussi bien le livre Féminine pour toujours que la Wilson Research Foundation, ainsi que de nombreux cycles de conférences. En clair : deux générations de femmes s’étaient fait avoir par la stratégie marketing d’un fabricant de médicaments. Sous le couvert de son titre de conférencier médical, Robert A. Wilson a en quelque sorte animé pendant des années des réunions Tupperware pour l’industrie pharmaceutique en racontant aux femmes que, sans prise d’hormones, elles se transformeraient en créatures déficientes et frigides. Évidemment, elles se précipitèrent. Qui ne l’aurait pas fait ?

La fable de la maladie de la ménopause est néanmoins bien plus ancienne que l’hormonothérapie du Dr Wilson. Souvenons-nous : le terme « ménopause », composé des mots grecs men (« mois ») et pausis (« fin »), désigne la fin des menstruations. La menstruation et son arrêt ont intéressé la médecine dès l’Antiquité. Toute une série d’hommes importants n’ont pas manqué d’émettre un avis sur la question :

– Aristote (384-322 av. J.-C.) observa que la fin du cycle féminin survenait vers l’âge de 40 ans ;

– Hippocrate (env. 460-370 av. J.-C.), médecin et professeur grec, s’essaya à une première théorie sur les souffrances physiques de cette phase : les vertiges et sensations de suffocation seraient induits par une errance de l’utérus à l’intérieur du corps pouvant aussi causer maux de tête et hystérie ;

– en 1563, Giovanni Marinello, un médecin vénitien, déclara : « Les femmes qui n’ont plus de menstruations sont toujours souffrantes, surtout dans les parties du corps reliées à l’utérus telles que l’estomac et la tête. » Il nota également des symptômes tels que la toux de sang ou des « saignements de nez abondants » chez des femmes plus jeunes ;

– dès 1655, le médecin Jacobus Primerosius avait supposé que, en s’arrêtant de couler, le sang menstruel pouvait entraîner une multitude de désagréments tels que la mélancolie, la tachycardie, des douleurs abdominales, des maux de tête ou encore de l’épilepsie et des maladies de la rate.

À partir de 1850, dans le sillage du progrès médical dans l’Angleterre victorienne, le médecin Edward Tilt entama un premier travail de recherche sérieux en la matière. Il décrit le cas de Mary, 45 ans, mariée et mère de plusieurs enfants, sujette à des insomnies, des bouffées de chaleur et des humeurs dépressives. Il lui diagnostiqua une « dépression suicidaire » due à la cessation (la ménopause) et lui prescrivit du bicarbonate de soude, de la belladone, de la morphine ainsi que des injections d’acétate de plomb directement dans le vagin.

En 1857, Tilt mena la toute première étude sur la ménopause sur un échantillon de cinq cents femmes. Celle-ci révéla une sensibilité particulière des ovaires précédant le déclin de leurs fonctions spécifiques. Responsable serait la perturbation de l’interaction entre les ovaires et les viscères « qui ont coopéré harmonieusement pendant trente ans… Je ne prétends pas connaître la nature de cette force perturbatrice mais je suppose qu’elle équivaut à celle qui se manifeste au début du fonctionnement des ovaires à la puberté ».

Tilt qualifiait l’hystérie, déjà théorisée par les médecins de la Grèce antique, de « clé » pour comprendre les dysfonctionnements psychiques durant la ménopause : ainsi, un phénomène physique corrélatif au vieillissement fut converti en pathologie.

Les gynécologues de l’époque victorienne croyaient que l’utérus et le cerveau étaient reliés l’un à l’autre. C’est pourquoi ils déconseillaient aux femmes d’étudier et de travailler, le sang, essentiel pour « penser », devant rester dans leur bas-ventre. Prétendument, la fin des menstruations pouvait de ce fait entraîner non seulement des dépressions mais aussi des psychoses et des pensées délirantes. Les femmes atteintes de « symptômes » étaient internées dans des hôpitaux psychiatriques. Le remède : l’ablation des ovaires.

Une nouvelle ère dans l’observation du climatère débuta avec la découverte du système hormonal : chez l’homme, précisons. En 1775, le médecin français Théophile de Bordeu découvrit une « substance spécifique » dans les testicules qui se déplaçait dans le système circulatoire. Il supposait qu’un déficit de cette substance pourrait être compensé par des médicaments dans le futur. Vers la fin du XIXe siècle, on commença à tester des thérapies à base d’extraits d’ovaires, jusqu’à ce que les chercheurs américains Edgar Allen et Edward A. Doisy isolent pour la première fois une hormone ovarienne en 1923. Néanmoins, l’hormonothérapie préventive contre les symptômes ménopausiques ne fut introduite qu’à partir de 1963 par le fameux Dr Robert A. Wilson.

En 1981, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a défini la ménopause comme le moment des dernières menstruations spontanées provoquées par l’ovulation. Cette ménopause naturelle ne peut être diagnostiquée pour de bon qu’un an plus tard, n’étant confirmée qu’après douze mois consécutifs sans règles. En d’autres termes, la ménopause ne représente qu’une seule journée dans la vie d’une femme. Une. Seule. Journée.

La période qui précède et qui suit directement les dernières règles est parfois qualifiée de « phase de transition ménopausique ». Aujourd’hui, on appelle ces années la périménopause. La plupart des troubles surviennent à ce moment-là.

Il a fallu attendre le scandale autour du Dr Robert A. Wilson et de sa thérapie hormonale pour que soient impulsées et financées une vague d’études sérieuses sur la ménopause. Une grande partie des connaissances médicales sur lesquelles nous nous appuyons aujourd’hui en matière de climatère datent donc de ces vingt dernières années à peine. À l’échelle de l’histoire de la médecine ou même de l’histoire de l’humanité, ce pan de la santé féminine en est encore à ses balbutiements. Les troubles des femmes post-ménopausées sont du reste encore moins étudiés que ceux des femmes climatériques. On commence tout juste à interroger le lien entre les hormones sexuelles féminines et la dépression ou l’impact de certaines habitudes alimentaires entre 40 et 50 ans sur le développement de démences séniles ou de maladies d’Alzheimer chez les femmes. Peu importe ce qu’on pense du genre biologique : la médecine devrait, me semble-t-il, apprendre à déchiffrer le corps féminin au moins aussi bien que le corps masculin. Les femmes ont le droit de profiter de la seconde partie de leur vie dans les meilleures conditions de santé possibles.

Une de mes amies s’est baladée pendant un an avec une grosseur longue de quinze centimètres (!) dans le ventre. Plusieurs médecins spécialisés n’ont même pas songé à un problème gynécologique – une année entière ! La mère d’une autre amie a eu deux cancers du sein, au début de la quarantaine et à 70 ans. Après sa première opération, alors qu’elle se souciait de son apparence et de sa cicatrice, le chirurgien l’avait rabrouée : « Soyez déjà contente d’être encore vie ! »

La seconde fois, son médecin n’a même pas compris pourquoi cette dame se renseignait sur la possibilité d’une reconstruction mammaire : « Pourquoi ça vous importe ? À votre âge, plus personne ne vous regarde de toute façon. »

Comme si les femmes post-ménopausées avaient perdu le droit de se sentir féminines : une femme qui ne peut plus procréer semble dégringoler au bas de la liste des priorités médicales.

Aujourd’hui plus que jamais, une santé durable est sans doute le plus grand luxe dont je puisse jouir. Après vingt ans de travail à l’ordinateur en position assise, mon épaule me fait souffrir. Parfois, le matin au réveil, la chambre se met à tourner si vite autour de moi que je n’arrive même pas à me redresser. Peu importe le nombre de mesures préventives entreprises, les premiers signes d’un ralentissement de la régénération cellulaire sont inéluctables. À force d’être mobilisés sans être étirés, les muscles s’atrophient. Des parties du corps qui ont fait leur boulot en silence jusque-là commencent à se manifester, à l’instar des fléchisseurs de la hanche, un ensemble de muscles au niveau du bassin minés par le manque de mouvement durant de nombreuses années. C’est douloureux. Pour les travailleurs et travailleuses de bureau d’âge moyen esquinté·e·s comme moi, les exercices d’étirement et le yoga ne sont plus tant des sports de bien-être que des entraînements de survie.

Le vieillissement est un mécanisme biologique d’autodestruction, une dégénération cellulaire préprogrammée. Le sport, l’alimentation, le sommeil et la relaxation peuvent ralentir le processus. L’espérance de vie augmente partout dans le monde. C’est une des raisons pour lesquelles l’histoire du climatère doit être réécrite : nous n’avons jamais vécu aussi sainement ni aussi longtemps. Actuellement, en Allemagne, les femmes vivent en moyenne 83,4 ans1. En 1990, l’espérance de vie était de 75,2 ans. Au XIXe siècle, au moment des grandes recherches de l’époque moderne sur le climatère, elle était de 38,4 ans à peine. En ce temps-là, une femme décédait peu après la ménopause. Or aujourd’hui, au même âge, elle a encore la moitié de sa vie devant elle.

La lutte contre le vieillissement et la mort fait rage dans le secteur de la tech. Les milliardaires de la Silicon Valley ne veulent plus se résigner à mourir. De premières expériences de cryogénisation sont en cours. Les femmes devraient-elles être congelées avant ou après la ménopause ? Quelles immortelles serions-nous : fertiles ou pas ? Ou cela n’aurait-il aucune importance à l’ère du social freezing ?

Dans ce contexte, les récits qui ont fait de la ménopause un tabou doivent être revus. Il serait surtout grand temps de collecter des données sur les troubles de la ménopause (et non pas sur l’âge auquel les femmes devraient se faire couper les cheveux !) – tant en recherche médicale qu’en médecine appliquée. Actuellement, les gynécologues ne sont pas rémunérés pour des consultations d’information sur la ménopause. L’étude de cette dernière ne fait pas non plus partie du socle de connaissances obligatoires des étudiants de premier cycle en médecine.

Il faudrait parler de testostérone aussi, et de la classification genrée des hormones en général. Après tout, on trouve des œstrogènes et de la testostérone dans les corps féminins et masculins, bien qu’à des niveaux de concentration différents. Ces deux hormones sont d’une importance capitale pour les deux sexes. Sachant désormais que les variations hormonales qui me font suer la nuit renforcent aussi ma détermination, le climatère n’est plus seulement un poids mais aussi une chance à mes yeux. La stigmatisation du vieillissement dans les sociétés occidentales est déjà bien assez dure comme ça. Une femme qui vieillit n’est ni malade ni folle. Ce n’est pas aux femmes de changer, mais plutôt au monde qui les entoure.

Petit intermède.
Un florilège d’insultes

Voici une liste de sobriquets donnés aux femmes en colère au cours de l’histoire. Durant des siècles, ces termes ont non seulement servi à dénigrer les femmes âgées, mais aussi à les isoler. Désormais, l’une ou l’autre injure me semble au contraire contenir une promesse de liberté.

 

Dragon (animal fantastique et monstrueux) : femme d’humeur vindicative.

Furie (Érinye, divinité persécutrice) : déesse grecque de la vengeance, femme qui laisse libre cours à sa colère.

Gaupe : femme malpropre, dépravée.

Harpie (monstre fabuleux à tête de femme, à corps d’oiseau et à griffes acérées) : femme hargneuse.

Matrone (lat. : matrone, épouse d’un citoyen romain) : femme d’âge mûr, opulente, épaisse.

Pie-grièche (un genre de passereau au bec crochu qui pousse des cris aigus) : femme criarde et querelleuse.

Sorcière : femme vieille et laide, capable d’opérer des maléfices.

Vieille bique (chèvre ; rosse, mauvais cheval) : vieille femme méchante.

Vieille chouette (oiseau rapace, généralement nocturne) : vieille femme, ennuyeuse et déplaisante.

Vieille mégère : femme acariâtre.

Vieille peau : femme d’un certain âge, de préférence non mariée.

Vieille toquée : vieille folle.

Vieille toupie (jouet de forme conique qu’on fait tourner) : femme âgée ridicule ou désagréable.

Virago : femme grossière, virile, aux manières rudes.

Seconde partie

Un nouveau départ

Mon âme a le vent en poupe : le climatère, une coming-of-middle-age story ou l’histoire d’une renaissance

9. Intranquillité.
Les femmes asiatiques vieillissent elles aussi : clichés, mèmes et données factuelles

« Ma parole, tu en as de la chance, toi, avec tes gènes », s’exclame une collègue, admirative. « Vous les Asiatiques, vous ne vieillissez donc pas ! »

Je souris.

J’aurais pu lui dire que je n’ai pas mangé de sucre depuis trois mois, que je ne grignote jamais avant midi et rarement après 20 heures, que je bois des litres et des litres d’eau et de tisane, que je m’efforce cahin-caha de faire du Pilates devant mon écran, que je prends les escaliers même pour monter au cinquième étage et que ma salle de bains ressemble au rayon « hygiène et beauté » d’une parfumerie Douglas. Mais je n’en fais rien. Je ne lui rappelle pas non plus qu’il y a évidemment aussi beaucoup de personnes en surpoids en Asie, surtout depuis que la nourriture et le mode de vie de type occidental y ont été introduits. Au lieu de cela, je réponds : « C’est vrai. J’ai vraiment de la chance », tout en continuant à sourire, comme si j’étais un peu dérangée.

L’Asie et son visage éternellement souriant, un cliché encore plus joli que celui des Asiatiques éternellement minces. Je me surprends à penser : si seulement c’était vrai. Si seulement je pouvais, génétiquement parlant, rester svelte et jeune pour toujours. Manque de bol, les femmes d’origine asiatique dont le taux d’œstrogènes baisse ont également tendance à engraisser ; les cheveux asiatiques grisonnent eux aussi ; notre peau elle aussi est moins bien irriguée, ce qui la rend moins lisse et moins pulpeuse. Le processus de vieillissement est aussi impitoyable pour nous que pour les personnes de type caucasien. À la rigueur, il nous touche un peu plus tard, selon la prédisposition génétique et le style de vie individuels. Mais je répète : les Asiatiques n’ont pas la clé de l’éternelle jeunesse. Malheureusement, ma collègue est loin d’être la seule à penser que les femmes asiatiques vieillissent différemment, pas du tout ou alors en une fois, du jour au lendemain.

Il y a un mème vraiment mesquin qui circule sur Internet : des vignettes montrent une femme asiatique dans sa vingtaine, sa trentaine et sa quarantaine qui – abstraction faite de sa coiffure, cheveux longs détachés ou relevés – ne change pas d’apparence dans ses vêtements moulants. Invariablement mince, toujours juvénile, une expression de soumission et d’amabilité sur le visage. La dernière vignette représente cette même femme « ménopausée » sous les traits d’une petite vieille bouffie et permanentée, engoncée dans un jogging rouge. Au moins, sa mine exprime désormais autre chose : Je me fiche royalement de tout !

À en croire ce mème, les femmes asiatiques seraient de jolies poupées à la taille de guêpe jusqu’à la ménopause. Même une grossesse ne parvient pas à gâter leur silhouette de jeune fille. Avec la ménopause et après celle-ci, les Barbies fées du logis d’Extrême-Orient se transforment en mamies-crapauds énormes et sacrément revêches.

Depuis quelques mois, je guette des femmes asiatiques de plus de 50 ans partout, dans la rue, les films, les séries et les livres. De quoi ont-elles l’air ? Comment se comportent-elles ? Comment s’habillent-elles ? Des copines me parlent de leurs mères et grands-mères vieillissantes, me confiant qu’elles leur ressemblent de plus en plus avec l’âge (ou au contraire de moins en moins). Malheureusement, ma mère et ma grand-mère n’ont pas pu me montrer comment la femme asiatique que je suis pourrait vieillir. Je n’ai pas d’image en tête.

« Mais ça ne change rien », s’exclame une copine, effarée. Si, ça change.

Mon extériorité et mon intériorité n’ayant jamais formé d’unité chez moi qui suis asiatique au-dehors et allemande au-dedans, cela m’avantage-t-il en vieillissant ? Pourquoi l’effet que je produis sur les autres m’importe-t-il autant ? Peut-être parce que j’ai une idée fixe : s’il m’est impossible de correspondre à l’idéal de beauté occidental, je peux au moins correspondre à l’asiatique. Être mince, mignonne et jeune. Tant que je ressemblerai à ça, j’aurai une chance d’être acceptée dans ce pays. Comment serais-je perçue si j’étais une Asiatique corpulente d’âge moyen ? On dirait une blague : une grosse Asiatique avec des appareils auditifs, des lunettes et un masque FFP2 va voir sa gynéco. Elle lui dit : « Docteur, j’ai toujours trop chaud… »

N’importe quoi. Mon anatomie, qu’elle soit replète ou menue, ne diffère pas de celle des femmes nées ici de parents allemands. Dans le monde entier, les femmes passent par la ménopause. Dans des pays où l’accès aux soins est plus compliqué, les patientes n’ont du reste même pas l’opportunité de ne pas être prises au sérieux par leurs médecins : elles n’ont tout simplement pas la possibilité de se faire aider médicalement.

Dans son livre Encounters with Aging (« À la rencontre de différentes manières de vieillir »), l’anthropologue Margaret Lock traite de la Kônenki, la ménopause au Japon, en partant du postulat que le discours sur le « retour d’âge » a deux versants : biologique et culturel. Elle cite un médecin interniste de Kyoto qui déclarait en 1983 : « La Kônenki (ménopause) est plus éprouvante de nos jours, les Japonais n’étant pas habitués au modèle de la famille nucléaire. Tant qu’elles vivaient dans des familles élargies, les femmes n’avaient pas de problèmes à ce stade de l’évolution de leur cycle. » En substance, Lock explique que, au Japon, les femmes ont moins de mal à supporter la Kônenki, elles ont moins de symptômes et sont moins sujettes au cancer du sein en post-ménopause. D’une part, cela serait dû au statut des personnes âgées au Japon, l’âge y étant gage de sagesse. D’autre part, ce serait lié à l’alimentation, la consommation de produits à base de soja venant possiblement compenser la chute du taux d’œstrogènes. Concernant les recherches sur le climatère, Margaret Lock plaide pour des biologies locales qui prennent en compte « les différentes conditions de vie sociales et matérielles des femmes d’une société à l’autre ».

Une étude de l’hôpital universitaire de La Charité de Berlin datant de 2006 s’est justement attelée à la question de savoir si des femmes issues de contextes migratoires divers expérimentaient le climatère différemment les unes des autres : il s’agissait d’examiner « l’influence de la migration et de la culture sur le vécu de la ménopause de femmes entre 45 et 60 ans, d’origine allemande et immigrée, de Turquie et de pays asiatiques ».

D’après l’enquête, les symptômes majeurs de la Menopause Rating Scale (l’échelle MRS) – irritabilité, bouffées de chaleur, troubles du sommeil et épuisement – comptaient parmi les plus fréquents. Autre point notable : « À la différence des femmes allemandes et asiatiques, les femmes d’origine turque ont fait état de désagréments importants nettement plus souvent. » Serait-ce donc vrai ? Les femmes asiatiques vieillissent-elles réellement « mieux » ? Est-ce aussi mon cas ?

Durant la crise de la Covid-19, le racisme en médecine et dans les soins de santé a eu pour la première fois un grand retentissement. Selon le Centre américain pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), les personnes d’origine latino- et afro-américaine contractent plus souvent des formes graves de Covid-19 que leurs concitoyens et concitoyennes. Pour le climatère, les faits sont similaires : alors même qu’elles tendent à souffrir plus fréquemment et plus tôt de troubles périménopausiques, l’accès aux soins est plus difficile pour les femmes afro-américaines que pour les Blanches et les Asiatiques.

Ces différences s’expliqueraient par leur niveau socioéconomique d’une part et leur niveau de stress d’autre part, un état de nervosité permanent favorisant l’apparition de symptômes.

Anja Scherret a peut-être raison : « Relax, Max » est probablement la meilleure des attitudes – pour autant qu’on puisse se le permettre. Statistiquement, les femmes afro- et latino-américaines vivent souvent dans des conditions précaires – les bains de forêt ne sont donc pas vraiment compris dans leur budget.

Je prends rendez-vous avec la Prof. Dr Theda Borde, une des autrices de l’enquête de La Charité. À l’origine, Borde a fait des études de politologie. La migration a toujours été un de ses sujets de recherche favoris. Son mémoire de fin d’études portait déjà sur les changements et l’évolution des valeurs induits par la migration en Allemagne. Une fois diplômée, Theda Borde a travaillé dans différents centres d’accueil pour femmes immigrées, ce qui lui a permis d’apprendre le turc : « À l’époque, nous recevions beaucoup de travailleuses d’âge moyen de chez Siemens ou Osram. Pour leur tranche d’âge, leur état de santé était plus mauvais que la normale. Je les informais et les accompagnais à leurs rendez-vous médicaux. »

Après des études de troisième cycle en santé publique, Borde commença sa collaboration avec le Prof. Dr Matthias David, chef de service à la clinique gynécologique de La Charité-Virchow. Tous deux ont mené l’enquête évoquée ci-dessus en commun. Borde explique : « Des études internationales et transculturelles montrent que le vécu de la ménopause est influencé non seulement par des facteurs biologiques, sociodémographiques et psychosociaux, mais aussi par l’origine ethnique des femmes et le contexte socioculturel. »

En d’autres termes : le budget de mon ménage, ma santé psychique et ma culture influent sur la façon dont je vais percevoir mes nuits d’insomnie. Si ma mère, ma gynécologue, mes amies et ma supérieure m’aident à comprendre le climatère, je vais réagir et pouvoir gérer ces troubles autrement que des personnes qui n’ont ni mère ni gynéco, peu d’amies et pas de travail.

Aujourd’hui, Theda Borde est professeure de médecine sociale à la Haute École de pédagogie sociale Alice Salomon à Berlin où elle forme des travailleurs et travailleuses et des éducateurs et éducatrices sociaux.

Je suis curieuse de savoir comment l’étude a été réalisée.

« Les femmes d’origine immigrée représentant une grande partie des femmes d’âge moyen en Allemagne, nous avons entre autres cherché à savoir si les troubles ménopausiques étaient universels ou si la migration et l’ethnicité avaient un impact sur le vécu de la ménopause », me dit Borde.

« Existait-il déjà des publications sur la question ?

— Relativement peu. Quelques travaux selon lesquels la ménopause serait différente et moins pénible chez les femmes asiatiques. Supposément parce qu’elles consomment davantage de produits à base de soja, qui a un effet œstrogénique. Notre échantillonnage ne nous a pas permis de le confirmer. C’est pourquoi nous avons choisi d’inclure dans notre étude non seulement des immigrées de Turquie mais aussi de pays d’Asie. Nous avons même coopéré avec un partenaire chinois qui a utilisé notre questionnaire.

— Comment avez-vous procédé ?

— Nous avons établi une comparaison entre des femmes allemandes de 45 à 60 ans vivant à Berlin et des femmes immigrées originaires de Turquie ainsi que du Japon, de Chine et de Corée.

— Qu’avez-vous découvert ?

