Ce lyber est uniquement destiné à une lecture à titre personnel.

Agnès Stienne

Bouts de bois.

Des objets aux forêts

Zones
Table
Remerciements
Préambule
L’appel de la cagette
La culture du peuplier
Emballages éphémères contre plantations durables
Des tas de palettes
L’industrie de la palette
Le paligloo
L’épicéa
Les affres de la monoculture
Contes et légendes
Mi la ré sol
Mi la ré sol do
Le pin maritime
La colonisation des Landes de Gascogne
L’âge des arbres
Les traverses de chemin de fer
Attention, bois toxique
Le créosotage par autoclave
« Chemins de bois »
Le déclin du réseau
Les traverses paysagères
Le chêne pédonculé
Le chêne de Concoret (Ille-et-Vilaine), dit aussi le chêne à Guillotin : une fausse histoire de squat
Le chêne d’Allouville-Bellefosse (Seine-Maritime) : l’histoire d’un vrai squat
Le chêne de Montravail, Pessines (Charente-Maritime) : l’histoire d’un autre vrai squat
Lou bielh cassou, le chêne de Saint-Vincent-de-Paul (Landes)
Les chênes de Bégard (Côtes-d’Armor) : la revanche des squattés :
Drôles de trognes
La forêt engrillagée
Fûts et tonneaux
Le chêne rouvre
Brève histoire du code forestier
Balade dans la forêt de Bercé
Les bouchons en liège
La fabrication des bouchons de bouteilles
Le chêne-liège
Les couleurs du bois
Le lamellé-collé
Lamellé massif, abouté, croisé
Le hêtre commun
Hêtres d’exception
Les alchimistes du sol
Les mycorhizes
Le petit peuple de la biocénose
Le charbon de bois
Les charbonniers d’antan
L’origine des braises
Les fusains
Les granulés de bois
De quel bois on se chauffe
Le nouveau charbon du XXIe siècle
Le douglas
La « diagonale des scieries » et ses ennemis
Se réapproprier la forêt
La cité côté jardin
De l’anarchisme à l’ultralibéralisme
La balade des botanistes
Le papier et le carton
De l’ancienne Chine aux nouvelles usines
Les pâtes à papier
Les usages du papier
Le carton ondulé
L’eucalyptus
Épilogue - Un cinquième élément, la forêt
Sources et références

Remerciements

Mes remerciements vont à l’arbre de Judée, aux cognassiers du Japon, à l’oranger du Mexique, au noisetier, à l’arbre à papillons, au saule tortueux, aux érables du Japon, au magnolia, au ginkgo biloba, à l’eucalyptus, au mirabellier, au cerisier, à l’abricotier et au figuier qui tous partagent mon quotidien et prennent soin de moi.

Aux arbres du Gué-de-Maulny (que je n’ai pu citer) ; aux arbres du parc Newton et du parc Doumer ; aux arbres de l’Arche de la Nature, si accueillants et si bons vivants.

À tous les arbres, petits, gros, remarquables, rabougris, gris, verts, bruns, rouges, jaunes, cuivrés, jeunes, vieux, sans âge, tordus, tortueux, penchés, droits, en espalier, pointus, exubérants, feuillus, résineux, épineux, soyeux, frileux, résistants, persistants, buissonnants, difficiles, pleureurs, rieurs, clairsemés, touffus, caduques, en futaie, en taillis, isolés, habités, recépés, en fleurs, en graines, debout, couchés, les pieds dans l’eau, des tropiques, de la taïga, de partout…

Merci à mes amies et amis de Visionscarto : Cristina Del Biaggio, Philippe Rekacewicz, Philippe Rivière, François Sermier et Nepthys Zwer.

Merci à mes amie et ami Hélène et Philippe pour leur relecture.

Merci à Grégoire Chamayou de m’avoir fait assez confiance pour m’inviter à me lancer dans cette balade intime à travers bois.

Préambule

D’un modeste bout de bois conservé dans un placard (au cas où), raconter le sort des cagettes qu’on jette, la forêt de Bercé, l’histoire du code forestier, l’extraction du liège ou la couleur du bois. Il suffit pour cela de se laisser emporter par le fil du bois et d’écouter/voir ce qu’il a à raconter sans craindre de se perdre pour mieux revenir à l’essentiel : derrière chaque objet se cache un arbre, derrière chaque arbre une forêt, derrière chaque massif un monde magnifique en voie de décomposition. Rencontres. Une essence particulière. Un écosystème. Des êtres vivants. Des pratiques, des savoir-faire, des sites d’exploitation. Des balades. Des histoires et des géographies. Des anecdotes. Des souvenirs. Des traces. Des interrogations. Des matières à repenser l’avenir de nos espaces boisés.

Ce récit est une déambulation qui, par-delà les procédés industriels et les pratiques de la sylviculture, nous mène à travers bois et sentiers pour interroger notre rapport à l’arbre et à la forêt. De la région du Grand-Est aux Landes de Gascogne, nous arpenterons quelques massifs forestiers dont les essences, arrivées là nullement par hasard, servent dans l’industrie du bois. Les palettes, en épicéa, en pin maritime ou en douglas, nous livrent les secrets de leur fabrication, de leur réutilisation et de leur recyclage, et nous rappellent que les plantations monospécifiques dédiées à leur production posent bien plus de problèmes qu’elles n’en résolvent – socialement, écologiquement et économiquement parlant. Certaines s’enflamment ou se dessèchent, quand d’autres s’écroulent sous le vent ou sont boulottées par des insectes.

Le chêne, toujours considéré dans l’Hexagone comme le bois noble par excellence, s’en sort bien mieux que les résineux. Si l’on ne l’utilise plus de nos jours pour la construction navale, on en fait toujours des meubles, des traverses de chemin de fer et des barriques. Le chêne-liège, en revanche, n’a plus la cote en France alors que le Portugal en a fait son arbre emblématique. Oui, on parle bouchons. À chaque objet son bois : le peuplier et la cagette, l’épicéa et la contrebasse, le hêtre et le lamellé-collé, l’eucalyptus et le papier-carton.

Le développement de la « biomasse énergie », encouragé par l’État, pousse par ailleurs à une consommation exponentielle de pellets pour chauffer des bâtiments et produire de l’électricité. Et la pression sur les espaces boisés se fait douloureusement sentir. L’aménagement d’un territoire résulte de choix politiques qui façonnent les paysages, certains plus heureux que d’autres. En France, la forêt, largement aux mains de propriétaires privés, souffre d’une gestion incohérente, sans vision d’avenir. D’autres principes fondamentaux doivent prévaloir : la préservation des écosystèmes riches en biodiversité et résilients face au défi climatique ; la mise en place d’une filière bois pérenne de qualité ; le développement de petites et moyennes unités de transformation attachées à travailler différentes espèces de bois ; et bien sûr l’implication des populations locales dans la vie des espaces boisés ouverts à toutes et tous.

L’appel de la cagette

C’était la fin de l’été. La saison avait été caniculaire, le soleil mordant. Au jardin, les plantes avaient terriblement souffert, le saule tortueux perdu la plupart de ses feuilles afin de limiter l’évaporation de son eau. Ici et là, les branches tarabiscotées se desséchaient, d’autres, déjà mortes, tombaient. Je les ramassais.

Deux ans déjà que je récoltais des capsules de nigelles de Damas, conservées dans une coupelle posée sur la console de la salle à manger. Je les montais sur les branches de saule, les transformant ainsi en petits mobiles sitôt suspendus au plafond de la maison. Des objets tout simples, gracieux, aériens, poétiques. Je sortais chaque jour ou presque sillonner les rues, parcs et jardins publics à la recherche de graines. C’était pour moi l’occasion de découvrir toute une diversité de formes, de tailles et de teintes d’éléments végétaux particulièrement décoratifs : graines, capsules, samares, akènes, gousses, siliques et autres schizocarpes. C’est à partir de cette collection que je réalisais des « arbres à graines », des sculptures à même d’éveiller le regard du public à toutes ces merveilles que l’on croise sans les voir.

Je stockais ces petits bijoux précieux dans des cagettes récupérées au magasin bio du coin. J’adore les cagettes. Sur les murs blancs, de chaque côté de la terrasse du jardin, était accrochée une cagette affublée de petits riens hétéroclites disposés à l’intérieur : un nid de merle, une écorce de platane, un morceau de verre bleu, un pot de fleur en zinc, un bougeoir… Des breloques sans valeur, mais déjà aussi des compositions originales. Elles restaient là, étonnantes et badines, à regarder passer le temps.

Et moi, je regardais les cagettes. Avec soudain un regard nouveau. Quelle industrie peut bien se cacher derrière cet emballage anodin que l’on jette d’un geste négligé ou que l’on brûle après un unique usage ? Et les palettes ? Et les allumettes ?

J’allais faire de ces cagettes, si pratiques et pourtant si maltraitées, des boîtes précieuses ornées de graines récoltées à l’automne précédent, des écrins, des œuvres d’art. Enfin, je me penchais sur leur production. En France, vingt et une essences de bois sont autorisées pour des usages en contact direct avec de la nourriture. Pour tout type d’aliments : chêne, charme, châtaignier, frêne, robinier, sapin, épicéa, douglas, pin maritime et pin sylvestre, peuplier, hêtre, platane, tremble, aulne, olivier et bouleau. Pour les solides alimentaires : noyer, hêtre, orme et peuplier. Cagettes, palettes et allumettes sont en peuplier banc1.

La culture du peuplier

Le peuplier banc, Populus alba – aussi appelé peuplier de Hollande, blanc de Hollande, peuplier à feuilles d’érable, peuplier argenté, franc picard, aube, abèle, ypréau ou piboule –, aime la lumière, préfère les sols humides non marécageux, mais s’accommode d’un peu de sécheresse et supporte une légère salinité. Il peut atteindre 20 à 30 mètres de haut, et vivre deux cents ou trois cents ans, voire quatre cents ans pour les plus robustes.

Le panneau de peuplier constitue un support parfait pour la réalisation d’œuvres à la peinture à l’huile. Son bois, peu dense, est utilisé en menuiserie, en charpenterie ou comme contreplaqué. De nos jours, son devenir le plus prévisible est la pâte à papier, l’emballage ou l’allumette.

On le cultive en « populiculture », plantation facilement repérable par ses alignements stricts et espacés. Non reconnue en tant que sylviculture, la populiculture ressemble en tout point à l’agriculture industrielle, dont elle adopte les mauvaises manières : sélection, reproduction par bouturage, drainage du sol, labours, utilisation d’intrants chimiques.

On taille les peupliers les quatre premières années pour leur apprendre à pousser bien droit. Deux ou trois élagages sont ensuite réalisés pour les mener en fûts, des troncs sans branches. Les arbres n’ont pas le temps de développer leurs réels potentiels écologiques ; on les coupe dans leur prime jeunesse vers 15 ou 20 ans pour la fabrication d’emballages à usage unique.

En France, l’inventaire forestier publié par l’IGN recensait 170 000 hectares de peupleraies en 2016, 200 000 en 2020. En Bretagne2 et en Poitou-Charentes3, on connaît une pénurie de peupliers blancs pour la fabrication d’emballages légers : cageots pour fruits et légumes, bourriches pour coquillages et crustacés, notamment les huîtres, et boîtes à fromage. Ces régions en appellent au replantage de peupleraies à l’échelle locale, pour fabriquer toujours plus d’emballages à usage unique.

Les premiers peupliers du Marais poitevin ont été plantés en alignement autour des prairies naturelles dédiées à l’élevage. Peu à peu, les propriétaires fonciers ont délaissé les pâturages au profit de ces peupliers dont l’industrie du bois est si friande. Mais l’arbre ne s’enracine que peu et, lors de la tempête de 1999, les peupleraies sont tombées comme des châteaux de cartes. Leur culture y a dès lors été abandonnée. Le Parc interrégional du Marais poitevin et un syndicat de propriétaires collaborent pour relancer la filière en adoptant une autre approche. L’idée est de retrouver les paysages d’antan de prairies naturelles entourées de peupliers et de « têtards » de frênes omniprésents dans le Marais. Des aides, à toutes les étapes du processus, sont proposées aux propriétaires pour les accompagner dans leur démarche. L’élevage étant une activité à part entière, les prairies sont louées à des éleveuses et éleveurs sans terres.

Emballages éphémères contre plantations durables

Auparavant, des cageots très robustes circulaient des années durant avec leurs chargements maraîchers et fruitiers. On respectait ces objets du fait de leur matériau et du travail qu’ils avaient exigé de petites mains. Dans une société du tout-jetable, l’objet compte moins pour lui-même que pour ce qu’il peut rapporter. Sa fragilité garantit son prompt renouvellement. Produire, utiliser une fois, jeter. Sans repasser par la case départ.

Pour justifier le non-retour des cagettes vers les lieux de production, le Syndicat national des industries de l’emballage léger en bois (SIEL) met en avant les coûts de transport supplémentaires que cela entraînerait. Or les emballages neufs doivent eux aussi être acheminés vers les sites de production alimentaire. L’argument n’est donc pas valable.

Ce groupement d’industriels ne remet pas en question le principe même de ces emballages trop éphémères ; ce n’est pas son intérêt. Sa raison d’être est de produire toujours plus d’emballages légers en bois. « Légers » pour dire « jetables ». En toute logique, il encourage leur recyclage pour le paillage, la fabrication de panneaux de particules et le chauffage. Pourquoi pas, mais question chauffage, on repassera. Le peuplier est un bois de faible densité et, à ce titre, un combustible assez médiocre, qui brûle rapidement, tout juste bon à servir d’allume-feu dans la cheminée.

Si un hypermarché a les moyens de se doter de broyeurs pour le recyclage de ses cagettes, ce n’est pas le cas de supermarchés plus modestes, et encore moins des épiceries et des marchés forains. Et puis ça ne résout pas le problème de la rareté de la ressource, loin de là. Finalement, seuls les maraîchers et maraîchères en vente directe font durer leurs cagettes aussi longtemps que possible.

Depuis la populiculture mécanisée jusqu’au recyclage des contenants en passant par leur fabrication, toute la chaîne emploie des machines gourmandes en énergie. Le cycle vertueux de la cagette durable est illusoire. Il faut produire moins de cagettes, mais plus robustes afin de prolonger leur cycle de vie dans le conditionnement et le transport des aliments.

Et s’il faut replanter, replantons. Mais pas des peuplements monospécifiques, ça non. Une solution de bon sens serait de consolider les berges de nos cours d’eau en débétonnant et en plantant des essences adaptées aux sols humides, tel notre peuplier. Les arbres n’ont pas leur pareil pour retenir les sols et réguler le cours des rivières tout en limitant sécheresses et inondations.

La conduite en trognes ou en taillis permet la repousse rapide de branches à partir d’un tronc ou d’une souche, ceci tout en préservant le système racinaire existant et l’écosystème qui va avec. Renouer avec ces pratiques serait bien plus profitable pour l’environnement et le bien-être des habitants et habitantes. Il fait si bon flâner le long d’un cours d’eau, à l’ombre de peupliers au feuillage bruissant doucement dans le vent.

1. Toutes les cartes et illustrations de cet ouvrage sont d’Agnès Stienne (NdÉ).

2. Cécile RENOUARD, « La Bretagne en manque de peupliers », Le Télégramme, 28 mai 2021.

3. « On va vers une pénurie de peupliers blancs du Poitou pour l’industrie », France Info, 12 juin 2020.

Des tas de palettes

Il y a un placard magique à la maison. Ce placard magique, flanqué sous l’escalier qui mène de la cuisine à l’étage, est une bénédiction. Après y avoir posé des étagères en pin lamellé-collé-abouté, j’ai pu y ranger le matériel de ménage, les pots de confiture maison, les cagettes de légumes, la boîte à couture et surtout le petit outillage pour bricoler – car non, je ne dédaigne pas de bricoler quand c’est nécessaire : escabeau, perceuse à percussion, scies égoïnes, scie à métaux, ponceuse, clés, pinces, vrilles, niveau, clous, vis, chevilles, marteau, masse, mètre à ruban et tout un assortiment d’embouts pour visseuse. Le matériel de jardinage est quant à lui entreposé dans le petit cabanon au fond du jardin, l’ancien W.-C. J’aime bien le petit matériel de bricolage et, je l’avoue, j’aime bien les magasins de bricolage avec leurs rayons de vis, de boulons et de clous en vrac, leurs collections de pinces à tout faire, pointues, coupantes, recourbées, les clés plates ou à pipe, les forets, les vrilles, les pinceaux, les peintures, les tasseaux, les planches, les plinthes, les baguettes d’angle. Les clous à « tête d’homme ».

La ville du Mans a l’immense chance d’avoir gardé dans son centre une grande quincaillerie, une véritable institution qui fonctionne à l’ancienne. Il n’y a pas si longtemps, les vendeurs portaient encore la traditionnelle blouse grise. Lorsque l’un d’eux vous sert, il note vos achats et leur prix sur un bout de papier que vous donnez ensuite à l’unique caissière (longtemps la patronne de la boutique, comme dans les vieux films en noir et blanc) logée près de la sortie du magasin. Si on n’y trouve pas son bonheur, il faut aller en zone commerciale.

Deux grandes enseignes de bricolage sont accessibles à vélo sans trop de risques. L’une est située route de Paris. Pour y aller, je traverse le parc Newton et le parc Doumer, un ruban de verdure qui longe l’Huisne et le quartier des Sablons sur 2,5 kilomètres. C’est vraiment très agréable et, en plus, c’est plat. J’emprunte ensuite la bande de courtoisie (le couloir réservé aux vélos, matérialisé par un coup de peinture sur le bitume) de la route de Paris. Pas idéale, mais c’est toujours mieux que rien, en attendant qu’une véritable piste cyclable soit aménagée, en 2077. Le choix dans ce magasin est limité, mais c’est là que je trouve mes équerres favorites. Route de Paris, je passe devant un entrepôt où sont accumulées en extérieur des palanquées de palettes. Ultimes vestiges d’une société de recyclage fermée en 2001 après n’avoir fonctionné que cinq ans.

Pour accéder à l’autre enseigne, route d’Alençon, pas de ruban de verdure mais une bande de courtoisie bientôt remplacée par une vraie piste cyclable en cours de construction. Ça monte à l’aller. J’arrive par l’arrière du magasin, en surplomb de la cour où les camions livrent leurs marchandises. Des piles de palettes sont rangées le long de la clôture grillagée, tandis qu’au milieu de la cour trônent une ou deux bennes remplies de palettes, plus ou moins en bon état, destinées au recyclage. C’est du moins ce qui est écrit sur la pancarte accrochée à la benne. Que fait-on de ces braves palettes, une fois livraison faite des matériaux de construction, du gros et du petit outillage, des matériels de jardinage et d’aménagement d’intérieur ? Une première recherche sur le Web propose quantité de vidéos montrant des virtuoses de la bricole fabriquer toutes sortes de meubles à partir de palettes de récupération. C’est assez chouette, mais ça demande tout même de disposer d’un atelier de menuiserie bien équipé.

C’est ballot quand même, voilà un gros tas de palettes hors service entreposées à l’extérieur d’un magasin qui détient tout le matos nécessaire pour leur donner une seconde vie, mais pas le moindre atelier dédié à cette activité. Je verrais pourtant bien un « fablab » de transformation de palettes usagées, comme il y a des ateliers de réparation de vélos. D’autant qu’une enseigne de bricolage concurrente vend des fauteuils et des tables de salon réalisés avec des palettes… neuves. Ça doit être ça, le style bobo : du faux réemploi de neuf qui fait récup’ trop cool.

Moi aussi, j’ai une palette. Une palette hors norme de 2 600 x 1 200 millimètres. Je venais de passer du 105 au 107 de la même rue. Une voisine, juste en face, attendait la livraison de deux palettes de matériaux, mais impossible de les entreposer, même provisoirement, devant chez elle, il n’y avait pas la place. On s’est entendues pour que la marchandise soit livrée dans ma courette, le temps que les plaques de placo soient déménagées chez elle. La nuit même, en pleine fête entre voisins et voisines, c’est sur le coup de 2 heures du matin que, d’un pas décidé, la dizaine d’adultes présents ont déballé les deux palettes et ont transféré chaque plaque sur le chantier de la maison d’en face. Un des gamins, de cet âge trop jeune ou trop vieux pour participer à une soirée d’adultes, a observé ce drôle de défilé nocturne depuis sa fenêtre, inquiet de savoir si c’était un cambriolage, une blague ou si tout allait bien.

Une des palettes me revenait de plein droit pour bons et loyaux services. C’est un de ces objets sympathiques qu’on a envie de garder… Ça peut toujours servir, même si on sait pertinemment que c’est peu probable. Je l’ai péniblement installée – tellement c’était lourd – sur la terrasse arrière de la maison pour en faire un élément de déco (avant l’arrivée des cagettes) sur lequel divers objets, bougeoirs, pots de fleur, théière, guirlande lumineuse, ont trouvé place. Après quelques années de cohabitation, l’imposante installation posait des problèmes d’entretien. Je l’ai sciée en deux, et j’ai disposé une demi-palette sur la terrasse avant et une demi-palette sur la terrasse arrière. Elles y sont toujours, grisées par le temps qui passe et celui qu’il fait, l’une peu à peu recouverte d’un lierre décoratif à petites feuilles (éléments récurrents de mes cagettes), l’autre d’un rosier Sourire d’orchidée et d’un chèvrefeuille qui embaume à l’heure où j’écris ces lignes.

L’industrie de la palette

Selon les informations publiées par la Fédération nationale du bois, les palettes sont constituées de bois massif, principalement de résineux : épicéa, pin maritime, pin douglas et pin sylvestre. Quelques feuillus, le peuplier et, plus rarement, le hêtre. L’industrie de la palette ingurgite chaque année 1,6 million de mètres cubes de bois, soit 20 % des sciages nationaux (7,5 millions de mètres cubes au total). Dans le même temps, 800 000 m³ de palettes finissent en broyat consumé dans des chaufferies (80 %) ou en panneaux de particules. La moitié des paletteries, implantées de préférence à proximité d’un massif forestier, sont équipées d’une scierie intégrée.

« C’est malheureux de mettre un douglas comme ça dans une palette », déplore un forestier dans le film documentaire de François-Xavier Drouet, Le Temps des forêts (2018). Oui, c’est malheureux car les beaux sujets devraient logiquement être réservés à la menuiserie, à la charpenterie ou à la lutherie. Mais, trop souvent, pour des raisons structurelles, ils partent vers des destinées moins glorieuses, comme les palettes, les papiers ou les broyats.

Les palettes sont les reines de la supply chain – la chaîne logistique d’approvisionnement. Sans palettes, tout s’arrête ! La palette de manutention, de son petit nom, a vu le jour quelque part aux États-Unis dans les années 1930-1940, un peu après la mise en service du chariot élévateur, conçu pour charger et décharger le matériel militaire dans les trains. Sa taille a été fixée relativement à celle des wagons. La palette de manutention s’est développée en France une trentaine d’années plus tard.

Leur résistance à d’éventuelles attaques de xylophages ou de champignons pourrait laisser soupçonner l’application d’un insecticide et d’un fongicide plus ou moins toxiques, mais ce n’est, en principe, plus le cas. Les fumigations au bromure de méthyle sont interdites en Europe depuis 2010. À noter toutefois que, à titre préventif et sur une brève période, le sciage frais peut faire l’objet d’un traitement fongique dit « anti-bleu », uniquement autorisé pour les emballages de fruits et de légumes. On en a donc fini avec les palettes toxiques en circulation. Il n’est cependant pas impossible de trouver sur son chemin une vieille palette importée qui aura été traitée au biocide. Dans ce cas, le tatouage « MB » (pour methyl bromide) doit apparaître quelque part. Par ailleurs, la norme NIMP15 (normes internationales de mesures phytosanitaires no 15) sur les bois sciés et les emballages en bois, adoptée en 2003 et mise en application dans la plupart des pays du monde, prévoit un traitement calorifique contre la contamination des végétaux. Cela consiste à maintenir le bois pendant trente minutes dans un four à une température de 56 °C. Les palettes ayant subi un tel traitement se reconnaissent par leur marquage « HT » (heat treatment). C’est un procédé efficace, mais énergivore. Un séchage artificiel complète le processus, pour prévenir les moisissures.