— Les femmes allemandes de classe moyenne étaient bien informées et connaissaient les risques des traitements hormonaux de substitution. Tous types de troubles confondus, les immigrées turques atteignaient des valeurs nettement plus élevées sur l’échelle MRS que les femmes allemandes et asiatiques. Notons que ces valeurs étaient également très élevées chez des habitantes d’Istanbul.

— Ce genre d’études se fonde sur des questionnaires. Quel crédit accorder à cette méthode ?

— Les questionnaires n’ont pas été notre seul outil. Nous avons aussi mené des entretiens avec cent vingt femmes, qui nous ont permis de constater que, en réalité, elles souffraient souvent de problèmes autres, interprétés ensuite comme des troubles climatériques.

— De quel genre de problèmes s’agissait-il ?

— De situations sociales difficiles, de solitude, on connaît par exemple le “syndrome du nid vide” qui survient quand les enfants quittent le foyer parental. Pour les femmes immigrées de la première génération des Gastarbeiterinnen (« ouvrières invitées1 ») notamment, la vie n’a souvent pas été celle qu’elles s’imaginaient.

— Confondre par exemple états dépressifs et troubles de la ménopause, pour les traiter ensuite avec des hormones synthétiques, n’est-ce pas de la négligence de la part des médecins ?

— Pour en juger, il faut jeter un œil à la manière dont les gynécologues soignent et conseillent leurs patientes. Chacune n’a droit qu’à quelques minutes, les consultations et les traitements de la ménopause ne peuvent pas être facturés cher. Quand à cela s’ajoute un allemand approximatif de la part de la patiente, la réponse toute trouvée est souvent un médicament. »

Borde poursuit en disant que la prescription d’hormones synthétiques sert d’une part à montrer aux patientes qu’on prend leurs incommodités au sérieux, mais aussi à les faire taire. La chercheuse prétend en revanche avoir eu des échanges approfondis avec les participantes à son étude. « Singulièrement, les femmes turques et kurdes ont parlé très ouvertement », se souvient-elle. « Nous leur avons posé des questions sur la sexualité, or il s’est avéré que, avec le climatère, beaucoup ont cessé de se sentir femmes. »

D’après Theda Borde, les femmes climatériques peinent souvent à se reconnaître. Elles ne savent plus qui elles sont : « Beaucoup d’entre elles ont élevé un grand nombre d’enfants et se sont fortement identifiées à ce rôle de mère. Certaines étaient dépendantes de leurs fils et de leurs maris. Nous avons aussi posé d’autres questions personnelles. Par exemple : comment avez-vous vécu la ménopause de votre mère ?

— Ma mère adoptive étant décédée et ma mère biologique introuvable, je ne pourrais pas répondre à cette question », dis-je. « Mais qu’avez-vous découvert ?

— Beaucoup de femmes n’étaient pas avec leurs mères à ce moment-là, mais en Allemagne. À l’époque, les moyens de communication actuels n’existaient pas. Ces femmes voyaient leur mère peut-être une fois par an. Elles ne pouvaient pas comme aujourd’hui se raconter journellement je ne sais quels maux du quotidien sur WhatsApp. Là aussi, la migration a joué un rôle important.

— Si je puis me permettre, votre mère vous a-t-elle parlé de la ménopause ?

— Pas du tout. Le sujet était extrêmement tabou. Pendant l’étude, j’ai moi-même été confrontée à la ménopause. Elle m’a rattrapée en chemin. Au début du projet, je n’y étais pas encore.

— Votre propre climatère a-t-il eu un impact sur votre travail ?

— En fait, je n’avais pas de symptômes, mais, à force de lire les interviews et les récits de ces femmes, j’ai soudain eu des problèmes moi aussi. Un phénomène très intéressant ! On peut aussi se conditionner à éprouver des troubles.

— Quels étaient les vôtres ?

— J’étais très occupée, or les femmes actives seraient moins affectées. Je ne me suis pas rendu compte de grand-chose. Des sueurs nocturnes et des picotements sous les pieds parfois. C’est n’est qu’en réaction aux témoignages que j’ai pensé : les picotements viennent de là. »

Theda Borde rit et moi aussi. Je n’ai pas encore eu de picotements aux pieds. Ça me fait penser à la mamie-crapaud du mème.

« Pourriez-vous m’en dire plus sur les femmes asiatiques ? En ce moment, j’essaie de savoir comment les Coréennes vivent le climatère.

— Les femmes asiatiques avaient des valeurs très faibles sur l’échelle MRS. Si les femmes allemandes se plaignaient, les Asiatiques le faisaient beaucoup moins. En entretien, nous avons découvert une chose fort intéressante : chez les femmes asiatiques, le sujet est très tabou. Condamnées au silence, elles se sentent moins femmes et vivent l’infécondité comme une tare. »

La honte entourant la fin de la fertilité en Asie semble donc être la raison pour laquelle nous, les Asiatiques, vieillissons prétendument « mieux ». À ce propos, Theda Borde précise : « Un entretien avec une Chinoise m’a révélé la chose suivante : bien sûr qu’elle souffre elle aussi, mais elle n’en parle pas. Si on veut informer les femmes plus efficacement, il faut d’abord lever ces tabous. »

Aujourd’hui, la scientifique observe l’émergence d’un nouveau type de femmes ménopausées, plus averties et plus attentives à leur corps :

« D’autres questions surgissent : quelle importance accorder au corps, combien de temps lui consacrer ? Dans quelle mesure dois-je l’écouter et lui prêter attention ? Mon corps doit-il fonctionner et suivre le rythme pour que je puisse faire mon boulot ? Il est important de parler de ces sujets. Une femme dans le panel a eu une jolie formule pour qualifier la fin de la fertilité féminine : “Le volcan s’est éteint.” Cela signale un retour au calme. On peut y voir quelque chose de très positif. »

Encore aujourd’hui, l’étude de Matthias David et Theda Borde est citée dans tous les travaux de recherche traitant de femmes, d’ethnicité et de ménopause. La prise en compte des influences culturelles et la garantie de l’équité des soins sont à mon avis essentielles. Dans diverses cultures, les femmes semblent traverser une crise identitaire pendant et après la ménopause. Manifestement, les structures sociales du patriarcat ont fait de la ménopause un sujet tabou dans d’autres parties du monde également. D’après les résultats des recherches de Theda Borde, le dialogue et la démystification se révèlent une fois de plus salvateurs. Je dirais pour ma part que mon volcan fume encore.

10. Rides et boutons.
La beauté naturelle est intérieure : rougeurs au visage, chirurgie plastique et la fiancée de Frankenstein

Rosacée. Jamais entendu parler. Inconnue au bataillon. Jusqu’à ce que mon visage s’empourpre. Littéralement.

À la fin de l’hiver, ma peau est tellement sèche que de petites plaques d’eczéma se forment sur ma joue droite. Cela m’arrive depuis quelques années. Mais, en plus de quarante ans, je n’avais jamais eu à endurer pustules, papules ou fortes rougeurs. Je dois avouer que j’ai plutôt été gâtée avec ma peau. Toujours immaculée, pas de boutons, rien. Par bonheur, je n’ai pas beaucoup de rides non plus, une chance que j’apprécie à sa juste valeur depuis peu. Car mon corps semble m’avoir réservé quelque chose de très spécial pour l’âge mûr : une rosacée, cette inflammation chronique et non contagieuse de la peau du visage.

Soudain, j’ai l’air d’être en pleine puberté. Je bourgeonne non seulement sur les joues mais aussi sur le menton, le nez et la conjonctive, rouges et beige purulent.

Bien que j’aie du mal avec mes bourrelets et mes cheveux cassants, j’encaisse plutôt bien, mais des pustules à 45 ans ? Faut quand même pas exagérer. Un dermatologue confirme : il s’agit de rosacée, pas d’acné, mais lui aussi ignore ce qui provoque ce type de poussées subites.

« Cela peut-il venir de changements hormonaux ?

— Hum, pas que je sache », me répond-il. « Je ne crois pas. »

Il me prescrit trois antibiotiques différents, deux à ingérer et une crème. Le traitement dure trois mois. Au bout de trois semaines, la rosacée semble ne plus se propager, au bout de six semaines, ça s’arrange et, au bout de trois mois, ma peau paraît à nouveau saine.

L’hiver d’après, mon visage se remet à rougir. Grrr. Pustules et furoncles, le retour. Je recommence à me renseigner et découvre que les facteurs suivants peuvent déclencher une crise :

– les rayons UV ;

– l’alcool ;

– le froid et la chaleur ;

– les plats pimentés ;

– des produits de beauté et de soin de la peau inadaptés ;

– le stress, l’agitation et des situations particulièrement émotionnelles ;

– le sport et l’effort physique ;

– les acariens Demodex.

Certains éléments reviennent : l’alcool et le stress semblent vraiment mettre le corps à rude épreuve. De désespoir, je cherche « opérations » et « rosacée » sur Google – si les rides peuvent être gommées, les pustules sans doute aussi… et c’est possible, en effet. Avec un laser CO2. Mais dans des cas plus graves que le mien. D’ailleurs, il faut se payer le traitement soi-même1. Je lis qu’on peut également lutter contre les problèmes de peau en agissant sur son alimentation. Je décide donc d’essayer un régime anti-inflammatoire. Fini le sucre industriel, le lactose, la viande rouge et le pain. Je les remplace par davantage de fruits, de légumes, de poisson, d’huile d’olive et de légumineuses. À l’arrivée de l’été, je me nourris des jours durant exclusivement de gaspacho. J’ai l’impression d’engloutir un litre d’huile d’olive par semaine. Peut-être devrais-je préciser une chose : au début, quand j’ai renoncé radicalement au sucre, j’étais totalement désespérée. Finalement, après quelques jours d’adaptation, ça n’a plus été si difficile, surtout parce que le changement d’alimentation a eu un effet immédiat, du moins chez moi : cette maudite rosacée s’est estompée avant de disparaître tout à fait.

Après des années de travail pour un magazine féminin, je constate donc moi aussi que le sucre ne me fait pas de bien (sans blague). À vrai dire, je me suis toujours demandé dans quelle mesure les mises en garde contre le sucre, certes justifiées, faisaient également office de moyen de pression vis-à-vis des femmes. D’un côté, les femmes sont volontiers représentées tout sourire, des pâtisseries à la main, et, d’un autre, ces mêmes pâtisseries sont qualifiées de poison – une injonction paradoxale de toute beauté, source d’autoflagellation et d’insurmontables contradictions.

L’appréciation de la nourriture est, elle aussi, une question de récit : Bridget Jones, sainte patronne de toutes les femmes imparfaites, mange du chocolat au petit-déjeuner. Car le sucre console. Qui donc irait s’en priver ?

Moi, par exemple. Après trois semaines sans sucres artificiels, je me sens nettement mieux. Mon visage n’a plus aucune rougeur. Et ce n’est pas tout : mes sautes d’humeur se dissipent, je suis moins tendue, je perds du poids. En été, les dernières impuretés sur mon menton disparaissent, quelques boutons poussent ici et là sur mon nez mais se résorbent dans la nuit.

Une de mes connaissances me recommande la thérapie par cellules souches autologues, soit un traitement à base de plasma riche en plaquettes (PRP) qui consiste à extraire du plasma de mon propre sang pour me le réinjecter ensuite dans la peau. C’est censé stimuler le processus d’autoguérison du corps, autrement dit le renouvellement des cellules. Je préfère en rester à mon alimentation majoritairement végétarienne et pauvre en sucres.

Pour « repousser » le vieillissement de la peau de quelques années, une autre de mes copines s’essaye au botox. Socialement, la chirurgie esthétique fait toujours figure d’éléphant dans la pièce : beaucoup de personnes de plus de 50 ans y pensent, mais rares sont celles et ceux qui acceptent d’en parler ouvertement. Pour certains et certaines, il s’agit d’empowerment (« Tu te sens tellement mieux après ! »), mais, pour la plupart, ces interventions – botox, liftings au fil, rhinoplasties, liposuccions, lissages – s’apparentent à de l’auto-optimisation délirante. Dans nos contrées, les personnes aux visages visiblement modifiés – femmes ou hommes – suscitent des hochements de tête perplexes. Cette réaction semble venir du moins en partie d’une conception culturelle : pour ma génération, la beauté pure et naturelle reste la valeur suprême. Rien qu’un rouge à lèvres un peu trop prononcé sera jugé artificiel, sans parler d’une couche épaisse et bien visible de fond de teint ou – pour l’amour du Ciel ! – de faux cils. Trop d’« artifices », ça fait vite vulgaire.

Or la beauté peut également être définie tout autrement, la preuve en est mon pays de naissance : la Corée du Sud est la Mecque des opérations de chirurgie esthétique et Séoul, la capitale des gens si invariablement beaux que c’en est presque bizarre. Là-bas, quiconque veut réussir se doit d’être séduisant. Nulle part ailleurs le nombre d’interventions de chirurgie plastique par tête ne dépasse celui de Séoul. Dans le quartier huppé de Gangnam où se trouve la majorité des cliniques, les gens avec des bandages sur le visage sont monnaie courante – si scrupules il y a, ceux-ci ne sont pas d’ordre moral mais purement financier. Cela met bien sûr ceux qui « ne se font rien faire » d’autant plus sous pression. Quand j’y suis, on me conseille par exemple vivement de me faire blanchir la peau, la mienne étant vraiment trop brune. Croire que l’obsession de la beauté serait propre à l’Occident, c’est à l’évidence n’avoir jamais mis les pieds en Corée du Sud. Eh oui : l’obligation impérieuse d’avoir l’air jeune et parfait vaut aussi bien pour les femmes que pour les hommes.

Selon un proverbe coréen, « un joli gâteau de riz est plus agréable à déguster ». Traditionnellement, dans les cultures d’Asie de l’Est, l’esthétique joue un rôle primordial. Tant qu’il s’agit de design, nous n’avons rien à y redire, mais quand il s’agit d’atteindre un idéal de beauté à coups de scalpel, nous sommes moins enthousiastes. En Allemagne, la fonctionnalité l’emporte sur le style ; en Asie de l’Est, la forme est aussi importante que la fonction. D’un autre côté, l’âge y demeure synonyme d’expérience et de sagesse. Comment est-ce compatible ?

Ça l’est, qu’on le croie ou non. Sur YouTube par exemple. L’actrice de 76 ans Youn Yuh-jung, lauréate de l’Oscar du meilleur second rôle pour son interprétation dans le film américain Minari en 2021, est désormais porte-parole de la plus grande brasserie de Corée du Sud. « Le monde est certainement devenu bien meilleur si une femme comme moi peut participer à une campagne de publicité pour de la bière », a-t-elle argué.

Citons aussi la « Milanonna », Jang Myung-sook de son vrai nom, blogueuse de 68 ans et première Coréenne à avoir fait des études de mode à Milan au début des années 1970, qui partage son quotidien, son régime alimentaire et sa routine sport en ligne, tout en commentant les tendances mode. Elle a plus de 900 000 abonné·e·s sur YouTube, plus de 3 millions de spectateurs et spectatrices ont suivi son voyage à Séoul avec son fils et près de 5 millions l’ont regardée choisir une tenue pour une jeune femme désargentée chez Zara, qui aurait pu passer pour un ensemble d’une marque de luxe italienne.

Avec ses plus de 1,2 million d’abonné·e·s, Park Makrye, dite « Korea Grandma » (« Mamie Corée »), est quasiment une popstar. Dans son minuscule appartement, elle cuisine pour sa petite-fille, regarde des séries coréennes et mange des nouilles avec les doigts. Apparemment, les jeunes Coréens et Coréennes aiment chercher conseil auprès de femmes d’un certain âge.

L’actrice américano-asiatique Nora Lum, plus connue sous le pseudonyme Awkwafina, est née en 1988 et considère sa grand-mère comme sa meilleure amie. Pour elle, c’est un modèle, ce que je comprends tout à fait : plus les femmes qui vieillissent « avec dignité » (et de quelque manière que ce soit) seront visibles, plus le rapport à notre propre vieillissement pourra se normaliser. Ce processus sera probablement aussi individuel que le climatère lui-même. Bien perspicace celui ou celle qui peut prédire ses besoins dans dix à quinze ans…

Durant notre entrevue, l’écrivaine Mirna Funk avait déclaré :

« Je ne ressemblerai en rien à une sexagénaire classique. J’aurai l’air d’avoir 45 ans parce que je serai liftée. Depuis cinq ans, je fais des soins anti-âge : j’ai des fils tenseurs, je fais des injections anti-rides et du botox. Le point positif, c’est que plus on commence tôt, moins on a à faire par la suite. Je n’ai pas l’air “refaite”, mais mon visage est remodelé. Et je vais continuer comme ça.

— Hum, le recours à la chirurgie plastique pour masquer son âge reste un sujet épineux. Les femmes mûres ne sont plus considérées comme attirantes. Mais la stratégie de défense consistant à passer sous le bistouri est vite jugée pathétique.

— Je ne vois pas le problème : pourquoi devrais-je faire mon âge ? Je roule bien en voiture et pas en trottinette. Pour moi, tout cela est une question d’évolution. Nous sommes des créatures déficientes. L’être humain en tant que tel ne fonctionne que parce qu’il est innovant : nous avons inventé le feu, des appareils techniques, nous mettons des vêtements. Tout ça, c’est de l’optimisation. Je veux pouvoir profiter de toute forme d’amélioration. Why not ? (« Pourquoi pas ? ») Si nous n’avions pas agi ainsi, nous n’aurions toujours pas de logiciel Zoom.

— Est-ce que tu trouves les personnes peu technophiles rétrogrades ?

— Non. Si ça leur chante, les gens peuvent avoir un téléphone à clapet, c’est à chacun de voir. Si une femme ne veut rien se faire faire, ce n’est pas grave non plus, mais pour moi, ce serait vraiment comme si quelqu’un me proposait une nouveauté et que je disais : non merci, sans façon. Je trouve ça OK, mais ce n’est pas mon genre. Je suis plutôt du style : c’est quoi cette invention de dingue ?! »

À Séoul, la chirurgie esthétique est probablement abordée avec le même pragmatisme. Après tout, la question est légitime : pourquoi le remodelage intégral du corps est-il si controversé ici ? Ou, pire encore, pourquoi trouve-t-on ça choquant ? La commercialisation du corps a bien sûr quelque chose de dérangeant. Malgré des prix en baisse, la chirurgie esthétique reste par ailleurs le privilège de personnes aisées. L’innovation dont rêve Mirna prolongera sans doute d’abord la vie de ceux qui sont déjà avantagés.

Avec une moyenne d’âge de 86 ans, les femmes coréennes ont aujourd’hui l’espérance de vie la plus longue au monde. Dans la décennie qui m’a vu naître, elle était de 61 ans, soit vingt-cinq ans de moins. Dans les années 1970, la Corée du Sud était encore un pays dit en voie de développement. L’espérance de vie a évidemment augmenté avec l’amélioration du niveau de vie. La raison pour laquelle mes géniteurs n’ont pas voulu me garder était sans doute d’ordre purement économique – les familles étaient grandes et n’avaient en règle générale même pas les moyens de nourrir leurs enfants, alors de là à se faire débrider les yeux ou raboter le nez…

Peut-être avons-nous aussi hérité d’une certaine peur à l’idée de toucher à la création de Dieu. De ce point de vue, on pourrait considérer la chirurgie plastique comme une forme radicale d’autodétermination réservée aux riches. Refaçonner son corps à sa guise est sans doute le summum de l’individualisation. Seulement : qui ou quoi décide de ce qui doit être refait ? Est-on vraiment seul·e à décider ? En outre : ne s’agit-il vraiment jamais que d’« apparence » ou le but n’est-il pas toujours aussi, au fond, de s’aimer davantage ?

Moi-même, je ne sais pas encore si je me ferais faire quelque chose et, si oui, quoi. En tout cas, à ce stade, exclure d’emblée toutes les procédures possibles me semblerait naïf, tout comme il serait naïf de croire que ma peau restera à jamais facile à entretenir.

Il est certain qu’il n’y aura jamais un moment dans ma vie où je serai satisfaite de mon apparence une bonne fois pour toutes. L’image qu’on a de soi-même est perméable et fluctuante, elle change en fonction des modes, des circonstances personnelles ou encore de variations hormonales. Dans l’idéal, j’aimerais que toute forme de body shaming (« dénigrement du corps ») s’arrête, que ce soit vis-à-vis de personnes de genre féminin, masculin ou non binaire. Par exemple, je ne devrais pas avoir l’impression d’être une « mauvaise féministe » parce que je n’arrive pas à accepter mes problèmes de peau et ma prise de poids. Je veux apprendre à moins me laisser déstabiliser par les contradictions autour du corps féminin. Il n’y a assurément pas une seule manière d’y parvenir, mais différentes voies à définir individuellement. Je me sens mieux quand ma peau n’est pas atteinte de rosacée. Si cela implique de renoncer régulièrement aux gâteaux et au chocolat, j’en prends mon parti. Ce sera ma décision à moi.

11. Coups de fringale.
Comment se réconforter soi-même : mécanisme de compensation, privation de sucre et start-ups sur la ménopause

« En Allemagne, entre 20 et 60 ans, une femme prend en moyenne 12 kilos », déclare l’écotrophologue Susanne Liedtke, fondatrice d’une start-up sur la ménopause appelée NOBODYTOLDME (« Personne ne m’a rien dit »). Eh oui, tout existe – et cette Hambourgeoise n’est pas la seule entrepreneuse dans ce domaine.

Sous le nom « XbyX », les Berlinoises Monique Leonhardt, 29 ans, et Peggy Reichelt, 45 ans, vendent des compléments alimentaires – des protéines, du magnésium et des vitamines – destinés aux femmes climatériques. Aux États-Unis, des plateformes telles que « Ritual » engrangent beaucoup de succès avec des concepts similaires. Heureusement, de plus en plus de créatrices d’entreprise se rendent compte que, en matière de climatère, le besoin d’informations est patent : « XbyX » a fait un sondage sur un échantillon de mille femmes entre 40 et 55 ans et, voyez-vous ça, 88 % n’ont encore jamais entendu le mot « périménopause », 85 % citent au moins trois types de troubles et 79 % ne savent pas comment y remédier.

La sensibilisation sur le sujet est le cœur de métier de Susanne Liedtke. Elle veut éclairer, aider les femmes intéressées à modifier leur régime alimentaire et à tendre vers un mode de vie plus respectueux de leurs besoins. Pour ce faire, Susanne, 51 ans, publie une fois par semaine une newsletter très détaillée avec des références d’ouvrages, de films et d’études sur le climatère ainsi qu’un cours en ligne, appelé « Body reset » (« Réinitialisation du corps »). Le développement de compléments alimentaires, voire de tests urinaires de détection (« Suis-je entrée dans le climatère ? ») est également prévu à long terme. Mais le cours reste la pièce maîtresse et le produit phare de la start-up. Dans des séances de formation sur Zoom étalées sur vingt et un jours, l’écotrophologue aide les participantes à éliminer progressivement, par paliers de trois jours, les aliments nuisibles de leurs assiettes. Le cours de « body reset » va plus loin que la méthode stéréotypée à la Weight Watchers, Susanne Liedtke transmettant à ses clientes des connaissances vastes et fondées :

« Pas à pas, les femmes suppriment des aliments dont on sait qu’ils peuvent avoir un effet négatif sur la santé, en particulier sur l’équilibre hormonal.