La production de palettes est largement standardisée : la plus utilisée mesure 800 x 1 200 millimètres. Il existe aussi un label de qualité : la certification EPAL pour les palettes dites « multi-rotations » (amenées à faire autant d’allers-retours que la palette tient le coup). Initialement mise en place en Allemagne avant d’être étendue à la plupart des pays industrialisés, cette certification garantit la qualité des palettes, leurs dimensions, et coordonne un réseau d’échanges, que ce soit à l’échelle locale, nationale ou internationale. Si un transporteur livre des marchandises conditionnées sur palettes, il doit repartir avec le même nombre d’éléments. On dit aussi qu’elles sont consignées. C’est en 1954 que le modèle de palette courant certifié EPAL a été normalisé par l’Union des chemins de fer internationaux (hélas, mille fois hélas, le fret ferroviaire en France a largement été supplanté par le transport routier – une bien mauvaise décision politique pour nos petits poumons, l’environnement, les hérissons et le climat). L’industrie chimique a de son côté mis en place son propre réseau de palettes multi-rotations, les palettes « CP », pour chemical pallets.

L’alternative à la palette consignée est la palette louée – un parc identifiable par des palettes peintes à la couleur de l’entreprise de location. Ce système, privilégié un temps par le secteur agroalimentaire et la grande distribution, l’est de moins en moins, semble-t-il. Pour certains besoins spécifiques (mais sont-ils vraiment nécessaires ?), il est désormais courant de fabriquer de la palette sur mesure à usage unique, dite uni-rotation ou encore « palette perdue ». Pauvre palette ! Le rapport publié en janvier 2020 par l’institut FCBA, l’Ademe et le Sypal, intitulé Valorisation des palettes bois en fin de vie, atteste du déclin des palettes locatives au profit des palettes perdues : un recul important pour la ressource en bois.

Du côté des reconditionneurs qui assurent la remise en état de palettes récupérées, la répartition est la suivante : 33,1 % de palettes uni-rotation, 60,1 % de palettes multi-rotations et 6,7 % de palettes locatives. La durée de vie moyenne d’une brave palette multi-rotations est de huit ans, au cours desquels elle effectue 28 trajets, c’est-à-dire un voyage tous les trois mois et demi. C’est assez peu, finalement. Bien que certaines restent stockées avec leurs marchandises dans les entrepôts, la logique du flux tendu intrinsèque à nos sociétés de consommation impose un séjour dans les rayons d’assez courte durée. Je comprends mieux cet alignement de palettes le long de la clôture du magasin de bricolage : elles attendent là plusieurs mois avant de reprendre la route. Cassées ou abîmées, elles sont récupérées et réparées par un reconditionneur, puis remises en circulation. Celles qui sont jugées irrécupérables partent au recyclage pour finir comme broyat ou panneaux de particules.

Dans son rapport de juin 2019, La Palette bois, un outil de votre performance, la Fédération nationale du bois (FNB) estimait le nombre de palettes en itinérance à travers le monde à 8 milliards, dont 2,5 milliards de palettes toutes neuves. En une année, les États-Unis et le Canada en ont produit 500 millions, l’Europe 650 millions et la Chine 900 millions. Sur les 500 millions de palettes EPAL parties en voyage, seul un quart d’entre elles sont reconditionnées. Rien qu’en France, 46,5 millions de palettes neuves sont sorties des usines en 2019 ; 3,5 millions ont été importées. La même année, 92 millions de palettes existantes ont été reconditionnées. La FNB estimait en 2015 le nombre total de palettes en circulation dans le pays entre 300 et 350 millions. C’est un marché plutôt local.

D’un point de vue social, l’industrie de la palette (fabrication-réparation) offre des emplois peu qualifiés, dont une partie sont attribués à des personnes en situation de handicap et à des personnes incarcérées.

Le paligloo

C’est lors d’une réunion entre voisins et voisines que j’ai découvert l’existence du paligloo, un habitat écolo pas cher – pour peu qu’on dispose d’un terrain – réalisable en autoconstruction. Son ossature, en forme de ballon de football coiffé d’un toit pointu, est composée de lames de palettes de récupération. Les parois sont en paille, recouvertes d’un enduit à la chaux, et le toit est en bois ou en bac acier. Il est isolé du sol contre d’éventuelles remontées d’humidité. Son concepteur, Denis Lefranc, décrit son œuvre : « La surface habitable d’un paligloo est comprise en 20 et 50 m² au sol (avec possibilité d’une mezzanine). Sa forme d’igloo lui permet d’être durable car très résistante au vent et facilitant la circulation de la chaleur intérieure. Autonome en énergie, le paligloo dispose d’une cheminée permettant de se chauffer au bois. De même, des panneaux photovoltaïques sont installés sur la toiture, alimentant l’habitat en électricité. Des bacs de récupération des eaux de pluie sont utilisés, puis les eaux usées sont traitées par phyto-épuration, procédé naturel d’assainissement des eaux par les plantes. »

L’idée de procurer un habitat relativement confortable et peu coûteux à des personnes en cours de réinsertion ou de disposer de logements sociaux d’urgence est assez géniale, et tout à fait louable. D’un autre côté, la France n’a-t-elle vraiment pas les moyens de procurer des logements dignes à toute sa population ?

L’épicéa

À l’occasion des célébrations du solstice d’hiver chez les peuples celtiques et germaniques, aux yeux desquels les arbres étaient sujets à vénération, on ornait les épicéas d’éléments végétaux (fruits, fleurs, épis, graines) ou de diverses friandises. Opposée au culte des arbres, l’Église, qui a su si bien s’approprier les traditions païennes pour mieux les détourner ou les anéantir, en a fait son arbre de Noël. On attribue aux protestants allemands, à la Renaissance, l’origine de ce rite où de jeunes pousses sont coupées pour décorer temporairement les intérieurs lors des fêtes de fin d’année. Faut-il voir dans ce geste – censé louer la nativité par la mise à mort d’un tout jeune arbre – un acte sacrificiel ? De nos jours, le sapin de Nordmann remplace l’épicéa car ses aiguilles tombent plus tardivement après son abattage.

L’épicéa commun (Picea abie ou Picea excelsa) (sapinette, épicéa du Nord, épicéa élevé, épinette de Norvège, épicéa à poix, faux-sapin, pesse, pin pleureur, sapin du Nord, sapin rouge, sérente, gentil sapin…) est un conifère indigène d’Europe, le seul du genre en France. Contrairement à ce que suggère cette liste, il n’appartient ni à la famille des sapins ni à celle des pins, mais bien à celle des Piceas, laquelle regroupe les épicéas et les épinettes. Un peuplement d’épicéas, qu’il s’agisse d’une forêt naturelle ou d’une plantation, s’appelle une pessière.

En France, on rencontre l’épicéa dans son biotope naturel à partir de 350 mètres dans les Vosges ou le Jura, et jusqu’à 2 200 mètres dans les Alpes. Héliophile (appréciant l’exposition à la lumière) et très résistant au froid, il affectionne l’humidité de l’air et du sol, mais son enracinement superficiel le prive des ressources d’eau situées en profondeur. Il est sensible à la pollution de l’air. C’est une essence de reboisement depuis le XIXe siècle, en plaine dans la région Nord-Est, la Bretagne et la Normandie, et en montagne dans les Pyrénées et le Massif central. Bien que les spécificités de son écosystème (froid et altitude) excluent nombre d’espèces, il s’accommode très bien de vivre en association avec le hêtre, le sapin blanc, le mélèze, le pin cembro ou le pin à crochets.

Vers l’âge de 60 ans, l’épicéa est abattu pour répondre à la demande de différentes industries du bois, commercialisé en général sous l’appellation « sapin ». Ce bois tendre et blanc est très prisé pour la fabrication de palettes, d’emballages, de panneaux de fibres et de papiers-cartons. Dans le Jura, on fait du liber (l’écorce interne) de l’épicéa des sangles pour conserver des fromages à pâte molle (du type vacherin ou mont-d’or). Les bois de qualité supérieure partent dans des ateliers de charpenterie ou de menuiserie et deviennent poteaux, perches ou huisseries. Parmi les plus beaux spécimens, généralement ceux poussant dans leur aire naturelle en altitude, certains, qui se distinguent par leurs très bonnes qualités acoustiques, sont destinés à la lutherie, notamment pour confectionner des tables d’harmonie de violons, de violoncelles ou de contrebasses.

Autrefois, pégouliers et pégoulières tiraient de la résine odorante de l’épicéa la « poix de Bourgogne », dont on obtenait, après distillation, de l’essence de térébenthine destinée à la pharmacopée. On récolte les aiguilles pour la préparation d’une huile essentielle vantée pour ses vertus antiseptiques, balsamiques, expectorantes et antibiotiques.

Dans son aire naturelle, pour peu qu’on lui laisse sa chance, l’épicéa peut vivre jusqu’à 500 ans et atteindre une hauteur de 35 à 50 mètres. Old Tjikko, un épicéa solitaire, dernier membre d’une colonie clonale, a été découvert en Suède à 910 mètres d’altitude : haut de 4 mètres, ses racines, datées au carbone 14, auraient 9 550 ans.

Les affres de la monoculture

Son introduction en plaine suscite des critiques amères de la part des partisans et partisanes d’une foresterie écologique et résiliente, ceci pour au moins deux raisons. La première tient au fait que l’épicéa n’est pas vraiment dans son élément dans des plaines de basse altitude et que, l’expérience l’atteste, son bois est de meilleure qualité lorsque l’arbre a pu profiter du bon air de la montagne. La seconde, sans surprise, c’est sa propagation en plantations monospécifiques. L’état de mauvaise santé actuel des pessières tend à leur donner raison.

On commet des erreurs qui entraînent des drames et, souvent, le premier réflexe est d’accuser l’autre. L’autre, ici, c’est le typographe. Pas l’ouvrier ou l’ouvrière qui alignait des caractères en plomb, bas-de-casse et capitales, dans l’atelier d’une imprimerie – cette espèce-là a totalement disparu de nos régions. L’insecte. Le typographe, ou bostryche typographe, est un coléoptère de la famille des scolytes qui ne goûte que l’épicéa ; l’épicéa, c’est son dada. En temps ordinaire, le conifère se défend parfaitement contre les morsures de l’insecte qui ne s’attaque qu’aux arbres affaiblis ou à l’article de la mort. Mais on n’est plus en temps ordinaire. Le mercure monte – cette année plus que l’année dernière mais moins que l’année prochaine – et les politiques publiques en matière de gestion de la forêt au niveau national sont à peu près nulles (75 % des forêts françaises sont privées). Pas de perspective sur le long terme, pas de plan pour relancer une filiale bois durable et de qualité, pas de sensibilité particulière pour le secteur, à part promouvoir la production de biomasse énergie qui engrange 50 % des subventions dédiées à la forêt1.

L’insecte a gagné en puissance et envahit maintenant les arbres sains. D’abord cantonnée aux pessières de plaine où le typographe a pu se multiplier sans entrave grâce à un climat favorable, sa prolifération menace désormais les hauteurs2. Aucune solution n’est envisagée, hormis la coupe rase précoce : ratiboiser et vendre ce qui peut encore l’être. De ces branches et de ces troncs, fera-t-on des palettes ou bien des granulés ?

Dans le massif forestier des Ardennes3, géré par l’Office national des forêts (ONF), la situation est tragique. Tragique pour la forêt, pour les personnels forestiers, pour la biodiversité, pour les populations locales, pour les paysages. Pour la vie tout simplement. Ces politiques d’usines à bois finissent par coûter très cher aux écosystèmes, humains inclus. L’épicéa y a été implanté en monoculture et en nombre dans les années d’après-guerre pour produire le plus rapidement possible du bois de sciage et de la pâte à papier. Aujourd’hui, les insectes ont ravagé les plantations, les coupes à blanc se multiplient pour tenter de sauver les bois utilisables, mais la partie est déjà perdue, et ce pour des décennies.

Dans la forêt de la Croix-Scaille, les lourds engins ayant effectué les coupes rases par temps pluvieux ont complètement détruit les sols, au point que leur exploitation est, pour un temps indéterminé, inenvisageable. En juin 2021, un syndicat des personnels de l’Office national des forêts (Snupfen Solidaires) et l’association Canopée ont organisé des journées de terrain dans les Ardennes pour élaborer des alternatives à la coupe rase, jugée inefficace4. Le compte rendu de ces journées propose deux scénarios, l’un considérant l’aspect économique, l’autre l’aspect écosystémique. Dans le premier, des coupes ponctuelles sont opérées pour limiter les pertes financières, à condition de respecter certaines règles de base : utilisation de matériel léger, débardage animal et conservation des arbres structurants. Dans le second, il est recommandé de laisser les parcelles en libre évolution, sachant qu’une forêt d’essences mélangées se reconstitue d’elle-même à partir d’une litière déjà en place. Probablement sans épicéas.

Contes et légendes

C’est un arbre foncé à la silhouette ample et touffue. Traverser une forêt d’épicéas sombre et profonde peut impressionner et susciter dans l’imaginaire bien des histoires à faire peur. Or les contes et légendes qui le mettent en scène le montrent plutôt sous un jour bienveillant, tant il est vrai que cet arbre odorant et sempervirent (toujours vert) symbolise la naissance et le renouveau. Dans leur livre Histoires d’arbres. Des sciences aux contes, Philippe Domont et Édith Montelle relatent à son sujet un joli conte italien. Le voici.

Il était une fois un merle qui, alors qu’il prenait son envol pour sa migration hivernale vers le sud, eut un accident et se brisa une aile. Seul et désemparé, il chercha refuge auprès d’un mélèze afin d’y passer les mois les plus froids, mais l’arbre, impitoyable, lui refusa sa protection. Le merle erra tristement à travers la forêt et parvint dans une clairière où s’élevaient trois arbres : un épicéa, un pin et un genévrier. Tandis que le froid menaçait de ses premiers frimas, les trois conifères s’étonnèrent de voir ce pauvre oiseau en errance. Celui-ci leur conta sa mésaventure. Les trois arbres, compatissants, décidèrent de lui offrir l’hospitalité : l’un proposa ses branches touffues pour le protéger du vent, l’autre ses graines bien grasses pour le prémunir du froid et le troisième ses baies pour le nourrir. Pour remercier ses hôtes de leur générosité, le merle chantait chaque jour son air le plus gai. Puis le vent du Nord arriva, soufflant tant et si bien que le mélèze perdit toutes ses aiguilles. Tandis que le vent redoublait d’ardeur pour déshabiller les trois compères, un vieillard gigantesque, Bonhomme Hiver, s’interposa et dit au vent : « Je t’ai laissé t’amuser avec le mélèze car il s’est montré ingrat et égoïste avec le merle blessé qui avait besoin d’aide. Au contraire, ces trois-là l’ont accueilli, et, en récompense, ils pourront rester verts pour toujours. » Voilà pourquoi les conifères, sauf le mélèze, restent verts et que les merles demeurent dans nos contrées durant l’hiver.

1. Camille GEOFFRAY, Forêts françaises, en quête d’avenir, 2022.

2. « En forêt, la crise des scolytes s’accélère partout en France », ONF, 12 janvier 2021.

3. Marion ESQUERRÉ, « Tueurs d’épicéas, les scolytes dévastent les forêts des Ardennes », Reporterre, 23 novembre 2020.

4. Bruno DOUCET, « Scolytes et épicés, quelles méthodes de gestion alternatives à la coupe rase ? », Canopée/Snupfen Solidaires, 16 août 2021.

Mi la ré sol

Sa voix profonde résonne depuis les entrailles de la terre, réminiscence d’une vie souterraine mystérieuse et hors d’âge. Ses vibrations souples et amples se diffusent en ondes sourdes au ras du sol avant de s’évaporer dans les sphères lointaines. C’est le souffle du sous-bois. Joëlle Léandre, Jean-François Jenny-Clark, Sarah Murcia, Henri Texier, Hélène Labarrière, Stéphane Kerecki et tant d’autres musiciens et musiciennes le savent : la contrebasse est le plus sensuel des instruments à archet… dont on joue d’ailleurs souvent sans archet.

Chaque premier samedi du mois, je fonce à La Fonderie. La Fonderie est un espace culturel (mon préféré, soit dit en passant) créé par la troupe du théâtre du Radeau et son regretté metteur en scène François Tanguy, parti bien trop tôt vers l’inconnu en décembre 2022. Snif. D’abord lieu de répétition et de représentation pour la troupe mancelle, le « garage », comme on disait au tout début de son installation (c’était un ancien garage), est devenu au fil du temps un lieu de rencontre, de création, de résidence et de représentation pour les spectacles vivants, bref, La Fonderie. Des planches épaisses de bois brut y sont omniprésentes, des planchers aux bancs (assez inconfortables je dois dire, apporter son coussin), tables, bar, murs, etc., du bois partout.

Chaque premier samedi du mois, donc, je fonce à La Fonderie assister à la Fièvre du samedi matin. Au cours de ce rendez-vous mensuel, très attendu de ma part, l’Ensemble Offrandes, par la voix d’un de ses membres, Martin Moulin, nous présente une sorte de conférence autour d’une œuvre, d’un chantier en cours, d’un ou d’une artiste du répertoire de la musique contemporaine. On peut dès lors découvrir, par exemple, le travail d’un compositeur ou d’une compositrice en résidence entourée de ses instrumentistes, sa démarche, ses références musicales. Quelques morceaux joués entre deux explications nous mettent en appétit pour le concert du soir, s’il a lieu, ce n’est pas systématique.

Mi la ré sol do

« La contrebasse n’a pas une grande voix, et peut s’y prendre assez bien pour raconter les histoires, de sa voix mi-homme mi-femme, plaintive mais prête à rire, sur la fine ligne entre sourire et larmes, au crépuscule des humeurs. Autour de musiques des siècles passés ou d’époque plus récente, cette fièvre est une invitation à redécouvrir la contrebasse, par celle, si généreuse, de Laurène Helstroffer Durantel ! » : voilà le programme du jour. La contrebassiste évoque très succinctement le statut hybride de l’instrument depuis les origines, entre la viole de gambe et le violon, situé dans l’orchestre entre les cordes et les vents. Dans un rapport de réciprocité, la contrebasse exige de son instrumentiste de s’adapter à son gros corps massif sans craindre le ridicule, tandis que ce dernier est souvent l’objet de modifications pour être ajusté au jeu de son instrumentiste. Le manche de la contrebasse de Laurène est surmonté d’une barre d’extension en do : l’accord mi-la-ré-sol-do remplace l’habituel mi-la-ré-sol. Ne manquent plus à Laurène que les partitions ad hoc d’œuvres contemporaines écrites pour contrebasse. Je lance un appel à volontaires. En attendant, nous avons le grand plaisir d’entendre une passacaille de Biber, une sérénade de Henze, le Crépuscule du Kol Nidré de Finzi, Le Secret de Fauré et un petit Schubert. Évidemment, aucune de ces œuvres n’a été écrite pour la contrebasse.

La contrebasse est fabriquée à l’identique du violon, de l’alto, du violoncelle ou même de l’octobasse, seules changent les proportions. La table d’harmonie est en épicéa ou en sapin, la touche et le cordier, en ébène, et les autres parties de l’instrument, en érable ou quelquefois en poirier. La table d’harmonie (la face avant de l’instrument), dont le rôle est d’amplifier le son, n’est pas faite d’une seule pièce. Elle est composée de deux plaques d’épicéa collées l’une contre l’autre dans le sens de la longueur. L’intérêt de cet assemblage est de répartir la tension exercée par les cordes sur le corps de l’instrument. Ainsi préparée, la planche est découpée à la forme voulue, puis creusée à la gouge et au petit rabot pour lui donner son bombé. Le fond, en érable, est travaillé de la même façon mais son bombé est moins marqué. Les ouïes, d’où sortiront les sons, sont creusées dans la table d’harmonie, elle-même consolidée par un « barrage », une languette collée sur la face interne de la table.

Les éclisses (les côtés) et les contre-éclisses sont pliées à chaud avec un fer et maintenues le temps nécessaire sur un gabarit avant d’être assemblées au fond et à la table.

Le manche – chevillier et volute – est sculpté dans la masse, percé à l’emplacement des chevilles, puis monté sur le corps. L’instrument reçoit une vingtaine de couches de vernis, un mélange ad hoc de gomme, de résine, d’alcool ou d’huile et de colorants. Cordier, touche et chevalet sont posés, puis viennent les chevilles et les cordes en boyau ou en métal. Le dernier élément monté, et non des moindres, est l’âme, une petite pièce en bois placée dans le corps, sous le chevalet, au niveau des cordes aiguës. De son positionnement dépend le timbre de l’instrument. Chaque pièce jouant un rôle dans la résonance de l’instrument, chaque opération demande un grand savoir-faire et beaucoup de précision.

Les archets, eux, sont fabriqués dans un bois exotique très dur, le pernambouc, originaire du Brésil. Cette essence, menacée par la déforestation, se raréfie, et la vente en est strictement réglementée. Les archetiers et archetières se sont organisés en 2007 pour tenter de sauvegarder l’espèce en versant 2 % de leur chiffre d’affaires à un fonds dédié, l’Initiative internationale pour la conservation du pernambouc1. En septembre 2022, le Brésil a annoncé son intention d’étendre l’interdiction de la vente du pernambouc aux archetiers et archetières, jusque-là épargnés par les restrictions2. Réfléchir à comment fabriquer des archets autrement ?

1. Nathaniel HERZBERG, « Les archetiers pleurent le pernambouc », Le Monde, 1er août 2007.

2. « Bois de pernambouc : luthiers et musiciens très inquiets pour l’avenir de leur profession », France Musique, 28 septembre 2022.

Le pin maritime

Un étroit ruban de terre fine longe la berge surplombant de deux ou trois mètres (parfois plus, parfois moins) la rivière qui enfle et désenfle au rythme des marées. Toutes les six heures et treize minutes, son lit se remplit et se vide. Haute, basse, haute, basse… Le chemin est susceptible d’être inondé lors des grandes marées. Ici, les eaux bleu pétrole de la rivière du Bono rencontrent celles, salées, de la rivière d’Auray, un aber qui se jette dans le golfe du Morbihan. Le Bono, Ar Bonoù en breton, est un ancien village de pêcheurs qui a su préserver une part de son pittoresque et son pont suspendu enjambant la rivière, construit en 1840. C’est là que vit ma mère depuis qu’elle est en retraite. Aujourd’hui, les forbans, ces belles embarcations de pêche en bois typiques du village, n’accostent plus au port ; à leur place, une poignée de bateaux de plaisance y sont amarrés, et quelques bateaux-mouches en balade sur le golfe y font escale quand la marée le permet. À marée basse, le port est à sec. « Bono » viendrait du mot breton ar bonn (pluriel bonnoù), la « limite », ou du mot gallo bono, signifiant « marécage ».

Le sentier s’étire du port de Saint-Goustan jusqu’au Bono en longeant la rivière d’Auray, puis jusqu’à la chapelle de Sainte-Avoye en suivant la rivière du Bono. Tantôt il traverse une forêt de feuillus mêlés de conifères, tantôt il borde des parcelles cultivées. Il est si étroit que l’on peut à peine l’emprunter à deux de front. Il est vivement recommandé de regarder où l’on pose les pieds pour ne pas trébucher sur une racine au ras du sol.

Du Bono vers Sainte-Avoye, on longe le vieux cimetière de bateaux où pourrissent les restes de vieilles carcasses tandis qu’une aigrette ou un héron immobile guette le poisson, perchée sur ses grandes pattes. En allant vers Saint-Goustan, un peu après le pont suspendu, le chemin passe à l’est de la pointe de Kerisper, au bas du « Jardin de mémoire1 », un espace pentu de 45 hectares qui accueille depuis 1998 les cendres de défunts et défuntes que les familles commémorent en plantant un arbre de leur choix. On y contemple une grande variété d’arbres et d’arbustes au pied desquels les proches ont disposé des fleurs et des objets en souvenir des disparus et disparues. Ici et là, dans ce lieu paisible et verdoyant, des bancs invitent à faire une petite pause, passer un moment avec les morts, discuter avec une rencontre de hasard, ou se plonger dans une lecture que seul un chant d’oiseau viendra troubler.

En poursuivant son chemin, on marche à l’ombre de grands pins maritimes poussant penchés à l’aplomb de la berge et laissant échapper quelques racines de la roche granitique blanchâtre, dépolie par l’eau et le vent. Quelques écailles de l’épaisse écorce rougeâtre, détachées du tronc, jonchent le sol. On pourrait en faire une aquarelle. C’est une promenade aromatique où le parfum des conifères se mêle aux effluves d’eau iodés et aux exhalaisons de vasières où pataugent des goélands. Les beaux pins vivent en amitié avec des chênes, des hêtres, des aulnes, des châtaigniers, des arbousiers et d’autres feuillus qui font le charme de ce chemin. Le sentier sent bon et on s’y sent bien.

La Bretagne est assez éloignée du berceau originel du pin maritime, mais il (lui et ses deux cousins conifères, douglas et épicéa) s’y est largement implanté (32 % de résineux recensés dans cette région), notamment sur les côtes, où l’on reconnaît sa silhouette penchée par les vents du large. Sa capacité d’adaptation aux sols sablonneux est réputée, moins son attrait pour les arènes granitiques lorsque celles-ci reposent dans une fraîcheur constante. Originaire de la région méditerranéenne, le pin maritime a aussi été introduit dans les Pays-de-la-Loire et les Cévennes, mais il a surtout colonisé le massif des Landes de Gascogne.

Le pin maritime (Pinus pinaster) – ou encore pin des Landes, pin de Bordeaux, pin de Corte, pin à trochets, pin du Maine ou pin mésogéen – a sorti ses premières aiguilles au Portugal, sur le pourtour méditerranéen et dans quelques îles atlantiques (Açores, Madère, Canaries et Cap-Vert), une région appelée Bassin méditerranéen-Macaronésie. En France, l’industrie du bois en a fait une des essences les plus envahissantes, les plantations de pins maritimes recouvrant aujourd’hui 10 % à 12 % des surfaces boisées sur le territoire.

Il aime autant la chaleur, la lumière et l’humidité de l’air qu’il déteste le calcaire et le froid, même s’il peut se montrer assez rustique. Il n’est donc pas tout-terrain, et c’est une chance qu’il ne puisse être planté partout dans l’Hexagone. De croissance rapide, il est abattu quand il atteint 30 mètres, à l’âge de 35 ou 40 ans. S’il avait poussé tordu, il aurait pu vivre deux siècles. Son bois, dur et assez lourd, de teinte rougeâtre, est utilisé en charpenterie et en menuiserie. On en fait des poteaux, des coffrages, des palettes ou du papier. Les aiguilles et les bourgeons servent en pharmacopée, les écorces en jardinerie.

La colonisation des Landes de Gascogne

Introduit en nombre dans cette région du Sud-Ouest à partir du XVIIe siècle, le pin maritime y a été exploité pour la production du goudron destiné au calfatage des navires. Sa résine, après distillation, donnait de la térébenthine. On en tirait de la colophane, du charbon de bois ainsi qu’un colorant appelé « noir de fumée » ou « noir de lampe », appellations toujours en usage sur un de mes tubes d’aquarelle où il est écrit « Lamp black », « Noir de fumée » et « Negro de humo ». C’est un noir neutre.

Depuis ses premiers peuplements sur la bande lagunaire de la Côte d’Argent, à l’origine pour fixer les dunes, les plantations de ce résineux se sont poursuivies aux XIXe et XXe siècles, au point que, actuellement, elles ont colonisé au moins 80 % du plateau landais – vaste territoire de lande partiellement marécageuse qui s’étend sur presque un million d’hectares, soit 92 % de sa surface boisée2. Le plateau était autrefois peuplé de familles paysannes, de bergers perchés sur échasses entourés de moutons. Il accueille aujourd’hui la plus grande plantation monospécifique d’Europe, composée d’une mosaïque de parcelles privées.

Le géographe Julien Aldhuy a relevé le caractère très politique de la transformation du plateau landais3. Celle-ci prend place dans un contexte historique où l’État-nation, en quête d’une identité imaginaire, cherche à civiliser et uniformiser les différentes bio-régions du pays par un aménagement du territoire imposé par le pouvoir central sous la houlette des Ponts-et-Chaussées. Cette plaine non cultivée, dédiée au pâturage, semble désertique, improductive et arriérée aux yeux des autorités, pour qui la population locale n’est qu’une bande de sauvages. Tout cela doit disparaître. En outre, ces terres sont communales, régies par le droit d’usage. Or, à l’instar du « mouvement des enclosures » en Grande-Bretagne, le pouvoir entend privatiser ces espaces ruraux, avec l’objectif annoncé de mettre en valeur les terres agricoles et de favoriser les progrès agronomiques. Les communaux sont vendus aux enchères et drainés pour être cultivés.

Julien Aldhuy assimile le processus de transformation du plateau à une colonisation intérieure : « Au sens premier du terme d’introduction d’une population pour assurer l’exploitation d’un sol […], il y a bien eu une colonisation avec les premiers projets de mise en valeur du XVIIIe siècle et du début XIXe. Compte tenu de la faiblesse présumée, tant en nombre qu’en qualité, de la population locale, les premiers projets prirent la forme d’une colonisation de peuplement destinée à la mise en valeur agricole. […] Au milieu du XVIIIe siècle, dans un Projet pour peupler les Landes de Bordeaux […] resté anonyme, on propose d’amnistier les déserteurs et de les marier de force avec des jeunes femmes sorties des hospices pour enfants abandonnés. Encore plus ambitieux fut La Louisiade, un projet de 1772 dans lequel on proposait de mélanger ces mêmes déserteurs aux familles étrangères, aux Français revenus de Cayenne ou du Canada, aux invalides, aux mendiants et aux galériens. »

Les pins maritimes occupent le territoire. Fin XIXe-début XXe siècle, ni la poix ni la térébenthine n’intéressent plus les industriels : l’heure est au charbon. La Grande-Bretagne extrait son minerai, la France cultive ses pins. Et l’industrie minière, loin d’épargner les ressources en bois, en engloutit des quantités. Il faut du bois pour étayer les mines, beaucoup de bois. Au point qu’en 1934, comme le rappelle l’historien Jean-Baptiste Fressoz4, un accord est passé entre les deux pays pour échanger des poteaux de mines contre du charbon5. En ce début de XXIe siècle, l’e-commerce et la production de cartons d’emballage explosent. À cet égard, l’historien précise que la moitié du bois landais fournit aujourd’hui l’industrie papetière.

Il est indéniable que la fixation des dunes a été cruciale pour le littoral landais. Mais, au-delà de la bande côtière, l’enrésinement prolongé d’un territoire au détriment des feuillus tels que le chêne, le bouleau, l’orme, le tilleul, l’aulne, le châtaignier et autres arbres fruitiers – qui occupent à eux tous seulement 20 % de la superficie – pose bien des problèmes. Outre les travers communs à toute monoculture industrialisée, il y a les effets négatifs spécifiques que la présence prolongée de résineux entraîne pour les sols et la biodiversité.

Les espèces dites pionnières, lichens, mousses, bouleau ou saule, ont cette faculté de s’installer sur des espaces inhospitaliers pour de nombreuses espèces botaniques. Cette première pousse va préparer le terrain en relançant les cycles de vie des micro-organismes et des végétations basses, et favoriser ainsi la formation d’une première litière propice à l’enracinement d’autres espèces, notamment les feuillus tels que le chêne, le hêtre, le châtaignier, le prunellier, etc. – seules véritablement à même de constituer une couche riche en humus. Sans les feuillus, les plantations de résineux présentent, à la longue, un bilan négatif en ce qu’elles acidifient et stérilisent les sols. Dans les Landes gasconnes, les nouvelles plantations nécessitent un apport régulier d’engrais phosphatés.

Les méthodes d’exploitation des pinèdes landaises vont à l’encontre des pratiques respectueuses des écosystèmes. Lourdes abatteuses et autres dessoucheuses représentent une calamité pour les sols, avec pour effet de les tasser, de les imperméabiliser et de les dévitaliser. Sans compter que ces cultures monospécifiques sont extrêmement fragiles. Une simple attaque de parasites – cochenilles ou chenilles processionnaires par exemple – peut être fatale à la futaie si aucune barrière biologique (plusieurs variétés d’arbres) n’y fait obstacle.

Les tempêtes y sont d’autant plus redoutables que les plantations en futaie sont homogènes, c’est-à-dire dépourvues de sous-étages variés et d’arbres suffisamment vieux et robustes pour structurer la forêt et consolider l’ensemble. À cet égard, les forêts primaires ou les futaies jardinées sont bien plus résilientes. Leur enracinement profond, étendu et dense solidarise les individus entre eux : en cas de vents violents, les gros protègent les petits.

Et puis les résineux réchappent rarement des incendies. Les Landes de Gascogne paient souvent très cher cette vulnérabilité. Dans un contexte de réchauffement climatique et de sécheresses de plus en plus sévères, les pinèdes ne sont plus guère que de vastes plantations d’allumettes prêtes à s’enflammer à la moindre étincelle. Les spécialistes ont beau être unanimes pour recommander la mixité des espaces boisés, de toute évidence, c’est la folie d’une économie à court terme qui prévaut encore.

Les grands feux de l’été 2022 ont, une fois encore, démontré les conséquences délétères de l’absence d’une authentique politique forestière, soucieuse à la fois de fournir des bois de qualité à la filière, d’assurer la résilience des espaces forestiers, de sauvegarder les conditions nécessaires à la biodiversité, de préserver la beauté des paysages et d’entretenir des espaces accueillants pour les populations. Quelques larmes versées ne suffisent pas à éteindre l’incendie. Il faut de vrais projets pour la forêt française. On parle beaucoup, depuis quelque temps, de la vitalité des zones humides et de leur influence bénéfique sur les écosystèmes et la biodiversité. Le plateau landais est assis sur une nappe phréatique qui offrirait la possibilité de les faire renaître en favorisant la repousse de différentes essences adaptées au terroir.

1. Virginie JAMIN, « Au Bono, un jardin de mémoire unique en France », Ouest-France, 12 novembre 2014.

2. Selon l’enquête CEFIL 2012 sur les propriétaires forestiers privés du massif des Landes de Gascogne, Agreste Aquitaine. Analyses et résultats, no 52, juin 2012.

3. Julien ALDHUY, « La transformation des Landes de Gascogne (XVIIIe-XIXe), de la mise en valeur comme colonisation intérieure ? », Confins, no 8, 2010.

4. Jean-Baptiste FRESSOZ, « La forêt des Landes a joué le rôle exactement inverse d’un puits de carbone », Le Monde, 31 août 2022.

5. Daniel FAUCHER, « Échange de poteaux de mine landais contre du charbon britannique », Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, tome 6, fascicule 4, 1935.

L’âge des arbres

Oui, les émissions de gaz à effet de serre, dont le dioxyde de carbone, influent sur le climat. Oui, les arbres stockent du carbone et absorbent une partie des émissions de gaz à effet de serre mais à des degrés divers. Une étude américaine réalisée dans une forêt tempérée de l’Oregon et de l’État de Washington1 avance que les plus gros arbres captent nettement plus de carbone que les plus petits, sans pour autant que l’écart soit proportionnel. Ceux dont le diamètre du tronc est supérieur à 53 centimètres représentent 3 % du peuplement mais stockent à eux seuls 42 % du carbone de la forêt. Ceux dont le tronc mesure plus de 76 centimètres de diamètre représentent 0,6 % de la population mais 16 % du carbone capturé.

Dans son inventaire forestier annuel, l’IGN publie un classement des arbres par diamètre (les individus dont le diamètre du tronc est inférieur à 7,5 centimètres ne sont pas comptabilisés) et par groupe d’essences (feuillus et conifères). En France métropolitaine, le diamètre des troncs de 98 % des arbres est inférieur ou égal à 47,5 centimètres. Nos arbres sont minces. Et jeunes. On doit pouvoir faire beaucoup mieux pour stocker davantage de carbone, laisser les arbres vivre plus longtemps. Il est possible d’estimer l’âge approximatif des arbres sans les couper, en leur appliquant un coefficient de croissance, l’un spécifique aux feuillus et l’autre aux conifères. Les arbres de plus de 53 centimètres de diamètre ont entre 100 et 130 ans, ceux de plus de 76 centimètres entre 175 et 200 ans.

La visualisation suivante donne des indications sur la hauteur de quelques arbres arrivés à maturité, et leur longévité.

1. David J. MILDREXLER et al., « Large trees dominate carbon storage in forests east of the Cascade crest in the United States Pacific Northwest », Frontiers in Forests and Global Change, 5 novembre 2020.

Les traverses de chemin de fer

— Tu sais qui habite là maintenant ?

— Ah non, je n’en ai aucune idée. Tiens, regarde, il y a un nom sur le côté, si tu veux le savoir.

Au moment précis où je me penche pour lire le nom écrit sous la sonnette, la porte s’ouvre sur une femme qui sursaute en même temps que moi.

Moi, rouge de confusion :

— Oups… excusez-moi madame… je vous prie de m’excuser… voilà… c’est idiot… j’ai habité cette maison… on se demandait qui l’occupait à présent…

— Ha ha ha, pas de souci. Alors c’est vous qui avez paysagé le jardin ?

— Ha ha, paysager c’est peut-être un bien grand mot pour un si petit jardin, mais oui j’ai fait quelques aménagements.

— Venez le voir, alors, si vous avez cinq minutes. Vous verrez, nous les avons conservés, c’est très chouette.

C’est ainsi que Maman et moi, parties en balade par un bel après-midi, allons revoir mon premier petit jardin.

Elles sont toujours là, superbes, imposantes, noires, rassurantes. Disposées en carré, elles retiennent, répartie tout autour d’elles, la terre revêtue de plantes ornementales et encadrent le carré de pelouse sur lequel elles reposent. Elles ont vraiment de la gueule, ces bonnes vieilles traverses de chemin de fer.

Avec un copain, nous avons vécu en colocation dans cette maison avant qu’elle ne soit vendue. À l’arrière de l’habitation s’étire un petit jardin bordé de vieux pommiers en espalier d’un côté, et de vieux poiriers de l’autre. Je me souviens d’une variété mystérieuse de pommes jaune clair à la chair très fine, tout à fait délicieuses, et d’un très vieil abricotier planté près de la maison. En deux ans, je ne l’avais vu donner que trois abricots, mais énormes et juteux à souhait. Au fond du jardin, à l’époque, une dépendance en bois déglinguée donnait accès à une ancienne caserne désaffectée, où des gendarmes venaient occasionnellement faire des entraînements de gymkhana. C’était une friche composée de grands bâtiments délabrés et d’un immense terrain abandonné à la végétation. J’y allais en catimini faire mon footing, cueillir des fleurs sauvages et des graminées, récolter du raisin, du sureau et autres baies sauvages. Les militaires sont définitivement partis ; c’est aujourd’hui un beau parc public.

En prenant nos marques dans les lieux, j’avais proposé de créer un espace pelouse en creux dédié à la détente, le reste du terrain partagé entre plantes ornementales, arbres fruitiers et potager. J’avais creusé un carré avec mes petits bras musclés et une fourche bêche, réparti la terre tout autour, calé le tout avec des traverses de chemin de fer d’occasion sur lesquelles s’asseoir, et nivelé les deux strates. Enfin, semé de la pelouse dans le carré inférieur. « On n’est pas bien, là, les fesses posées sur du bon vieux chêne, les pieds nus jouant avec l’herbe fraîche, des pâquerettes coincées entre les orteils ? »

Attention, bois toxique

Ces traverses me venaient de cheminots qui revendaient pour quelques francs celles sorties du réseau afin de se constituer une cagnotte. Depuis décembre 20181 (et seulement depuis cette date), ces petits arrangements ne sont désormais, et heureusement, plus possibles : les traverses de chemin de fer sont traitées à la créosote, une substance cancérogène issue de la houille. Les produits créosotés sont interdits à la vente, à l’import-export, au réemploi ou au recyclage. Enfin presque. Une dérogation autorise les traitements à la créosote issue de la houille des traverses de chemin de fer et des poteaux téléphoniques ou électriques, au motif qu’il n’y a pas d’alternative aussi efficace et bon marché pour la préservation des bois en contact avec le sol et exposés aux intempéries. Cette imprégnation au biocide prolonge leur durabilité.

Classées déchets dangereux depuis 2002 et, dès lors, interdites dans l’espace public, les traverses créosotées ont néanmoins continué de circuler librement, en vertu d’un arrêté de juin 2003, chez les particuliers qui se procuraient, en répondant à une simple annonce, des traverses en bois SNCF d’occasion. Plus grave, des entreprises ont continué de transformer ce déchet toxique en charbon de bois alimentaire, en infraction à la norme européenne de 20052. Pour peu qu’on ait arrosé son charbon de bois créosoté avec de l’alcool à brûler pour qu’il s’enflamme plus facilement, la brochette doit dégager des saveurs aromatiques complexes !

Désormais, la SNCF doit confier les traverses usagées à une entreprise de traitement des déchets dangereux. L’association Robin des bois suit ce dossier de très près en participant aux discussions avec les autorités, et s’inquiète du sort des vieilles traverses stockées quelque part alors que leur traitement est plus toxique encore que celui dispensé aujourd’hui3. Depuis sa première utilisation en 1880 pour le traitement du bois ferroviaire, la composition de la créosote a en effet subi des modifications visant à réduire la quantité de substances toxiques, notamment le benzo(a)pyrène, sans pour autant réussir à la rendre sans danger. Sont apparues la créosote de type A, puis la créosote de type B et, depuis le milieu des années 1990, la créosote de type C, la moins nocive. Moins nocive mais toujours toxique, surtout si appliquée trop généreusement.

En 2015, le syndicat Sud-Rail tirait le signal d’alarme : « En effet, les traverses bois reçues par la SNCF ne respectent pas les normes de sécurité, puisqu’elles sont trop imprégnées de créosote, le temps de séchage n’est pas respecté, et trois entreprises sur quatre utiliseraient encore la créosote type B, interdite depuis le 1er janvier 2014. […] Depuis quelques années, la direction achète du bois au rabais pour confectionner les traverses qui seront créosotées dans l’atelier SNCF de Bretenoux. C’est environ 90 % des traverses utilisées sur les chantiers SNCF. Le problème, c’est que ce bois est certes moins cher, mais de mauvaise qualité. Il est moins dense, voire poreux. Il faut jusqu’à trois fois plus de créosote pour le traiter. Les traverses sont donc imbibées de créosote, avec les risques accrus que cela entraîne (risques de brûlure, de chutes, d’inhalation…). […] Ajoutez à cela qu’une traverse imbibée s’égoutte dans le sol, avec les risques pour l’environnement et la santé publique qui en découlent4. »

Le créosotage par autoclave

Hormis les traverses en bois importées de Belgique (10 %), le traitement des traverses est réalisé sur un site de la SNCF, un ensemble de 25 hectares situé à Bretenoux dans le Lot, le dernier atelier d’usinage et de maintenance que la société ait conservé. L’Établissement industriel voie (EIV) Quercy-Corrèze de Bretenoux à Biars-sur-Cère est classé Seveso en seuil haut (risque majeur)5. Il produit chaque année 400 000 traverses en bois.

Une fois équarries par des scieries indépendantes, les traverses en devenir sont acheminées vers l’EIV pour la suite des opérations. Elles y sont entreposées en camarteaux (c’est-à-dire disposées en couches croisées) pour sécher à l’air libre plusieurs mois (huit à dix mois pour le chêne). Une fois sèches, elles sont, si nécessaire, frettées, c’est-à-dire cerclées à chaque extrémité par un ruban métallique pour empêcher l’ouverture de fentes. Elles sont ensuite usinées : deux entailles latérales y sont creusées pour le calage des rails – ce sont les tables de sabotage – et des trous percés pour y introduire les tirefonds qui fixeront le rail sur la traverse. Lors de l’ultime opération – le créosotage par autoclave –, les traverses sont disposées dans un autoclave, une sorte de grosse citerne où l’on fait le vide pour en extraire l’air et l’humidité restée dans le bois, avant d’injecter par pression le produit de préservation destiné à le traiter en profondeur.

La technique de traitement autoclave, inventée au début du XIXe siècle, a évolué au fil des ans. Le bois était initialement traité à l’huile de lin, mais la créosote, reconnue pour ses propriétés imperméabilisantes et biocides, l’a rapidement remplacé. À l’époque, les ouvriers chargés de la manutention dans les ateliers s’appelaient les coltineurs6. Chaque coltineur chargeait et déchargeait seul, à mains nues et sans protection plusieurs traverses de 80 kilogrammes par jour. Si le bois était ainsi préservé des agressions extérieures, les travailleurs, eux, ne l’étaient pas des effets délétères de la créosote qu’ils inhalaient à chaque manipulation. Par ailleurs, on faisait peu de cas de la pollution, des produits déversés dans les sols et de leur infiltration dans les nappes phréatiques.

« Chemins de bois »

En France, la seconde moitié du XIXe siècle a été marquée par l’essor de l’industrialisation, et les chemins de fer y ont joué un rôle essentiel, avec un impact majeur sur les forêts, dont l’historien Romain Sanchez révèle l’ampleur : « Pas moins de 2 563 000 traverses en bois ont été utilisées par les six compagnies ferroviaires françaises pour la seule année 1877. Cela représente 320 000 stères, et pour suivre une telle cadence, environ 800 à 1 000 arbres doivent être abattus par jour. Et cela, seulement pour les traverses7. » Ceci sans compter le bois métamorphosé en wagons et en poteaux télégraphiques, posés très nombreux en bordure de voie. D’ailleurs, avant l’adoption du terme « chemins de fer », on parlait de « chemins de bois ».

Les traverses en bois produites aujourd’hui par la SNCF mesurent 6 mètres de long, 25 centimètres de large et 15 centimètres d’épaisseur, pour un poids de 80 kilogrammes, dont 6 kilogrammes de créosote. Leur durée de vie se situe entre vingt-cinq et cinquante ans. Elles sont en chêne d’origine française pour 74 % d’entre elles. Les 26 % restantes sont en azobé, un bois imputrescible d’Afrique équatoriale qui ne nécessite pas de traitement de préservation8. Or l’azobé, Lophira alata, ou, selon les langues locales, Eki, Okoka, Kaku, Eba, Kofyo ou encore Bongossi, est inscrit comme espèce vulnérable sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Coucou la SNCF !