— Qu’apprend-on exactement ?

— La formation encourage les femmes à agir contre leurs troubles : elles ne sont pas condamnées à subir les fluctuations hormonales. Je fais même un peu de biologie et n’hésite pas à dire d’entrée de jeu aux participantes qu’elles doivent s’y mettre à fond, ce qui est un sacré défi, le soir à 20 heures, après une longue journée de boulot. Mais, au final, elles absorbent les informations comme des éponges, ne les ayant trouvées nulle part ailleurs de façon aussi compacte. Il y a des vraies prises de conscience.

— De quel type ?

— Globalement, la médecine n’accorde pas assez d’attention à l’influence de l’alimentation sur l’organisme. À moins qu’ils décident de se spécialiser en la matière, les médecins ne sont pas formés en diététique, de plus, ils ne sont pas payés pour donner ce genre de consultations. »

L’ambition de Susanne est que, au-delà de leur participation au cours, les femmes comprennent réellement ce qui se passe dans leur corps quand des aliments sont ingérés et métabolisés. Elle leur conseille de ce fait de mesurer le pH de leur urine et leur taux de glycémie pour observer quasiment en temps réel l’effet de certains aliments tels que le café ou les produits céréaliers sur leur corps, qui font monter d’un coup le taux de sucre dans le sang. Susanne Liedtke est écotrophologue, se qualifie elle-même de « nerd » en matière de nutrition et sait tellement de choses sur le métabolisme humain qu’une seule conversation ne peut suffire à couvrir l’étendue de ses connaissances.

Je lui rends visite à Hambourg et me retrouve face à une femme de grande taille, extrêmement séduisante, vêtue d’un tailleur-pantalon de couleur rose. Pour l’interview, elle nous sert des granités (sorbets siciliens) sans sucre à la rhubarbe et de la crème glacée végane à la banane avec des cerneaux de noix grillés, le tout fait maison. Quand je lis des articles ou des études sur l’importance cruciale d’une alimentation saine, surtout pour des femmes de mon âge, je me demande toujours en quoi elle consisterait concrètement. Les plats que je prépare sont-ils assez sains ? Les spaghetti carbonara et le tofu frit, probablement pas. Quand je repense à tous ces gâteaux et pâtisseries commis sous l’effet de la colère et de mes contractions, ma visite chez Susanne me donne une impression de « peut mieux faire ».

Mais l’écotrophologue ne voit pas les choses de façon aussi rigide. Elle me rassure : « Si j’avais vraiment beaucoup d’argent, j’ouvrirais des écoles de cuisine pour enfants dans tout le pays. Car les gens qui cuisinent chez eux se nourrissent automatiquement mieux que ceux qui ne le font pas ou peu. »

Susanne Liedtke a deux enfants adultes d’un premier mariage, elle a vécu aux États-Unis et a bouclé ses études en étant jeune maman. Par la suite, elle a été cheffe de produit dans une grande entreprise de l’agroalimentaire, puis dans la publicité et enfin chez Google. Elle a grandi dans un village de Basse-Saxe. Ses parents avaient un commerce de produits agricoles, une auberge et une épicerie. Dans la famille Liedtke, on cuisinait beaucoup, au sens classique du terme : le vendredi, c’était le jour du poisson, on mangeait du gibier et le pain frais était évidemment fait maison. La jeune Susanne était fascinée par les sciences naturelles, plus précisément par les processus biochimiques à l’œuvre dans le corps, dont elle poursuit l’étude aujourd’hui à travers son cours de « body reset ».

« Le cours repose sur une idée de la doctoresse américaine Sara Gottfried », m’explique Susanne. « Le changement est opéré de l’intérieur vers l’extérieur. À chaque étape, on supprime une famille d’aliments susceptibles de nuire à l’équilibre hormonal : d’abord, on renonce à l’alcool et à la viande rouge, puis au sucre, puis au lait et aux produits laitiers, à la caféine, aux céréales, au fructose et enfin aux substances nocives pour l’environnement. On débarrasse le corps de ce qui peut l’affecter. La transformation a lieu au niveau cellulaire. On se concentre non pas sur l’extérieur, mais sur l’intérieur. Ce changement de régime implique une pratique de la pleine conscience, de la méditation et du yoga. Je ne la propose pas explicitement, d’autres font ça mieux que moi. Mais, globalement, dans mon cours, les femmes apprennent à être plus attentives à elles-mêmes.

— De quel genre de femmes s’agit-il ?

— Par exemple, j’ai eu une jeune femme de 21 ans avec une forte endométriose. En effet, ce changement de régime ne convient pas uniquement aux femmes ménopausées mais à toutes les femmes à partir de 18 ans. C’est bon à savoir, non ? Parce que, tôt ou tard, nous pouvons toutes avoir un déséquilibre hormonal. Modifier résolument son alimentation peut également aider en cas de désir d’enfant. Dernièrement, j’ai eu une femme de 38 ans. Sa gynécologue lui avait dit que ça pourrait durer un peu pour une deuxième grossesse. À l’issue de la formation, elle est tombée enceinte en l’espace de trois mois. Mais la plupart des femmes sont plutôt au milieu de leur vie, c’est sûr. Sur la liste d’attente pour la prochaine session, beaucoup ont entre 40 et 45 ans. »

Je raconte à Susanne avoir testé un régime sans sucre et un autre pauvre en sucre.

« Ça paraît banal, mais le sucre rend addict et, à la longue, malade. Il y a un lien direct entre le sucre et l’insuline, l’hormone qui régule le taux de glucose dans le sang. L’impact des aliments sur notre organisme est sous-estimé. On sait tous que la nicotine et l’alcool sont mauvais – ce sont des substances cytotoxiques qui agissent entre autres sur notre microbiote. Il faut savoir une chose : nous ne sommes pas seuls dans notre corps. Nous vivons avec 30 billions de cellules corporelles. Notre microbiote, notre système gastro-intestinal, contient 39 billions de bactéries. Nous sommes en symbiose avec elles. Si le microbiote est bien nourri, il nous nourrit bien en retour. Pour notre santé globale, il est absolument primordial que notre intestin soit en bonne forme.

— Pourquoi spécialement supprimer un aliment tous les trois jours ?

— À chaque famille d’aliments correspond une hormone : la viande rouge et l’alcool peuvent altérer l’équilibre œstrogénique, le sucre le taux d’insuline, les produits laitiers les hormones de croissance, les céréales et le gluten les hormones thyroïdiennes, le café le niveau de cortisol et le fructose l’hormone de la satiété appelée leptine, sans parler des xénohormones tels les phtalates dans les emballages plastiques, qui peuvent perturber l’équilibre de la testostérone. Si on élimine les aliments et substances cités, l’organisme peut se remettre et rétablir l’équilibre. »

Susanne retrouve ses élèves tous les trois jours sur Zoom, pour leur expliquer les effets de telle ou telle hormone sur l’organisme – c’est ce qu’elle appelle son « cours de bio ». Le matin, elle leur envoie des recettes par courriel. Un groupe WhatsApp met les participantes en relation. Comme pour toutes les « diètes », il est plus facile de se priver à plusieurs. Quand on peut communiquer avec d’autres qui savent ce que c’est que de rester plantée devant le bac à légumes à rêver d’une grosse part de tarte, opter pour des épinards au lieu de chips devient un peu plus facile.

L’ampleur du savoir de Susanne est remarquable. Dans sa lettre d’information « Somebodytoldme » (« Quelqu’un m’a dit »), elle parle d’études récentes, de mèmes (« Menopause Rhapsody » de Shirley Serban), mais également de sujets moins amusants tels que l’incontinence urinaire ou l’atrophie vulvo-vaginale. En fin de compte, Susanne vend de la transmission de connaissances – l’information et la prévention sont une niche de marché. Notons que nobodytoldme.com ne convient pas à la consommation rapide de clichés et demande un peu de patience et de temps.

Mais ça en vaut la peine. Car, à l’instar du sport, du fitness et des soins de beauté, l’alimentation relève de la tradition des injonctions contradictoires en matière de style de vie : folie des régimes d’un côté et, de l’autre, promotion d’une alimentation équilibrée, ingrédient essentiel d’une vie longue et saine.

Susanne Liedtke n’aime pas le mot « diète ». Ses clientes se réjouissent évidemment de kilos perdus, mais son but, c’est la santé. Du reste, elle ne conçoit pas son cours comme une méthode à suivre servilement. Au premier rendez-vous, elle explique qu’un verre de vin ou une tasse de café par-ci par-là sont évidemment OK. Chez elle, pas de listes noires, mais des recommandations. « Chaque femme peut tirer ses propres conclusions. Certaines se remettent à manger de tout dès la fin du cours, d’autres se donnent vingt et un jours de plus pour réintroduire pas à pas les aliments supprimés dans leur régime. »

À côté de tous les affreux, nous avons toutefois aussi des alliés : sur la liste blanche figurent la salade, les légumes verts, le thé vert, les légumes secs, les patates douces, les herbes, l’huile d’olive, les avocats, les poissons gras, les noix et les graines. Mais pourquoi ces aliments me font-ils si rarement envie ?

Tout porte à croire que nous établissons un lien entre aliments sucrés et sentiment de consolation dès nos premières prises de nourriture. Chez les nourrissons, l’alimentation constitue sans doute le besoin premier. Quand un bébé est contrarié, on lui donne quelque chose à boire ou à suçoter pour le calmer. Il y a des années, une thérapeute m’avait expliqué que l’envie de manger pour compenser certaines émotions (emotional eating en anglais), s’apparentait au désir de téter. Quand, petit, mon fils se faisait mal, je ne lui donnais ni pomme ni raisin, encore moins une carotte bio ou de la purée de panais, mais un bout de gâteau ou un biscuit.

Cela dit, l’appétence pour le sucre n’est pas seulement le fruit d’une éducation. Quand on donne au corps quelque chose de savoureux, il sécrète de la dopamine, un neurotransmetteur qui suscite un sentiment de plaisir. D’un point de vue biochimique, manger rend donc – du moins brièvement – heureux. La préférence tendancielle des femmes, même adultes, pour le sucré au lieu du salé pourrait une fois de plus venir de l’époque victorienne, ce berceau terrible de pratiques culturelles toxiques. Le mouvement dit de la tempérance (temperance movement) trouvait inconvenant qu’une femme mangeât au restaurant. De ce fait, les « ladies » prirent l’habitude d’aller dans des salons de thé pour s’y délecter non pas de bière et de rôti mais d’infusions et de pâtisseries. Si le mouvement de la tempérance et la prohibition n’avaient pas stigmatisé moralement les tavernes et les bars, qui sait si Miranda, Carrie, Charlotte et Samantha de Sex and the City ne se seraient pas donné rendez-vous au pub, autour d’une bière et de chicken wings, au lieu d’aller à la Magnolia Bakery grignoter des cupcakes.

En anglais, les plats salés qui mettent du baume au cœur sont de la comfort food, un terme qu’on peut traduire par « nourriture de réconfort ». On pensera par exemple à la purée de pommes de terre, aux macaronis ou aux toasts au fromage, des plats bourrés de glucides, de gras et de sel qui ne sont certes pas bons pour la santé mais qui – à l’instar des mets sucrés – font du bien sur le moment.

Durant la pandémie de Covid-19, le besoin de comfort food a augmenté, même le très distingué New York Times publiait régulièrement des recettes de sandwichs et de gratins.

Dans la culture pop, les histoires sur la nourriture de réconfort sont toujours fragmentées. On montre la tristesse (souvent un chagrin d’amour) et ce qui console (de la glace, des burgers, des frites), mais pas ce qui vient après : la mauvaise conscience, la sensation de lourdeur, les problèmes de digestion, la prise de poids. La suite a lieu dans la vie réelle. Sur le long terme, ce type de régime est évidemment mauvais pour le corps. Afin de prévenir des pathologies inflammatoires allant du cancer jusqu’à la maladie d’Alzheimer, tous les médecins, quelle que soit leur spécialité, recommandent une alimentation pauvre en sucres et riche en protéines, en acides gras insaturés (bénéfiques pour la santé), en fibres et en vitamines. Dans toutes les études lues pour ce livre, j’ai rarement observé un si grand consensus : un excès de sucre provoque des inflammations dans le corps, cause des tumeurs et rend tout simplement gros. Trop d’acides gras saturés bouchent les artères et les vaisseaux, favorisant le développement de maladies cardiovasculaires. Un excès de sel nuit au squelette et augmente le risque d’ostéoporose. Un régime gras et sucré est plus susceptible d’entraîner du diabète, qui accroît à son tour le danger de maladies vasculaires, de problèmes cardiovasculaires et d’attaques cérébrales.

Si on veut profiter de la seconde partie de sa vie en bonne santé, se jeter sur la nourriture de réconfort est à peu près aussi judicieux que fumer des cigarettes. Pour les femmes climatériques, c’est la double peine : une mauvaise alimentation peut aggraver les symptômes. Susanne Liedtke explique :

« En cas d’excès de graisse corporelle, le corps produit plus d’œstrone, une hormone œstrogène. En ingérant de la viande rouge et des produits laitiers, il absorbe encore plus d’œstrogènes. Si, en parallèle, tu manges beaucoup de fibres, il arrivera plus facilement à éliminer l’excès. Tu te détoxifies entre autres par le foie et les voies biliaires. Mais si tu n’en manges pas assez, ces hormones en trop entreront aisément en contact avec la paroi intestinale et seront possiblement réabsorbées. Les œstrogènes étant sécrétés par l’organisme lui-même, ce dernier va en quelque sorte les reconnaître et les recycler. Mais, en cas d’œstrogènes excédentaires, il est préférable qu’il les évacue, sous peine de finir avec une dominance œstrogénique…

— … qui elle-même peut renforcer les troubles périménopausiques tels que le syndrome prémenstruel. »

En clair, cela signifie que le combo surcharge pondérale et alimentation pauvre en fibres de type comfort food peut aggraver des symptômes tels que les sueurs nocturnes, les problèmes de sommeil et l’extrême fatigue. Imaginez le tableau : mon enfant en pleine puberté et moi dans le climatère, salivant tous les deux devant un cheeseburger et des frites, qui, en fin de compte, ne feront qu’exacerber nos sautes d’humeur. Des heures à voir rouge pour quelques bouchées de réconfort.

Malgré tout, ces informations n’ont aucune incidence sur le pouvoir d’attraction que les gâteaux à la crème et les frites ont sur moi. Je continuerai à en manger si j’en ai envie. Mais il doit bien y avoir un juste milieu entre le modèle de la bonne vivante qui s’empiffre gaiement en se fichant royalement de l’idéal de minceur, et la mordue de yoga, mince comme un fil et hyper saine, qui ne jure que par ses smoothies verts et ses quinoa bowls. Ayant longtemps associé les conseils santé à la folie des régimes, j’ai toujours eu tendance à voir les articles sur une alimentation basique et sans sucre d’un œil critique.

Je décide donc de m’inventer un autre fantasme culinaire : en Corée, au petit-déjeuner, on mange du maquereau grillé avec une soupe d’algues et du kimchi. Le poisson gras regorge d’acides gras oméga 3 et de vitamines, les algues sont pleines d’iode, de calcium, d’acide folique et de magnésium, et le kimchi contient énormément de vitamine C, d’acide lactique et de bactéries probiotiques. Le maquereau est à la fois extrêmement riche, très aromatique et rassasiant. La soupe, elle, est revigorante. Les algues ont un agréable goût de noisette, le kimchi est aigre et relevé. Je pourrais manger ce plat à toute heure du jour ou de la nuit. Tous ces aliments étant par ailleurs merveilleusement sains, je m’octroie un bol de riz en plus. Un petit. En guise de réconfort.

12. Problèmes de sommeil.
Le mythe de la séparation entre vie privée et vie professionnelle : aptitude au travail, culture du travail et sensibilisation sur le lieu de travail

En rêve, je viens de faire le tour de toilettes publiques en courant. Les cabinets étaient tous dépourvus de porte, tous les W.-C. bouchés et crasseux. Je vais bien finir par trouver une porte qui ferme, me dis-je, désespérée, avant de… me réveiller dans mon lit. Avec l’envie de faire pipi.

Je me traîne dans le couloir jusqu’à la salle de bains et regarde l’heure :

3 h 07

De retour sous la couette, je me tourne sur le ventre, glisse mes mains sous l’oreiller et ferme les yeux. Ma vessie soulagée, avec un peu de chance, le rêve des W.-C. sera désormais moins dégoûtant. Peut-être parviendrai-je à sortir de cet endroit sordide pour découvrir derrière – comme souvent dans les rêves – une nouvelle pièce pleine de surprises, dont j’ignorais l’existence. Mais pas cette nuit. Cette nuit, je ne vois que du noir ou, plutôt, dès que j’ouvre les yeux, les contours du fauteuil sur lequel je pose mes vêtements le soir, et la faible lueur qui s’immisce dans la chambre à travers les rideaux.

À côté de moi, mon mari dort à poings fermés. Je lui envie son sommeil de bienheureux, un sentiment qui monte en moi comme une bouffée de chaleur. Cette colère venimeuse ne m’aide pas à me détendre, le pays des rêves ne me laisse plus revenir. Plus je m’agite et m’emporte, plus je suis réveillée. À la fin, j’abandonne, je récapitule en pensée ce qui m’attend au travail ce jour et allume mon portable.

3 h 48

Google, c’est la mort du sommeil réparateur, la terreur du repos, la petite drogue des insomniaques. Et une merveilleuse échappatoire hors de l’obscurité gris-noir de la chambre, loin des ronflements beaucoup trop paisibles de mon mari. À un moment donné, je tombe sur des photos de Jennifer Lopez et Ben Affleck, happy in love (« heureux en amour ») – apparemment, ils ont décidé de redonner une chance à leur relation. Il y a vingt ans, les deux tourtereaux superstars avaient déjà fait la une de la presse à sensation. Désormais d’âge moyen et, dans le cas de JLo, probablement dans le climatère (JLo climatérique ?! Est-ce qu’elle aussi n’arrive pas à dormir la nuit, dans son lit supposément immense, avec, à ses côtés, un Ben Affleck ronflant comme un sapeur ?), ils sont retombés amoureux.

Ohhhh. Voilà au moins une bonne nouvelle dans cette nuit maussade. Je continue à surfer sur des sites people et à faire défiler les comptes Instagram sous mes yeux.

4 h 19

Mais, à l’évidence, la situation de JLo n’est pas comparable à celle d’une femme ordinaire. De toute façon, je trouve étrange qu’Instagram veuille me conditionner à copier le style de vie des mégariches. Comme si je pouvais un jour me payer un King Size comme celui de Lopez. Ou encore son entraîneur de sommeil, probablement le meilleur du monde. Quel est le rapport entre les gens comme elle et notre réalité de simples mortelles ? Exact. Aucun ! Qu’elle se lève donc la nuit, la vessie pleine, pour aller en tâtonnant de son lit de princesse à sa salle de bains en marbre, au final, le pipi reste du pipi et les hormones, des hormones. Basta. Je ferais mieux de bannir le smartphone de la chambre à coucher. Pour mon propre bien.

4 h 48

D’un autre côté, en se remettant avec l’homme qui lui a brisé le cœur autrefois, elle prend un risque sentimental énorme devant le monde entier. Elle doit vraiment l’aimer, sinon, pourquoi ferait-elle une chose pareille ? Contrairement à presque toutes les autres femmes de son âge, elle peut en effet avoir tout et n’importe qui. Je cherche « JLo » et « ménopause » sur Google. Pour de vrai. Je vous le dis, un empire pour une nuit de sommeil !

5 h 07

« L’effarement suscité par la nouvelle montre bien comment fonctionne la discrimination liée à l’âge. Lopez ne correspond pas à l’image construite socialement des femmes quinquagénaires. Une image qui, dès le départ, est fausse, bien évidemment. Et qui fragilise l’estime de soi de certaines personnes vieillissantes. Tandis que beaucoup d’hommes de 50 ans arrivent à un âge où ils obtiennent les jobs les mieux payés de la planète ou dirigent des pays entiers, les femmes, au mitan de leur vie, se sentent ostracisées, comme si on les mettait au “rebut” », peut-on lire dans le quotidien berlinois taz. Dans le taz !!! Même ce journal de gauche parle de JLo ! Je tombe de fatigue. Si seulement je pouvais me rendormir… Il faut absolument que je dorme, sinon je vais devenir folle… Allez, ferme les yeux, inspire profondément… Et bim, voilà que m’apparaît Jenny from the Block. Les commentateurs ne mentent pas : elle est sublime. Ces yeux ! Ces cheveux ! Cette force qu’elle a ! Je prends mon courage à deux mains et lui demande candidement :

« Jennifer, dis-moi, comment tu fais pour dormir la nuit ? »

Elle lève un de ses bras musclés, pointe un doigt sur moi telle une madone et me fait signe d’approcher. Tandis que je rampe à genoux vers elle, elle ouvre la bouche et j’entends sa voix proclamer : « Hermana, la verdad sobre la menopausia es… » (« Ma sœur, la vérité sur la ménopause, c’est… »)

Le réveil sonne :

7 h 00

Quoi ? Je n’ai pas entendu la suite ! Il faut à tout prix que je me rendorme ! Elle était sur le point de me révéler la vérité sur le climatère ! Merde ! Du plomb semble couler dans mes veines. J’ai l’impression que mes paupières n’appartiennent plus à mon corps. Qui s’enfonce dans le matelas. Impossible de me redresser. J’ai mal à la tête, au ventre, des bulles d’air remontent douloureusement le long de mon tube digestif. On dirait que cette nuit, les tissus musculaires de mon épaule ont troqué leur élasticité contre la rigidité de la pierre. Je ne vais plus jamais, non, plus jamais pouvoir me lever. Je le sais. JLo, ayúdamé ! (« au secours ! »)

Il faut que je me lève, que j’aille réveiller mon fils, lui préparer son petit-déjeuner et un sandwich avant qu’il parte. Ensuite, j’aurai des factures à régler et un cadeau d’anniversaire à acheter, ma journée de travail normale commençant à 10 heures.

Chaque mois, nous remplissons un magazine. Je suis en charge de la rubrique « culture et voyages ». Dans ce cadre, je recherche et sélectionne des histoires intéressantes et bien écrites. C’est un boulot merveilleux, quasi artisanal, qui demande de la présence d’esprit et de la créativité. Aujourd’hui, j’en suis persuadée, jamais plus dans cette putain de vie je ne serai créative. Ou, pire encore, originale. Je veux dormir, de préférence plus de trois heures d’affilée.

Quand mon fils rentre de l’école à 14 h 30, il a faim. Les repas mis à part, il est maintenant heureusement assez grand et autonome pour s’occuper de lui-même. (Oui bon, presque. « Tu as vu l’heure ? Tu as bientôt entraînement… ») Après le sport, il sera temps de dîner. Je cuisinerai entre les courriels à envoyer et les coups de fil à passer, aurai oublié un truc dans mon planning d’aujourd’hui et m’ajouterai encore une interview rapidos sur Zoom à 18 heures. Ce soir, je comptais éventuellement retrouver une copine, mais je vais annuler. Cette journée se dresse devant moi comme un grand point d’exclamation, une montagne infranchissable, dont je ne viendrai jamais à bout. Il est toujours 7 heures du matin, je suis toujours au lit et je ne sais même pas comment je vais réussir à atteindre la salle de bains.

Je secoue doucement mon mari par l’épaule, une fois, deux fois, puis, enfin, il bouge.

« Hé, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Est-ce que tu pourrais te lever avec lui ? »

Au lieu de me répondre, il baragouine je ne sais quoi. Peu après, je sens le matelas remuer quand il se lève. Ouf.

L’espace d’une seconde et demie, je me sens mal. Puis je me rendors, mais sans retrouver dans mon subconscient l’oracle de Jennifer Lopez sur le climatère. À la place, un sentiment de culpabilité m’envahit : je rêve que je suis en train d’aider l’amie à laquelle je vais faire faux bond ce soir à déménager. Il y a des trucs partout, les déménageurs nous mettent la pression. D’autres copines sont là pour nous prêter main-forte. Chaque fois que je veux soulever quelque chose – une plante, une lampe –, mes doigts plongent dans le vide. Puis je comprends que, au lieu de porter des cartons, je suis couchée, endormie. Je veux aider ma copine. Je veux la soulager. Mais je suis si exténuée que je n’arrête pas de piquer du nez. Bad friend (« Copine de merde »).

9 h 00

Le réveil sonne de nouveau, mais mon niveau d’énergie n’a pas changé. Je suis clouée au lit comme un animal pris dans un piège.

Ma sœur a quelques années de plus que moi. Elle est ergothérapeute dans une clinique de rééducation et de réadaptation. Ses enfants sont beaucoup plus jeunes que mon fils. Toutes les tâches qui figurent sur ma liste, elle doit les remplir fois deux. En outre, elle ne peut pas faire de télétravail. Toute la journée, elle est debout à parcourir la clinique dans tous les sens. Depuis quelque temps, elle souffre d’une tendinite chronique. Une connaissance de l’âge de ma sœur, mère de deux jeunes enfants également, travaille dans le domaine médical en tant qu’infirmière pédiatrique, plus précisément en soins palliatifs, où elle s’occupe d’enfants atteints de cancer. Elle a rencontré son mari chez le physiothérapeute. À la fin de la trentaine, son métier était devenu si éprouvant physiquement qu’elle a eu besoin de faire de la kiné.

Les trois-huit. Dans le monde entier, des femmes font les trois-huit. La nuit, à la sueur de leur front. Notre bureau à Munich est propre tous les jours parce que les agents d’entretien débarquent tard le soir ou très tôt le matin pour tout nettoyer. À la garderie, l’équipe du matin commence à 6 heures ; tous les jours, les éducateurs et éducatrices accueillent les enfants avec le sourire – en hiver, avant même que le soleil se lève. Comment font ces personnes ? Comment assurer au boulot quand mon sommeil ressemble à celui du monstre de Frankenstein et mon cycle au plan de construction chaotique de l’aéroport de Berlin ?

Pourtant, je devrais être au zénith de ma vie et récolter les fruits de ce que j’ai semé. Quiconque a émis ce pronostic n’a encore jamais eu à subir de variations hormonales. Une amie qui a déjà dépassé le climatère et qui n’a plus que quelques années de travail devant elle me confie que parfois, le vendredi soir, elle s’affale sur le canapé et y reste, tout simplement. Récemment, elle a dormi treize heures d’affilée.

Je me lève à 9 h 14 et la chambre se met à tourner. Je retombe sur mon lit, effarée. Serait-ce donc ce qui m’attend désormais ? Pour toujours ? Vais-je passer toutes mes nuits les yeux rivés au plafond, essayant de lire d’abord un livre, avant d’aller quand même sur Internet ? Suis-je désormais condamnée à me réveiller chaque matin en ayant la sensation de ne pas avoir dormi du tout ?

9 h 21. Décollage, tentative numéro deux.

Plus lentement, cette fois-ci. J’entends des bruits de vaisselle dans la cuisine.

« Tout va bien ? », s’écrie mon mari.

Non.

« Oui, oui ! », dis-je.

Ça y est, je suis debout. Je traîne des pieds dans le couloir, direction la salle de bains. Il faut que j’aille aux toilettes tout le temps, surtout la nuit. Et encore, je m’en sors bien. Dans un guide sur la ménopause, je lis qu’il peut arriver d’avoir des « rêves humides d’un autre genre ». Beurk. On s’est bien gardé de me le dire !

Dans son livre Ach, Meno !, l’experte en ménopause Ellen Cornely-Peeters écrit : « Pourquoi avons-nous à tout bout de champ besoin d’aller aux toilettes ? Dans la préménopause, la dominance œstrogénique favorise la rétention d’eau. Quand nous dormons, notre métabolisme tourne à plein régime. Éliminant tout ce qui est superflu. Et là où c’est plein, il faut que ça se vide. »

Elle dit « préménopause », qui précède encore la périménopause. En d’autres termes : ce n’est que le début !

Je veux me recoucher.

À présent, il est 9 h 34 et j’ai réussi à me traîner jusqu’à mon bureau (en sautant la douche). Un vide cinglant et glacial se répand dans mon esprit. Le cadeau d’anniversaire et autres bricoles devront attendre, je n’y arriverai pas aujourd’hui. Si je tiens jusqu’à 13 heures, je me féliciterai moi-même. Depuis que je suis en périménopause, j’utilise une application pour suivre mon cycle et savoir à peu près, en dépit de son imprévisibilité, à quel moment quelle hormone me mettra en joie – soit quand mon taux d’œstrogènes est voué à chuter, du moins en théorie. Aujourd’hui, j’en suis au vingtième jour de mon cycle et j’ai l’impression que mes règles ne vont pas tarder.

À 10 h 04, mon téléphone sonne. Une autrice à qui je viens d’envoyer un courriel de relance sur l’article qu’elle m’a promis est au bout du fil : « Dis-moi, je suis un peu déconcertée, dans ton premier mail, tu disais que j’avais encore jusqu’à la fin du mois prochain et, dans celui d’aujourd’hui, le délai est de dix jours. J’avais gardé en tête la fin du mois prochain, est-ce qu’on pourrait tirer ça au clair… » Quoi ?? Me serais-je donc trompée de mois ? Je passe en revue nos échanges et les faits sont là, noir sur blanc : je me suis emmêlée les pinceaux dans les dates.

« Tout est de ma faute ! », explosé-je. « Je suis vraiment désolée, quelle imbécile…

— Bon, ça peut arriver…

— Je ne sais pas ce qui m’arrive, mais où ai-je la tête…

— Tu sais, ce n’est pas si grave, je peux essayer de décaler mon autre engagement.

— Mais ce genre de choses ne doit pas arriver, avant, ça ne me serait jamais arrivé, je ne peux pas croire que ça m’arrive…

— Euh, dis-moi, est-ce que tout va bien ?

— Oui… », mens-je tandis que les larmes coulent sur mon visage. « Rien à signaler.

— Mais, tu pleures ?!

— Non, non. Je vais voir ce que je peux faire et je te rappelle, d’accord ? », dis-je en bredouillant avant de raccrocher.

10 h 17. Ma journée de travail s’arrête là.

Je veux retourner au lit. Je me fais porter pâle, me recouche et me sens mal : en manque de sommeil, déconcentrée, peu fiable, pas vraiment malade, mais inapte au travail et complètement dépassée.

D’après l’Office allemand de la statistique, seules 38 % des femmes actives avaient plus de 55 ans en 1999. En 2021, on en était déjà à 47,5 %. Autrement dit, en 2020, plus de la moitié des femmes actives étaient pour sûr dans le climatère, tendance à la hausse. Des sondages plus précis ont été effectués en Grande-Bretagne. Selon le National Health Service, le système de santé publique britannique, les femmes de plus de 50 ans forment le groupe à la croissance la plus rapide sur le marché de l’emploi. Là-bas, près de huit femmes sur dix sont dans le climatère. Une étude commandée en 2022 par la House of Commons (la Chambre des communes du Royaume-Uni) confirme l’impact des symptômes climatériques sur le travail des femmes. Environ 75 % d’entre elles déclarent avoir des difficultés de concentration (yep !), 70 % disent souffrir de stress et 67 % auraient moins confiance en elles. Selon un sondage du Chartered Institute of Personnel and Development (CIPD), l’association des professionnels des ressources humaines, en 2019, 52 % des femmes interrogées se disaient moins patientes avec leurs collègues et clients. 30 % se mettraient en arrêt maladie exprès, mais seulement un quart d’entre elles avoueraient à leurs supérieur·e·s la raison véritable de leur absence.

En 2018, le cabinet de conseil Frost & Sullivan a établi que le stress subi par ses employées à cause de la ménopause représentait un préjudice de 150 milliards de dollars par an. Vu sous cet angle, le climatère, ce sujet de moqueries dans les salles de réunion, se convertit en facteur économique central pour le monde du travail. Quelques grands groupes ont choisi de réagir : dans le cadre de leur menopause policy (« politique en matière de ménopause »), la banque espagnole Santander et la chaîne de télévision britannique Channel 4 mettent à disposition de leurs salariées « des ventilateurs de table, des bureaux climatisés, plus de congés maladie rémunérés et un service de suivi psychologique. Les femmes dans le climatère bénéficient d’horaires de travail flexibles, de pauses plus nombreuses, elles commencent et finissent leur journée plus tôt pour échapper aux embouteillages des heures de pointe, sont autorisées à éteindre leur webcam lors de visioconférences et ont même la possibilité d’opter provisoirement pour un mi-temps ».

Sur le papier, ces mesures, sans doute aussi favorables à une carrière que le congé parental, doivent bénéficier du même degré de popularité que les quotas. Mais entre nous : vous est-il déjà arrivé de passer une journée entière trempé·e de sueur à votre bureau ? Cette difficulté à travailler, certaines femmes plus jeunes la connaissent sûrement à cause du SPM. Or, parfois, la périménopause, c’est un SPM XXL.

En 2021, lors de la Journée internationale des droits de la femme, Vodafone a présenté son programme sur la ménopause. Le géant des télécoms s’est engagé à informer, soutenir et apporter conseil aux femmes climatériques, voire à leurs proches si besoin. Là encore, des horaires de travail plus flexibles sont proposés. Le pack ménopause de Vodafone est l’œuvre de Leanne Wood, directrice des ressources humaines au sein du groupe et elle-même quadragénaire. Peut-être que Wood aussi se réveille parfois en pleine nuit pour scruter le plafond de sa chambre à coucher en quête de traces d’humidité et d’autres aspérités. Peut-être qu’elle aussi, exténuée et les nerfs à vif, a décidé un matin que certains jours ne sont tout simplement pas faits pour accomplir ne serait-ce que de petites choses, et encore moins des moyennes ou a fortiori des grandes.

Globalement, mon expérience m’a appris que, climatère ou non, il y a des jours avec et des jours sans. Ce qui a changé, c’est la pression que je me mets moi-même : tenir le coup. Surtout ne pas se relâcher. Ne pas devenir une de CELLES-LÀ. Pouvoir dire en toute franchise Aujourd’hui, ça ne va pas du tout, je me remettrai au boulot demain, à tête reposée faciliterait mon travail au quotidien.

Bien sûr, je vois d’ici les personnels de mon entreprise ricaner en séance de formation obligatoire sur les hormones. Une de mes amies, institutrice, me disait récemment que, à son école, pas une initiation aux premiers secours n’échappe aux blagues sexistes. La dernière fois, il était question de réanimation, soit concrètement de massage cardiaque. « Rares sont ceux qui savent », avait expliqué le secouriste, « où il faut poser les mains. Je vous donne un tuyau : pile entre les tétons. Chez les femmes d’un certain âge, ces derniers pendouillent parfois à hauteur du nombril, ce n’est pas là qu’il faut appuyer. » Oui, ça s’est vraiment passé comme ça.

Je pense qu’il serait très utile d’éduquer les hommes. Prétendre que ces derniers ne seraient pas concernés par le climatère, c’est se mettre le doigt dans l’œil. Ils le sont tout autant que leurs collègues féminines et leurs patronnes ; après tout, ils vivent à leurs côtés. La startupeuse Susanne Liedtke me racontait que, dans ses tournées d’investisseurs, elle rencontrait beaucoup d’hommes qui lui disaient spontanément :

« Il faudrait vraiment que vous parliez avec ma femme. »

Susanne serait certainement ravie, mais ne serait-il pas salutaire d’expliquer aux hommes ce qui se trame dans le corps de leur femme ? Pourquoi elle n’a, par exemple, pas envie de sexe ?

En sixième, les élèves suivent des cours d’éducation sexuelle, filles et garçons bien sûr, la puberté concernant les deux sexes. Les adolescents de 12 ans trouvent ces présentations super gênantes, mais il leur en restera bien quelque chose. L’autonomisation de son propre corps est un choc qu’on supporte mieux si on a pu s’y préparer.

Est-ce à dire que le travail de sensibilisation doit être mené par les entreprises ? « Les grands groupes font bien de s’intéresser au sujet et de mettre des choses en place pour leurs employé·e·s dans le cadre de la gestion de la santé au travail », déclare Susanne Liedtke, qui a tout de même fait la plus grande partie de sa carrière au sein de grandes sociétés. « Les femmes mûres sont le groupe d’âge à la croissance la plus rapide. Une entreprise ne se gère pas uniquement avec des jeunes. Nous nous dirigeons vers une pénurie historique de personnels qualifiés et souhaiterions plus de femmes à des postes de direction. Par conséquent, il est important d’informer les personnes sur leur lieu de travail. »

Quelle que soit l’instance qui informe – ou mieux, qui explique –, elle rendra les journées terribles passées au lit moins pesantes. D’après moi, la réflexion sur la ménopause concerne cependant le domaine médical et ne doit être ni un produit ni un bonus à l’embauche. Je trouve louable que des sociétés telles que Vodafone se penchent sur la question, mais l’objectif devrait être l’accès de toutes les femmes équitablement, et non pas seulement des salariées de grands groupes, à des consultations avec des personnes formées. L’idéal serait une prise en charge de ces consultations par l’assurance maladie obligatoire1, de même qu’une meilleure formation des médecins et une revalorisation de la prévention dans leur parcours d’études.

C’est bien beau tout ça, mais… j’en ai assez. D’ici à ce que les caisses d’assurance maladie ou mon employeur m’offrent des séances d’information sur la ménopause, je serai probablement à la retraite. Je ne resterai pas sans rien faire plus longtemps, à fixer le plafond la nuit, à supporter patiemment mes crises de rosacée et à attendre que ma gynécologue je-m’en-foutiste entre elle-même en périménopause. Nulle femme ne devrait souffrir le martyre, personne ne va me canoniser. Le calvaire des femmes n’est pas récompensé secrètement ici-bas et, très franchement, il ne le sera certainement pas non plus dans l’au-delà.

Si je n’arrive pas à gérer mes états d’âme malgré mon changement de régime alimentaire et mes séances de sport, je vais devoir faire appel à notre experte nationale : Sheila de Liz. La gynécologue et autrice de bestsellers a un cabinet à Wiesbaden, privé certes, mais je me dis que je le vaux bien. J’envoie un mail et la secrétaire me rappelle quelques jours plus tard. Je lui décris mes misères, elle compatit et… me donne un rendez-vous dans six mois. J’encaisse une fois encore.

13. États dépressifs1.
La valeur des vieilles femmes : des rêves de vie éhontés, ma visite chez dr sheila de liz, de nouveaux modèles et un regain de liberté

À 60 ans, Mirna Funk veut vivre sur une île privée dans les Caraïbes, entourée de plusieurs jeunes amants. L’île, elle la possède déjà, achetée avec ses revenus d’écrivaine et d’influenceuse. Dans son scénario insulaire, elle travaillera encore à l’occasion. Mais : « Je ne veux pas être de ces personnes qui ne peuvent pas s’arrêter », dit-elle. Elle a besoin d’aisance financière pour s’assurer le plus de liberté possible, travailleurs sociaux (garde d’enfant, services domestiques, etc.) et soins médicaux compris. Mirna n’a cessé de souligner son amour pour la vie dont elle veut savourer chaque instant.

Un beau rêve. Pour ma part, la Toscane, voire Majorque me satisferaient déjà amplement… Je me demande plutôt comment ma génération, pour laquelle vie pro et vie perso se confondent, ne serait-ce que spatialement avec le télétravail, est supposée « prendre sa retraite ». Où aimerais-je vivre ? Est-ce que je veux rester en ville ? Pourrai-je encore me le permettre à l’avenir ? Que sera la vie dans ce monde en 2042 ? J’aurai alors 65 ans. Et je ne vous parle même pas de la sécurité des pensions de retraite et des assurances dépendance. Ce qui m’intéresse avant tout, ce sont les images qu’on se fait des femmes.

Mis à part l’image d’Épinal de la mamie qui fait des tartes aux pommes et amuse ses petits-enfants, quel genre d’imaginaire le monde occidental a-t-il en réserve pour les femmes post-ménopausées ? La vieille peau qui râle dans le bus ? La puissante veuve qui reprend les rênes de l’empire de son mari défunt ? Dans la série And Just Like That…, la suite de Sex and the City, nous retrouvons Carrie (Sarah Jessica Parker), Charlotte (Kristin Davis) et Miranda (Cynthia Nixon) vingt ans plus tard, alors qu’elles ont dans les 55 ans. Carrie est veuve, les enfants de Charlotte et de Miranda sont désormais adultes. Tandis que Charlotte et Carrie sont encore respectivement brune et blonde, les cheveux de Miranda sont devenus gris. Dans le titre de cette suite, le mot « sexe » a disparu. Pourtant, à la fin des années 1990, Sex and the City avait été la première série TV grand public à parler ouvertement de sexualité féminine. Désormais, Carrie utilise du gel lubrifiant : elle « n’a plus 30 ans », n’est-ce pas. Or, à partir de la quarantaine, parler de sexe n’est guère envisageable sans évoquer le climatère. Voici une fois de plus quelques exemples de l’impact des fluctuations hormonales sur la vie sexuelle féminine : un manque de testostérone signifie une libido en baisse ; un surplus de testostérone, un excès de libido ; sans oublier l’atrophie vulvo-vaginale due au déficit d’œstrogènes, pfouh. Dans le deuxième film tiré de la série, Samantha Jones, la plus âgée des femmes du quatuor, se gavait déjà littéralement d’hormones et de vitamines. Dans la série, hormis de nombreuses blagues pipi, la ménopause se résume à l’insistance avec laquelle les protagonistes attirent l’attention sur leur âge.

En 2020, je me suis entretenue avec Cynthia Nixon, l’actrice qui incarne Miranda Hobbs à l’écran. Par chance, la Cynthia de la vraie vie est au moins aussi fabulous que son personnage dans Sex and the City. Âgée de 54 ans à l’époque, Nixon avait répondu à mes questions sur Zoom, non maquillée, depuis sa maison à Montauk :

« Le fait que je ne sois plus fertile a évidemment une grosse incidence sur les rôles qu’on me propose. Les personnages de mère, par exemple, n’arrivent plus sur mon bureau.

— Qu’est-ce que ça vous fait ?

— Rien ! Je trouve les rôles sans lien avec la maternité plus complexes et plus intéressants à jouer.

— Vous est-il arrivé d’être discriminée à cause de votre âge ?

— De manière générale, la population vieillit, du coup, on s’intéresse enfin davantage à la vie des femmes de 50, 60, 70 ou 80 ans. Depuis que j’ai pris de l’âge, je remarque que les jeunes me témoignent plus de respect. Ils veulent connaître mon parcours. Je suis moi-même de plus en plus intriguée par des femmes de vingt ans de plus que moi. Jeune, les femmes âgées m’indifféraient. Peut-être qu’elles m’impressionnaient, mais, à présent, quand je rencontre une femme de 60 ou 70 ans, je veux à tout prix lui parler. Parce que je sais maintenant mesurer la valeur de son expérience. Ça ouvre pas mal de perspectives d’avenir. »

Quand on ne comptera plus seulement davantage de femmes âgées mais heureusement aussi plus de femmes âgées fortunées, un nouveau groupe cible se formera : People go where the money goes (« Les gens suivent l’argent »), disent de façon pragmatique beaucoup d’actrices, d’artistes et d’écrivaines quand on les interroge sur l’évolution des conditions de travail des femmes mûres. C’est donc le marché qui réglera le problème de la diversité des âges en Occident.

Comment cela fonctionne-t-il exactement ? Prenons pour exemple l’évolution de mon vivant de la visibilité de mannequins, d’acteurs et d’actrices asiatiques : quand j’étais petite, la Chine était un État paysan, communiste et fermé sur lui-même, et la Corée du Sud, un pays en voie de développement. En Asie de l’Est, seul le Japon avait le statut de pays industrialisé. À l’époque, la représentation de personnes asiatiques dans les médias occidentaux se limitait à la marque de vêtements italienne Benetton et aux films d’art et d’essai de Hong Kong. L’essor économique fulgurant de la Chine et de la Corée du Sud changea la donne. Depuis que les marchés asiatiques mettent beaucoup d’argent dans le cinéma et la mode, je vois de plus en plus souvent des mannequins, des acteurs et des actrices qui me ressemblent. Voici quelques chiffres : la Chine n’est entrée dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qu’en 2001. Depuis 1978, la puissance économique du pays a été multipliée par 48, en Corée du Sud, le revenu par tête est passé de 87 dollars en 1962 à environ 31 500 dollars en 2020. Désormais, le marché d’Asie de l’Est est crucial pour les blockbusters cinématographiques et les grandes marques de la mode. Les acheteurs et acheteuses asiatiques peuvent ainsi se permettre d’exiger des avatars à leur image dans la culture pop.

Il en sera de même pour les femmes aisées de plus de 50 ans : elles aussi sont en passe de devenir un groupe cible important. Les femmes d’âge mûr veulent voir leur réalité reflétée dans des films et des séries, et des mannequins de leur âge défiler. Mais est-ce là un changement réel ou seulement une tendance dictée par le marché qui ne tardera pas à être relayée par une autre ?