Le déclin du réseau

Il fait nuit. La ville, plongeant doucement dans le silence et l’obscurité, s’endort. Elle appartient maintenant aux chats, aux hérissons et aux oiseaux de nuit. Rrrooooouuuuuiinnnnn… Clong ! Rhiiiiiuuuuuiiiiaaannn… Hihiiiiiiiiiii. Des bruits de ferraille retentissent bruyamment : crissements prolongés, grincements suraigus, claquements secs, vacarmes sourds, longs murmures plaintifs. Une fanfare aléatoire emplit la nuit d’une atmosphère étrange, énigmatique, fantasmagorique. En gare de triage, on bosse : on réorganise la composition des trains décrochant un wagon ici, le raccordant à un convoi là. Ce bruit nocturne me parvient dans un demi-sommeil, il m’accompagne dans mes rêves. J’aime. Mais ça, c’était il y a quinze ou vingt ans, les premières années de mon installation dans le quartier. J’habite une maison proche de la ligne qui file en direction de Paris, d’une voie de garage et de l’embranchement vers la gare de triage. Me parvient aussi le bruit du roulement interminable des trains de marchandises schlong… schlong… schlong… schlong… schlong… schlong… schlong… Mais de moins en moins de trains de marchandises traversent nos paysages, et il devient de plus en plus rare que les manœuvres de la voie de garage sonorisent mes nuits. En vingt ans, le trafic a décru. Ce déclin s’est fait au profit du transport routier, plus polluant, très gourmand en bitume, moins sécurisé et moins performant que le rail.

Ce n’est un secret pour personne, la SNCF cherche à faire des économies, quoi qu’il en coûte. Au prix de la dégradation du réseau ferré dans son ensemble9, de nouvelles fermetures de lignes secondaires10, de la suppression des trains de nuit, de gares qui ne sont plus desservies, de retards, de tarifs lignes rapides exorbitants. Et du torpillage du fret11.

L’entretien des traverses du réseau et leur renouvellement représentent un budget non négligeable à raison de 1 666 traverses par kilomètre de voie principale et de 1 350 traverses par kilomètre de voie de service. On comptait 99 millions de traverses en bois sur le réseau national en 1977, contre 40 millions en 201812. En 2004, on en remplaçait environ 640 000 par an, 570 000 en 2005, et 450 000 en 2020. Un chiffre en constante diminution, dû à la réduction du nombre de lignes, au changement moins fréquent des traverses en bois et à leur remplacement par des unités en béton – une alternative moins onéreuse datant des années 1970.

L’arrivée des traverses en béton, théoriquement plus durables, n’a pourtant pas sonné la fin des traverses en bois. La fabrication des traverses en béton requiert un moule d’où sortent une palanquée d’éléments standard. Mais des traverses non standard sont nécessaires, notamment au niveau des aiguillages, où le bois reste privilégié. Les traverses en bois sont aussi appréciées pour leur souplesse et leur capacité d’amortissement des sons sur les lignes secondaires, les passages à niveau, les voies de service, les voies privées (interentreprises) et les lignes de fret. 2,5 milliards de traverses en bois sont utilisées à l’échelle mondiale.

Quelles traverses choisir ? Quel traitement adopter si nécessaire ? Quel bois ? Quelles lignes maintenir, ouvrir, fermer, prolonger, inventer ? À quand un vrai débat public sur le réseau ferré ?

Les traverses paysagères

On trouve dans le commerce des traverses en chêne non créosotées pour la réalisation d’aménagements en extérieur, comme je l’avais fait dans ce petit jardin. Ces traverses paysagères ont des dimensions peu ou prou identiques à celles de nos chemins de fer. On y lit l’indication « traité autoclave », c’est-à-dire imprégné d’un produit injecté en profondeur (et non pas en surface, comme on applique un traitement de finition), mais aucune indication sur sa composition. Pas davantage sur les sites des fabricants, ni même sur le site de la Fédération nationale du bois. Qu’en est-il des lames de terrasse, des clôtures, des claustras, des dalles, des caillebotis, des bordures et des poteaux en bois ?

Un coup de pédale jusqu’à mon enseigne de la route d’Alençon m’en apprend un peu plus. Pas d’étiquette sur les traverses, ni sur les lames de terrasse, mais j’en découvre sur les claustras, les dalles, les caillebotis, les bordures et les poteaux en bois. Ce petit matériel, en résineux de Pologne, a reçu un traitement autoclave décrit sur l’étiquette : « Carbonate de cuivre, hydroxyde de cuivre, acide borique, didecylpolyoxethylammoniumborate. Évitez le contact avec les aliments, les boissons, l’eau potable et les aliments pour animaux. Ne pas respirer la poussière de sciure de bois. Ne pas utiliser dans la litière des animaux, ni dans les étangs à poissons. Le bois imprégné doit être éliminé conformément à la réglementation sur l’environnement. » Voilà. Leur couleur verdâtre provient d’une substance à base de cuivre.

1. Arrêté du 18 décembre 2018 relatif à la restriction d’utilisation et de mise sur le marché de certains bois traités, Legifrance, avril 2019.

3. Jacky BONNEMAINS et Kalidjata MEITE, « Que deviennent les déchets dangereux ? Le cas des traverses de chemin de fer traitées aux créosotes », Robin des bois, Association de protection de l’homme et de l’environnement, avril 2007.

4. « Créosote : attention danger », Paris Sud-Rail, avril 2019.

5. Romain SANCHEZ, « Le traitement des traverses » (3/3), Rails et histoire, 4 mars 2021.

6. Romain SANCHEZ, « Le traitement des traverses » (2/3), Rails et histoire, 4 janvier 2021.

7. Romain SANCHEZ, « Une controverse technique fin XIXe : traverses en bois ou en métal ? » (1/2), Rails et histoire, « Train et écologie, XIXe-XXIe siècles », 19 octobre 2020.

8. « Préserver la biodiversité », www.sncf.com, 12 septembre 2022.

9. « La carte de l’état réel des trains du quotidien en France », Reporterre avec OSM, 5 février 2018.

10. « SNCF Réseau compte réduire ses investissements sur le réseau ferroviaire “structurant” », VRT, 22 juin 2022.

11. Ugo THOMAS, « La longue agonie du fret ferroviaire », LVSL, 1er décembre 2021.

12. Romain SANCHEZ, « Le traitement des traverses » (1/3), Rails et histoire, 8 décembre 2020.

Le chêne pédonculé

Les chênes forment une belle et grande famille de cinq cents espèces à travers le monde, pour la plupart dans l’hémisphère nord. Vingt-cinq ou vingt-sept sont endémiques en Europe et la France en compte une petite dizaine, dont le chêne rouvre, le chêne pédonculé, le chêne-liège, le chêne vert, le chêne pubescent, le chêne chevelu, le chêne kermès et le chêne tauzin. Ils couvrent à eux tous 40 % des espaces forestiers de l’Hexagone, mais rouvres et pédonculés dominent très largement en nombre. Tous deux fournissent indistinctement l’industrie du bois. Il est assez simple de les différencier : les glands du pédonculé, d’où son nom, ont un pédoncule (c’est-à-dire la tige qui les rattache à la branche) assez long, alors que les glands du rouvre en sont quasiment dépourvus, fixés directement sur la branche. Mes cagettes et mes sculptures végétales mettent généralement en scène des cupules de chênes pédonculés. Les deux espèces font assez bon ménage en forêt et il n’est pas rare de rencontrer des espèces hybrides.

Le bois dur et très résistant du chêne est utilisé en ébénisterie, dans la construction, la tonnellerie, la menuiserie pour réaliser des plaquages, des parquets, des planches pour la boiserie d’intérieur et des traverses de chemin de fer. De son écorce, on extrait le tan, utilisé pour le tannage des peaux. Les glands nourrissent les animaux sauvages (écureuils, geais, cerfs, sangliers). On peut les consommer en purée, en farine, rôtis ou torréfiés comme du café. Autrefois, on amenait les cochons à la glandée, une petite échappée d’automne sous les chênes pour se gaver en toute liberté.

Chêne pédonculé, Quercus robur, « chêne robuste », chêne blanc, chêne noir, chêne femelle, chêne à grappe, gravelin ou châgne. Le chêne que l’on rencontre un peu partout en France et en Europe jusqu’à l’Oural. Plus trapu que le sessile, c’est celui qui, recépé bien souvent pour le bois de feu, ombrage nos chemins creux. Celui sur qui les druides, dit-on, prélevaient le gui. Le pédonculé raffole des sols fertiles, un peu humides et plutôt argileux, des plaines et des vallées fluviales. Vivre isolé au milieu d’une belle prairie et apporter de l’ombre à quelques vaches ne lui déplaisent pas. Venez à moi les petits photons, inonder de vos rayons lumineux mes petites feuilles éprises de soleil. Cela dit, une forêt mixte en compagnie de charmes, de frênes, d’érables champêtres, de tilleuls à petites feuilles, de merisiers, de pins sylvestres, de noisetiers, de chèvrefeuilles ou d’aubépines lui convient parfaitement aussi, bien mieux que la futaie qu’il laisse au rouvre.

Lors de ma balade quasi quotidienne au Gué-de-Maulny, à la confluence de l’Huisne et de la Sarthe, j’ai remarqué des petites billes couleur bois, de la grosseur d’une noix, accrochées à la branche basse d’un chêne pédonculé. Il s’agit de galles qui se forment lorsque le cynips Andricus kollari, un insecte ailé semblable à une mouche, a déposé sa ponte sur le chêne. Par le passé, on en faisait de la teinture1, de l’encre et des toupies pour les enfants. Ce chêne vit sur la berge de la Sarthe, entouré d’un platane, de deux peupliers noirs, de frênes, de lauriers, d’un noisetier et d’un noyer. J’arrive toujours trop tard pour ramasser noix et noisettes, d’autres sont passés avant moi dans la journée.

De croissance lente, le pédonculé mesure 30 à 40 mètres à maturité et peut vivre de cinq cents à mille ans. Quelques individus ayant atteint un âge vénérable sont devenus des arbres remarquables. En voici quelques spécimens.

Le chêne de Concoret (Ille-et-Vilaine), dit aussi le chêne à Guillotin : une fausse histoire de squat

À la lisière de la forêt de Paimpont vit un chêne. Un très vieux chêne. 800 ? 900 ? 1 000 ans ? Toujours est-il que, à la Révolution, son tronc est déjà très gros et déjà très creux. Selon la légende, le prêtre réfractaire Paul Guillotin s’y réfugie pour échapper à la répression après avoir refusé de prêter serment à la Constitution civile du clergé en 1792. Il vit pendant huit ans dans la clandestinité tout en poursuivant son sacerdoce dont il consigne les actes dans un registre. Une autre version de l’histoire ajoute qu’une araignée avait tissé sa toile à l’entrée du tronc creux pour tromper ses poursuivants. Le mythe ne résiste pas à l’enquête menée par l’Encyclopédie de Brocéliande. La notice biographique du prêtre y figure bien, mais il n’y est fait nulle mention de cette cachette2. L’arbre, qui mesure 15 mètres de haut pour 9,50 mètres de circonférence, est aujourd’hui protégé par une balustrade. Pas touche.

Le chêne d’Allouville-Bellefosse (Seine-Maritime) :
l’histoire d’un vrai squat

Âgé aujourd’hui de 800 ou 1 200 ans (on le croit contemporain de Charlemagne), ce chêne pédonculé creux est transformé en chapelle par le curé du village en 1696 et dédié à Notre-Dame-de-la-Paix. Peu après, le religieux aménage un étage au-dessus de la chapelle et y installe une table, une chaise et un lit : la « chambre de l’ermite », une sorte de studio aménagé pour héberger un collègue. Ce second espace, auquel on accède par un escalier en colimaçon, est par la suite transformé en oratoire. Le chêne devient monument religieux, un statut qui le met en danger quand, en 1793, il est menacé d’être brûlé par une bande de révolutionnaires un peu trop zélés. L’instituteur du village entend protéger l’arbre et remplace l’écriteau initial par une pancarte où il est écrit « Temple de la raison ». Ouf, l’arbre est sauvé. En 1854, rebelote, l’archevêque de Rouen consacre la chapelle dont le lambris vient d’être restauré et y dit la messe. L’impératrice Eugénie offre au chêne-chapelle une statue de Vierge en bois doré conservée ailleurs en lieu sûr. Des aménagements intérieurs et extérieurs sont effectués par la population. En 1912, la foudre le frappe et une partie du chêne est détruite, mais notre ami résiste à tous les outrages. Il est classé en 1932 et, en 1982, jumelé au gros chêne de Liernu, en Belgique. Il donne de sérieux signes de faiblesse et on s’en émeut enfin. Trop de religiosité, pas assez de soins. De gros moyens sont alors mobilisés pour démonter les aménagements et consolider sa structure. Pari réussi, l’arbre produit toujours feuilles et glands. Malgré ces vicissitudes, il aurait probablement connu un destin bien plus tragique s’il avait poussé dans une haie champêtre à quelques kilomètres de là. Le remembrement a été fatal à bien de ses cousins du cru.

Le chêne de Montravail, Pessines (Charente-Maritime) : l’histoire d’un autre vrai squat

Menant une vie tranquille à l’abri des regards sur une propriété privée, il est remarqué en 1832 par un contributeur de la revue de l’Association d’agriculture de La Rochelle qui en fait, quelques années plus tard, la description : « On a creusé, dans le bois mort de l’intérieur du tronc, un salon de trois à quatre mètres de diamètre, sur trois mètres de hauteur, et on y a aménagé un banc circulaire taillé en plein bois. On place au besoin une table ronde au milieu et douze convives peuvent facilement s’asseoir autour ; enfin une fenêtre et une porte vitrée donnent du jour à cette salle à manger d’un nouveau genre, que décore une tapisserie vivante de fougères, de champignons, d’hypoxylés, de lichens et de muscinées3. » On prévoit de l’abattre en 1883 pour en faire du bois de chauffage, mais un botaniste prend sa défense, si bien que le très vieux chêne est épargné. En 1941, la foudre, encore elle, ne le rate pas, du moins pas complètement. Bien que ses charpentières et une partie de son tronc soient brisées, le brave chêne tient toujours et reverdit chaque année. Sa hauteur n’est plus que de 11 mètres pour 8,50 mètres de circonférence. Il aurait entre 800 et 1 000 ans.

Lou bielh cassou, le chêne de Saint-Vincent-de-Paul (Landes)

Le vénérable aurait 800 ans, une circonférence de 10,40 mètres et une hauteur de 13 mètres. Il est sorti de terre là où, prétendument, seul le pin maritime pousse, dans les Landes. Situé à côté de l’habitation du saint homme, d’un gîte de pèlerinage et d’une chapelle, l’arbre est dépouillé de ses effets par la piétaille de pèlerins qui a coutume de lui arracher un bout d’écorce en souvenir à chaque visite du lieu. Pour sa part, le curé du village lui a carrément prélevé une branche. Un disciple un peu plus éclairé que les autres intervient pour prendre des mesures et mettre fin au vandalisme de ces pratiquants peu respectueux. L’arbre quatre fois centenaire est enfermé derrière des barreaux (alors que les coupables courent toujours). Toujours debout, il souffre au XXe siècle des affres de la vieillesse, perdant un membre par-ci, une branche par-là, quand ce n’est pas un bout de tronc. C’est le commencement de la fin. Un artisan charitable le répare avec du ciment en imitant l’aspect rugueux de l’écorce, comme on le voit parfois sur des rambardes d’escalier ou des clôtures extérieures. Il fait toujours des feuilles mais refuse de se reproduire. À quoi bon faire des enfants s’ils sont aussi maltraités durant leur vie ?

Les chênes de Bégard (Côtes-d’Armor) : la revanche des squattés :

C’est vrai quoi, ça commence à bien faire ! Deux chênes réfractaires ont pris racine sur le chapeau pointu du colombier de Kernaudour, une ancienne et jolie bâtisse en pierre circulaire. Les arbres, âgés peut-être de 150 ans, ont germé sur le toit du bâtiment et ont réussi vaille que vaille, malgré la rareté des nutriments et des ressources en eau, à force de volonté et d’opiniâtreté, à survivre. Leurs racines se sont immiscées entre les pierres à l’intérieur du colombier et ont fini par atteindre le sol où ce nouveau régime alimentaire leur a permis de récupérer. On a envisagé un temps de les retirer pour préserver le bâtiment, mais les racines sont si imbriquées dans les pierres que le bâtiment lui-même en aurait souffert. Le trio est inséparable.

Drôles de trognes

Au Vieux-Pont, on bifurque à droite pour emprunter le sentier qui s’étire le long de la rivière du Bono. Passé quelques habitations, la ripisylve (forêt riveraine) apporte une fraîcheur bienvenue en cet après-midi de forte chaleur. Des corps massifs à la peau épaisse et crevassée se tiennent dressés à intervalles réguliers le long du chemin, comme autant de sentinelles tourmentées et bancales s’assurant du coin de l’œil que tout va bien. À la nuit tombée, ces drôles de trognes aux mille visages confèrent au chemin une atmosphère mystérieuse, propice à échafauder des histoires à dormir debout, où korrigans, Fée Carabosse et Merlin l’Enchanteur se jetteraient des sorts. Ce sont des trognes de chênes pédonculés.

Trogne, têtard, trognard, ragosse, truisse, bouillée, étreuse, étrouesse, piboure, ringotte, rajolle, toque, yeuse… 250 noms ont été recensés pour désigner les trognes. Le terme viendrait lui-même d’« estronner », tronquer (truncus en latin), ou de « trongne » et « troigne », du mot gaulois trugna, groin.

C’est l’arbre magique. On en rencontre encore de vieux spécimens dans les chemins creux de Bretagne, en Sarthe et plus largement dans les régions bocagères qui ont conservé leurs haies vives. Car les remembrements ont été fatals à ces arbres à la silhouette biscornue et familière évoquant un mode de sylviculture aujourd’hui délaissé. Cette technique de taille a pourtant permis pendant des siècles à la paysannerie de se fournir en bois de construction, manches d’outil, petit bois et fourrage. Dans son livre Les Trognes. L’arbre paysan aux mille usages, Dominique Mansion en rappelle toutes les vertus.

La méthode consiste à créer un taillis sur tronc. Le but en est le même : faire rejaillir des branches à partir soit d’une souche, pour le taillis, soit d’un tronc, pour les têtards. Les cépées, c’est-à-dire les nouvelles tiges, repoussent au ras du sol, dans le premier cas, sur pilotis, dans le second. Perchés au sommet du tronc, les rameaux naissants sont préservés du broutage des herbivores domestiques ou sauvages, sauf des girafes, mais nous n’avons pas vraiment à craindre leur voracité dans nos régions. Les bourrelets apparents sur le tronc sont les marques de cicatrisation qui suivent le recépage.

La pratique du recépage traverse le temps et l’espace ; on le rencontre un peu partout dans le monde. Au Japon, on emploie depuis des siècles une technique similaire sur des cèdres, le Daisugi. On opère au recépage sur les charpentières (grosses branches latérales qui structurent l’arbre), d’où repartent des tiges parfaitement verticales que l’on récolte lorsqu’elles ont vingt ans pour la construction de maisons4.

En Angleterre, les haies trognées datent de la fâcheuse époque des enclosures, qui plonge dans la misère une masse de populations modestes tributaires des terres communales. Sur ces espaces nouvellement privatisés et clos, les propriétaires parquent des moutons. Le commerce de la laine est alors une activité très lucrative.

En France, au Moyen Âge, la trogne est régie par un statut particulier lié aux rapports de subordination entre le seigneur et ses vassaux. Sans surprise, le propriétaire terrien se réserve les morceaux les plus précieux : le tronc et les branches utilisables comme bois d’œuvre. Le paysan qui entretient la haie détient le droit de se fournir en fagots et en fourrage. Après l’émondage (la taille du têtard), un anneau de calibrage sert de référence pour trier les branches : celles trop grosses pour entrer dans l’anneau reviennent au seigneur, les plus petites, au paysan. La charge d’entretenir les trognes, une corvée imposée au paysan, se transmet d’une génération à l’autre.

Les mille usages évoqués par Dominique Mansion varient selon les types d’arbres considérés, la grosseur des branches prélevées et les coutumes locales. Les saules sont exploités pour la vannerie ; les tiges d’osier deviennent liens ou paniers. À la ferme, les trognes pourvoient les familles en tuteurs pour « ramer » les plantes potagères grimpantes, en échalas, piquets et poteaux en tout genre, manches d’outils, balais, objets tournés ou sabots. Les feuillages nourrissent les animaux pendant l’hiver et certains fruits entrent dans l’alimentation des humains. On en tire de quoi se chauffer et cuire sa nourriture : petit bois, bois bûche et charbon de bois. Les plus grosses branches sont réservées à la charpenterie et à la menuiserie, comme au Pays basque espagnol où le trasmocho (têtard) approvisionne l’industrie navale. Dans les zones arides d’Espagne, les dehesas (domaines fonciers municipaux), assimilables à de l’agroforesterie, associent têtards taillés en parasol, cultures vivrières et pâturages. Les chênes apportent de l’ombre aux cultures et aux animaux, des glands, du fourrage et du bois de feu.

Et puis il y a tous ces vieux troncs creux où se cacher. Pendant la Première Guerre mondiale, les ateliers de camouflage rattachés à l’armée emploient 3 000 camoufleurs et camoufleuses et 80 000 ouvriers et ouvrières qui confectionnent de faux décors : meules de foin, arbres, avions, monuments… et des têtards dans lesquels les soldats se dissimulent. Des artistes comme Georges Braque, Jacques Villon, Roger de La Fresnaye ou André Mare, ont exercé dans ces ateliers comme camoufleurs.

Ces monuments de la nature accueillent parfois des installations surprenantes : on y installe un plancher pour danser ; ici une buvette, là une chapelle. C’est l’endroit rêvé pour construire une cabane. Surtout, chaque vieux têtard forme un écosystème à lui tout seul. Les champignons, les insectes et les micro-organismes grignotent le bois mort et participent ainsi à la formation de cavités où s’abritent des oiseaux, des petits rongeurs, des hérissons, des chauves-souris, des lézards et des vipères, des grenouilles et des salamandres, des larves d’insectes… Des débris de bois peuvent s’accumuler dans un creux, se dégrader et se muer en un terreau fertile pour une fougère, des mousses ou du lierre.

Les alignements de trognes en bordure de chemin, de fossé ou de rivière sont de véritables réserves de biodiversité. Les saules têtards des zones humides endiguent les inondations et fixent les berges. Dans le Marais poitevin, ce sont des frênes qui stabilisent les rives et fournissent du bois de chauffage. D’innombrables espèces peuvent ainsi être recépées : les saules, les frênes, les hêtres, les charmes, les châtaigniers, les vignes, les peupliers, les aulnes, les oliviers, les ormes, les platanes, les robiniers, les érables, les marronniers d’Inde, les mûriers blancs, les acacias, les pins, les chênes pédonculés, etc.

Ces vieux arbres sont un atout extraordinaire, tant pour la vie sur terre que pour celle nichée en son sous-sol. Ils structurent la forêt ou le paysage, dans leur partie tant aérienne que souterraine, grâce à des réseaux racinaires extrêmement déployés, capables de puiser en profondeur les nutriments et l’eau dont ils ont besoin. Les liens symbiotiques entre les arbres et les organismes du sol consolident l’ensemble et permettent de riches échanges d’éléments nutritifs et d’informations. L’arbre est à la fois singulier et pluriel.

Le recépage peut engendrer les formes les plus diverses : la trogne simple ou dimorphe, la trogne à plusieurs têtes, en étoile, en candélabre, en parasol, en pied de marmite, à tête de chat… En Bretagne, on voit beaucoup d’arbres taillés en émonde (un tronc très haut avec un recépage latéral). Comme d’autres, j’ai pu regarder d’un œil sévère cette façon brutale que l’on a de démembrer, à l’automne ou l’hiver, une allée de platanes pour ne laisser qu’une triste rangée de moignons dénudés. Les oiseaux sans abri, le paysage désolé. D’un autre côté, ces vieilles trognes me plaisent. Après en avoir appris un peu plus sur les raisons d’être de cette taille, je comprends mieux, tout en restant critique sur la méthode. Rien n’oblige à tout couper d’un seul coup ! On peut tailler partiellement, en laissant des tire-sève, ou bien, lorsqu’il s’agit d’un alignement, ne recéper qu’un arbre sur trois ou sur quatre, et faire un roulement pour éviter la rangée de moignons, permettre aux animaux de nicher et préserver des zones d’ombre.