En 2017, Isabelle Huppert, la déesse du cinéma français, aussi magistrale dans des films tels que La Pianiste ou Amour de Michael Haneke que dans un épisode de la série américaine New York, unité spéciale, s’est vue nominée aux Oscars pour la première fois à l’âge de 64 ans. En interview, elle m’avait confié :

« Je n’ai pas peur de vieillir. Dans L’Avenir, mon personnage dit : “Mon mari m’a quittée, mes enfants sont partis et ma mère est en maison de repos. Jamais je ne me suis sentie aussi libre2.” On sous-estime la part de liberté qu’implique le fait de vieillir. Mes trois enfants sont adultes : je pars en tournée, je suis nominée pour un Golden Globe. Je suis de plain-pied dans la vie. »

De plain-pied dans la vie et au centre de sa propre histoire. D’ici quelques années, quand on relatera le destin d’Angela Merkel, on ne s’attachera sûrement pas de prime abord à la rencontre de la jeune Angela avec Joachim Sauer, mais à la manière dont cette femme, première chancelière fédérale d’Allemagne, a été seize ans de suite le « compas moral » (The Guardian) du monde occidental. Ou encore : laquelle de ces deux histoires vous semble la plus captivante ? Celle de la jeune Özlem Türeci, qui a mis le grappin sur le jeune Ugur Sahin à la clinique universitaire de Hombourg, ou celle de cette même Özlem, qui, la cinquantaine passée, a développé le premier vaccin anti-Covid avec son mari et binôme ?

La réponse à la question de savoir si ces vies extraordinaires inspirent les femmes ou leur mettent encore plus la pression reste peut-être à trouver. Le fameux niveau d’exigence que les femmes s’imposent et qui, selon Anja Scherret, entraîne un état de stress permanent et nocif ressemble à une cage qu’elles se seraient fabriquée elles-mêmes. J’ajouterai simplement une chose : les sources d’inspiration ne sont pas là pour être imitées à cent pour cent. Les exemples de biographies et de modes de vie différents que je multiplie ici ne devraient pas être vus comme des moyens de pression, mais comme autant d’alternatives aux représentations classiques.

J’aimerais à ce propos citer une fois encore une femme célèbre d’une quarantaine d’années : Alicia Keys. La chanteuse et mère de deux garçons a été élevée seule par sa mère avant de connaître un succès planétaire à l’adolescence. Ses chansons Empire State of Mind Part II et Girl on Fire ont été des tubes mondiaux. En 2020, à l’âge de 39 ans, elle a fondé KEYS Soulcare, une ligne de soins cosmétiques qui veut aider les femmes à se chouchouter. Mais ont-elles vraiment besoin de produits pour ça ?

« Parfois, les femmes ont beaucoup de mal à accepter de l’aide, non ?

— Quand j’étais plus jeune », me répond Alicia Keys, « j’ai tout fait toute seule dans mon coin. Je voulais gérer ma vie de manière surhumaine, sans aide extérieure. Je ne pouvais pas admettre qu’il m’arrivait de me sentir totalement dépassée. J’ai dû apprendre à être honnête avec moi-même et à comprendre qu’il n’y avait pas de mal à ne s’occuper que de soi-même parfois.

— Pourquoi les femmes se comportent-elles ainsi ?

— Je crois que c’est en grande partie lié à un sentiment de culpabilité. De plus, une conception sociale aberrante hante toujours nos esprits : celui ou celle qui se sacrifie sera sanctifié·e. Si, en tant que femme, on fait tout toute seule, qu’on ne réclame rien et qu’on finit complètement épuisée, on est valorisée socialement.

— D’où vient cette vision des choses ?

— Nous l’avons héritée de nos mères, qui l’ont héritée des leurs, et ainsi de suite. Cette représentation est transmise de génération en génération. À cela s’ajoute bien sûr que les femmes, traditionnellement plus prévenantes, sont devenues maîtresses dans l’art de s’occuper des autres. »

Avec ses produits cosmétiques, Alicia Keys veut aider les femmes à s’aménager des « îlots de temps personnel » dans leur quotidien.

Tout cela est-il cousu de fil blanc ? Est-ce du marketing pur et dur ? Ou Keys ne fait-elle qu’utiliser les outils de la société de marché dans laquelle elle vit pour susciter des changements ? Ma valeur de « vieille femme » ne se mesurera-t-elle bientôt plus qu’à l’aune de mon épargne et de l’argent que je pourrai mettre dans un pot de crème ?

Moi aussi, je me suis offert un moment rien que pour moi : un rendez-vous chez Sheila de Liz, gynécologue et pionnière en matière de médiatisation de la ménopause. Dans la préface de son bestseller Woman on Fire, elle qualifie ce dernier de « mise à jour grandement nécessaire et attendue depuis longtemps » sur la ménopause et sur son traitement, bien entendu. Avec verve, elle y explique pourquoi les déficits hormonaux déstabilisent autant le corps. En outre, de Liz allonge la liste des symptômes pour y inclure « les dépressions et autres troubles psychiques, les douleurs articulaires, les arythmies cardiaques, les maladies neurologiques et les problèmes dermatologiques étranges » que subissent les femmes quadragénaires. Elle va même jusqu’à attribuer des acouphènes et des baisses d’audition à la déperdition hormonale. Ce type de symptômes dépasse de loin l’échelle MRS. La recherche sur les troubles liés au tarissement d’hormones sexuelles dans le corps n’en est qu’à ses débuts.

Les dernières découvertes donnent raison à de Liz. Un exemple : la neurologue Dr Lisa Mosconi, directrice de l’Alzheimer’s Prevention Clinic au Weill Cornell Medical College à New York, a découvert que le climatère rendait les femmes plus susceptibles de développer la maladie d’Alzheimer. « Les hormones ont un impact important sur nos fonctions cérébrales », a déclaré Mosconi au quotidien allemand Tagesspiegel en 2021. « Elles influencent le vieillissement de notre cerveau. […] Les œstrogènes sont des hormones mal comprises. Sécrétées dans les ovaires, elles ont longtemps été rangées dans la catégorie des hormones sexuelles, mais leur action est bien plus vaste. Il a fallu attendre 1992 pour se rendre compte que ces “hormones sexuelles” étaient également présentes dans le cerveau. Elles ont en effet toute une série de fonctions qui n’ont absolument rien à voir avec la procréation. En fait, elles sont la principale instance régulatrice du cerveau féminin, son chef d’orchestre. »

Nous sommes donc encore à des années-lumière de saisir toute la portée biologique du climatère. Jusqu’ici, la recherche sur la ménopause, dominée par les hommes, s’est limitée à la procréation, c’est-à-dire au symptôme le plus évident, l’arrêt des menstruations, en négligeant les effets plus larges du déséquilibre hormonal sur le corps dans son ensemble. Sheila de Liz tient compte des découvertes les plus récentes tout en ayant une démarche thérapeutique très simple : informer, expliquer et, si la souffrance est trop importante, traiter, dans le doute y compris de manière préventive, comme dans le cas de l’atrophie vulvo-vaginale. Là, elle recommande de se faire suivre et d’utiliser une crème aux œstrogènes pour préserver la santé vaginale.

Certaines de mes amies comparent Woman on Fire à une brochure publicitaire pour l’industrie pharmaceutique de l’acabit de Féminine pour toujours du Dr Robert A. Wilson, à la seule différence que, au lieu d’hormones synthétiques, de Liz promeut des hormones bio-identiques. Ces dernières, produites à partir de racines d’igname, sont identiques aux hormones corporelles. Sheila de Liz déconseille les hormones de synthèse : celles-ci « étant composées de molécules étrangères à l’organisme, elles ne s’adaptent pas parfaitement aux récepteurs hormonaux. Ce que nous appelons communément des “comprimés hormonaux” ne sont pas des hormones humaines mais des produits artificiels imitant les hormones naturelles ».

Pour ma part, j’ai trouvé la hardiesse et la vraisemblance de ses explications réconfortantes. Contrairement à mon dermatologue et à mon médecin ORL, qui ont exclu d’emblée l’idée d’un lien possible entre le climatère et ma rosacée ou l’aggravation de mes problèmes auditifs, de Liz semble plus ouverte. Je pousse donc la folie jusqu’à me taper cinq heures de train pour honorer mon rendez-vous au cabinet de la gynécologue à Wiesbaden.

Non contente de payer le trajet et la consultation, j’ajoute à ces frais une nuitée à l’hôtel pour arriver chez de Liz reposée et à l’heure. Le pire serait de rater le rendez-vous que j’attends depuis six mois à cause d’un retard de train ! La veille du jour J, dans le train régional entre Francfort et Wiesbaden, je me demande pourquoi je n’ai pas tout simplement cherché une gynéco spécialisée en hormones bio-identiques à Berlin. Ou prié la naturopathe Anja Scherret de me donner un « vrai » rendez-vous. Au lieu de cela, je descends sous une pluie battante à la station Wiesbaden-Est, où j’attends un peu perdue dans l’obscurité, au bord d’une route dans une zone industrielle.

Quand un taxi passe enfin par là, je suis complètement trempée. Le chauffeur s’en amuse (« un pont est fermé, du coup, en ce moment, on ne peut pas relier Francfort depuis la gare centrale, ha ha »). À l’hôtel, le restaurant est fermé ; le réceptionniste suggère de me faire livrer directement dans ma chambre. Je consulte l’application Lieferando, hésite sur telle ou telle pizza avant de laisser tomber et de manger la pomme qui me restait dans mon sac. C’est typique : pour une fois que je veux me faire du bien, tout va de travers.

Et ça ne s’arrête pas là : je n’arrive pas à m’endormir et commence à répondre à des courriels. Aux alentours de 2 heures du matin, je m’assoupis et rêve de Sheila de Liz. Dans mon songe, elle travaille à domicile. La salle de consultation rappelle un salon des années 1950, avec des murs rembourrés. Des piles de livres et de revues jonchent la pièce. Je suis sa dernière patiente du vendredi après-midi, ses secrétaires prennent congé pour le week-end. Sheila arrive avec son dernier-né, un tout petit nourrisson, couché dans un panier à linge. Elle a plein d’autres enfants encore. J’en compte au moins cinq et quatre pères qui vont avec. Un des petits fête son anniversaire, il y a des gâteaux partout, j’aurais peut-être quand même dû manger un vrai repas ce soir. Je me demande comment je vais pouvoir me faire ausculter. Sheila semble très occupée ; elle me demande plusieurs fois pourquoi je suis encore là.

« Ben, parce que vous étiez censée m’examiner… », dis-je alors qu’elle est déjà de retour dans la cuisine auprès de ses enfants. Je tombe des nues. Après avoir tant attendu ce rendez-vous et tant espéré qu’on m’entende et me comprenne enfin, même Sheila de Liz ne m’écoute pas. Au bout d’un moment, elle lève les yeux, me regarde et dit : « Voyons, c’est évident, tous ces troubles que vous avez, c’est à cause de votre boulot. Vous travaillez trop, voilà tout. »

Le réveil me sauve. Il est 8 h 30, le rendez-vous réel n’a pas encore eu lieu. J’ai l’impression d’être une jeune groupie (fan périménopausique) excitée à cause d’une consultation médicale ! Carrément ! Ne connaissant pas Wiesbaden, je me sers de mon portable comme d’une boussole, comme si j’étais venue dans cette ville pour y chercher un trésor et non pas pour montrer ma vulve à une parfaite inconnue. D’après Google Maps, il n’y en a que pour neuf minutes à pied. Il est 10 heures, avec une demi-heure de marge, ça devrait le faire.

Le cabinet de la gynécologue d’origine américaine se trouve dans une rue latérale de la zone piétonne, au deuxième étage d’un centre médical. Pour une raison quelconque, je m’étais attendue à des locaux de série télévisée, mais, finalement, le cabinet de Sheila de Liz a l’air plutôt sérieux et sympathique. Ceci n’est pas seulement ma première consultation chez une doctoresse célèbre, mais aussi ma première dans un cabinet privé. Je suis assurée au régime public. Joyeuse périménopause, Miriam !

Dans la salle d’attente, je me dis que les secrétaires médicales sont de vraies héroïnes du quotidien. Les femmes travaillant à l’accueil chez mon médecin de famille, toutes ces employées que j’ai pu observer ces derniers mois – sans arrêt pendues au bout du fil, à écouter les gens et à répéter inlassablement les mêmes consignes avec une patience infinie – font des miracles. À leur place, entre la sonnerie incessante des téléphones et les accès d’humeur des patient·e·s, je ne tiendrais pas une heure et je péterais les plombs. Maria, la secrétaire de Sheila de Liz, me prête un chargeur parce que j’ai oublié le mien à Berlin et que je serais complètement perdue sans portable (je n’aurais même pas trouvé mon chemin jusqu’ici !).

Comme on pouvait s’y attendre, la pièce est remplie de femmes de ma tranche d’âge. Tandis que je patiente, des éclats de rire résonnent dans la salle de consultation, une première dans un cabinet médical. Apparemment, il y a encore de quoi rigoler même dans le climatère, me dis-je.

Puis la voilà devant moi, Sheila de Liz en personne, dans son bureau (évidemment très aseptisé). Première impression : pas une vedette du petit écran mais un médecin sérieux. J’ai vraiment regardé trop de séries.

« Qu’est-ce qui vous amène ? », me demande-t-elle gentiment.

Alors je déroule. La liste entière. Je mets tout sur la table : la fatigue de plomb, mon irritabilité, même le caillot de sang de la taille d’un placenta. De Liz note mes symptômes et me regarde, surprise : « Ça m’a l’air bien désagréable, tout ça. »

Même le gros caillot de sang ne lui dit rien qui vaille.

Je blâme le manque de soutien de ma gynécologue à Berlin.

« Beaucoup de collègues n’ont pas les moyens de réfléchir à ce genre de symptômes », m’apprend de Liz tout en faisant une échographie de mon bas-ventre. Elle trouve quelques myomes dans mon utérus, des tumeurs musculaires bénignes, mais « rien qui soit assez volumineux pour expliquer l’abondance des saignements ».

La consultation dure quarante-cinq minutes. De Liz me prélève du sang pour déterminer mes taux d’hormones et agir en conséquence. Enfin, elle me prescrit de la progestérone bio-identique. À prendre à partir du dixième jour du cycle parce que je « n’ovule probablement plus correctement ». Cela m’évoque cette participante à l’étude de Theda Borde, toujours réglée à 75 ans parce qu’elle prenait des hormones synthétiques depuis vingt ans.

« Mais, dites-moi, les hormones bio-identiques n’ont pas d’effets secondaires comme d’avoir ses règles au-delà de 70 ans, n’est-ce pas ?!

— Oh misère, non ! », me répond de Liz. Elle parle de similitude moléculaire et d’une sorte de système modulaire qui consiste à prendre des hormones quand on en éprouve le besoin. Quatre-vingt-dix comprimés coûtent 23 euros et il m’en faut dix par cycle. C’est moins cher qu’un pot de crème de chez Alicia Keys. Nous en restons là et fixons un rendez-vous téléphonique pour l’évaluation de mon bilan hormonal. Sur le chemin de la gare, je me rends compte que je ne me suis probablement encore jamais sentie aussi reconnue par un médecin, homme ou femme. En tant que patiente vulnérable, je retombe sans doute dans une position d’enfant : l’attention et la sollicitude sont déjà en soi une forme de médecine.

Après quelques jours de traitement hormonal, je dors effectivement mieux. Si seulement toutes les femmes pouvaient avoir accès à ce genre de soins médicaux ! Si seulement les médecins pouvaient accorder plus de temps à leurs patient·e·s. En matière d’équité des soins, je suis consciente de la valeur inestimable du système d’assurance maladie allemand. Faute d’assurance santé obligatoire, beaucoup de mes amies aux États-Unis n’ont même pas de gynécologue je-m’en-foutiste. Et pourtant, l’étude et la prise en charge du corps féminin doivent être améliorées. À long terme, la prévention pourrait même bénéficier au système d’assurance maladie – les affections cardiovasculaires, le diabète, les problèmes psychiques, voire Alzheimer pouvant potentiellement être endigués en amont. Les femmes les mieux rémunérées se tournant de plus en plus vers le privé, la situation du système de santé public ne va en effet malheureusement pas en s’améliorant.

J’entends sans cesse cette vieille rengaine : dans les décennies à venir, un nombre croissant de femmes entreront dans le deuxième, puis dans le dernier tiers de leur vie. Pour que les femmes matures ne puissent plus être reléguées en marge de la société, il faut aussi que leur vision d’elles-mêmes change. Après tout, vieillir dignement et en bonne santé est un privilège. Pour faire évoluer les choses, nous avons besoin de modèles, de femmes intrépides et puissantes comme Isabelle Huppert ou Cynthia Nixon. Mais, moi aussi, je peux agir.

Je me suis dit : Et si j’essayais autre chose pour une fois ? Quelque chose de « nouveau », qui change des sels de bain, des baies de gattilier, des voyages en Italie, des orgies de crème glacée et même des hormones bio-identiques. On compare souvent le climatère à la puberté, cette autre phase d’instabilité hormonale bien connue dans nos sociétés. La coming-of-age story pubertaire, l’histoire du passage à l’âge adulte, qu’elle soit racontée sous la forme de romans, de films ou de séries, est un genre très apprécié : un·e jeune trouve sa propre voie au mépris des attentes parentales. Ce type de récit est caractéristique de notre modernité. Avant, les adolescents ne pouvaient pas s’offrir ce luxe.

J’aimerais à présent inventer d’abord une coming-of-middle-age story, puis une coming-of-old-age story. Comme autrefois quand j’étais ado, je veux m’imaginer plus tard, mais pas adulte cette fois-ci, sinon sous les traits d’une femme dans le dernier tiers de sa vie. Combien de fois ai-je entendu dire : Si seulement je pouvais tout recommencer en sachant ce que je sais aujourd’hui…

Avant tout, il me faut de l’imagination et le courage de tirer des plans sur la comète, sur la base de mes propres expériences. Comme Frances McDormand.

En 1997, âgée de 40 ans, l’actrice a gagné un Oscar pour son interprétation de Marge, une policière stoïque, bienveillante et enceinte jusqu’aux yeux dans Fargo. Dans ce film, Marge fait une chose dont – selon le cliché – peu de gens croient capable une femme enceinte, dominée par ses hormones : elle résout une affaire de meurtre. Plus tard, McDormand déclara en interview que, après avoir remporté l’Oscar, elle avait dit à son mari, le réalisateur Joel Coen : « Quand j’aurai 65 ans, je changerai de nom et me ferai appeler Fern, je fumerai des Lucky Strike, boirai du Wild Turkey Whiskey et m’achèterai un camping-car pour partir à l’aventure ! »

À l’époque, McDormand et Coen avaient un fils d’un an. Traverser le Grand Ouest américain en fumant et en buvant n’était certainement pas de l’ordre du possible. Mais McDormand avait compris qu’une part d’elle-même ne portait d’intérêt ni à la vie de famille ni à la célébrité. Que quelque chose en elle rêvait de liberté et d’indépendance, peu importe l’insistance avec laquelle le monde lui vantait une vie « parfaite » fondée sur la famille et le travail. Elle décida de ne pas réprimer cette partie d’elle-même, ni de s’en moquer, mais de repousser ces envies de quelques années.

À 63 ans, elle a incarné une femme dans le film Nomadland qui, sans le sou à la mort de son mari, emménage dans un van et voyage à travers l’Ouest des États-Unis, de petit boulot en petit boulot, de la préparation de colis pour Amazon à Noël à la récolte de betteraves sucrières en automne en passant par le gardiennage de camping au printemps et en été. Elle fume des cigarettes et refuse d’arrêter, nettoie des toilettes maculées de vomi et nage nue dans un fleuve, le ventre gras et le pubis gris. Elle dort sur le parking d’une aire d’autoroute par des températures négatives et retrouve d’autres travailleurs et travailleuses nomades de plus de 60 ans dans le désert. À un moment donné dans l’histoire, son estomac se met à gargouiller très fort, puis on la voit se vider au-dessus d’un seau en plastique dans son minivan converti en camping-car de fortune et, visiblement atterrée par l’odeur, ouvrir le lanterneau. Nomadland a remporté un Lion d’or à Venise, un Golden Globe et l’Oscar du meilleur film, soit les plus grands prix cinématographiques du monde. L’héroïne s’appelle Fern.

McDormand a produit le film et développé son personnage avec la réalisatrice Chloé Zhao. Pendant le tournage, McDormand et Zhao ont elles-mêmes vécu dans des vans aménagés par leurs soins. J’ignore si l’actrice part sur les routes de temps à autre dans la vraie vie aussi. En tout cas, elle a réalisé le rêve qu’elle avait eu pour ses 65 ans, même si, à l’inverse des travailleurs et travailleuses nomades véritables, elle a pu retrouver sa vie privilégiée par la suite.

L’ascension de Fern dans le canon des films primés ne s’est pas faite sans critiques. Quelques jours après la remise des prix, l’humoriste Bill Maher crachait son venin dans son émission Real Time with Bill Maher (« En direct avec Bill Maher ») : « Une nouvelle nana est dans la place, et elle chie dans un seau. Qu’elle voyage dans un van, c’est plutôt cool, mais est-ce qu’elle pourrait avoir 19 ans et être bien roulée la prochaine fois ? »

Maher lui-même étant né en 1956, il a un an de plus que McDormand et, au moment de cette déclaration, il ne comptait pas moins de 65 printemps. Je préfère m’abstenir de commenter son « sex-appeal » à lui. Ce serait – ouh là là – sexiste. Un film avec une vision réaliste de femmes ayant franchi le cap de la cinquantaine se disqualifie en tant que divertissement – aux yeux de Maher en tout cas. Moi, en revanche, j’ai été happée par Nomadland et le regard sans compromis sur ces femmes âgées dans des situations précaires, qui – de façon tout aussi intransigeante – décident elles-mêmes de leur vie et se réinventent à la suite d’un deuil, d’une séparation ou d’une perte.

À l’image du climatère lui-même, le quotidien des femmes post-ménopausées varie d’une personne à l’autre. C’est pourquoi chacune de nous doit élaborer sa propre vision de la seconde partie de sa vie. La question de savoir si et comment celle-ci se réalisera n’est peut-être pas si importante. Ce qui compte avant tout, c’est de se laisser aller à la rêverie et d’oser l’exprimer. La figure de Sheela-na-Gig m’a montré que le corps féminin peut être puissant même sans sexe et privé de fertilité.

Le fait que, aujourd’hui, je ne sois plus forcée de « me retirer élégamment », comme on le suggérait encore aux femmes d’âge moyen il n’y a guère si longtemps, est un cadeau des militantes pour l’égalité hommes-femmes, datant de quelques décennies avant ma naissance. Récemment, on s’est demandé avec une copine à quel groupe d’âge en Allemagne on attribuait le meilleur niveau de qualification. Définitivement pas aux femmes d’âge moyen ou âgées. Globalement, on tend à penser que les jeunes femmes et les jeunes en général manquent d’expérience. Les hommes d’âge mûr seraient-ils donc vraiment les seuls à être compétents ?

En 2005, à 51 ans, Angela Merkel devint la première femme chancelière en Allemagne. Peu avant sa réélection en 2009, le magazine satirique Titanic titra en une « Merkel dans la ménopause » avec une photo d’elle, 55 ans à l’époque, affublée d’une moustache et le visage rouge de sueur – une blague bien lourde, surtout vis-à-vis de Merkel qui n’a jamais montré le moindre signe d’irritabilité.

J’aimerais être qui alors, à 65 ans ? Une femme en pleine santé, indépendante, membre d’une tribu, d’un groupe de personnes. J’aimerais que mon couple dure mais pas vieillir seule avec mon mari. Je souhaite à mon Moi futur une vie en communauté, pas de propriété individuelle, mais une chambre dans une maison partagée avec des amis. Si celle-ci était quelque part au soleil, je n’irais certainement pas me plaindre.

14. Solitude.
Nouvelles opportunités : une architecte d’intérieur dans un nid vide et le pouvoir des rituels

Devant l’école, j’aperçois la mère d’un camarade de classe de mon fils. De loin, elle est comme toujours : grande, le port droit, jolie. Mais, à mesure que je m’approche, je distingue nettement ses yeux rouges, ses lèvres gercées et un gros bouton d’herpès sur sa lèvre supérieure.

« Ça va ? Tu as l’air un peu fatiguée », lui dis-je.

D’un coup, ses yeux se remplissent de larmes. Je veux être à cent pieds sous terre. « Tu ne peux vraiment rien garder pour toi, hein », m’a reproché mon mari récemment.

« Max ne me parle plus ! », explose-t-elle en essuyant ses larmes. Max est son plus jeune fils.

« Il passe tout son temps dans sa chambre. Il ne sort même plus. Quand j’ose jeter un coup d’œil, il me fusille du regard. Et Anton fait ses études à Cologne. Il n’a pas appelé de la semaine. En fait, il faudrait que j’aille au bureau, mais, vu mon état, ça ne sert à rien ! »

Elle me raconte qu’elle passe ses journées chez elle en télétravail, à concevoir des logements à destination de jeunes familles. Elle est architecte d’intérieur. Ces deux dernières années, avec le travail et l’école à la maison, la famille était constamment réunie. Désormais livrée à elle-même, elle tombe dans la solitude, écoutant un podcast après l’autre pour fuir le silence dans l’appartement.

« Quand Max rentre de cours, je reste collée à sa porte, comme si tout mon bonheur dépendait d’une seule seconde d’attention de la part de mon fils ! C’est pathétique, non ? Sans parler de ces conneries d’équilibre entre travail et vie perso, comme si j’avais le moindre contrôle sur cet “équilibre” ! Pendant le confinement, ma “vie” a pesé sur mon “travail” comme un gigantesque cul d’éléphant et, maintenant, le “travail” devrait tout à coup remplir le vide que la “vie” m’a laissé tandis que mon benjamin se met à avoir de l’acné, à se rebeller et à laisser traîner ses chaussettes sales partout avant de s’en aller lui aussi, comme son grand frère ! »

Selon l’anthropologue Margaret Lock dans son livre Encounters with Aging, notre société moderne et fragmentée causerait des troubles climatériques plus aigus. Certes, je ne crois pas qu’un retour à la famille paysanne élargie atténuerait le sentiment de solitude des mères d’enfants pubertaires (« Je suis très contente que ma mère, qui vit à 450 kilomètres d’ici, soit encore en parfaite santé et autonome ! », s’exclame avec soulagement l’architecte d’intérieur), mais la réduction de la famille nucléaire au couple puis à l’individu seul me déprime. Selon ce modèle, à la fin, les veuves et les veufs se retrouvent au mieux seuls dans leurs appartements ou leurs maisons, et au pire dans un Ehpad.

L’impact de la vie sociale sur le climatère est aussi important que la prise d’hormones, l’alimentation et le sport. Des sondages ont révélé que les personnes seules, voire isolées socialement meurent plus tôt que celles qui ont des amis. Ce qu’on entend par vie sociale dépasse ici le couple. Les êtres humains n’atteignent pas un âge avancé dans des groupes de deux, voire trois ou quatre personnes, mais en évoluant dans des cercles sociaux aussi variés que possible. Une étude atteste que les êtres humains – en couple, en famille ou entre amis – s’adaptent les uns aux autres. Plus simplement : si mes potes aiment passer des heures devant Netflix à se goinfrer de chips, à boire de la bière et à fumer, il est fort probable que je fasse de même. En revanche, s’ils aiment faire de la randonnée, planter des légumes et siroter de la limonade maison en mangeant des saucisses de tofu, je finirai sans doute par adorer le tofu et la limonade. Pas parce que je suis un mouton mais parce que j’ai choisi mes proches pour ces raisons-là précisément – parce que nous avons des préoccupations et des centres d’intérêt similaires.

Theda Borde me disait que, durant le climatère, beaucoup de femmes de la première génération des Gastarbeiterinnen en Allemagne ont traversé des crises existentielles sur fond de solitude et de « syndrome du nid vide ». Manifestement, cela arrive aussi à des architectes d’intérieur allemandes.

Peu importe la force physique et psychique dont on dispose : on ne peut pas endurer comme si de rien n’était des changements aussi massifs que le passage à l’âge adulte de nos enfants, des relations qui se délitent ou le sentiment que notre boulot ressemble peut-être quand même davantage à un distributeur mensuel de billets qu’au job de nos rêves. Quel jeune de 17 ans brûlerait d’avoir trente-cinq ans de carrière dans le management intermédiaire et de vivre le quotidien complexe d’une famille recomposée ? D’avoir un père qui survit à sa femme et qui se remarie ? Ou des parents devenus invalides qui doivent être maternés ? Pour le bien de notre santé mentale, je pense qu’il est essentiel de considérer les moments de crise comme partie intégrante de la vie – c’est bête à dire, mais cette dernière n’est pas une comédie romantique. Plutôt un bazar sans nom. Mon fils aussi va devenir adulte, et lui aussi va me claquer la porte au nez un jour. Je remarque déjà qu’il préfère désormais la compagnie de ses amis à la mienne.

Malheureusement, notre époque ne tolère pas les crises qui se prolongent. Les accès de désespoir sont au mieux traités en thérapie, au pire refoulés ou anesthésiés. Une souffrance au long cours n’a pas sa place dans le récit linéaire de notre temps. « Ça va passer » est le mot d’ordre de rigueur quand je n’arrive pas à me lever, à penser clairement, à aimer mon corps et à accepter mes erreurs de jugement. On s’attend à une journée en dents de scie, on espère une simple coïncidence chimique : rien qui ne soit surmontable d’une manière ou d’une autre. Malheureusement, le climatère n’est pas juste une mauvaise journée à passer, mais une très longue série de journées de merde. Même avec un traitement hormonal, notre corps change.

Et si je n’étais pas seule avec mon corps hirsute et vieillissant ? Et si, au lieu de devoir bûcher pour obtenir les informations et entretiens nécessaires à ce livre, j’avais déjà été en possession de tout ce savoir ? Transmis sinon par ma mère, alors peut-être par d’autres femmes ? Et si j’organisais une fête pour nous célébrer au lieu de nous cacher, moi et mes règles diluviennes, mes cheveux qui tombent et mes crises de colère ? Où je pourrais m’affaler, prise de vertige après un verre et demi de Weinschorle1, ivre et sans honte sur les genoux de mes invitées ? Et si mon défouloir climatérique ne restait pas un fantasme et devenait réalité ?

La théologienne hongkongaise Neky Cheung a fait une découverte fascinante dans le Sud-Ouest de la Chine. Dans le cadre de ses recherches sur les rituels bouddhistes dans les régions rurales de la République populaire, elle est tombée sur un rite dédié aux femmes dans le climatère dans la ville de Ninghua au Fujian. Au total, elle a participé à quatre de ces rituels. Elle a mangé et bu avec les femmes, parlé avec les artisans qui avaient produit leurs chaussures et leurs vêtements. Le rituel du Jiezhu repose sur la transmission de perles de prière, une cérémonie de remise de cadeaux et un banquet traditionnel. Des divinités sont appelées et la « porte de l’empire de Bouddha » est ouverte. Les festivités s’étalent sur plusieurs jours, incluant des cérémonies religieuses au coucher et au lever du soleil. Le banquet de mariage de la femme fêtée est reproduit, des photos des moments clés de sa vie – en tant que fille et épouse – sont échangées et des vœux exprimés. Plus la fête est longue et somptueuse, plus grand sera le respect de la communauté pour la femme.

Ce rituel s’ancre dans la tradition sino-confucianiste, un ordre social à forte dominante patriarcale dans lequel une femme n’existe qu’à travers la trinité masculine qui l’entoure : le père, le mari et le fils. La vie d’une femme s’échelonne ainsi en trois parties : elle est fille de la naissance au mariage ; épouse pendant son mariage et, enfin, mère dans sa vieillesse. Inutile de préciser que, depuis le début de l’ère moderne, ce modèle fondé sur « la dépendance et la soumission » s’effrite et se voit à juste titre très fortement remis en question.

« Néanmoins, les valeurs familiales patriarcales perdurent en Chine, et ce surtout dans les régions rurales, précise Cheung. Pour beaucoup de femmes chinoises, se marier et élever un héritier mâle reste un idéal de vie. »

Dans l’ouvrage auquel ont donné lieu ses recherches, Neky Cheung suppose que le rituel évoqué ci-dessus a été créé pour initier la chasteté des veuves, aussi s’agirait-il d’un rituel de purification visant à laver les femmes de la « souillure » des menstruations – voilà qui semble tout sauf féministe. Toutefois, nuance-t-elle, les femmes en retirent d’énormes bénéfices :

« D’après moi, ce genre de rituel a un effet thérapeutique. La femme-Jiezhu traverse une phase où elle doit apprendre à accepter que, avec la fin de sa fertilité, son rôle et son identité de “donneuse de vie” (mère) changent », écrit Cheung. « Le rituel donne de l’importance à la femme, aussi bien dans la sphère publique que privée. Il l’aide à faire face aux difficultés physiques et psychiques de la ménopause en lui permettant d’associer souvenirs et imagination. Le rituel lui donne l’occasion de se mouvoir entre passé, présent et futur. Il reconstitue des moments de sa vie de fille, de femme, rejoue son mariage et anticipe son propre enterrement. La femme peut “accomplir” ses propres rites funéraires et se débarrasser de ses possessions en les brûlant symboliquement pour le royaume des morts.

— Mais, attendez une seconde, tout ça ne vous paraît pas macabre ? Qu’une femme “essaye” son propre linceul ? », écris-je à Neky Cheung par courriel.

« Non », me répond-elle, « figurez-vous que les femmes que j’ai rencontrées étaient heureuses de ne pas aller vers la mort “sans y avoir été préparées”. Elles croient que, en portant leur suaire, elles pourront tromper le gardien de l’outre-monde et ainsi éviter de succomber aux peurs censées assaillir les mourants. » Visiblement, en Chine, la prévention aide même contre l’angoisse de la mort.

Neky Cheung travaille à l’université chinoise de Hong Kong. Elle a étudié au Canada et à Hong Kong, ses recherches portent sur les femmes et la représentation des femmes dans les religions asiatiques. Au-delà du Jiezhu, elle a également examiné un autre rituel : la délivrance des âmes du « lac de sang ». Dans ce rite, les âmes des femmes mortes en couches, bannies dans le xue hu, le « lac de sang » du monde souterrain, sont sauvées par un groupe de femmes qui leur étaient proches. Ce « lac » est rempli de sang menstruel et du sang que les femmes perdent à l’accouchement. Quelle peur terrible des parturientes les hommes de l’Antiquité devaient-ils avoir pour inventer un lac infernal plein de sang menstruel !

Heureusement, le rituel de la ménopause est moins sanglant. La femme est censée y puiser de la force spirituelle pour atténuer son stress et trouver des parades contre la peur de la mort – c’est bien trouvé. Désormais autorisée à recevoir « Amituofo », la langue pure de Bouddha, et reconnue comme membre de la communauté bouddhiste Nianfo2, elle obtient non seulement une nouvelle identité, mais aussi un nouveau nom. Elle s’est élevée dans l’ordre social religieux.

Le rituel Jiezhu célèbre la crise traversée par les femmes et en profite pour améliorer leur statut. Mais cela ne va pas sans conditions : si une femme tombe enceinte après le rituel, elle devra le repasser. Notons que les femmes ayant déjà accompli le Jiezhu se soutiennent mutuellement face aux symptômes et aux difficultés du climatère. Cheung qualifie cette célébration de cadeau que les femmes se font « à elles-mêmes ». Elle salue le caractère communautaire de l’événement et l’approche collective de la phase épineuse du climatère.

Cette forme de sororité s’appelle « Peng ».

« La Peng est une communauté sociale. On y entre grâce au rituel d’admission », explique la professeure. « La femme fraîchement acceptée fait peau neuve en tant que membre de la “Peng”. En contrepartie des bénéfices qu’elle en retire et de sa nouvelle identité, la néophyte doit s’acquitter de certaines obligations comme assister aux rituels Jiezhu d’autres membres et organiser une fois par an le rituel bouddhiste Nianfo de la communauté. »

Neky Cheung estime que, aujourd’hui, ces rituels sont plus importants que jamais : bien que les célébrations soient de nature patrilinéaire, elles améliorent le statut social des femmes. Les femmes ménopausées et post-ménopausées s’élèvent dans la hiérarchie bouddhiste, la Peng leur assurant un soutien social et l’appartenance à un groupe.

Les résultats des recherches de Cheung confirment ce que je soupçonne depuis longtemps : des rites féminins et des communautés de femmes ont existé de tout temps. Ancrés, à l’instar du rituel Jiezhu, dans la société patriarcale, ils permettaient aux femmes de créer des liens sociaux. Même si le respect, l’amitié et la communauté ne remplacent évidemment pas l’égalité des sexes, ils modifient néanmoins l’image de la femme comme élément constitutif d’un couple marié. Peut-être ce genre d’assemblées étaient-elles camouflées en grandes lessives au bord de la rivière ou en séances de pétrissage de pain, peut-être avaient-elles lieu la nuit, quand les hommes allaient se détendre dans les troquets et les bouges, peut-être les nourrices, les accoucheuses, les soignantes, les domestiques, les serveuses, les brodeuses, les tisserandes ou les cuisinières – des femmes supposément ordinaires et invisibles – organisaient-elles des cercles de parole pour favoriser l’échange et la transmission des savoirs. L’idée que les femmes seraient incapables de se rassembler, capricieuses, déloyales et sans cesse en train de rivaliser pour des hommes, est à mon avis une construction masculine, destinée à circonscrire les épouses au foyer.

Durant des siècles, l’histoire a été écrite par un petit nombre d’hommes. Si rites et communautés féminines il y a eu, ceux-ci n’ont tout simplement pas assez intéressé les historiens et chercheurs pour qu’ils les documentent. Ils ont probablement été dénigrés en tant qu’« affaires de bonnes femmes », interdits ou au pire criminalisés (voir la chasse aux sorcières).

Deux professeurs ont mené des recherches dans la province du Fujian et sont tombés sur un rituel de la ménopause sans que cela les intriguât davantage. Il a fallu attendre qu’une femme, Neky Cheung, reconnaisse le potentiel scientifique du Jiezhu.

« La plupart des femmes interrogées n’étaient pas satisfaites de leur vie », rapporte Cheung, « non pas parce qu’elles ne travaillent pas ou qu’elles croulent sous les tâches domestiques, mais parce qu’elles doivent se coltiner leurs maris. Rares sont les mariages qui ont tenu leur promesse d’épanouissement. Du coup, elles prient pour avoir plus de chance dans leur prochaine vie – autrement dit, un meilleur époux. »

Si je priais, ce serait pour être plus entourée et pouvoir me relier à toutes ces femmes anonymes – ici et en Corée du Sud – qui, entre les malédictions à la « lac de sang » et leurs maris décevants, ont autrefois trouvé, ensemble avec d’autres femmes, la sagesse et peut-être même un peu de bonheur. Qu’elles m’apprennent comment redonner vie à ce lien profond, cette solidarité et cette amitié.

15. Bouffées de chaleur.
Changer de perspective : joni mitchell, la beauté de l’expérience, l’énergie du changement et l’espoir de rester plus ou moins en bonne santé

En 1967, l’autrice-compositrice-interprète Joni Mitchell, 24 ans à l’époque, avait profité d’un vol en avion pour lire Le Faiseur de pluie de Saul Bellow. De même que la chanteuse, le héros du roman se trouvait lui aussi à bord d’un appareil et observait les nuages : « Et je rêvais en contemplant les nuages en bas, me disant que quand j’étais gosse j’avais rêvé en contemplant les nuages en l’air, et que d’avoir rêvé en contemplant les nuages des deux côtés comme aucune autre génération d’hommes ne l’avait encore fait, devait vous permettre d’accepter l’idée de la mort très facilement », écrit Bellow.

« J’ai reposé le livre et me suis tout de suite mise à composer la chanson Both Sides Now. Je n’imaginais pas qu’elle aurait autant de succès », avait expliqué Mitchell en revenant sur l’histoire de ce tube devenu un classique en Amérique et un des airs populaires les plus repris au XXe siècle. Même Sinatra en a enregistré une version.

Trente-trois ans plus tard, à 57 ans, Joni Mitchell réenregistra sa chanson une nouvelle fois. Entre-temps, sa voix s’était transformée, passant d’un soprano de jeune fille au contralto grave et mature d’une femme proche de la soixantaine. Forte de plus d’un demi-siècle d’expérience et accompagnée par un orchestre au grand complet, elle chanta les deux faces des nuages, de l’amour et de la vie – non plus avec l’innocence d’une jeune femme, mais avec la maturité d’une personne qui avait réellement vu, vécu et survécu aux côtés pile et face des choses. Elle était belle sur scène, un brin plus massive ou plutôt plus imposante qu’avant – en adéquation avec la solennité de sa prestation : en six minutes à peine, elle parvint à toucher à l’essence même de l’existence.

L’histoire qualifie ces moments de grâce de « fruits du génie », ce dernier étant la plupart du temps attribué à des hommes. Et, dans ce cas précis, à Joni Mitchell : son Moi de 24 ans s’est écrit une chanson qu’elle a pu interpréter à la perfection à l’âge de 57 ans. En l’écoutant, certains auditeurs et certaines auditrices expérimentent rien de moins qu’une forme de transcendance : « Les atomes de mon corps se sont entièrement recomposés. Rien ne sera plus jamais comme avant », écrit un fan. Je connais ce sentiment d’être submergé·e par ses propres émotions, de les sentir envahir chaque cellule de son corps. Le temps s’arrête.

La jeune Mitchell avait écrit un hit. Avec le même morceau, proche de la post-ménopause, elle a réussi à suspendre l’espace-temps. N’ayant plus besoin d’être mignonne ou de vendre des tubes à la radio, elle doit désormais convaincre sur les plans artistique et affectif uniquement. La fragilité de sa jeune voix de soprane a cédé la place à un solide contralto. Ce qui sonnait autrefois comme une promesse évoque dans sa version plus tardive une forme d’assouvissement et surtout l’acceptation ultime de soi-même ainsi que de l’absence probable de réponses définitives aux grandes questions de l’existence, éclairées seulement par de brefs moments de vérité. (I’ve looked at life from both sides now / from win and lose and still somehow / it’s life’s reflections I recall / I really don’t know life at all – « J’ai regardé la vie de part et d’autre à présent / j’ai gagné, j’ai perdu et cependant / ce sont ses illusions que je retiens/ de la vie, je ne connais donc rien de rien »).

Les deux versions de la chanson, celle de 1969 et celle de 2000, témoignent d’un processus de maturation artistique et personnel. Elles représentent les deux versants d’une vie de femme : la jeune femme talentueuse et pleine d’énergie qui écrit en quelques heures un des airs les plus connus du XXe siècle et la femme d’âge moyen qui sait réellement ce dont elle parle, ayant sans doute plus d’une fois éprouvé les deux côtés de l’amour et de la vie.

En anglais, le climatère s’appelle aussi the change, qui signifie « le changement, le tournant, la modification » ou encore « la conversion ». De même que la puberté et la grossesse, cette conversion est de nature biologique, le corps l’entreprend sans l’accord de la conscience. Contrairement à la puberté, qui nous fait miroiter une vie adulte triomphale, et à la grossesse, dont l’issue est un enfant, le climatère est présage de vieillesse et de mort. Une conclusion intéressante, quand on pense à l’espérance de vie des femmes dans les pays industrialisés. Entre le change et la mort, il y a quarante ans.

Globalement, le changement est considéré comme positif et nécessaire : il serait bon pour la santé psychique, de nouvelles synapses se créant dans le cerveau et ouvrant de nouvelles perspectives. Typiquement, des psychologues de l’université de New York et de l’université de Miami ont découvert que les gens s’exposant à des changements de lieu sont plus heureux, ouverts, détendus et attentionnés.

Mais, avec l’âge, un autre sentiment se fait jour : la peur du changement. La veille de départs en voyage, je m’invente des centaines de prétextes pour ne pas devoir partir. Ça n’a pas toujours été ainsi. À 16 ans, je suis partie en échange scolaire aux États-Unis sans parler l’anglais ; à 20 ans, je suis allée vivre à Londres, sans connaître qui que ce fût là-bas. En changeant radicalement d’environnement, j’avais la sensation de me dissoudre et de recomposer un Moi nouveau sur place.

Désormais, je peine à rassembler autant de courage et d’énergie. Parfois, je me surprends même à trouver fatigant ne serait-ce que le changement minime d’une sortie hors de la maison. Cela fait des années, voire des décennies que j’ai non seulement le même cercle d’amis, mais aussi les mêmes habits, meubles et objets. Je n’ai pas de mal à faire le tri dans mes documents, mes vieux magazines, mes livres ou mes vêtements abîmés, mais je n’éprouve guère le besoin de changer de déco, par exemple. Finalement, je me rends compte que je ne suis pas aussi spontanée et flexible que je croyais. Au contraire : en prenant de l’âge, je me suis progressivement transformée en un être d’habitudes qui se sent en sécurité quand les choses restent plus ou moins comme elles sont.

Pour m’assurer cette sécurité, je me suis tissé une jolie toile, un « château de cartes » comme disait Mirna Funk, dans lequel j’ai toujours deux coups d’avance pour garder le contrôle, comme une stratège aux échecs. Si je planifie assez de sorties sympas pour le week-end ou les vacances, je m’ennuierai moins pendant mon temps libre. Si je règle mes finances, j’aurai plus de chances de ne pas redevenir pauvre. Si je me nourris sainement et que je fais dix mille pas par jour, je risquerai moins de tomber malade.

Seulement, le climatère ne fonctionne pas de cette façon. Mes ovaires et mes hormones ne s’intéressent pas à mon envie de pouvoir tout maîtriser. Malgré une bonne hygiène de sommeil, ce n’est pas moi qui décide si je vais bien dormir cette nuit ou non, peu importe combien j’anticipe. Les hormones bio-identiques m’aident contre la chute des cheveux, les problèmes de peau, les règles XXL, mais elles ne me préservent pas du SPM ou de la fatigue. Elles rendent simplement le tout plus supportable.