Mon cher saule tortueux, qu’en penses-tu ? Je sais, c’est violent. Si je ne prends pas de mesures fortes, crois-tu être capable de supporter d’autres épisodes de sécheresse comme ceux de ces dernières années, où tu t’es délesté de tes feuilles en pleine saison ? Tu sais, j’y ai beaucoup réfléchi. Les mille et une raisons énoncées par monsieur Mansion m’ont convaincue que ce serait la meilleure solution. J’imagine bien ta trogne devant la terrasse. Tu donnerais asile à des mésanges bleues ou charbonnières, à des fauvettes, à des merles, à des accenteurs mouchets, à des pouillots véloces, à des rouges-gorges, à des rouges-queues… Hein ?

À l’automne 2021, je me suis décidée, j’ai recépé mon saule tortueux. J’y avais d’autant plus réfléchi que les deux troncs étaient un peu plus gros que recommandé pour une première taille. L’essence a beau être rustique, il a souffert des canicules récentes. Au moment où j’écris ces lignes, nous sommes en juillet 2022, nous endurons la troisième vague de chaleur de la saison. Comment l’aurait-il vécue si je n’avais pas pris cette mesure radicale ?

Après le recépage, j’ai continué à venir lui parler, à caresser sa peau rugueuse. Je guettais le moindre signe. Ses bourgeons dormants allaient-ils se réveiller ? Courage, mon beau saule, tu vas voir, ça va aller. Et au printemps, les bourgeons ont éclos. Une armée de pucerons s’est attaquée aux toutes jeunes feuilles, freinant leur essor, mais l’arbre a tenu tête, et des tiges touffues de 2 mètres coiffent désormais les deux troncs. L’eau du sous-sol n’est pas bien loin, un ru passe sous le jardin à une bonne dizaine de mètres de là, ses racines fouineuses l’ont-elles trouvé ? Pour rendre hommage à cette forme de sylviculture abandonnée, j’ai réalisé une série d’arbres têtards aux pieds d’argile et branches de saules tortueux sur lesquels je fixe des éléments végétaux divers, parfois même des cupules de chênes pédonculés.

1. « Galles de chêne : concentré de tanins », Jardin des petites ruches, 13 octobre 2017.

2. « GUILLOTIN abbé Pierre-Paul », Encyclopédie de Brocéliande.

3. « Le chêne de Montravail, Pessines (Charente-Maritime) », Krapo arboricole, 2009.

4. MELISSA, « La méthode Daisugi comme alternative à la déforestation ? », https://www.kajirosushi.com, 14 octobre 2020.

La forêt engrillagée

La Sologne et la forêt d’Orléans marquent toutes deux les paysages de la région Centre-Val de Loire, toutes deux racontent la persévérance de la forêt celtique des Carnutes. Le chêne pédonculé et le pin sylvestre sont les deux essences omniprésentes en Sologne, un massif composé d’une mosaïque de taillis et de futaies, de feuillus et de résineux entremêlés, de cours d’eau et d’étangs. Le charme de la région s’arrête aux grillages qui clôturent les domaines forestiers privés. Ici, la principale activité, c’est la chasse. Les propriétaires peuvent s’adonner à leur plaisir en solitaires ou en tirer des profits importants en organisant des chasses payantes sur leur domaine. Les grandes propriétés se partagent le massif depuis des siècles et sont l’héritage d’une classe sociale aisée appartenant à l’aristocratie et à la bourgeoisie, qui y a fait construire des demeures cossues, manoirs et châteaux. Aujourd’hui, les maîtres des lieux dirigent les entreprises du CAC 40 et se livrent à des séances de chasse sur leurs terres quand bon leur semble, que la saison soit ouverte ou non. Car, pour avoir le droit de chasser toute l’année, il suffit d’enclore sa propriété de grillages de 2,20 mètres de hauteur1. La Sologne s’est ainsi parée d’un linéaire de 4 000 kilomètres de grillage (parfois avec barbelés) derrière lesquels on se défoule en s’exerçant à la chasse en enclos. L’agronome Yves Froissart les a cartographiés en 2011 dans le cadre d’un programme de recherche sur l’impact de ces clôtures sur les écosystèmes. Sans surprise, ces enclosures contre nature perturbent la vie sauvage et celle des populations. Malgré les fortes oppositions, l’engrillagement se poursuit et de nouvelles clôtures sont installées chaque année. Petits et gros animaux ne peuvent plus se déplacer à leur guise, ni migrer, empêchés par ces barrières qui fragmentent le territoire. Le géographe Bertrand Sajaloli précise que des animaux sont importés des Balkans pour approvisionner ces terres en gibiers promis au carnage. Les animaux ne sont pas seulement piégés, ils sont en outre attirés par des réserves de nourriture déposées à leur intention, faisant d’eux des proies faciles. Contesté depuis des années par les populations locales qui subissent, elles aussi, cette nuisance, l’engrillagement de la Sologne l’est aussi par les adeptes de la chasse traditionnelle2. Pendant que certaines associations, comme les Amis des chemins de Sologne, militent pour le retrait des clôtures, d’autres vont plus loin, en revendiquant l’intégration de toutes les forêts françaises dans le domaine public. À quand un vrai débat sur cette question ? En attendant, une loi vient d’être adoptée « visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée […]. Les clôtures implantées dans les zones naturelles ou forestières doivent être posées 30 centimètres au-dessus de la surface du sol, leur hauteur limitée à 1,20 mètre et elles ne peuvent ni être vulnérantes ni constituer des pièges pour la faune ». Les grillages existants doivent être mis en conformité d’ici 20273.

De l’autre côté de la Loire, le chêne pédonculé et le chêne rouvre prennent leurs aises dans la forêt d’Orléans, devenue domaniale en 1848. C’est un bel exemple de forêt à couvert continu dont les écosystèmes diffèrent selon la nature du sol et son degré d’humidité, les zones humides y sont nombreuses. Certains terrains s’ouvrent sur des cavités calcaires formées par le ruissellement de l’eau. On y côtoie des bouleaux, des charmes, des hêtres, des noisetiers, des pommiers sauvages, des tilleuls, des pins sylvestres, des pins laricios, des pins maritimes et de nombreux oiseaux, dont le balbuzard pêcheur, un rapace rare en France4. Sur les 35 000 hectares de forêt, 32 000 sont classés Natura 2000 depuis 2004. Les forêts de la région Centre, placées sous la responsabilité de l’ONF, sont gérées selon des méthodes forestières pérennes, propices à la vie des arbres et de la faune (et, on l’espère, des personnels) et à la promenade. Pour protéger les jeunes rameaux des dents des herbivores sauvages, dont les cerfs, une alternative à la chasse a été mise en place, avec l’installation, à titre expérimental, de clôtures et d’enclos-exclos5.

1. « Chasse en Sologne : aristocratie et grands patrons se partagent la forêt », avec le géographe Bertrand Sajaloli, France Culture, 23 septembre 2022.

2. Corinne BIAN ROSA, « Sologne : vers la fin de la chasse en enclos ? », France 3, 11 janvier 2022.

4. « La forêt d’Orléans, poumon vert géant », ONF.

5. « L’exploitation durable des forêts en région Centre-Val de Loire », ONF, décembre 2016.

Fûts et tonneaux

« Ne récoltez que les grappes pourries ! » Notre ami sculpteur, vigneron à ses heures, fixe les règles du jeu. Nous sommes une joyeuse ribambelle venue vendanger une parcelle de Jasnières, bien exposée sur un coteau de la vallée du Loir, à Lhomme, au sud de la forêt de Bercé. L’automne est déjà bien avancé dans la saison, les matinées sont frisquettes et les lumières douces de ce dimanche annoncent une belle journée. La vue est superbe. Ailleurs, les vendanges sont terminées depuis longtemps et le vin en devenir travaille dans les barriques sous l’œil attentif de qui surveille la fermentation. Ici, elles commencent.

Nous avançons de pied en pied, sécateur dans une main et seau dans l’autre, choisissant les grappes recouvertes de pourriture noble, Botrytis cinerea, ce champignon qui déforme les grains de chenin blanc et donne un vin moelleux et parfumé, si caractéristique des vendanges tardives. Une bonne matinée suffit à récolter toutes les grappes juteuses de cette petite parcelle.

Elles sont alors acheminées vers le chai pour la suite des opérations : éraflage (séparation des grains de la tige), foulage et pressurage. L’ami me propose de fouler le grain aux pieds pour en éprouver les sensations. C’est assez sensuel, je l’avoue. Pendant ce temps, d’autres s’activent pour préparer le repas du soir. Un feu de cheminée réchauffe nos corps fatigués et sèche l’humidité de nos frusques. Le repas, partagé à la bonne franquette, est copieux, accompagné de vins qui ont la saveur minérale de la pierre à fusil, plus ou moins secs selon les années et la vinification. Notre hôte disparaît quelques instants au fond de la cave et revient avec une bouteille de Jasnières âgée de plusieurs décennies. 1949 ? 1954 ? 1929 ? Le vin légèrement gras et ambré tourne dans les verres en dessinant des jambes épaisses sur les parois. Les arômes et l’onctueux sont superbes, bien différents de ceux d’un cru de trois ou quatre ans d’âge.

Notre ami utilise-t-il des barriques de chêne issu de la forêt de Bercé, appelé aussi bois de Jupilles par les tonneliers ? Trop cher pour lui. Des barriques bordelaises, revendues d’occasion après deux ans d’élevage, font parfaitement l’affaire. La qualité exceptionnelle des chênes de Bercé est réputée pour le débitage de merrains, ces lattes rectangulaires avec lesquelles on fabrique les barriques et autres futailles, tonnelets, fûts, tonneaux, foudres, barils, manées, charges, comportes, feuilles, feuillettes, quartauts, demi-queues, muids, pipes ou pièces.

Le bois de Jupilles, du nom d’un fameux village situé au cœur de la forêt de Bercé, est recherché pour la finesse de son grain et l’équilibre de ses tanins. En viniculture, ces propriétés sont précieuses pour l’élevage des vins de garde (entre douze et dix-huit mois) et du cognac (entre deux et quinze ans), qui tire sa belle couleur ambrée et ses arômes des fibres du bois de chêne de Bercé, dont les barriques ont acquis une réputation au-delà de nos frontières.

L’arbre droit et sans « défaut » est âgé d’environ 200 ans lorsque sa bille est dévolue à cet usage. Il s’agit de la partie du tronc située entre la patte de l’arbre et les premières charpentières. On la débite en billons d’un mètre de long que l’on fend ensuite dans le sens des fibres du bois. Les quartiers obtenus, débarrassés de l’écorce, de l’aubier et du cœur du bois, sont travaillés à la scie à ruban afin d’obtenir des planches régulières que l’on trie : les merrains. Ceux-ci sont empilés à claire-voie ou en cheminée dans un parc durant deux ou trois ans pour un séchage en extérieur : c’est l’affinage ou maturation du bois. Son taux d’humidité doit descendre à 15 % et ses tanins… s’affiner. Pendant toute cette période, les merrains sont inspectés, retournés et arrosés si nécessaire.

Voilà, le merrain est prêt pour sa transformation en douelle : l’écourtage (mise à la bonne longueur), l’évidage à la doleuse (laquelle donne une forme légèrement courbe au bois) et le jointage (le haut et le bas de la planche sont étrécis). Les douelles sont alors disposées en rose dans un cercle de métal provisoire qui permet de maintenir l’ensemble. Il faut vingt-cinq à trente douelles pour fabriquer une barrique. On passe alors à la chauffe : un brasero est placé à l’intérieur de la rose tandis que le bois est humidifié à l’aide d’une vadrouille (un tissu mouillé) pour éviter qu’il ne se fende. Au bout d’une demi-heure, les fibres du bois s’assouplissent et les douelles sont cintrées au bâtissoir qui donnera au tonneau la forme souhaitée. Une seconde chauffe plus douce, le brûlage ou le bousinage, est alors réalisée pour cuire le bois. La conduite de cette opération est très variable en température et en temps de chauffe ; tout dépend de la qualité d’arômes que l’on souhaite développer.

Les douelles sont ensuite rainurées à l’intérieur (c’est ce qu’on appelle le jable), en haut et en bas, pour y encastrer les fonds fabriqués à partir de merrains assemblés par goujons métalliques ou emboîtage. Leur étanchéité est assurée par un mélange d’eau et de farine. On perce la bonde, on enlève les cercles de cintrage et on place les cercles définitifs en bois de châtaignier ou en métal. Ponçage, nettoyage, et hop, un coup de tampon du fabricant avec les informations ad hoc. On termine par un bain de vapeur ou un remplissage à l’eau bouillante pour vérifier l’étanchéité de la barrique. Quel vin sera élevé dans ce beau tonneau tout neuf ?

Il existe plus de cent cinquante noms de fûts et leurs contenances sont très variables1. Le plus petit est le baril de Madère (qui contient 15 litres), puis de plus gros : la feuillette de Mâcon (112 l), la barrique de Champagne (200 l), la barrique de Cognac (205 l), la barrique de Cahors (224 l), la busse de la Sarthe (240 l), la demi-queue de Vouvray (255 l), le muid du Rhône (288 l), l’anée du Mâconnais (300 l), la pipe d’Anjou (480 l), le tierçon de Cognac (560 l) et, le plus gros, le tonneau de Bordeaux (900 l).

Les chênes sélectionnés pour la tonnellerie proviennent principalement des chênaies du Tronçais dans l’Allier, de Bercé dans la Sarthe et des Bertranges dans la Nièvre. D’autres, un peu moins prestigieux, ont grandi dans le Limousin (pour le cognac et l’armagnac), dans les Vosges (près de Darney) ou en Normandie. Ce sont à 45 % des chênes rouvres (ou sessiles) et à 55 % des chênes pédonculés.

Les fûts de chêne donnent le meilleur d’eux-mêmes les deux premières années d’utilisation. Au bout de cinq ans, ils n’apportent plus rien au vin et ne permettent plus sa bonne oxygénation. En revanche, les eaux-de-vie, dont la chimie avec le bois diffère de celle du vin, peuvent être vieillies une vingtaine d’années dans un tonneau neuf ou ayant déjà servi à l’élevage de vin.

Les barriques et tonneaux n’ont pas toujours été en chêne et n’ont pas servi uniquement à l’élevage des grands crus de vins et d’eaux-de-vie. Ils ont pu être en châtaignier, en robinier faux-acacia, en frêne, en merisier ou en sapin. On y conservait de l’huile, du grain, de la farine, du beurre, de la viande et des poissons séchés, de l’eau, de la cervoise…

La régénération des barriques après usage n’étant pas concluante, leur sort ressemble à celui réservé aux palettes : on en fait de petits meubles, divers objets ou de bien tristes feux de joie. Après tout ce travail, celui de l’arbre (180-200 ans) et celui des artisans et artisanes qui ont fabriqué la barrique, on se devrait de leur assurer une seconde vie.

1. « Inventaire de Brunet », in Manuel de tonnellerie, repris par Sylvain CHARLOIS et Thierry DUSSARD, Le Chêne en majesté. De la forêt au vin, Flammarion, Paris, 2018.

Le chêne rouvre

« Et voilà, c’est chouette, hein ! Tu vas voir, c’est une forêt magnifique. Même si on ne trouve rien, on fera une belle balade. » Nous avons garé la petite auto à l’emplacement réservé à cet effet au lieu-dit la Futaie des Clos, un site de la forêt de Bercé que l’on identifie à la star locale, le chêne Boppe. Quelques pas encore avant de disparaître sous la ramure changeante de chênes plusieurs fois centenaires ombrageant un taillis de hêtres, de houx, de ronces et de fougères aigles. Les branches du chêne rouvre ne se déshabillent pas encore, elles attendent la fin de l’hiver pour se délester des affûtiaux fatigués qui composaient leur parure. Les feuilles auront bien travaillé toute la saison, captant la lumière du soleil, absorbant et rejetant dans un va-et-vient incessant l’eau du ciel et de la terre. La sève brute chemine à l’intérieur du tronc, des racines vers les feuilles, tandis que la sève élaborée suit un parcours inverse. Tombées du ciel comme dans le mouvement ultime d’une danse virevoltante, les feuilles mortes peuvent reposer en paix : les micro-organismes vont prendre le relais du processus de régénération du sol.

Tout est paisible ici, on entend juste le chant des oiseaux perchés tout là-haut dans la canopée ; leurs conversations mélodiques portent loin. La forêt nous entoure d’un voile impalpable de quiétude et de bien-être. Sous son toit, nous sommes à l’abri, rien ne peut nous arriver, si ce n’est la chute d’un gland. Nous sommes ailleurs. Non, pas ailleurs. Nous sommes là où nous devons être, les pieds sur terre, parmi des amis. Une forte odeur d’humus nous chatouille les narines, le bruissement des feuilles sèches sous nos pas alerte les écureuils craintifs de notre présence. N’y avait-il pas un geai sur cette branche, juste là ? Mais c’est le sol qui retient toute notre attention. Là, un chapeau velouté émerge du tapis en décomposition, même deux ! Quels beaux cèpes ! Et là ! Oh, et là, regarde ! Nous allons ainsi, le regard fouineur, un bâton dans une main, un sac et un petit couteau dans l’autre. Nous ne rencontrons personne, c’est pourtant un bel après-midi pour se promener en forêt, faire le plein d’énergie, se nettoyer les neurones et ramasser des champignons. Bizarrement, personne n’est passé ce matin au lever du soleil pour cette cueillette abondante, et c’est tant mieux. Maintenant, nos sacs sont pleins et la lumière baisse. Il est peut-être temps de regagner le chemin principal pour rejoindre le parking. Bientôt, nous n’y verrons plus rien. À cette époque de l’année, la nuit tombe vite. Nous retrouvons bien un chemin qui nous ramène sur la route, mais pas précisément à l’endroit attendu. On ne doit pas être bien loin, hein. Suivons la route par là. Ou bien par là ? Nous arrivons à un petit parking, mais ce n’est pas le bon. Nous sommes entre chien et loup, plutôt loup que chien. Là, une vieille 4L attend tranquillement que ses propriétaires reviennent. D’ailleurs, ils ne devraient plus tarder ; que faire au milieu des bois à cette heure tardive ? Écouter le brame du cerf ? N’est-ce pas un peu tard dans la saison ? C’est mieux le matin à l’aube, non ? Nous décidons d’accompagner la 4L dans son attente, elle se sentira moins seule. Après quelques longues minutes passées à discuter de tout et surtout de rien, deux jeunes hommes arrivent. Ils nous conduisent très aimablement à ce bon vieux chêne Boppe, sans faire le moindre commentaire.

Notre chêne Boppe est un vieux chêne rouvre – autrement appelé chêne sessile (Quercus petraea), chêne à trochets, chêne des pierriers, chêne mâle, chêne noir, drille, drillard, durelin ou derlin. Son aire de répartition en Europe se concentre essentiellement à l’ouest. C’est un arbre social qui préfère, à la vie en solitaire, l’habitat partagé d’une belle forêt en compagnie de charmes, hêtres, châtaigniers, bouleaux, sorbiers, néfliers, chèvrefeuilles, bourdaines ou houx. Mais les humains décident parfois de son environnement et c’est en famille qu’il grandit. Il habille les collines, les plateaux et certains contreforts montagneux jusqu’à 1 400 ou 1 600 mètres d’altitude dans des sols dont la composition lui importe peu pourvu qu’ils soient bien drainés. Il supporte la sécheresse, mais une atmosphère humide lui va bien. L’âge de la maturité est de 50 ou 60 ans ; il mesure alors 30 ou 40 mètres. Sa longévité est de six cents à mille ans. Il se reproduit sans l’aide de personne, pour peu que ses rejetons reçoivent assez de lumière pour se développer. Sous une hêtraie, ils n’auraient aucune chance, à l’inverse des jeunes hêtres qui se plaisent à l’ombre des grands chênes.

Boppe l’Ancien a grandi dans une futaie de chênes sessiles mise en place par Colbert, sous le règne de Louis XIV, pour alimenter les chantiers navals. Dans sa volonté de développer son industrie (notamment le verre) et son commerce extérieur, la monarchie absolue dévore du bois, beaucoup de bois. Les guerres, la conquête et la colonisation de l’Amérique, l’esclavagisme et le commerce triangulaire entre la France, l’Afrique et l’Amérique, la création des compagnies coloniales des Indes, du Levant et du Sénégal ne sont possibles que grâce à une puissante armada capable de sillonner les mers, contre vents et marées, et contre des concurrents redoutables. Un chêne arrive à maturité, pour les besoins industriels, à 150 ou 200 ans, tandis qu’un bateau ne dure que vingt ans, dans le meilleur des cas, c’est-à-dire si aucun incident n’est venu interrompre sa carrière prématurément (tempêtes, accidents, attaques, erreur fatale). Pour tout cela, il faut du bois, beaucoup de bois, et la forêt se réduit comme peau de chagrin. Un code forestier s’impose.

Brève histoire du code forestier

Pendant des siècles, le monde rural ne fait pas de distinction entre culture, pâturage et forêt, car les communautés fonctionnent selon un système agro-sylvo-pastoral – trois activités considérées comme complémentaires, en plus des activités artisanales. Bien que les espaces forestiers soient détenus par la Couronne ou des seigneurs locaux, un droit d’usage est accordé aux plus modestes, assorti d’un droit de pacage et de glandée pour leurs animaux domestiques. Un premier changement est opéré au XIIe siècle, quand le bois de feu devient une marchandise. Au fil du temps, le statut de la forêt change aux yeux des dominants, et des pressions, inégales selon les régions et l’époque, s’exercent sur une paysannerie priée d’aller voir ailleurs et de se spécialiser1.

Une première Administration des Eaux et Forêts est créée en 1291 par Philippe le Bel, sans autre réelle mission que la limitation du pouvoir des baillis seigneuriaux. C’est Philippe de Valois qui en établit les règles, en 1346, avec un premier code forestier, l’ordonnance de Brunoy, censé protéger la forêt des coupes excessives. La charge des baillis seigneuriaux est définitivement supprimée et les prélèvements sont planifiés. Plus tard, Charles V, dit le Sage, fait inclure dans le serment du sacre le principe d’inaliénabilité du domaine de la Couronne2, interdisant le morcellement des terres et des forêts. En 1520, la forêt recouvre 25 % du territoire, contre 31 % aujourd’hui.

Le code forestier « sur le fait des Eaux et Forêts » promulgué sous l’ordonnance de 1669 par Colbert s’applique à tout espace boisé, qu’il appartienne à la Couronne, aux ecclésiastiques ou à l’aristocratie, et s’attache à restaurer les ressources forestières tout en mettant en place ce qu’on appellerait aujourd’hui une « filière bois » pérenne3. Un inventaire est réalisé, l’administration réorganisée, le personnel mis au pas. Un quart des espaces boisés sont mis en réserve et conduits « en taillis sous futaie », le reste étant géré selon un plan précis d’aménagement du territoire. Le chêne est l’essence de prédilection, exploité par coupe à blanc-étoc, c’est-à-dire par coupe rase.

À la Révolution, les forêts entrent dans le giron de la Nation en devenant des forêts domaniales. L’Assemblée constituante, dans sa réforme, sépare les fonctions de conservation des fonctions juridictionnelles et met en place le statut de forêt communale. Le principe d’inaliénabilité des forêts est revu sans être fondamentalement remis en cause, et le maintien des forêts dans le patrimoine national est confirmé. Seules les parcelles inférieures à 40 hectares sont vendues. Plus tard, les lois de 1814 et de 1817 entament cet héritage pour compenser les pertes financières des campagnes napoléoniennes4.