Mais alors, comment surmonter un changement aussi massif, qu’on n’a pas choisi et qu’on ne peut pas contrôler, à notre époque qui nous répète sans cesse qu’on peut tout gérer et tout corriger ? Anja Scherret avait refusé de se prétendre plus stressée que sa mère ne l’était en tant que femme au foyer. Mais peut-être celle-ci ne s’est-elle pas entendu dire qu’elle pouvait régler tous ses problèmes à condition de travailler suffisamment dur et d’y mettre assez d’argent. A contrario, cela signifie que, aujourd’hui, les problèmes non résolus sont la conséquence de notre propre insuffisance : si j’échoue, c’est à cause de mon corps, de mon être de femme.

Ai-je peur du climatère parce que, en perdant ma fertilité, je perds aussi ma jeunesse ? Parce que je crains d’être la proie de mon corps vieillissant bien que je sois habituée depuis toujours à être celle des clichés sur le corps féminin ? Est-ce que j’échange une forme d’aliénation contre une autre ou ai-je enfin la possibilité, entre défaillances et mouvements d’humeur, de m’approcher de la liberté dont devraient pouvoir jouir tous les êtres humains ?

La médecine et l’histoire culturelle n’en sont sans doute qu’aux prémices d’une évolution vers l’observation de la vie féminine dans son ensemble. Plus la recherche produira de résultats, plus grande sera notre liberté au quotidien. Cette promesse reste néanmoins délicate car beaucoup de gains de liberté proclamés cachent des dépendances larvées : au bout de vingt-cinq ans, le travail supposément épanouissant se révèle finalement aliénant. Les relations amoureuses, ces promesses de bonheur, deviennent au quotidien des espaces de négociation privés où se jouent des rapports de forces intimes. Propriété oblige, comme chacun sait1.

Mes plus proches amis hommes cherchent à s’affirmer en s’adonnant à des sports extrêmes (alpinisme, tour du monde à la voile), en enchaînant les relations ou en craquant pour la mythique voiture de sport. Leur crise de la quarantaine a ses propres images et traditions, elle fait partie de la condition masculine. Tout naturellement, ils partent du principe que le monde autour d’eux les suivra dans leurs délires avant de les leur pardonner. Les quelques représentations de femmes d’âge moyen qui existent vont quant à elles dans une direction étrange, retranchée : la femme ésotérique qui ne cause soudain plus que d’astrologie ou la buveuse de thé évoquée dans l’introduction à cet ouvrage.

Ma crise de la quarantaine est ancrée en moi, arrimée à mes ovaires et à mon utérus. Elle me menace de disqualification tout en mettant à ma disposition un peu de cette satanée liberté, la vraie : car je suis désormais de moins en moins esclave de ma condition biologique. La question d’un désir de grossesse ne se pose plus. Je n’ai pas de réserve d’ovocytes dans le congélo. Quand je fais l’amour, c’est uniquement pour le plaisir. Depuis que je prends de la testostérone, j’ai retrouvé ma libido et je me sens redevenir ambitieuse – après tout, je ne suis qu’à la moitié de mon histoire, pas à la fin. Le climatère a beau me tourmenter avec ses bouffées de chaleur et sa fatigue, il m’offre aussi de l’autonomie.

Dorénavant, quand les fameuses vapeurs me monteront à la tête, je me les représenterai comme de l’énergie. Cette énergie qui a circulé pendant des années tous les mois dans mon corps sous la forme d’un cycle pourvoyeur de vie tire sa révérence dans un final éclatant : tel un accès de fièvre subit, elle irradie chacune de mes cellules. Je repense alors aux trois millénaires durant lesquels elle a systématiquement été muselée et phagocytée, pour finalement se muer en blague de comptoir. Et au fait que, tout en ayant renfermé cette énergie tout du long, je l’ai contenue et amoindrie. À présent, je peux me rattraper en la célébrant.

16. La fin des menstruations.
Fluctuations de la fertilité : adieu, la peur de tomber enceinte sans le vouloir ; le lâcher prise et la revalorisation de la sollicitude et de l’esprit de communauté

Je suis tombée enceinte une première fois à 20 ans. Avec mon copain et dans ma situation d’alors, il était hors de question que j’aie un enfant. À cette époque-là, je n’étais d’ailleurs même pas sûre de vouloir être mère un jour – ma mère biologique m’avait abandonnée, pour une raison inconnue, je n’avais pas ma place dans son schéma de vie. Ma propre fertilité, qui devait alors être à son summum, m’était étrangère. Dites-vous que j’avais même du mal à me sentir femme. Je savais que je n’étais plus et que je ne voulais plus être ni une enfant ni une adolescente, mais l’idée de maternité, de responsabilité vis-à-vis d’un autre être vivant, me semblait abstraite et tout sauf souhaitable.

De même qu’Anja Scherret, la plupart des femmes et des jeunes filles autour de moi prenaient déjà la pilule depuis des années. Pour moi, ce n’était pas une option, les différentes formules que j’avais testées puis cessé de prendre m’ayant valu des saignements intermédiaires. Je voulais absolument éviter de saigner plus souvent que nécessaire. Sous pilule, je saignais tout le temps, un cauchemar.

Je me souviens très bien que, adolescente, j’étais complètement dépassée non seulement par les règles mais aussi par la perspective d’être femme un jour. Ma mère dédaignait les tampons et utilisait des serviettes hygiéniques. Je trouvais ça affreux. Je craignais qu’on puisse les voir à travers mes vêtements, elles sentaient fort le parfum et faisaient 18 centimètres de long sur 3 centimètres de large. Les inventeuses de culottes menstruelles étaient encore dans leurs langes et, pour beaucoup de jeunes filles, la plus grande innovation de tous les temps était le protège-slip fin. Sans mentir. À l’âge de 19 ans, j’ai basculé sur les tampons, avant, je n’avais pas osé.

« Tu es une femme maintenant », m’a dit ma mère quand j’ai saigné pour la première fois. Super, ai-je pensé. Ma mère souffrait du syndrome prémenstruel et de crampes. Quand elle avait ses « ragnagnas », la famille entière devait prendre des gants avec elle. L’arrivée de mes règles ne me réjouissait aucunement. Je ne voyais pas le début de ma fertilité comme une bénédiction ou quelque chose de puissant, mais plutôt comme un phénomène embarrassant, voire sale : parce que je ne pouvais pas participer au cours de natation à cause de tusaisquoi.

Bien éméché, un gars du lycée s’était vanté un jour que, après avoir satisfait sa copine oralement, il avait eu l’air d’un vampire après un festin. L’essence de la féminité et de la maternité – le sang – n’a encore jamais eu sa place dans le monde de Barbie. Les poupées en plastique aux seins sans tétons n’ont pas de vulve et ne saignent pas.

Mon fils me dit que beaucoup de filles de sa classe restent chez elles en cas de règles très douloureuses. En ce qui me concerne, cela aurait été impensable – un aveu terrible de faiblesse féminine.

Lorsque je suis tombée enceinte pour la première fois, le sexe était encore quelque chose de très abstrait qui commençait tout juste à m’amuser. Je n’étais pas prête. Ni pour la maternité, ni pour la confrontation avec ma fécondité, ni pour la gestion des douleurs que des kystes me causaient chaque mois, ni pour rien de tout ça. Si, à l’époque, on m’avait proposé de m’informer sur le social freezing, je n’aurais probablement pas donné suite. J’étais plutôt embêtée par ma fertilité. Et, apparemment, je n’étais pas la seule, les hommes aussi la trouvaient énervante. En général, leur première question avant le sexe était : « Tu prends la pilule ? » (« Nan. » « Oh. Tu sais que c’est nul avec un préservatif ? »)

Ce qui m’échappe désormais lentement – ma fertilité – représentait un poids il y a vingt ans, une prédestination biologique que beaucoup de femmes de mon entourage réprimaient à l’aide d’hormones de synthèse. Ce qui, dans le climatère, est certes considéré comme précieux mais que l’on congédie aussi très volontiers, ce qui suscite un sentiment de privation et des questionnements identitaires, était autrefois la plus grande source de stress qui soit. La question :

Serais-je donc enceinte ?!

Je ne me souviens guère de l’entretien psychosocial au centre agréé Pro Familia, une consultation prescrite par la loi avant une interruption de grossesse. Je me rappelle seulement qu’il avait été cordial et libre de tout reproche, ce qui m’avait soulagée1. On m’avait remis une attestation tamponnée m’autorisant à me faire avorter. L’intervention avait été réalisée en ambulatoire chez un gynécologue. Quand mon petit ami était venu me chercher, une tristesse que je peine encore à définir aujourd’hui m’avait envahie. La douleur de l’adieu ? Le stress ? Et pourtant, un soulagement aussi.

Je pense toujours que ma décision était la bonne. Après tout, je suis moi-même la conséquence d’une fécondité « incontrôlée ». Si ma mère biologique avait eu accès à la contraception ou à l’avortement, je ne serais sans doute pas née. À 20 ans, j’étais encore tant aux prises avec ma propre vie et la question de mon appartenance que je n’imaginais pas un seul instant pouvoir m’occuper d’un enfant.

Il va sans dire que je suis heureuse d’exister. Et rien n’a enrichi mon existence davantage que la maternité – avec le bon partenaire et surtout au bon moment : quand j’ai été prête à faire la paix avec mes deux mères, quand j’ai pu organiser ma vie pour qu’une autre y eût sa place.

Je n’ai pas oublié l’interruption de ma première grossesse. Heureusement, je n’ai éprouvé ni remords ni culpabilité. Au contraire : j’assume pleinement mes décisions – d’abord contre, puis pour la maternité.

Beaucoup de femmes de ma tranche d’âge interrogées pour ce livre n’associent pas un sentiment de perte mais plutôt de soulagement avec la fin de leur fertilité. Une amie me décrit les incertitudes immenses qui la tourmentaient entre ses 20 et 30 ans : Trouverai-je le bon moment pour tomber enceinte ? Ce moment, est-ce peut-être maintenant ? Ou vaut-il mieux attendre ? Elle se sentait tellement sous pression qu’à présent, à 50 ans, en plein climatère et en dépit de problèmes de peau et de troubles du sommeil, elle est contente d’avoir enfin échappé à ces questionnements. Dans mon entourage, quasiment aucune femme en âge de procréer ne se qualifiait de « pourvoyeuse de vie ».

Dommage, en réalité. Une de mes connaissances qui, très jeune, avait déjà conscience de ce rôle passait même pour rétrograde à l’époque, y compris à mes yeux : l’avenir des femmes ne résidait pas dans la fertilité mais dans l’autonomie économique, soit le travail. J’en étais convaincue. Je ne voyais pas la fertilité comme une « aptitude » personnelle, je me sentais bien trop « moderne » pour ça. Ce qui est inné avait forcément moins de valeur que ce que l’on obtenait par l’effort : le savoir, l’habileté, des compétences. Quand j’avais 20 ans, la maternité n’était pas un modèle de vie enviable. Dépendance et soins à apporter, j’associais cela avec ma mère dont l’existence de femme au foyer faisait si peu envie – même à elle.

À mon entrée dans la vie active, il était de bon ton pour les jeunes femmes de viser un poste de direction. Libre à vous d’avoir un enfant si vous y teniez absolument, mais alors par césarienne entre deux réunions. À 20 ans, je n’avais pas encore compris que l’attitude carriériste pouvait être aussi bornée que l’image traditionnelle de la mère façonnée par les hommes.

Celles et ceux dont le désir d’enfant ne s’est pas réalisé connaissent toute la valeur de la fertilité. La tristesse des femmes qui ne peuvent pas tomber enceintes et leur tendance à douter d’elles-mêmes m’ont fait réfléchir : comment se sent une femme qui veut des enfants et ne peut pas en avoir ?

Franchement, je continue à trouver assez dingue l’idée qu’un être vivant ait pu grandir dans mon corps. J’ai moins de mal à me figurer les ovocytes de Mirna Funk dans une cuve cryogénique que les processus biologiques à l’œuvre dans mes ovaires et mon utérus. Les choses les plus naturelles me semblent plus factices que tous les artifices. Voilà qui dénote un sacré hiatus entre moi et mon corps. En ce sens, j’ai également de la reconnaissance pour le calvaire du climatère : grâce à lui, je prends enfin conscience de ce que ce corps a accompli quotidiennement pendant plus de quarante ans, notamment dans les moments où j’ai le moins pensé à lui.

Durant trente ans, le sang qui sourd de moi à intervalles irréguliers a porté en lui la possibilité de la vie. Des millénaires d’histoire de l’humanité dominée par les hommes ont réussi à m’inculquer la honte ce qui me constitue : mon fichu sang menstruel.

J’ai été élevée dans la foi protestante. Dans mon enfance, le corps était considéré comme quelque chose de « naturel » mais aussi de vulgaire. Pulsions et décadence semblaient régner sur la corporéité. En outre, ce n’est pas cet assemblage étrange, mortel et vieillissant d’os, d’eau et de cellules qui monte au paradis rejoindre le Créateur – seule l’âme virevoltante, immatérielle et surtout pure jouit de ce privilège.

Aujourd’hui, on sait que le corps, l’âme et l’esprit ne font qu’un. Mon fils à peine né allongé sur mon ventre, j’avais pensé, ébahie : un petit être vivant, qui peut me regarder, qui a une tête, des os, des cheveux et qui pourra, dans peu de temps, hurler à faire trembler les murs de la maison, parler deux langues, nager, lire, écrire et apprendre à mûrir ses propres décisions. La valeur de cette prouesse biologique me semble incommensurable. Mais me définit-elle ? En tant que femme ? En tant que personne ?

Peut-être aurais-je dû faire preuve d’un peu plus de respect envers ma propre biologie. En tout cas, je n’aurais jamais cru que la fertilité – non seulement celle qui afflue dans mon corps cycle après cycle depuis trente ans, mais aussi celle qui, sur le plan symbolique, est pourvoyeuse et créatrice de vie – pourrait être précieuse pour des raisons dépassant l’instinct de reproduction.

Je pensais : on a encore besoin d’enfants et de nouvelles générations bien sûr, mais ce n’est plus le devoir d’une vie. L’assimilation systématique du « féminin » au care, me disais-je, disparaîtrait dans les décennies à venir, à la faveur d’une sorte de ménopause sociétale de la pensée. Quelle naïveté. Et quel raisonnement ô combien marqué par un système de valeurs à prédominance masculine : succès, argent, pouvoir. Les idéaux de la société patriarcale n’ont guère trouvé d’utilité à la sollicitude. Au lieu de cela, nous prônons la fermeté. Et si ce récit était parcellaire ? Que dire de l’autre manière de faire communauté ?

La Peng, ce rituel chinois de la ménopause, ne veut plus me sortir de la tête.

Je pense à la Peng en voyant des femmes âgées traîner leur chariot de courses derrière elles sur le trottoir. Je pense à la Peng quand une femme d’âge mûr, assise à côté de son mari au théâtre dans la rangée devant moi, bondit sur ses pieds, tout émoustillée, pour ovationner le jeune et craquant acteur principal. Je pense à la Peng en lisant que 20 % de toutes les femmes de plus de 65 ans sont menacées de pauvreté (chez les hommes, c’est 15 %). Je pense à la Peng quand une femme de plus de 65 ans qui a travaillé toute sa vie en plus d’avoir élevé trois enfants me dit qu’elle est incapable d’identifier ses besoins ou de les exprimer (à moins de procéder par élimination).

Et si nous formions une communauté ? Pas une maison de retraite dans laquelle les gens n’atterrissent que quand ils n’ont plus leur place nulle part, mais une communauté choisie et autonome. Ma Peng ne doit pas forcément être composée uniquement de femmes, mais de personnes de mon âge désireuses d’échanges égalitaires.

Du reste, je ne pense pas que ce genre de Peng correspondrait à des communautés idylliques où régnerait un bonheur parfait. Au contraire : ainsi que tout groupe social, les Peng ne seraient certainement pas exemptes de conflits, de transgressions et de nombreuses frustrations. Croire que l’amour et l’attention à autrui seraient gratuits, donnés « par les femmes naturellement et sans contrepartie », est à mon avis une des plus grandes illusions patriarcales qui soient. Faire fonctionner une communauté demande du travail – de communication et d’organisation. Si elle veut vraiment être un havre d’amitié, de soutien et de connaissances, une Peng nécessitera probablement autant d’engagement qu’un boulot à plein temps.

Durant le climatère, les femmes semblent vouloir s’entourer davantage, de femmes surtout. Une Britannique a fondé une start-up du nom de « Together Friends » qui permet de rencontrer des copines. Les amitiés platoniques gagnent-elles en importance du fait que les femmes post-ménopausées ne peuvent plus tomber enceintes ? L’idée, en tout cas, me plaît : qu’après trois décennies de confusion amoureuse, les relations amicales deviennent centrales dans nos vies.

Dans son livre Les Occasions manquées, Lucy Fricke parle d’une telle amitié féminine, entre Martha et Betty, deux femmes d’âge moyen qui partent en voyage ensemble vers le Sud. Le roman est totalement dépourvu de romance, sans pour autant lésiner sur les relations houleuses entre les deux amies d’une part, mais aussi entre elles et leurs pères respectifs d’autre part. D’ailleurs, Martha est mariée, mais son mari n’a qu’un rôle secondaire. Le succès du livre montre qu’il existe des gens – des femmes probablement – attirés par ce modèle de vie.

Bien évidemment, cela suppose un sens de la communauté, de l’amitié ou de la famille. La plupart des femmes de ma connaissance ont fini par comprendre que certaines phases, de l’entrée dans la vie active à la maternité, sont plus faciles à affronter à plusieurs et se sont adaptées en conséquence. Elles savent l’importance de dégager du temps pour les ami·e·s et la famille dans le quotidien minuté entre travail et vie personnelle. La famille nucléaire ne peut en aucun cas représenter la vie sociale tout entière d’une personne, pas plus qu’une relation amoureuse ne peut à elle seule rendre durablement heureux (dans la majorité des cas).

Faire communauté implique un processus de médiation et d’adaptation, il s’agit de quelque chose à bâtir et à préserver, que l’on ne possède pas. Peut-être serait-il temps de faire un pas de plus et de repenser entièrement nos structures sociales, voire nos conceptions morales. De quoi aurait l’air notre monde si la sollicitude, le travail collectif et le soin, ces valeurs traditionnellement féminines, étaient jugés aussi respectables que la richesse matérielle, le pouvoir et la poigne, ces valeurs traditionnellement masculines ? Si faire lien avec l’autre était aussi souhaitable que le succès économique, la logique et la raison ?

En 2020, lors du premier confinement dû à la Covid-19, l’artiste Banksy a fait don d’une de ses œuvres à l’hôpital universitaire de Southampton dans le sud de l’Angleterre : un tableau intitulé Game Changer2. Celui-ci représente un garçon agenouillé faisant voler la poupée d’une infirmière en l’air comme si c’était une figurine de superhéros. À côté du garçon, un Spider-Man et un Batman en plastique dépassent d’une corbeille. La croix rouge sur la robe d’infirmière est la seule touche de couleur sur le tableau entièrement noir et blanc par ailleurs. L’artiste avait joint à son œuvre un mot destiné aux personnels de l’hôpital : « Merci pour tout ce que vous faites. J’espère que cela égayera un peu ce lieu, même si ce n’est qu’en noir et blanc. » L’œuvre est restée accrochée quelques mois dans le service des urgences avant d’être mise aux enchères au profit du National Health Service (« système de santé publique ») britannique – pour une somme record de 16,8 millions de livres sterling, soit près de 20 millions d’euros.

Le tableau de Banksy peut être vu comme un geste d’une extrême générosité et un hommage au travail du personnel de l’hôpital, représentatif des soignants et médecins en général. L’œuvre a été mise en circulation au moment où les gens applaudissaient symboliquement les personnels hospitaliers sur leurs balcons. Cette vague de soutien, qui a irrité beaucoup de soignants plus qu’elle ne les a réjouis, n’a pas duré très longtemps. Durant la pandémie, les métiers du soin, exercés en première ligne par les femmes, ont parfois été mieux appréciés, mais le respect fugace de leur prochain n’est pas ce qui permet aux infirmiers et infirmières en soins généraux ou en gériatrie de manger. En fin de compte, notre société de la performance mesure la valeur d’un travail en termes de revenus.

Après avoir vu le dessin de Banksy sur Internet, une pensée ne m’a plus lâchée : que serait une génération d’enfants qui grandiraient en ayant pour modèles non plus des justiciers et des superhéros majoritairement masculins et parfois brutaux, mais des personnes qui mettent leur expertise professionnelle au service d’autrui ? Peut-être même des femmes d’âge mûr, voire avancé ? Pour qui la prévenance ne serait pas réservée aux ami·e·s et aux proches, mais une compétence sociale, voire politique ? Et si la force n’était plus seulement l’apanage de combattants paramilitaires tels que Batman ou Black Widow, mais qu’on la situait du côté de la sollicitude des infirmiers et infirmières, éducateurs et éducatrices, enseignants et enseignantes ou aides-soignants et aides-soignantes ?

Dans un premier temps, cette génération ne serait probablement pas si différente que ça. Une fois adultes, les enfants qui adoraient les superhéros enfilent rarement des combinaisons en latex pour faire la chasse aux criminels. Les juristes, les policiers et policières exercent sans doute les métiers les plus dignes de Batman. En retour, ils reçoivent de la reconnaissance et, dans le cas des avocat·e·s, même de très gros salaires. La justice, le respect de la loi et la capacité de raison étant des valeurs fondamentales de notre société, les métiers qui les protègent sont bien rémunérés. Tant mieux, même si le raisonnement est un peu réducteur. En effet, l’idéal moral d’une logique et d’une rationalité toutes-puissantes confine l’attention aux autres et les relations sociales à la sphère privée. Les égards pour autrui sont de la responsabilité des familles et surtout des femmes.

Une jeune personne s’orienterait-elle différemment si la sollicitude n’était pas cet « amour inné et invétéré dans le cœur des femmes » qu’on se plaît à décrire, mais une valeur morale fondamentale, au même titre que notre capacité de raison ? Le climatère m’a appris que mon cycle de fertilité comprenait des hormones sexuelles féminines et masculines. Mon état de forme est tributaire d’un équilibre entre œstrogènes et testostérone. De la même manière, des valeurs jugées typiquement féminines et masculines devraient contribuer ensemble à forger une société. Une infirmière n’est pas moins essentielle pour le bien commun qu’un représentant de la justice.

Tous les penseurs, de Platon au père intellectuel de l’État moderne Jean-Jacques Rousseau, ont réfléchi au problème de l’éducation des enfants. Or aucun d’eux n’aurait laissé les femmes et mères se charger seules de la transmission des valeurs morales à leur progéniture. Tandis que la psychologie selon Sigmund Freud s’attache plutôt à la perspective de l’enfant, la philosophie se concentre sur celle du père, les deux disciplines craignant la figure de la mère, symbole de ce que l’on redoute le plus dans notre monde : la dépendance à vie d’une femme, vision d’horreur ultime des logiciens éclairés !