La création de l’École royale forestière de Nancy en 1824, sous le règne de Charles X, est le préambule à la formation d’un corps de fonctionnaires chargé d’administrer les forêts domaniales (et, plus tard, les forêts coloniales5). Les élèves ingénieurs, issus de la classe privilégiée, y reçoivent un enseignement de facture militaire caractérisé par le port de l’uniforme6. Lucien Boppe, qui a donné son nom à notre chêne, fut directeur de cette institution de 1881 à 1898.

À l’aube de la révolution, industrielle cette fois, en 1827, la forêt ne recouvre plus que 16 % du territoire. Un nouveau code forestier (mis à jour depuis, mais sans grand changement notoire) restreint le droit d’usage des paysans : les taillis sont peu à peu supprimés, et les futaies « pures » généralisées. En Ariège, ces restrictions, qui pèsent lourdement sur la paysannerie miséreuse qui ne survit que grâce aux ressources forestières, passent mal. En fait, elles ne passent pas du tout. Des révoltes éclatent dès 1829, connues sous le nom de « guerre des Demoiselles ». Sont ciblés les gendarmes, les gardes forestiers et les charbonniers, ces derniers accusés de surexploiter les ressources en bois. Après un an d’attaques organisées, l’État finit par reculer, mais des actions se poursuivent, sporadiques, jusqu’en 18727.

Balade dans la forêt de Bercé

Juillet 2022. Nous garons la voiture à La Croix Chambeau après avoir visité le musée Carnuta, maison de l’Homme et de la forêt, à Jupilles, un espace pédagogique très bien scénarisé. Au rez-de-chaussée, une exposition temporaire consacrée au cerf. On ne s’y attarde pas, c’est l’étage qui nous intéresse, avec son exposition permanente sur la forêt de Bercé, sa faune, ses essences, les divers usages du bois et la tonnellerie. Nous repartons avec une carte IGN et un plan de la forêt, où sont indiqués sentiers et numéros de parcelles. Nous préparons le tracé de notre randonnée à la terrasse d’un restaurant de Beaumont-Pied-de-Bœuf, en savourant une délicieuse assiette végétarienne composée d’une petite salade fraîche, de six pavés de gratin de légumes tout à fait savoureux et d’une croustade au chèvre, puis, en dessert, la tarte du jour accompagnée de glace à la vanille, un classique indémodable.

Le but de notre vadrouille : marcher jusqu’aux sources de l’Hermitière, rejoindre le chêne Boppe, puis revenir à La Croix Chambeau, sans se perdre. Le temps, entre deux vagues de chaleur, est parfait pour une balade à l’ombre des grands arbres. Les chênes s’élèvent très au-dessus des taillis de hêtres, de houx et de ronces. Des chablis (bois morts laissés au sol) hébergent insectes et champignons. Nous descendons aux sources de l’Hermitière où de magnifiques chênes gardent au frais les eaux claires d’un ruisseau bordé de mousses. Nous remontons pour retrouver, une heure plus tard, la futaie des Clos où nous croisons une poignée de promeneuses. En dehors des sites emblématiques, les sentiers et les routes forestières sont désertes, il n’y a que nous pour arpenter les taillis, respirer à pleins poumons les senteurs des arbres mêlées à celles du sol et profiter des bienfaits de la forêt et de la marche.

Boppe l’Ancien a probablement été planté vers 1683, sur une parcelle de 8 hectares, la futaie des Clos, qui accueille des chênes plusieurs fois centenaires. En 1894, c’est un chêne exceptionnel en taille et en majesté, dominant toute la futaie au point qu’on le pense plus vieux qu’il ne l’est. On le baptise du nom du directeur de l’École forestière de Nancy alors en exercice. La futaie atteint alors l’âge prévu pour sa régénération (son abattage), mais une mobilisation s’organise, à laquelle Lucien Boppe participe en plaidant sa cause auprès de l’Assemblée nationale. La futaie est finalement sauvée de la coupe rase et est toujours debout aujourd’hui. En 1934, le plus haut et le plus beau de la futaie, le chêne Boppe, est frappé par la foudre et abattu. On lui trouve à quelques pas de là un successeur digne de porter le nom du défenseur de la futaie, un phénomène haut de 47 mètres. La souche de Boppe l’Ancien a été conservée, abritée sous une petite tonnelle8.

Nous quittons Boppe et repartons. Certains chênes en bordure de chemin sont marqués d’une ceinture jaune qui ne semble pas récente : vont-ils partir bientôt ou sont-ils en sursis ? Ailleurs, des tas de tronçons fendus sont cerclés de bandes métalliques : à quel usage sont-ils promis ? Nous nous engageons dans un fourré très dense, mais celui-ci a envahi le sentier, nous faisons demi-tour. On y voit pousser pêle-mêle des bouleaux, des chênes, des hêtres, des prunelliers, des fougères aigles, des châtaigniers, des pins et des ronces. Les mûres sont mûres, nous faisons une pause et nous régalons. Retour à la voiture sans encombre, nous avons marché quatre heures. Plus le temps de voir la fontaine de la Coudre, ce sera pour une prochaine visite.

Au Xe siècle, « Burceïum » appartient aux comtes d’Anjou puis à la famille de Rohan. Charles IX l’acquiert en 1563, l’intégrant ainsi au domaine royal. La forêt domaniale de Bercé s’étend sur 5 400 hectares labellisés Forêt d’Exception® en 20179, et plusieurs sites ont été classés Natura 2000 par l’Union européenne. Elle se compose à 66 % de feuillus et 34 % de résineux sur ses parties sableuses. En 2014, un incendie criminel a anéanti 170 hectares de pins maritimes. Trop endommagé pour une régénération naturelle, le site a été replanté de pins et de bouleaux.

Les personnels de l’ONF pratiquent la coupe rase, mais sur de petites parcelles, et laissent la forêt se régénérer d’elle-même. Au fur et à mesure que la futaie s’élève, le nombre de tiges diminue : de 100 000 individus à l’hectare à l’étape de la régénération, ils ne sont plus que 100 à atteindre in fine le stade de la haute futaie.

Aujourd’hui, les chênes rouvres de Bercé n’alimentent plus les chantiers navals (les derniers bois sont partis en 1921), mais huit d’entre eux, âgés de 230 ans, ont été sélectionnés pour reconstruire la charpente de Notre-Dame de Paris. Au total, 2 000 chênes de diverses provenances doivent y passer. Snif.

J’ai rencontré un autre chêne rouvre, un peu plus jeune, dans la forêt de Rambouillet. Pas personnellement, à vrai dire, mais en lisant sa biographie dans le livre de Laurent Tillon, Être un chêne. Sous l’écorce de Quercus. Le biologiste et ingénieur forestier entremêle le temps des arbres, le temps des humains et le temps des animaux sauvages tributaires de la forêt. Mais c’est une autre histoire…

1. Martine CHALVET, Une histoire de la forêt, Seuil, Paris, 2011.

2. Georges-André MORIN, « La continuité de la gestion des forêts françaises de l’Ancien Régime à nos jours, ou comment l’État a-t-il pris en compte le long terme », Revue française d’administration publique, no 134, 2010, p. 233-248.

3. « La forêt française ? L’héritage d’une gestion forestière pluricentenaire », ONF.

4. Georges-André MORIN, « De l’inaliénabilité des forêts domaniales », Revue forestière française, vol. 61, no 1, 2009, p. 88-98.

5. Denis WORONOFF, « Histoire des forêts françaises, XVIe-XXe siècles. Résultats de recherche et perspectives », Les Cahiers du Centre de recherches historiques, no 6, 1990.

6. Agriculture ; Direction forêts (1824-1967), Archives nationales, 1990.

7. François BABY, La Guerre des Demoiselles, Lacour-Ollé, Nîmes, 2022.

8. MORO, « L’ancien chêne Boppe », Le Blog du Foyer rural de Jupilles, 17 mars 2012.

9. « Bercé, Forêt d’Exception® : des chênes de renommée internationale », ONF.

Les bouchons en liège

Chaque fois que je vais soulager un besoin urgent, prendre une petite douche matinale bien chaude (ou fraîche par temps caniculaire), me nettoyer les mains couvertes de peinture ou d’argile, désinfecter un bobo, me laver les dents, mettre un pansement, prendre ma température, me mettre du noir aux yeux, enlever une écharde à la pince à épiler, me coiffer d’un bandeau… je les vois. Tous les deux. Vraiment, ils ne sont pas beaux. Pas très à mon goût. Pas du tout. Mais alors pas du tout ! L’un en je-ne-sais-quoi blanc ultra-brillant portant, tel Atlas sur son dos, le lavabo blanc comme un lavabo, trois portes avec une rainure en creux et des boutons blanc et or. Blanc et Or ! L’autre en mélaminé blanc sans fioriture aucune, accroché-posé au-dessus des W.-C. avec deux bajoues qui pendent jusqu’à terre de chaque côté et des boutons de porte en plastique sans couleur identifiable.

Moches. Ces pauvres petits meubles de salle d’eau-W.-C. sont décidément très moches. Je vais commencer par scier les bajoues de celui-là et ajuster son système d’accrochage pour le fixer solidement au mur. Ensuite les peindre tous les deux. En vert. Je les peins en vert, un vert qui se situe entre le vert mousse et le vert asperge. Pas facile de peindre du mélaminé avec de la peinture acrylique, mais on y arrive quand même. Peindre sur du blanc brillant, il faut y croire et, à force de superposer les couches en prenant bien soin de croiser les coups de pinceau, ça finit par adhérer. Ah, c’est beaucoup plus joli ainsi.

Reste à remplacer les boutons. Il en faut cinq. Je dois avoir ça quelque part. Ah, les voilà. De jolis bouchons en liège inutilisés, du temps où j’embouteillais quelques crus rapportés de virées œnologiques. Ils sont un peu trop longs. Je les raccourcis et je les peins en vert. Vert tilleul. Des boutons en bouchon vert clair sur des portes vert plus foncé. Je fais un trou avec une vrille à l’endroit où, habituellement, c’est le tire-bouchon qui transperce le liège, et je les visse sur les portes. Et voilà, trop la classe ces petits meubles.

Je garde les bouchons de liège des bouteilles de vin savourées en bonne compagnie. Ces mignons petits boudins tout simples et tout souples méritent un minimum de respect. Un peu comme pour les cagettes et les cartons, je rechigne à les jeter. Alors je les range dans une petite boîte en carton mise de côté au cas où. Ces charmants rondins trouvent tout un tas d’occupations salutaires. Par exemple, coiffer les tuteurs du jardin, de ces tuteurs en aluminium torsadé spécial pieds de tomates dont l’extrémité peut facilement éborgner quelqu’un ou quelqu’une. Surmontés d’un petit haut-de-forme en liège, les tuteurs sont moins piquants, si bien que les moineaux, les fauvettes ou les mésanges peuvent s’y poser. Ce n’est pas le but recherché, mais c’est un effet collatéral. Maintenant, il y a une belle collection de ces tuteurs dans le jardin. Non pas que je plante beaucoup de pieds de tomates, mais je les utilise pour soutenir tout ce qui a besoin d’être tuteuré (plantes décoratives ou potagères) et pour y fixer les pans de grillage sur lesquels je fais grimper les petits pois et les haricots à rames, les concombres, les courges. C’est très pratique. Lorsque le sol est dur, il est quasi impossible d’y planter des tuteurs en bambou et, même quand on y parvient, ils se dégradent assez vite et l’on est quitte pour recommencer. Comme cet aspect alu ne me plaisait pas trop, je les ai peints couleur rouille. Ça rappelle la patine de mon tuteur coccinelle et de mon tuteur libellule, qui, eux, sont en fer rouillé. Le dernier a perdu ses ailes. Je les ai montés sur une cagette.

Et ce n’est pas tout. Le verrou de la porte d’entrée éjectait régulièrement son bouton comme s’il voulait s’en débarrasser. Je le retrouvais tout le temps par terre. Je le remettais chaque fois en place, mais il a fini par être éjecté pour de bon. La dernière fois qu’il a sauté après que j’ai refermé la porte derrière moi tout à fait tranquillement, c’est simple, je ne l’ai pas retrouvé. Un vrai mystère. Après mûre réflexion, et à titre expérimental, j’ai choisi un beau bouchon dans ma boîte de bouchons de récupération, j’y ai percé deux trous sur le côté avec une petite vrille, j’ai mis un peu de colle dans les trous et emboîté le bouchon sur les deux tiges métalliques qui sortaient du verrou. Mon expérience semble concluante puisqu’il est toujours en place. Et lorsque l’on regarde le verrou, on lit, écrit dessus, « au château ». Information de dernière minute : j’ai finalement remplacé mon verrou après tentative d’effraction nocturne… à la hache !

J’utilise aussi des bouchons ou des bouts de bouchon pour la confection de mes compositions sur cagette, soit comme socle pour maintenir des éléments, soit pour faire des entretoises. Ça se colle très bien.

Si on ne bricole pas et que l’on n’a que faire de ces bouchons sans bouteille, reste la solution de les envoyer se faire recycler ailleurs en les déposant dans l’un des points de collecte répertoriés par la Fédération française du liège1. Une fois que l’on connaît le processus d’extraction du liège, on ne peut plus agir autrement. Pauvres petits bouchons. « Ne nous jetez pas, recyclez-nous », implorent-ils. Ou : « Recyclez-nous, bande d’ivrognes ! »

La fabrication des bouchons de bouteilles

Le liège est le manteau du chêne-liège, un arbre frileux qui pousse sur le pourtour de la Méditerranée et dans la péninsule Ibérique. Si on lui retire son manteau, il a froid, car, même sous ce climat clément, les hivers peuvent être frisquets et notre ami ne supporte pas le gel, à plus forte raison s’il est dévêtu. Son épaisse carapace le protège aussi des feux récurrents dans cet écosystème où les végétaux hautement inflammables abondent (pins maritimes, cistes, etc.). De plus en plus fréquents, là comme ailleurs, et de plus en plus ravageurs, ces incendies sont devenus trop féroces et récurrents pour le chêne-liège, et il est peu à peu supplanté par des essences plus promptes à la repousse. De fait, un peu partout, les peuplements sont en déclin.

Le premier démasclage (écorçage) s’effectue à la belle saison, lorsque l’arbre a 25 ou 30 ans. Le liège récolté est de piètre qualité, impropre à la confection de bouchons, mais utilisable sous forme de granulés entrant dans la composition de matériaux isolants pour la construction ou l’aménagement intérieur. Neuf ou douze ans plus tard, selon les pratiques (douze à quinze ans dans le Var), le temps à l’arbre de reconstituer son écorce, un deuxième démasclage fournit un liège de meilleure qualité, mais encore insuffisante pour de nobles bouchons. Il faut attendre à nouveau neuf ou douze ans pour obtenir le must des lièges, celui qui aura le privilège de boucher les bouteilles des meilleurs vins. Le chêne-liège est ainsi déshabillé (tronc et grosses branches) une quinzaine de fois à espaces réguliers jusqu’à ses 150 ans ou 200 ans. C’est pour l’arbre une existence éprouvante au cours de laquelle il s’épuise à renouveler son épiderme. Après quoi, lui qui a tant donné, dépérit prématurément. Sans ces écorçages répétitifs, il vivrait trois cents ou quatre cents ans.

La levée du liège est une activité artisanale qui demande un grand savoir-faire pour prélever l’écorce en plaque sans blesser l’arbre. Le leveur utilise pour cela un picoussin, nom provençal de la hache spéciale démasclage. Une fois récoltées, les plaques de liège sont empilées et laissées à sécher six mois en extérieur selon un protocole établi par le code international des pratiques bouchonnières, un préalable pour stabiliser le matériau et lui faire perdre sève et tanins. On procède ensuite au bouillage, c’est-à-dire le trempage des planches dans de l’eau propre et bouillante pendant une heure. Cette opération a pour but d’éliminer les impuretés, d’épaissir les planches et de les assouplir.

Après un temps de repos à plat, variable selon le procédé, les plaques sont triées : certaines fournissent des bandes régulières, parfaites pour en extraire des bouchons dégrossis à l’emporte-pièce (ou tubeuse) dans le sens parallèle aux couches de croissance de l’écorce. Une fois dégrossis, les bouchons sont ajustés à la taille définitive puis triés par qualité de grain. Un petit bain à l’eau oxygénée ou à l’acide peracétique dilué (le chlore est interdit depuis plusieurs années) pour éliminer les contaminants, un coup de séchoir et, pour certains, des colmatages afin d’en améliorer l’étanchéité. Un petit coup de tampon « au château », un satinage à la paraffine ou au silicone, et le tour est joué2.

Ça, c’est le processus de fabrication des bouchons destinés à des vins tranquilles, ceux qui ne risquent pas de monter en pression et de faire exploser l’opercule des bouteilles qui reposent en paix à la cave. Cela dit, il arrive qu’un vin tranquille fasse une crise d’adolescence tardive et reparte en fermentation. Résultat, le bouchon saute et le contenu de la bouteille s’écoule par terre. Cela m’est arrivé avec un coteaux-du-loir blanc, stocké dans une cave, au sol, heureusement, en terre battue. Les micro-organismes du sol ont tout bu.

Pour les vins intranquilles, les vins à bulles, mousseux, effervescents et pétillants, la fabrication est un peu différente. Forcément, il faut des bouchons super costauds. Ils sont composés de deux rondelles de liège, découpées cette fois perpendiculairement aux couches de croissance, encollées à une « tête de bouchon » ou « manche », un petit cylindre de liège aggloméré de haute qualité qui prend, après bouchage, la forme d’un champignon. Le tout est maintenu sur la bouteille par une capsule et un muselet en métal. On attribue au moine bénédictin Dom Pérignon la première utilisation du liège pour boucher les bouteilles de champagne, ce fameux vin mousseux pour lequel il avait mis au point la méthode de vinification dite champenoise.

Une des règles énoncées par le code international des pratiques bouchonnières vise à éliminer les micro-organismes contaminants et la molécule responsable du désagréable « goût de bouchon », le trichloroanisole. L’industrie bouchonnière y remédie lors du bouillage en renouvelant l’eau en permanence. Mieux, ce processus est suivi d’un bain de vapeur en autoclave. Certaines entreprises procèdent à l’extraction des contaminants par « CO2 à l’état critique », un solvant mis au point par le Commissariat à l’énergie atomique, déjà utilisé dans l’agroalimentaire pour décaféiner le café. D’autres procèdent à une désinfection par rayonnement gamma, micro-ondes ou par traitement à l’ozone3.

Les qualités de ce matériau naturel sont multiples : léger, imperméable mais respirant, élastique, souple, imputrescible, isolant thermique et acoustique, résistant, ininflammable, agréable au toucher et à la vue, ne nécessitant pas de traitement chimique particulier. Il m’est arrivé d’en mettre un ou deux au compost, ils y retournent chaque année tant leur décomposition est lente.

Bref, un super-matériau multi-usages qui a le vent en poupe. On en fait des objets depuis l’Antiquité : flotteurs, bouchons de pêche à la ligne, semelles de chaussures, sacs à main, portefeuilles, tissus, décoration, petit mobilier, matériau pour l’aéronautique, revêtements muraux, parquets, revêtements de sol. Le véritable linoléum est composé d’un mélange de poudre de liège et d’huile de lin.

La production mondiale de liège tourne aux environs de 300 000 tonnes par an, la moitié fournie par le Portugal qui en extrait chaque jour 40 millions de bouchons, dont 73 % partent à l’exportation4.

Les bouchons récupérés ne redeviennent pas bouchons. Ils sont transformés pour des usages non alimentaires. 500 millions de bouchons ont été recyclés en France depuis 2010. Mais, sur les 3 milliards de bouteilles consommées en 2020, seuls 60 millions de bouchons ont été recyclés5. C’est bien peu. Et c’est vraiment dommage. La demande de produits naturels augmente et la culture du chêne-liège est un travail sur le temps long. Cela mériterait au minimum une campagne nationale pour sensibiliser la population à cette économie circulaire.

Le chêne-liège

Le chêne-liège, Quercus suber, corcier, surier ou suve, est appelé montados en portugais. Une plantation de chênes-lièges est une suberaie, et la substance cireuse imperméabilisante qui recouvre les parois des cellules végétales s’appelle la subérine.

Le liège, suber ou phellème, est un tissu végétal qui enveloppe la plupart des plantes vasculaires, mais l’épaisseur de celui du chêne-liège est unique, si on met à part un arbre d’origine d’Asie extrême-orientale (Chine, Japon, Corée) joliment surnommé « arbre au liège de l’Amour » (du fleuve Amour), mais dont l’industrie n’a que faire. L’épaisseur, peut-être, mais pas la carrure. Le suber protège l’arbre du froid, des flammes, des intempéries et des parasites. L’arbre au manteau fourré et imperméable est une essence méditerranéo-atlantique à feuillage persistant qui ne se plaît que dans les pays méditerranéens, et encore, pas tous : Portugal, Espagne, Algérie, Maroc, Italie, France, Tunisie. C’est un robuste petit sujet haut de 10 à 15 mètres que l’on peut rencontrer jusqu’à 1 000 mètres d’altitude en Afrique du Nord. S’il n’aime pas le froid, il déteste le calcaire.

Son peuplement en France a toujours été plus ou moins circonscrit à quelques territoires côtiers du Midi (surtout dans le Var et en Corse) et des Landes, mais pas autant qu’aujourd’hui où le chêne-liège tend à disparaître. Le travail d’écorçage est une activité entièrement manuelle : les savoir-faire se perdent, la concurrence gagne et, dans notre start-up nation, on privilégie les techniques de récolte mécanisées avec de grosses machines coûteuses fonctionnant à l’énergie fossile. Ça enrichit les banques, endette les « propriétaires » à vie et les empêche de dormir. L’essor des bouchons en plastique a fait le reste.

Dans son environnement naturel, réputé pour son importante biodiversité, le chêne-liège partage son habitat avec le chêne vert, le châtaignier, le pin maritime, le pin cembro, l’olivier et une végétation de maquis : nerprun, houx, myrte, bruyère, ciste. Il offre asile à de nombreux animaux sauvages, le circaète Jean-le-Blanc, l’aigle de Bonelli ou encore le lynx et l’aigle impérial ibériques, tous deux en voie d’extinction.

Généreux, partageur, le chêne-liège entretient de surcroît des relations intimes avec des champignons par symbiose mycorhizienne : l’amanite des Césars, l’amanite phalloïde, l’amanite panthère, l’amanite de Gilbert, le cèpe de Bordeaux et la russule rouge.

Le chêne-liège a été reconnu arbre national par le Portugal en 2011. Il est, en fait, protégé par une loi toujours en vigueur datant de 1209 qui en interdit l’abattage sans autorisation spéciale. Sa culture pour l’extraction du liège est elle aussi très réglementée.

L’arbre de Whistler ou Sobreiro Monumental est le plus gros chêne-liège connu. Il coule aujourd’hui une retraite paisible à Águas de Moura au Portugal. Enfin, pas si paisible que ça puisque les oiseaux siffleurs s’y rassemblent pour enchanter leur hôte, qui a germé là en 1784. Il a été classé arbre d’intérêt public en 1988 et élu arbre européen de l’année en 2018. Sa hauteur est de 16 mètres et son diamètre de plus de 4 mètres.

1. « Trouvez le point collecte le plus proche de chez vous », recyclage, Planète Liège.

2. « Fabrication des bouchons », Planète Liège.

3. « Les solutions apportées par l’ensemble des acteurs de la Filière Liège pour lutter contre le TCA », Planète Liège.

4. Apcor.

5. Anne SERRES, « Recyclage : le bouchon de liège part en campagne », Terre de Vins, 30 juin 2021.

Les couleurs du bois

Avez-vous remarqué comme les couleurs du bois et les couleurs de notre peau ou de nos cheveux, à nous humains et humaines, se ressemblent ? Alors ? De quels bois êtes-vous fait ou faite ?

Je suis hêtre sur les avant-bras…

Le lamellé-collé

Je viens de poser mes gros cartons au 107, une maison avec un placard magique et une vraie cuisine. Une vraie cuisine non équipée, si ce n’est d’un évier double bac en inox déformé posé sur un petit meuble bringuebalant. Un coup d’œil sur la crédence suffit à se convaincre qu’il est sans doute préférable qu’elle ne le soit pas, équipée. Ce sont des carreaux en céramique marron ultra-brillants ornés de motifs tarabiscotés dorés. Je n’ose imaginer des meubles assortis. J’ai repeint la crédence avec une peinture spéciale, couleur ficelle.

Du coup, la pièce manque de rangements pour les ustensiles de cuisine, la vaisselle, les couverts, les poêles, les casseroles et le faitout, l’épicerie, les serviettes en tissu et les torchons. Je me suis procuré en urgence des meubles bas de gamme en mélaminé blanc avec des façades de porte d’un beau vert pomme et des poignées en plastique gris. J’ai remplacé ces dernières par des boutons en bois tourné, probablement du hêtre. Mais, pour l’heure, ce qui me turlupine, c’est le plan de travail. Il est constitué d’un matériau composite gris moucheté qui n’est pas à mon goût, très peu en accord avec l’idée que je me fais d’un plan de travail : à savoir une belle planche en bois dur, comme le chêne de ma table de cuisine par exemple, sur laquelle on peut découper les aliments. C’est sain, pratique et beau.

Il me faut un plan de travail en bois. Seulement, chaque fois que je lance une recherche sur le Web, ne sont proposées à la vente que des planches de 2,50 ou 3 mètres pour un prix élevé, forcément. Bien trop grand et beaucoup trop cher. Je repousse mon projet à plus tard. Jusqu’au jour où, enfin, un magasin, celui-là même qui entasse ses braves palettes dans sa cour en les laissant exposées aux intempéries, dispose d’un modèle de planche pas trop grand et pas trop cher. Une planche en lamellé-collé abouté, non pas en chêne mais en hêtre. Le hêtre, c’est très bien ; va pour le hêtre.

Enfin, la belle planche m’est livrée à domicile. Un gros « 122 » est inscrit au marqueur noir sur le dessus, sans doute sur l’emballage plastique. Non, ce n’est pas sur l’emballage plastique, c’est sur le bois. Je vérifie l’autre face de la planche : l’inscription 28-10-2016 y est tamponnée tous les 34 centimètres. Oh rage, oh désespoir, ce plan de travail censé parfaire l’installation de la cuisine est tout salopé. Quel crétin a pu faire une chose aussi stupide ? NON MAIS QUEL CRÉTIN ?! J’essaye de retirer les traces de feutre au papier de verre, mais, rien à faire, l’encre a pénétré le bois. Il faut décaper la planche à la ponceuse ou bien la raboter pour retirer une couche d’un ou deux millimètres. En regardant mieux, j’observe que, avec un peu de chance, je peux probablement tailler mes deux plans en évitant le « 122 ». Et c’est le cas. Retrouvant mon allant, je prends la scie qui va bien et m’installe sur la terrasse (couverte) côté jardin, qui fait occasionnellement office d’atelier de bricolage, pour découper mon plan de travail. Je décide ensuite d’envoyer un petit courriel poli au fournisseur sans rien en attendre, juste pour l’informer qu’un abruti a griffonné salement sur le bois. On me répond de prendre une photo et de l’envoyer. Photo prise et envoyée, le fournisseur me répond de garder la planche, on m’en expédie une seconde gratuitement. Une semaine plus tard, le même livreur m’apporte une belle planche toute propre. On discute de l’incident et, curieux, il demande à voir le bout restant barbouillé. Il s’exclame alors : « Ah mais c’est chez nous que sont griffonnés ces numéros ! En effet, on est n’est pas toujours très fins dans cette boîte. »

Une fois posés, j’ai enduit les deux plans de travail d’huile pour contact alimentaire. Après quoi, avec la seconde planche, j’ai bricolé une table de salon carrée à deux plateaux et une table de nuit carrée, elle aussi à deux plateaux. Je confirme, le bois de hêtre est un bois dur et lourd. Un temps, j’avais envisagé de construire une bibliothèque de 3 mètres sur 2 en hêtre, mais cette première expérience m’y a fait renoncer. Même avec mes petits bras musclés, je serais bien incapable de l’installer.

Lamellé massif, abouté, croisé

Il existe deux grands types de lamellé-collé : le lamellé-collé massif et le lamellé-collé abouté. Le premier est constitué de longues lames de bois massif assemblées entre elles dans la largeur, tandis que le second est formé de bouts de bois plus ou moins courts, assemblés dans la longueur (aboutés donc) et dans la largeur. Mes plans en hêtre sont en lamellé-collé abouté. Ma table de cuisine et un de mes plans de travail de l’atelier, tous deux en chêne, le sont aussi. Le lit, l’armoire, la penderie et le chiffonnier sont en pin massif. La plupart des étagères en pin que j’ai posées un peu partout dans la maison sont en lamellé-collé massif. Celles aboutées laissent apparaître des entures, sortes de dents en zigzag où s’emboîtent les extrémités des différents éléments de la lame.

L’industrie du bois vante les mérites de ce matériau pour ses qualités mécaniques et sa robustesse, supérieures à celles du bois massif : ni gros nœuds, ni fentes, ni poches de résine – ces parties jugées impropres sont écartées d’emblée – susceptibles de compromettre la solidité de la structure. Le procédé offre d’infinies possibilités pour réaliser des pièces de tailles et de formes très diverses, y compris de très grosses poutres. Et puisque, de toute façon, les gros arbres ont disparu de nos forêts, ça règle le problème. Plus de gros fûts d’où extraire de belles poutres en bois massif ? Hop, lamellé-collé abouté. En toute logique, le processus engendre beaucoup de déchets du fait de la mise au rebut des « imperfections ». Ces résidus trouvent un débouché dans la papeterie, les panneaux de particules ou les pellets.

La fabrication en est simple. Le bois est d’abord séché, artificiellement ou naturellement. Il est ensuite débarrassé de ses « défauts » naturels puis tronçonné. C’est à cette étape que l’aboutage est réalisé quand il a lieu : les extrémités des lamelles de bois sont crantées et encollées avant d’être mises bout à bout et fortement pressées. Les lamelles sont alors rabotées puis assemblées par collage dans la largeur grâce à des encolleuses. Elles sont taillées, puis traitées en fonction de l’usage auquel on les destine.

Cette technique d’assemblage de matériaux existe au Japon depuis le XIIe siècle, notamment pour la réalisation du yumi, l’arc traditionnel. En France, au XVIe siècle, l’architecte Philibert Delorme a conçu un système d’assemblage similaire, procédé qui a été par la suite amélioré au fil des siècles dans la construction.

On retrouve les bois lamellés dans la charpenterie (poutres et solives), la menuiserie, l’aménagement intérieur et l’agencement (panneaux de bois, plans de travail, parquets) et l’ébénisterie (mobilier). On en fait des arcs, des skis et des hélices d’avion. Sa structure composite n’est pas idéale pour des aménagements extérieurs : l’eau risque de s’infiltrer entre les lamelles et des moisissures s’y installer. La ville de Poitiers a inauguré en 1989 le stade de La Pépinière dont un élément de toiture est une poutre de lamellé en arc de 127 mètres de long d’un seul tenant et sans appui. Le record du genre à l’époque. En 2017, le bois était abîmé au niveau des culées à cause de l’humidité, ce qui a contraint la communauté urbaine à faire encastrer la poutre dans des piliers en béton.

Depuis quelques années, un matériau de construction plus rigide et plus stable encore, le lamellé-croisé ou CLT (cross laminated timber), a fait son apparition. Des planches de lamellé-collé abouté sont assemblées par superposition de couches (sur l’épaisseur donc) en nombre impair, le fil du bois étant cette fois orienté à 90°. Les différentes couches peuvent être maintenues entre elles par collage, clouage ou tourillonnage.

On peut faire du lamellé avec toutes sortes d’essences, mais, compte tenu de l’éventail très restreint des espèces disponibles dans nos espaces boisés, le choix est limité : pin sylvestre, épicéa, douglas, chêne, hêtre, frêne… ou bambou.

Le hêtre commun

Aité, até, fa, fay, faye, faillard, fayard, foyard, fayaud, fau, faon, faou, fou, foutel, fouelle, foutale, fouteau, faînier, favinier. Ou plus communément, hêtre. Dans le jargon forestier, on l’appelle fayard ou plutôt on le crie en sous-bois pour le recenser : Fayaaaard ici (ou fayard là) !

Le hêtre a pris ses aises en Europe depuis la nuit des temps et n’en est jamais parti. Ce feuillu, plutôt accommodant quant au type de sol et son aire de jeu, se montre un tantinet exigeant sur le climat. Il redoute les sécheresses à répétition, leur préférant le brouillard, mais n’apprécie pas d’avoir les pieds mouillés trop longtemps. Le grand froid ne lui convient pas non plus, mais, à sa décharge, il est loin d’être le seul. On le cherchera en vain dans le sud de l’Espagne, au Portugal, en Irlande, en Écosse et dans le nord des pays scandinaves. En se déplaçant vers le sud, le hêtre a tendance à grimper en altitude. En montagne, il cohabite avec le sapin pectiné et l’épicéa jusqu’à 1 700 mètres. En plaine, quand l’agriculture ne l’a pas éradiqué, il côtoie le chêne, le charme et le frêne.

Sinon, c’est un petit futé : il attend que les essences pionnières, avec la complicité des micro-organismes, aient constitué une première couche d’humus, pour daigner s’y fixer et, une fois qu’il y est, il y reste. C’est une espèce dite « bourgeoise » : il lui faut une litière confortable pour prendre racine et, ensuite, il n’en bouge plus. Les hêtraies matures sont dites climaciques, c’est-à-dire capables de « se développer durablement avec stabilité dans les conditions climatiques et les conditions du sol en vigueur à un stade avancé de la succession écologique1 ». Le réchauffement climatique pourrait pourtant déstabiliser ces écosystèmes menacés par les sécheresses estivales : en 2019, plus de 1 500 hectares de hêtraies ont séché sur pied dans le Jura suisse2. À la même période, des dépérissements ont été constatés en France dans le Grand-Est3. Le printemps et l’été 2022 ne se sont pas révélés plus cléments.

Si le hêtre n’échappe pas à la manie psychorigide de la monoculture, il est très présent dans les taillis sous futaie, les futaies jardinées ou les forêts à couvert continu. Dans l’Hexagone, c’est le feuillu le plus répandu en nombre d’individus, bien qu’il prenne moins de place que le chêne rouvre, son rival de futaie qui occupe plus d’espace avec moins de tiges. Les botanistes disent de lui que c’est l’arbre de l’ombre : son feuillage est si dense que rien ne pousse à ses pieds, si ce n’est les fleurs printanières qui profitent de son déshabillage hivernal pour capter la lumière du soleil. Ses propres rejetons doivent patienter sous son ombre en poussant au ralenti, jusqu’à ce que l’ancêtre tombe, ménageant ainsi une éclaircie dans la canopée. Le plus rapide d’entre eux s’élève alors à son tour vers les cieux et s’épanouit enfin de ses mille et une branches jusqu’à une hauteur vertigineuse de 30 ou 40 mètres. C’est dire s’ils peuvent attendre longtemps, tant un hêtre pousse lentement. Il peut vivre entre cent cinquante et trois cents ans, parfois cinq cents ans, mais il est assez rare qu’on lui accorde ce privilège.

Privé de lumière sous les frondaisons parentales, le jeune hêtre peine à effectuer la photosynthèse dont il a besoin pour croître. Son état végétatif advient grâce à la symbiose qui se noue entre ses racines et les champignons mycorhiziens qui le maintiennent, en quelque sorte, sous perfusion. C’est un partenariat classique dans le monde végétal, mais plus particulièrement développé chez certaines essences, dont le hêtre. Ses bons samaritains les plus connus sont les bolets, les lactaires, les girolles et les cortinaires. On peut imaginer qu’une aide parentale soit apportée au niveau des racines, mais, dans ce domaine, la science n’a pas encore élucidé tous les mystères de la vie du sous-sol.

Au cours de mes promenades en forêt, j’ai rencontré bien des hêtres, mais celui dont je me souviens le mieux était de petite taille, planté en solitaire dans la cour devant la maison, lorsque je vivais à la campagne. J’habitais une longère qui appartenait à un couple de cultivateurs, bâtie entre champs et forêts. Les propriétaires avaient quitté la ferme pour s’installer dans un lotissement pavillonnaire non loin de là. Je m’y plaisais bien, jusqu’au jour où j’ai vu le cultivateur sur son tracteur asperger de pesticides – copieusement et sans protection aucune – ses champs de blé et de maïs, et finir de vider sa citerne de produit biocide en arrosant la cour devant chez moi. J’avoue avoir apprécié très moyennement la blague. Le pauvre homme est mort à 50 ans d’un cancer. Je ne suis pas restée très longtemps dans ces lieux, et ne sais si le hêtre y est toujours. Nous connaissons depuis plusieurs années en Sarthe des épisodes de sécheresse sévère exceptionnels, devenus habituels, dont le hêtre peut souffrir, à plus forte raison lorsqu’il pousse tout seul au milieu d’une cour en terre battue exposée plein sud. Comme son compagnon de route de montagne, l’épicéa, son enracinement est superficiel, ce qui l’empêche d’aller puiser de l’eau en profondeur.

Le hêtre fournit un bois d’excellente qualité pour de multiples usages et pourrait être davantage ou mieux exploité si la foresterie n’était pas soumise aux diktats d’une industrie qui standardise les espèces, les plantations, les tailles et âges des arbres, et leur utilisation. On l’a longtemps récolté, et même surexploité, comme bois de chauffage et pour la production d’un charbon de bois très recherché par les forges, les fonderies et les verreries. Riches en potasse, ses cendres étaient notamment récupérées pour confectionner des savons. Le bois de hêtre rencontrait aussi un vif succès chez les sabotiers.

L’extraction de son goudron, une fois distillé, donnait la créosote, une substance utilisée par la pharmacopée comme désinfectant, laxatif et médicament contre la toux. Au XIXe siècle, ses propriétés antiputréfactrices furent valorisées pour le traitement contre les caries dentaires et la phtisie pulmonaire ou la tuberculose. On l’appliquait sur le bois pour le protéger du soleil et de l’humidité, mais il ne faut surtout pas confondre cette créosote-là à celle issue de la houille, utilisée comme biocide dans le traitement des traverses de chemin de fer, classée, elle, cancérigène.

Le bois de hêtre est aujourd’hui utilisé dans la fabrication de mobilier, de lamellé-collé, de déroulage, de contreplaqué, de parquet, d’escaliers, de chaises, dans la boissellerie (jouets, manches, ustensiles de cuisine, récipients) et dans l’industrie papetière. Comme c’est un bois dur, on en fait des plans de travail, des établis et des billots.

Les fructifications du hêtre sont très irrégulières, tant en fréquence qu’en abondance. Les faînes, riches en lipides et glucides, engraissaient les cochons au même titre que les glands quand on les invitait à se goinfrer en forêt. Aujourd’hui, les cochons ne vont plus à la faînée, pas plus qu’à la glandée ; on les a sévèrement punis d’être si bons à manger, et enfermés dans des prisons insalubres, où on leur sert une pitance monotone bourrée d’antibiotiques. Les faînes nourrissent toujours les animaux sauvages (sangliers, cervidés, rongeurs, oiseaux), lesquels contribuent à la perpétuation de l’arbre grâce à leurs déjections. Les faînes sont comestibles pour les humains à petite dose car la fagine, une substance présente dans leur enveloppe, est légèrement toxique. On peut les broyer en farine ou en extraire une huile qui fut très appréciée par le passé car réputée ne pas rancir. Ses jeunes feuilles se mangent en salade et l’écorce présente quelque intérêt en herboristerie.

Le pinson en pince pour le hêtre. Les années où la fructification de l’arbre est abondante, l’entrée dans l’hiver s’accompagne de l’arrivée de nuées de pinsons qui migrent vers les hêtraies de la région nord-est de la France et d’Allemagne. L’hiver 2014-2015 a vu des rassemblements impressionnants de plusieurs millions d’individus dans des hêtraies où ils nichent pendant la saison froide et se régalent des faînes de leurs hôtes4. En 2019, le site Internet Nature d’ici et d’ailleurs publiait en ligne une courte vidéo du ballet aérien des oiseaux dans le ciel alsacien5. Les pinsons partent le matin à la recherche de nourriture dans les hêtraies environnantes et rentrent le soir dans leur hêtraie-dortoir, en lisière de forêt. Quel spectacle incroyable dans la monotonie de l’hiver ! Leur présence attire des rapaces comme le faucon pèlerin, l’épervier, la buse ou la palombe. Mais quel avenir pour ce bouillonnement de vie, si les hêtraies de ces régions dépérissent ?

Hêtres d’exception

Il existe une variété de hêtre très particulière, de petite taille mais d’une grande beauté, le hêtre tortillard, le fau de Verzy, dans la Marne. Son tronc et ses branches toutes tordues lui donnent une magnifique silhouette pleine de grâce, une véritable œuvre d’art.

D’autres hêtres remarquables ont été recensés : le hêtre pleureur de Bayeux (Calvados) ; le hêtre pourpre du parc de la Pépinière à Nancy (Meurthe-et-Moselle) ; le hêtre des batailles à Châtel-Saint-Germain (Moselle) ; le hêtre de la tour de Grosme, en forêt domaniale des Battées (Saône-et-Loire) ; les queulles de la hêtraie de la Terrasse dans le Morvan ; le hêtre de Reinhardsmunster (Bas-Rhin) ; le hêtre pourpre du parc de l’ancien château de la Burelière (Maine-et-Loire). Le hêtre du Fondrel à Montigny (Seine-et-Marne) a plus de 600 ans.

Plusieurs hêtraies sont source d’émerveillement. En France, la forêt de Lyons et la forêt d’Eawy en Haute-Normandie, les hêtres du col Saint-Pierre en Corse, la forêt d’Iraty au Pays basque (France et Espagne). Ailleurs en Europe, l’Unesco a classé un ensemble de massifs de hêtres répartis sur douze pays dans les Alpes, les Carpates, les Dinarides, les Pyrénées et en Méditerranée, ainsi que la hêtraie-cathédrale de la forêt de Soignes en Belgique. D’autres encore suscitent l’admiration : les forêts primaires de hêtres des Carpates en Ukraine, la hêtraie de la vallée Cervara dans le parc national des Abruzzes en Italie, les hêtres catalans de la Fageda d’en Jordà en Espagne.

1. « Climacique : définition, explications », Aquaportail.

2. Yan PAUCHARD, « Le Jura, en situation de catastrophe forestière », Le Temps, 8 juillet 2019.

3. « Forêt : le dépérissement du hêtre », Chambre d’agriculture de Meurthe-et-Moselle, 1er février 2021.

4. « Quand les pinsons se regroupent par millions… », LPO Alsace, 22 février 2015.

5. Jean-Louis SCHMITT, « Des millions de pinsons », Nature d’ici et d’ailleurs, 7 mars 2019.

Les alchimistes du sol

La lumière se fait plus douce, les températures fraîchissent, les jours raccourcissent. Ici dans la forêt, la palette de couleurs des feuilles se réchauffe dans un dernier soupir avant la chute : ocre, ocre jaune, ocre rouge, terre de Sienne naturelle, terre de Sienne brûlée, bronze, oxyde de fer, terre d’ombre, terre d’ombre brûlée… C’est l’automne. Du sol se dégage une chaleur humide, et une forte odeur de matières en décomposition, de champignons et d’humus envahit nos sens. Ce sont des bactéries (actinomycètes) qui émettent cette molécule, la géosmine, qui donne à la terre cette senteur si particulière.

Au pied d’un chêne séculaire, s’échappant d’un épais tapis de feuilles à moitié décomposées, trois petits chapeaux, d’un brun velouté sur le dessus, jaunes et mousseux sur le dessous, trahissent la présence d’un coin à cèpes. Des cèpes oui, mais pas l’ombre d’une trompette de la mort ! Et pourquoi ça ? Parce que.

Les mycorhizes

Les liens intimes entre arbres et champignons ne sont pas un mystère pour qui parcourt les sentiers forestiers à la recherche de jolis spécimens, mais la nature de cette relation est longtemps restée obscure. L’observation souterraine a pourtant révélé la présence d’un vaste réseau de filaments blancs très fins, appelés hyphes, qui relient les champignons aux racines des arbres. Les scientifiques ont d’abord cru à une relation parasitaire au seul bénéfice du champignon avant de comprendre que cette connexion est le plus souvent profitable aux deux partenaires – une symbiose qui porte le nom de mycorhize (myco pour champignon, rhize pour racine).

La partie charnue du champignon, celle que nous savourons, n’est que son appareil reproducteur ; tout le reste, le mycélium, étend sous terre son fin maillage d’hyphes ramifiés sur plusieurs mètres. Un centimètre cube de sol peut contenir entre 100 et 1 000 mètres d’hyphes. La connexion s’établit au niveau des racines secondaires et radicelles : les hyphes forment un manchon autour de la racine, et c’est à l’intérieur de ce manchon que les échanges ont lieu. Ce type de mycorhize très spécifique caractérise les champignons ectomycorhiziens. Le champignon prélève du carbone sur la plante pour subvenir à ses besoins et fournit en retour de l’azote, du phosphore et de l’eau puisée dans les pores minuscules du substrat que la racine n’atteint pas. Les filaments sont en quelque sorte un prolongement de la racine qui peut s’étirer sur plusieurs dizaines de centimètres au-delà de la racine elle-même.

Il existe de nombreux exemples d’associations arbre-champignon1. Chêne et châtaignier nouent une complicité avec le cèpe de Bordeaux, le cèpe bronzé, l’amanite des Césars et le tricholome colombette ; le bolet orangé, lui, préfère le bouleau ou le tremble, le tricholome brun le peuplier, le bolet élégant le mélèze, la morille ronde le frêne, la trompette de la mort le hêtre et le charme, la truffe le chêne et le noisetier. Les résineux – pins, sapins et épicéas – se lient aussi à de nombreux champignons. Cela dit, les champignons ectomycorhiziens peuvent puiser seuls les matières carbonées dont ils ont besoin.

Les mycorhizes ne relient pas uniquement des arbres à des champignons ectomycorhiziens : elles associent 80 % des plantes à des champignons endomycorhiziens. Ceux-ci sont restés longtemps ignorés de la recherche car, dépourvus de partie aérienne, ils demeurent invisibles à nos yeux. Ces champignons sont des mycéliums plus ou moins volumineux qui font apparaître par endroits de petites vésicules contenant des réserves de lipides. La connexion diffère en ce que les hyphes de ces champignons ne forment pas de manchon autour de la racine, mais la pénètrent et se ramifient à l’intérieur de celle-ci en formant des arbuscules. D’où le nom de mycorhize arbusculaire. Les champignons endomycorhiziens appartiennent au groupe des gloméromycètes, dont on ne sait aujourd’hui que peu de chose, si ce n’est qu’on en dénombre environ 200 espèces pour 350 000 espèces de plantes associées ; et qu’ils ne sauraient survivre sans les racines de ces dernières. On présume que cette symbiose est à l’origine de la colonisation des plantes sur les terres émergées. On en a trouvé en Écosse une trace fossilisée datant de quatre cents millions d’années.

L’abondance de champignons mycorhiziens a été estimée par les scientifiques en analysant les relations entre le degré de colonisation des plantes par les champignons, les propriétés des sols et le climat. La diversité des champignons (mycorhiziens ou non) est calculée à partir des propriétés du sol et des précipitations.