Longtemps, la règle d’or a été la suivante : plus l’attachement à la mère est rompu tôt, plus l’avenir de l’enfant sera radieux. Les mères sont autorisées à donner naissance aux enfants et à les choyer. Se sacrifier : oui. Faire passer des valeurs : non. Ça, c’est l’affaire des pères. Les sciences, la philosophie, toutes ces disciplines reposent finalement sur une conception masculine de la résolution de problèmes. La startupeuse Susanne Liedtke rappelle : « Autrefois, il existait des guérisseuses. Jusqu’à l’arrivée de la formation en médecine qui n’a d’abord été réservée qu’aux hommes et qui, au fond, a conduit au recul du savoir populaire et des rebouteuses. Une erreur, à mon avis. »

Les scientifiques appellent le désir d’attachement éprouvé par les femmes en situation de stress telle que la périménopause tend-and-befriend-reaction (prendre soin et resserrer les liens). L’hormone ocytocine, soit l’hormone du lien conjugal et social, est sécrétée dans le cerveau et régule l’hormone du stress, le cortisol, les œstrogènes venant renforcer cet effet. Certaines hypothèses avancent que, en cas de tensions, les femmes ne se disputeraient ou ne se battraient pas comme les hommes, cherchant plutôt à créer des alliances.

Peut-être devrions-nous élaborer un nouveau savoir populaire. À juste titre, la maternité fait d’abord l’objet de discussions sur la conciliation entre travail et vie de famille, et une répartition plus juste des tâches parentales. Cependant, l’idée philosophique d’une « perspective maternelle » sur le monde (ouille, la formule à elle seule a déjà du mal à passer) éveille peu d’intérêt. Dommage, car il serait fort utile de reconnaître la prévention et le soin comme des compléments indispensables aux principes de la logique et de la raison. Si la maternité dépasse la grossesse et l’éducation des enfants, le climatère n’est plus une crise existentielle, l’idée d’une responsabilité maternelle perdurant après la ménopause sous la forme d’une hypothèse plus large de la grand-mère, selon laquelle les femelles post-ménopausées, délestées du souci de leur propre reproduction, seraient de bonnes meneuses et de bonnes organisatrices.

Il y a eu des réflexions en ce sens. Dans son livre Maternal Thinking (« Penser comme une mère »), la philosophe Sara Ruddick a essayé d’attirer l’attention du monde académique sur le « regard maternel » – tout un programme ! Ruddick voulait libérer la maternité de tout sentimentalisme, remarquant comme en passant qu’il y avait évidemment de bonnes et de mauvaises mères. La pensée maternelle engloberait la protection, la croissance et l’acceptation sociale des enfants et ne serait, d’après Ruddick, en aucun cas limitée aux femmes. Les hommes en seraient tout aussi capables.

Dans son étude Une voix différente. Pour une éthique du care datant de 1982, la psychologue américaine Carol Gilligan a également soumis à débat le problème de la marginalisation du soin comme valeur dans notre société. Gilligan avait émis l’hypothèse que les femmes ne réglaient pas les conflits moraux et sociaux de manière rationnelle comme les hommes, mais de manière relationnelle. Ce faisant, Gilligan posa les fondements d’une nouvelle théorie féministe appelée Ethics of care (« éthique du care »), connue dans un premier temps surtout aux États-Unis.

Tout cela semble affreusement abstrait – je vous demande ici un peu de patience, beaucoup d’idées naissent sous la forme de pensées théoriques. Passé 30 ans, les femmes devraient arrêter d’avoir peur des concepts et des mots d’origine étrangère.

Bon alors, je reprends : pour la philosophe morale Virginia Held, l’éthique du care implique un « comportement moral, fondé sur l’expérience du soin apporté et du soin reçu ». Pour Held, ce principe présente une « alternative potentielle à la théorie morale traditionnelle, dominante mais insuffisante dans la lignée d’Immanuel Kant ».

Une autre mère fondatrice de l’éthique du care, la politologue canadienne Joan Tronto, va jusqu’à considérer la sollicitude comme la condition nécessaire à une conduite juste et responsable. D’après elle, la responsabilité s’apprendrait en règle générale au sein de la famille, avant d’être assumée plus tard dans le domaine social, puis politique : chaque citoyenne et chaque citoyen devraient, en toute responsabilité, s’occuper d’autrui selon le modèle de la structure familiale, les êtres humains dépendant les uns des autres à tous les niveaux. Rien n’est plus vrai. Pourquoi ne pas mettre en pratique au plan de la société dans son ensemble ce qui est le quotidien de nombreuses femmes ? Pourquoi ne pas en faire un idéal pour tous ?

Je ne suis pas philosophe, mais, pour être franche, la raison purement instrumentale ne me semble pas tout à fait sûre : les fonds de couverture et les spéculateurs immobiliers, entre autres, ne sont pas particulièrement connus pour respecter scrupuleusement des lois justes et moralement fondées. Pas de prix de la justice au sens kantien du terme non plus pour le durcissement du principe de concurrence sur le marché international.

La systématisation de l’éthique sous le prisme du genre a été critiquée notamment en Europe, par des femmes comme par des hommes. On a vraisemblablement tant persisté à minimiser l’importance de la pensée maternelle et de la prévenance qu’on a du mal à les reconnaître comme principes moraux. C’est regrettable. Pour dépasser ce que l’on appelle abstraitement la « pensée binaire » (masculin/féminin, esprit/corps ou affectif/cognitif), les deux aspects devraient être considérés comme égaux et traités équitablement, ne trouvez-vous pas ?

Nous avons tendance à penser que le progrès se résume à de brillantes prouesses techniques. Celles-ci, censées rendre la vie des gens plus facile, plus agréable et plus sûre, signalent par ailleurs une prospérité croissante.

Posséder et pouvoir user d’acquis techniques nous rend plus aptes à affronter l’avenir. Mais est-ce vraiment suffisant ? Des études disent qu’une vie sociale riche et l’expérience de la convivialité font vivre plus longtemps. N’aurions-nous pas intérêt dans ce cas à développer des objets et pratiques favorisant un vivre-ensemble meilleur et surtout plus égalitaire ? Une Peng ?

Rappelez-vous le syndrome du nid vide : dans les moments de détresse que nous impose le climatère, ne ressentons-nous pas nettement l’étroitesse des liens qui nous relient, nous, les êtres humains, et notre dépendance profonde les uns des autres ?

D’où l’importance des communautés dépassant le cercle familial. Les baleines qui mènent leurs troupeaux une fois passée la ménopause ne s’occupent pas seulement de leur propre progéniture et des petits de celle-ci, mais aussi du bien-être du groupe dans son ensemble. Au contact des enfants des voisins et de mes ami·e·s proches, j’ai appris que « materner » va bien au-delà de l’éducation de mon propre fils : mon attachement à des enfants « étrangers » que je « contribue à élever » m’a procuré un sentiment de plénitude tout à fait inattendu. Des copines sans enfant disent la même chose au sujet de leurs filleul·e·s. L’attention à autrui, l’empathie, l’intérêt pour l’autre – que ce soit dans des clubs de lecture, des clubs de foot pour enfants, des crèches associatives, des communautés d’habitation ou scolaires – engendrent une autre forme de pouvoir et d’influence : le soutien réciproque.

Cela ne signifie pas que les femmes post-ménopausées devraient être préposées aux ventes de gâteaux et maintenir avec serviabilité et à titre gracieux la cohésion du troupeau. Mais simplement que mes troubles périménopausiques m’ont permis de comprendre que la valeur de mon corps ne réside pas uniquement, selon la logique économique, dans sa capacité de performance et que la poursuite d’objectifs professionnels ambitieux est certes grisante mais pas nécessairement épanouissante. Dans mes moments de faiblesse, quand la douleur, la colère et la nervosité s’emparaient de moi, je me suis rendu compte que je devais apprendre à coopérer avec mon corps. Que cela vaut la peine de réfléchir à ce que cela implique d’être une femme, que la découverte des diverses facettes qui nous composent, à travers l’amitié, la solidarité, le partage d’expériences et de ressources émotionnelles, peut même être une grande aventure.

Plutôt pas mal, non ?

« On dit que les femmes en pleine ménopause sont dangereuses parce qu’elles dépassent leurs limites et remettent en question des choses et des structures qui ont toujours fonctionné pour les autres », déclare Sheila de Liz, avant d’ajouter : « Ce qui est génial, c’est que tu vois soudain les choses comme tu veux qu’elles soient et qu’elles ne le soient plus. »

Je ne m’obligerai pas à supporter les symptômes. Si je n’en peux plus, je reprendrai des hormones bio-identiques. Néanmoins : désormais la nuit, quand ma nuisette me colle à la peau, je me dis souvent que j’ai sans doute rarement été plus proche de la femme que je suis. Il n’y a pas de fin qui vaille, au contraire : c’est maintenant, en pleine périménopause, que je vais enfin savoir pour de bon et plus clairement que jamais ce que cela signifie d’être une femme. Légèrement à cran, peut-être.

Épilogue.

Mon défouloir périménopausique.
Casser beaucoup de vaisselle et faire communauté

Dans ma tête, nous célébrons une fête. Quelques douzaines de femmes entre 40 et 55 ans se réunissent en grande pompe autour d’un banquet. Pour l’une, cela implique peut-être de porter une seconde fois sa robe de mariée. Pour l’autre, d’être à l’aise avant tout. J’imagine une fête estivale, une table tout en longueur dans une prairie d’un vert lumineux donnant à l’ouest, où le soleil, boule incandescente, disparaît petit à petit à l’horizon. Ou peut-être sommes-nous dans une maison, un salon spacieux. Peut-être qu’il pleut à verse et que le temps est à l’orage tandis que nous sommes à l’intérieur, au chaud devant la cheminée. Peu importe où nous nous trouvons en réalité, seul compte le somptueux festin qui nous attend car, aujourd’hui, nous nous mettons à l’honneur nous-mêmes et notre Peng. Nous faisons notre début dans la société des femmes ménopausées. Ici, il n’est pas question de former des couples, nous dansons simplement ensemble, que ce soit en mules Birkenstock, en baskets ou en Louboutin.

Mes amies ont apporté des photos de leur adolescence, de la fin de leurs études et apprentissages, de leurs mariages, de leurs grossesses, des naissances de leurs enfants, bref, des jalons et métamorphoses qui ont marqué leurs vies de femme.

Assises les unes à côté des autres, nous mangeons, buvons et parlons ensemble du devenir-femme, de nos premiers baisers, de nos corps qui changent, de l’ignorance dans laquelle nos parents et professeur·e·s ont laissé la plupart d’entre nous. De nos premières règles, de notre première relation sexuelle, de la première fois où, jeunes femmes, nous avons cru (souvent à tort) ne pas avoir nos règles (et de la panique qui en a découlé – enceinte ?!). Nous parlons d’hormones médicamenteuses : de la pilule contraceptive minidosée, des comprimés d’œstrogènes féminisants ou visant à stimuler la fertilité. Nous nous entretenons de grossesses et de naissances, de la peur que peut susciter la perte du contrôle de son propre corps dans ces moments-là, du sentiment de puissance qui nous a envahies directement après mais que nous avons oublié bien vite. Nous parlons des moments où nos corps nous ont paru déroutants et étranges, et de la façon différente dont sont perçus les corps des femmes d’origine asiatique et ceux des femmes d’origine africaine ou turque. Des moments où la souveraineté sur ces corps nous a été contestée : par des partenaires, par des médecins, par nous-mêmes. Ces corps ne sont plus ceux que l’on voit sur nos photos, en partie vieilles de plus de trente ans. Nous partageons certes le même ADN, mais les années et les expériences vécues les ont façonnés et remodelés. Désormais, une nouvelle transformation les attend, qui tient peut-être moins d’une métamorphose que de l’adaptation à une nouvelle phase de la vie.

Puis nous chassons ensemble les fantômes du passé. Le manque d’informations et surtout le voile de honte dont on couvre les femmes depuis des siècles à l’arrivée de leurs règles, signe de « fertilité ». Nous brisons de la vaisselle, des objets de la dot, des bouteilles et des verres. La destruction constitue un rite de passage, peut-on lire sur l’origine de la Polterabend, la traditionnelle veille de noces allemande. Je n’aurais pas dit mieux. La fin de la fertilité fait passer au niveau supérieur de la féminité. À l’instar de Sheela-na-Gig, nous découvrons notre vulve. La force inhérente aux femmes dépasse la fertilité et le pouvoir d’attraction sexuel. Et ce depuis des siècles, partout dans le monde. Nous l’avons simplement oublié.

Nous trinquons. Avec ce qui plaît à ces dames, de la tisane à la menthe, de la vodka, de la bière sans alcool, du crémant ou du champagne, peu importe :

À tous ces satanés tampons, restés dans les mauvais sacs à main.

Aux tests de grossesse négatifs (négatifs !!) qui ont fini à la poubelle.

Aux tests de grossesse négatifs (quoi ??) qui ont fini à la poubelle.

Au sexe nul.

Au sexe réussi. Celui qu’on a avec soi-même.

Au corps qui m’a fait traverser quatre décennies, qui est et a été porteur de tant d’inquiétudes, d’énervements et de bonheur. Au corps féminin, sanctuaire des plus intime, champ de bataille politique, salle de travail, sujet, objet, chef-d’œuvre de volupté, origine de la vie, témoin d’un quotidien imprévisible. En robe d’été et dessous de dentelle, en baskets ou talons hauts, en jean, pantalon de jogging, jupe à godets ou habits de fête, bronzé en bikini et maillot une-pièce ou encore célébré dans sa nudité. Aux cicatrices qui témoignent de blessures et d’opérations, aux vergetures de grossesse, aux poils aux endroits les plus curieux, rasés, épilés à la cire ou poussant librement. À toutes ces bosses, tous ces creux et ces rides dans la peau qui nous rappellent finalement ce dont nous devons fondamentalement nous réjouir : d’être en vie. Les filtres et les injections peuvent certainement aider, mais la vie n’est ni statique ni parfaite. Je répète : que chacune fasse ce qui lui plaît.

À la cire froide et chaude, surtout sous le nombril. Sérieusement : What the fuck ?!

Aux sorcières, faiseuses d’anges, guérisseuses, accoucheuses, ces « vieilles sages » de l’histoire. À l’espoir d’en apprendre plus sur elles un jour. Aux historiens et historiennes, et aux chercheurs et chercheuses comme Neky Cheung qui nous dévoilent les rites de nos mères ancestrales.

Au bon génie qui a favorisé le progrès social dans notre partie du monde. Quand je suis née, ma mère adoptive en Allemagne n’avait pas le droit de travailler sans l’accord de mon père et, en Corée, ma mère biologique, que je ne connais pas, n’avait pas accès à la contraception. Elle n’a probablement pas même pu choisir son partenaire, mon père biologique.

À l’esprit humain qui a connu nombre de bouleversements politiques et l’égalité hommes-femmes. Qui apprend à s’imposer de façon parfois contradictoire, souvent hésitante, mais toujours courageuse. Qui était moins assuré dans sa jeunesse, qui mûrit jour après jour, qui grandit, vagabonde et flâne souvent, et se laisse dompter aussi rarement que le corps.

Aux applications de suivi de cycle menstruel. Aux applications GPS.

Aux culottes menstruelles. Enfin, mieux vaut tard que jamais !

Aux entrepreneuses femmes, en solo, en groupe, peu importe.

À la recherche médicale qui a fini par comprendre aux alentours du début du XXIe siècle que, à cause de notre anatomie et de nos spécificités, nous les femmes avons besoin d’études dédiées. Nos filles, nièces et filleules auront l’opportunité de comprendre encore mieux leurs corps que nous aujourd’hui.

Tant qu’on y est, à nos enfants : de cœur, placés, adoptés, recueillis, de familles recomposées, et aux nôtres, biologiques.

Au « retour d’âge », connu aussi sous le nom « climatère », et à ses différentes phases, la préménopause, la périménopause et la ménopause. À la fin des mythes, du silence et de l’aura de mystère qui les entourent.

Je ne vais nulle part. Je change, j’entame un nouveau chapitre. Mes hormones fluctuent, je ne me concentre plus autant sur mon rôle de diplomate et de médiatrice. Au lieu de cela, une version de moi plus dure, mais aussi plus affirmée se fait jour. J’espère de tout cœur que sa santé sera suffisamment bonne pour qu’elle puisse profiter de sa nouvelle détermination. J’espère de tout cœur qu’elle continuera à évoluer et qu’elle saura toujours écouter, surtout les plus jeunes. Qu’elle défendra ses semblables ainsi que ses aîné·e·s. Qu’elle apprendra à se relâcher et à surmonter les périodes de privation de sucre avec humour.

En fermant les yeux, je la vois devant moi : une originale, une furie et une vieille bique parmi ses pairs. Elle est au milieu : de ses amies, de sa vie de femme, de son existence.

Bibliographie

Introduction

  • ADICHIE C. N. et STURGEON N. au Festival international du livre d’Édimbourg en 2017 : https://www.youtube.com/watch?v=y-UTBS-vrF8.
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Chapitre 1

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Chapitre 2

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  • LIZ S. DE, Woman on Fire, Rowohlt, Hambourg, 2020.
  • LORDE A., « The uses of anger », Women’s Studies Quarterly, vol. 9, no 3, 1981.
  • MOORE S., « There won’t be blood », The New Statesman, 26 août 2015.
  • SCHOPENHAUER A., Métaphysique de l’amour sexuel, Éditions Mille et Une Nuits, Paris, 2008, p. 33 (trad. de l’allemand par Auguste Burdeau).
  • STEINKE D., Flash Count Diary. A New Story about the Menopause, Canongate, Édimbourg, 2020.

Chapitre 3

  • CORNELY-PETEERS E., Ach, Meno ! Kiepenheuer & Witsch, Cologne, 2021.
  • HILL M., Perimenopause Power. Navigating Your Hormones on the Journey to Menopause, Green Tree, Londres, 2021.

Chapitre 4

Chapitre 5

  • LIZ S. DE, « MonaLisa Touch Laser-Vaginalverjüngung » (« Le rajeunissement vaginal au laser », dr-de-liz.de.

Chapitre 6

  • BÜCKER T., « Social freezing : Fremdbestimmung oder Unterstützung ? », Edition F, 15 octobre 2014.
  • REIMANN A., « Warum ich den Eizellen-Plan von Apple und Facebook pervers finde », Spiegel Online, 16 octobre 2014.

Chapitre 7

  • Maître-artisan coiffeur Philipp Zilse, cité d’après KÖNIG T., « Frisur ab 40 : warum schneiden sich alle Frauen die Haare ab ? », Brigitte, 31 mai 2023.

Chapitre 8

  • BORDEU T. DE, Recherches sur les maladies chroniques, tome I, sixième partie, « Analyse médicinale du sang », Hachette Livre BNF, Paris, 1775, rééd. 2017.
  • Edward Tilt, cité d’après ROZENBAUM H., « 100 Jahre Hormonsubstitutionstherapie », in BIRKHÄUSER M. et ROZENBAUM H. (dir.), IV. Congrès européen sur la ménopause, ESKA, Paris/Vienne, 1998, p. 14-2.
  • Jacobus Primerosius, cité d’après CREUTZFELDT-GLEES C., Frauen und Hormone. Was jede Frau über ihren Körper wissen sollte, Kreuz-Verlag, Fribourg, 1992.
  • MARINELLO G., Medicina per le donne del Cinquecento, UTET, Turin, 1563, rééd. 1992.
  • WILSON R. A., Féminine pour toujours, Éditions de Trévise, Paris, 1967, p. 18-19 et p. 41 (trad. de l’américain par Jane Fillion).

Chapitre 9

  • HÔPITAL DE LA CHARITÉ DE BERLIN, « Wahrnehmung der Wechseljahre ist kulturell geprägt » (« Étude sur la perception de la ménopause dans différentes cultures »), Aus der Forschung 2007, Bundesministerium für Bildung und Forschung (BMBF), 2006.
  • LOCK M., Encounters with Aging. Mythologies of Menopause in Japan and North America, University of California Press, Berkeley, 1993.

Chapitre 10

  • L’espérance de vie en Corée : « Südkorea : Lebenserwartung bei der Geburt aufgeschlüsselt nach Geschlecht von 1950 bis 2022 und Prognosen bis 2050 », de.statista.com.

Chapitre 12

  • « Menopause at work », sondage du CIPD (The Chartered Institute of Personnel and Development) au Royaume-Uni, cipd.org, 26 mars 2019.
  • HÖDL S., « J. Lo, 50, hot », Die Tageszeitung, 8 février 2020.
  • HOUSE OF COMMONS, WOMEN AND EQUALITIES COMMITTEE, « Menopause and the workplace. First report of session 2022-23 », 19 juillet 2022.
  • OFFICE ALLEMAND DE LA STATISTIQUE, « Teilhabe von Frauen am Erwerbsleben » (« La part des femmes actives sur le marché de l’emploi allemand »), destatis.de.

Chapitre 13

  • AGUIRRE A., « The world according to Frances McDormand », Vogue, 1er décembre 2020.
  • Lisa Mosconi, cité dans MEYER-HORN C., « Wechseljahre, schwindende Hormone und Demenz-Risiko – Frauen entwickeln häufiger Alzheimer, können aber was dagegen tun », Tagesspiegel, 20 février 2021.
  • STEIN M., « Chapeau ! La grande Isabelle », Harper’s Bazaar Germany, février 2017.
  • STEIN M., « Hey Cynthia », Harper’s Bazaar Germany, octobre 2020.
  • STEIN M., « This girl is on fire », Harper’s Bazaar Germany, février 2021.

Chapitre 14

  • CHEUNG N., Women’s Ritual in China. Jiezhu (Receiving Buddhist Prayer Beads) Performed by Menopausal Women in Ninghua, Western Fujian, Edwin Mellen Press, Lewiston, 2008.
  • LOCK M., Encounters with Aging. Mythologies of Menopause in Japan and North America, University of California Press, Berkeley, 1993.

Chapitre 15

  • BELLOW S., Le Faiseur de pluie, Gallimard, Paris, 1961, p. 50-51 (trad. de l’anglais par Jean Rosenthal).
  • HELLER A. S. et al., « Association between real-world experiential diversity and positive affect relates to hippocampal-striatal functional connectivity », Nature Neuroscience, vol. 23, 2020, p. 800-804.

Chapitre 16

  • FRICKE L., Les Occasions manquées, Points, Paris, 2022 (trad. de l’allemand par Isabelle Liber).
  • GILLIGAN C., Une voix différente. Pour une éthique du care, Flammarion, Paris, 2015 (trad. de l’américain par Sandra Laugier, Annick Kwiatek et Patricia Paperman).
  • HELD V., Ethics of Care, Oxford Press, Oxford, 2007.
  • RUDDICK S., Maternal Thinking, Beacon Press, Boston, 1995.
  • STEIN S., « Care-Arbeit : die Zukunft ist fürsorglich », Zeit Online, 28 mai 2020.
  • TRONTO J., Who Cares ? How to Reshape a Democratic Politics, Cornell University Press, Ithaca, 2015.