Ce que l’on peut avancer avec certitude, c’est que les mycorhizes sont indispensables à la croissance de la plupart des plantes (brassicacées et chénopodes exceptés) et à leur bonne santé. C’est uniquement dans un milieu exceptionnellement riche, offrant eau et nutriments à portée de racines, que les plantes peuvent se dispenser de la contribution des champignons mycorhiziens. À noter que les relations ne sont pas exclusives, plantes et champignons pouvant se lier à plusieurs types de partenaires différents.

La rhizosphère désigne la zone du sol directement influencée par le déploiement d’un système racinaire. L’activité biologique peut y être 50 % supérieure à celle d’un environnement similaire dépourvu de racines.

Le petit peuple de la biocénose

On y rencontre toute une population d’organismes vivants – la biocénose – dont chacun contribue à sa façon à la fertilité des sols et à la mise à disposition de nutriments assimilables par les plantes : racines, champignons, mycorhizes, algues, invertébrés et bactéries. Ils peuvent être saprophytes (se nourrissant par absorption de matières organiques mortes qu’ils décomposent en secrétant des enzymes digestives), saprophages (se nourrissant de matières en décomposition), détritivores (se nourrissant par ingestion de débris organiques morts et d’excréments), coprophages (se nourrissant d’excréments), carnivores (se nourrissant de larves et d’invertébrés vivants ou morts), parasites (vivant aux dépens d’un autre organisme) ou encore prédateurs (tuant leurs proies). Leurs actions, au niveau de la rhizosphère, sont physiques, biologiques et chimiques.

La structure du sol, c’est-à-dire l’agencement spatial et la taille des agrégats des particules solides et des pores, découle de l’activité et de la biodiversité de sa biocénose. Les propriétés essentielles à la germination et à la croissance des plantes sont : l’aération des matières organiques et des agrégats, l’infiltration, le drainage et le stockage de l’eau, la circulation des nutriments et des micro-organismes, la pérennité de l’habitat de tout ce microcosme.

Dans ce processus, la macrofaune compte parmi ses membres d’illustres architectes : les vers de terre, les fourmis et les termites. Ces petits invertébrés creusent en largeur et en profondeur des galeries qui facilitent l’activité microbienne, assurent la porosité du sol, le drainage de l’eau et contribuent, par leurs déplacements, à la dispersion de la matière organique, des nutriments, des micro-organismes et des spores de champignons. Les vers de terre creusent des galeries s’enfonçant parfois à un mètre de profondeur ; les turricules qu’ils déposent à la surface du sol sont riches en nutriments. Les vers sont par ailleurs, avec les mille-pattes (myriapodes), de précieux décomposeurs. Les décomposeurs désagrègent les matières organiques, les transformant, certaines en énergie, d’autres en nutriments assimilables par les plantes. On recense d’autres décomposeurs parmi la mésofaune (acariens, collemboles), la microfaune (protozoaires et nématodes), les bactéries et les champignons. Ensemble, ils produisent cette substance indispensable qu’on appelle l’humus.

Azote, phosphore, potassium, magnésium, calcium, zinc, fer, cuivre et soufre : voilà des éléments nutritifs dont les plantes ont besoin pour leur croissance. Les végétaux n’y ont cependant accès que sous des formes spécifiques, notamment inorganiques, tels les minéraux. L’azote, par exemple, un nutriment d’autant plus indispensable qu’il est limitant (son déficit entraîne l’affaiblissement des autres nutriments), ne peut être absorbé par les racines des plantes sous sa forme organique, mais seulement une fois transformé en ammonium ou en nitrate.

Dans certains cas, cette transformation a lieu dans le cadre d’une symbiose. Les légumineuses ont la réputation de fixer l’azote dans le sol, mais c’est en réalité une aptitude qui revient à la bactérie qu’elles hébergent dans des nodosités au niveau des tissus racinaires, rhizobium ou frankia. Ces bactéries se nourrissent de sucres issus de la photosynthèse produite par leur hôte et convertissent l’azote gazeux en ammonium. L’endosymbiose n’est possible que si ces bactéries sont présentes en quantités suffisantes dans le sol où sont semées les graines de légumineuses. Dans un sol stérilisé, pas de symbiose, pas de récolte. Pour pallier ce déficit, certains semenciers ont recours à l’inoculation des graines par enrobage de bactéries.

La fixation de l’azote, dans d’autres cas, est le fait d’organismes non symbiotiques. Dans le sol, des dizaines de sortes de bactéries et de cyanobactéries transforment l’azote, les unes en ammonium (ammonification), d’autres en nitrite (nitritation), et d’autres encore en nitrate (nitrification). Le cycle de l’azote s’achève par la dénitrification du nitrate, toujours par des bactéries, qui retourne alors à l’état gazeux dans l’atmosphère. Dans ce processus, les micro-organismes tirent leur énergie de ces conversions ; l’excédent est libéré et mis à disposition des plantes ou d’autres micro-organismes.

Les champignons endomycorhiziens sont aussi de bons chimistes. Ils prélèvent du phosphore, de l’azote et, dans une moindre mesure, du potassium, du magnésium, du zinc, du cuivre et du fer. Les nutriments inorganiques contenus dans les minéraux ou la roche sont en partie libérés dans le sol par altération, un processus que des champignons et des bactéries réalisent par excrétion d’acides organiques. Ces dernières peuvent solubiliser de nombreux minéraux ou éléments : rhizobium (phosphate), burkholderia (biotite, phosphate, fer, granite), azotobacter (pyrite, olivine, goethite, hématite), geobacter (fer), acidithiobacillus (pyrite), pseudomonas (biotite, phosphate, fer), shewanella (smectite, fer, calcite, dolomite), paenibacillus (biotite, bauxite), streptomyces (hornblende). Les bactéries contribuent activement au fonctionnement écosystémique de la biocénose du sol.

Globalement, la biomasse microbienne (organismes microscopiques tels que bactéries, champignons et algues) la plus riche prolifère sous les espaces naturels et les prairies. L’abondance et la diversité des micro-organismes dans le sol sont influencées par plusieurs facteurs, dont l’acidité (le pH) semble être le plus déterminant. Viennent ensuite le climat et le taux d’humidité. La teneur en micro-organismes s’appauvrit à mesure que l’on s’enfonce dans le sol, mais des collemboles peuvent vivre à plusieurs centaines de mètres de profondeur. Plutomurus ortobalaganensis a ainsi été découvert à 1 980 mètres sous terre2. Sous les plantes à pousse rapide, la communauté de bactéries prédomine, alors que, sous les plantes à pousse lente, c’est celle des champignons. Dans des environnements extrêmes, des températures très basses sont parfaitement supportées par des bactéries et des nématodes ; et quelques vers de terre, qui n’ont pas froid aux yeux, explorent même l’Antarctique. À l’autre extrémité du thermomètre, dans les zones chaudes, on rencontre quelques nématodes, tardigrades et rotifères. Les termites et les fourmis y construisent des villages en terre crue très sophistiqués.

En France, l’Institut national de recherche agronomique (INRA) a procédé à des prélèvements pour analyser la teneur en biomasse microbienne de nos sols. Les taux les plus faibles ont été vérifiés dans des sols sableux et acides, les plus élevés dans des sols argileux, basiques et riches en carbone organique.

Au milieu de tout ce microcosme grouillant d’activité, on rencontre bien sûr un certain nombre d’indésirables, les insectes « nuisibles » et les pathogènes (champignons et bactéries). Dans un environnement naturel, c’est-à-dire non perturbé, la majorité des champignons et des bactéries sont bénéfiques aux plantes. L’abondance et la diversité des micro-organismes, dont les fonctions peuvent être redondantes, entretiennent une dynamique qui neutralise efficacement les ravageurs par différents mécanismes : compétition pour les nutriments, parasitisme, production d’antibiotiques ou stimulation de la résistance des plantes. Malheureusement, tous ces précieux micro-organismes ont un redoutable ennemi appartenant à la communauté de la mégafaune, un mammifère qui a profondément perturbé l’équilibre des écosystèmes des sols : Technicus agricola industrius. Plus précisément, les techniques et technologies utilisées par l’agriculture conventionnelle ont éradiqué des sols les plus efficaces partenaires des agriculteurs et agricultrices.

Le labour profond détruit la structure du sol – rendue vulnérable à l’érosion, à l’engorgement et à la compaction – et, avec elle, l’habitat de la biocénose, dont les insectes pollinisateurs (abeilles terricoles, bourdons terrestres, quelques mouches et coléoptères). La monoculture, quant à elle, entraîne une perte considérable de micro-organismes, tant en diversité qu’en abondance, une déperdition de matière organique et une baisse de la fertilité. Ces sols, épuisés, ne sont plus résilients aux pathogènes. Le recours aux intrants chimiques (engrais, pesticides, herbicides et autres biocides) parachève le processus de destruction des sols tout en portant atteinte à la qualité de l’eau et à la santé des êtres vivants.

Quand une culture est affectée par un insecte, un champignon ou une bactérie, il est possible de s’en remettre au génie de la nature en faisant intervenir… un insecte, un champignon ou une bactérie. La diversité des espèces cultivées et leur association sont d’autant plus profitables qu’elles limitent les dégâts en cas d’infestation. En dernier ressort, la rotation des cultures avec mise en jachère et les techniques agroécologiques sont, à tout point de vue, les meilleures alliées des terres cultivées.

1. « Champignons et arbres, une vie de couple », ONF.

2. « Nouveau record pour la plus profonde des créatures terrestres », Gurumed, 25 février 2012.

Le charbon de bois

— Dis donc voisin, tu pourrais pas mettre ton barbecue un peu plus loin, toute la fumée entre chez moi ?

— Ah pardon, je n’avais pas vu, je le change de place tout de suite !

— Merci (triple andouille) !

 

Tiens, ça sent l’alcool à brûler, dans quelques minutes ça va sentir la sardine grillée.

Gagné.

 

— Maman, je peux inviter les potes samedi soir pour mon anniversaire ?

— Si tu veux, mais demande à ton père.

— Papa, je peux inviter les potes samedi soir pour mon anniversaire ?

— T’as demandé à ta mère ?

— Oui, elle veut bien.

— Alors d’accord.

 

— Au fait, que prévois-tu de préparer à manger pour ta petite fête samedi ?

— J’aimerais bien faire des brochettes au barbecue.

— Quoi ! Un barbecue en plein hiver, ça va pas bien dans ta tête !

— On pourrait s’installer dans le sous-sol pour qu’on soit tranquilles, et vous aussi par la même occasion, et mettre le barbecue dehors.

— Et s’il pleut ?

— Ben, on verra bien.

 

Le jour J, branle-bas de combat, les amis et amies arrivent. Le temps n’est pas idéal pour une partie de brochettes.

— On peut mettre le barbecue juste devant la porte et ouvrir le vasistas, ça devrait aller comme ça.

Papa aide sa fille cadette à préparer le barbecue. Un peu de papier journal (Le Figaro – source de discussions houleuses pendant les repas du soir entre père et filles), une couche de charbon de bois arrosé d’alcool à brûler, c’est la technique papa Stienne. Hop, papa craque l’allumette et floooouuuf, c’est parti mon kiki. Bientôt, les premières brochettes cuisent pendant que la petite bande s’affaire autour des disques. Voilà, les braises sont prêtes, on peut y aller. Pour qui celle-là ? Et celle-ci ? Mmmmiam.

— Ça va, Patrick, tu n’as pas l’air bien ?

Le grand blond frisotté a des vertiges.

— Jean-Luc non plus ne se sent pas bien !

— Moi non plus.

Le sous-sol est complètement enfumé, sans qu’on ait rien vu venir. C’est ainsi que l’anniversaire de mes 14 ans a tourné au fiasco.

 

Connu dès l’âge de fer, le charbon de bois est, aujourd’hui encore dans certains pays du Sud, fabriqué, comme depuis des siècles, dans des « meules ». En France, cette méthode n’est plus utilisée que de façon artisanale. Le principe consiste à chauffer le bois par pyrolyse, c’est-à-dire en absence d’oxygène pour ne pas le faire brûler, à 200 °C. Par ce procédé, on élimine l’humidité naturelle, les composants liquéfiables ou volatils, pour ne conserver que le carbone et les minéraux. Il reste, en poids, entre 17 % et 28 % de charbon. Une fois carbonisé, le pouvoir calorique du bois est bien supérieur ; il ne brûle pas, il se consume par incandescence. On l’employait principalement dans la métallurgie pour nourrir les foyers des bas et hauts fourneaux. Sa faculté d’être longtemps maintenu en état de combustion à très haute température sans s’enflammer procure une latitude indispensable au travail des métaux. Il est aussi parfait pour la cuisson des aliments. En France, nous n’en profitons plus guère qu’à la belle saison lors de repas conviviaux pris en extérieur, mais ailleurs, à défaut d’alternative satisfaisante, c’est un mode de cuisson ordinaire. Son utilisation quotidienne, par tous les temps et en toute saison, entraîne des problèmes de santé publique dus aux émanations de fumée et de gaz toxiques. Sa production se fait par endroits aux dépens de la forêt, au risque de la faire péricliter.

Les charbonniers d’antan

À l’époque, les charbonniers et leur famille vivent en itinérance dans des logements sommaires, appelés « loges », à proximité de leur meule afin d’en assurer la surveillance, de jour comme de nuit. Leur installation emprunte le sillage laissé par le passage des bûcherons. Ils choisissent l’emplacement de leur fouée (autre nom de la meule) sur un terrain exposé à l’abri des vents, proche du lieu de prélèvement du bois et d’une source d’eau. Le transport des bûches se fait à la brouette. Le sol, ni trop sec ni trop humide, doit être plat, ou nivelé s’il ne l’est pas. Une fois le terrain aménagé, les charbonniers commencent par élever une cheminée centrale. Elle est constituée de quatre gros piquets plantés à la verticale ou, comme à Paimpont, d’une colonne triangulaire composée de rondins superposés1. Les « charbonnettes » (ou bûches) de hêtre, de chêne ou de frêne sont alors disposées presque à la verticale autour de la cheminée. Au fur et à mesure de l’empilement, la meule prend la forme d’un dôme de bois bien rangé. On recouvre le tout de feuillages sur une épaisseur de 20 centimètres, et d’une autre couche de 20 centimètres de terre tamisée, généralement de l’argile, de façon à étanchéifier la meule. On remplit ensuite la cheminée de morceaux de bois bien secs associés à des charbons incandescents pour amorcer la carbonisation du bois avant d’obstruer le conduit avec des « plisses ». Quelques heures plus tard, le charbonnier ôte les plisses pour vérifier le bon déroulement de la mise à feu et recharge le conduit en charbon.

À mesure que la température s’élève, le bois dégage de la fumée qu’il s’agit d’évacuer à travers des « évents » que les charbonniers ouvrent tout autour du dôme. La couleur de la fumée renseigne sur l’avancée de la carbonisation. D’un blanc gris à la mise à feu, elle devient bleue quand le bois est carbonisé. Le charbonnier grimpe sur la meule toutes les deux ou trois heures pour contrôler la régularité du processus, l’étanchéité de la meule, rechargeant la cheminée si nécessaire, perçant des évents ici ou en bouchant là. Peu à peu, le volume de bois diminuant, la meule s’affaisse. Le moment le plus pénible pour les charbonniers est celui de l’extinction. Ils doivent retirer une couche de terre brûlante pour en extraire tout élément susceptible de brûler et remettre la terre sur le tas pour étouffer complètement la fouée. En plus de la forte chaleur, il se dégage une épaisse fumée mêlée de poussières fines qui s’infiltre partout dans les vêtements et dans les corps.

La carbonisation dure environ cinq jours pour une meule moyenne (deux semaines pour les grandes meules) et le refroidissement un ou deux jours si la météo est conciliante. Les morceaux de charbon sont ensuite extraits du tas, tirés vers l’extérieur à l’aide d’un grand crochet et laissés à l’air libre plusieurs heures avant la mise en sac, quand tout risque de reprise de l’incandescence est écarté. À Paimpont, et sans doute ailleurs, femmes et enfants participent à cette dernière étape.

Un bon emplacement sert autant de fois que possible à la construction de nouvelles meules. Leur localisation sur une parcelle de 8 km² de la forêt de Paimpont, qui s’étend sur 70 km², a été recensée : on y compte 374 emplacements. Cela suggère l’existence de plusieurs milliers de meules sur l’ensemble de la forêt. Le diamètre d’une meule moyenne est d’environ 8 mètres. Les petites meules contiennent entre 8 et 15 stères de bois, et les meules de capacité moyenne, entre 35 et 60 stères. Quelques meules plus grandes, de 100 à 300 stères, ont été construites dans les Landes et dans le Jura.

Ce système de meule est toujours utilisé dans certaines régions du monde, qui ont du bois et peu accès à d’autres formes de production énergétique. Il existe des variantes où les meules sont installées dans des fosses et des meules dites améliorées, plus performantes.

Parmi celles-ci, la meule Casamance « Casa GV » ou meule casamançaise, mise au point au Sénégal, est pourvue d’une cheminée latérale en métal. Elle peut être montée avec trois barils de récupération superposés d’une contenance de 200 litres. Les évents ne sont plus de simples trous mais de petits tuyaux transversaux dont on peut aisément contrôler le flux d’air par l’extérieur. Plus efficace que la meule simple, elle permet en outre la récupération du liquide pyroligneux. Après six mois laissé à reposer, ce liquide se dissocie en trois sous-produits : une huile bonne à jeter, l’acide pyroligneux ou vinaigre de bois et le goudron de bois. L’acide pyroligneux sert de fertilisant agricole, d’insecticide ou de complément alimentaire pour le bétail. Le goudron protège le bois des attaques d’insectes2. D’autres meules améliorées sont utilisées à travers le monde : la meule en brique, la meule en acier ou encore la meule Adam3.

En Europe, à partir du XIXe siècle, les fours remplacent peu à peu les meules, pour satisfaire l’appétit de la sidérurgie dont les productions ne cessent de se multiplier. Plus pratiques d’utilisation et plus performants car ils montent plus haut en température, ils sont conçus pour récupérer le goudron, l’acide acétique, le gaz de bois (gazogène) et l’alcool méthylique. Ils sont de plusieurs sortes : les fours en vase clos, ou cornues, horizontaux ou verticaux, les fours à cloche, l’appareil Moreau et l’appareil Dromart, ces deux derniers ayant un rendement de 25 % : il faut 4 tonnes de bois pour obtenir 1 tonne de charbon4.

La carbonisation en meule est énergivore, car une partie du bois brûle pendant le processus. Ce procédé peu performant a de surcroît l’inconvénient d’être une source d’émission de CO2 et, selon la qualité du bois, de gaz toxiques. Les fours les plus modernes sont en principe équipés de récupérateurs d’énergie et de filtres pour capter les émissions polluantes, mais peu de pays producteurs en sont équipés. Au final, quand le charbon de bois se consume, le CO2 qu’il contient s’en échappe et se répand dans l’atmosphère ainsi que des gaz toxiques si le charbon est de médiocre qualité.

Cette source d’énergie a suscité des animosités entre charbonniers et paysans pour l’approvisionnement en bois, comme l’illustre bien l’épisode de la guerre des Demoiselles, et entraîné une surexploitation des massifs forestiers, où quelques traces de ces charbonnières persistent par endroits. L’arrivée du charbon de houille aurait pu limiter l’exploitation de bois mais, ainsi que le rappelle Jean-Baptiste Fressoz5, l’essor de ce nouveau combustible allait de pair avec celui du « chemin de bois », des poteaux télégraphiques et de l’étayage des mines de charbon, elles-mêmes grandes consommatrices de bois. Aujourd’hui, une grande partie de l’extraction minière se fait à ciel ouvert et, dans ces conditions, le bois d’étayage n’est plus nécessaire.

Le charbon de bois entrait dans la composition de la poudre à canon. Il fertilise aujourd’hui les sols (biochar) et, à condition d’avoir reçu un traitement spécifique, le charbon de bois « actif » sert à la purification de l’eau et fait partie de notre pharmacopée.

L’origine des braises

La France ne produit qu’environ 30 % du charbon de bois qu’elle consume. Celui-ci sort de fours artisanaux carbonisant des bois durs comme le chêne ou le hêtre, ou des installations semi-industrielles plus modernes dont le procédé intègre la récupération d’énergie (thermique ou électrique) afin de répondre aux normes environnementales européennes6. Ces fours chauffent à des températures plus élevées et carbonisent bois durs et résineux. En 2017, la France était le cinquième pays importateur de l’Union européenne, avec 80 000 tonnes de charbon de bois en provenance de Belgique, de Lettonie, d’Espagne, d’Ukraine, de Namibie, d’Afrique du Sud, des Pays-Bas, de Russie et du Nigeria. Pour l’année 2020, la FAO a enregistré 106 000 tonnes de charbon de bois importé dans notre pays, qui détient la septième place mondiale des importateurs.

Au milieu des années 2010, l’ONG The Forest Trust (TFT), devenue depuis Earthworm Foundation, s’est interrogée sur l’origine du charbon de bois consommé en France. Vient-il d’Amérique latine, et notamment du Paraguay ? 70 % de la production de charbon de bois de ce pays, issu de la déforestation, seraient exportés vers l’Europe en 20177. Mais ce n’est pas le cas, ou du moins pas directement. Ce charbon est principalement importé par l’Allemagne (Aldi et Lidl), l’Espagne (Aldi, Lidl, Carrefour), le Royaume-Uni, le Danemark, l’Italie, les Pays-Bas, la Grèce et la Pologne. Le premier pays fournisseur est en réalité le Nigeria, avec 37 % des importations françaises directes et indirectes. Globalement, un flou demeure sur l’étiquetage des sacs qui n’indique pas toujours ou triche sur l’origine du charbon de bois. Bref, une filière pas toujours très transparente8.

Earthworm a fait un point en 2018 sur le marché français du charbon de bois pour les années 2014-2017. Quelques progrès sont à noter, probablement grâce à la pression exercée sur les entreprises par le public et des ONG comme le WWF, mais, pour l’heure, des interrogations subsistent quant à la provenance géographique, l’approvisionnement en matières premières (déforestation, déchets, légalité de la ressource), la méthode de carbonisation et le respect des normes sociales et environnementales. Car tous les charbons de bois ne se valent pas, et moins de la moitié des exportations sont certifiées. Le règlement sur le bois de l’Union européenne (RBUE) adopté pour réguler et surveiller la traçabilité des matières premières, n’inclut pas le charbon de bois9.

Mon charbon de bois préféré a une section carrée. Quelle drôle de brindille que celle-ci ! De jolis reflets satinés sur chaque face soulignent les fibres du bois calciné. Entre mes doigts, il est tout léger et son contact est doux et tendre. En le passant sur le papier, il accroche un peu et laisse derrière lui une traînée de particules d’un gris sombre en émettant un léger crissement. Fffffeeeeeeee. Fibres contre fibres. En quoi est-il ? En saule, bouleau, épicéa, tilleul, noyer, figuier, myrte, romarin, buis ? À moins qu’il ne soit tout simplement en fusain d’Europe ? Des artistes, de tout temps, y compris celui des grottes, ont fabriqué eux-mêmes leurs fusains en sélectionnant l’essence en fonction de la dureté souhaitée. On trouve tout un tas de recettes et de vidéos pour réaliser soi-même ses fusains : enfermer quelques bâtons écorcés dans une boîte en fer, mettre sur une flamme pendant une heure, laisser refroidir, et voilà. En gros.

Les fusains

Fusain, fusain d’Europe (Euonymus europaeus), bonnet de prêtre, bois à lardoire, bonnet d’évêque ou bonnet carré. C’est un arbrisseau que l’on voit parfois au milieu d’une haie ou d’un talus en bordure de rivière en dessous de 800 mètres d’altitude dans presque toute l’Europe. Il est taillable en trogne et vit vingt-cinq ans. En très grande forme, l’arbuste atteint 6 mètres de haut, mais c’est assez rare. Il se pare de discrètes inflorescences en corymbe dont les fleurs en forme de bonnet d’évêque s’illuminent d’orange en automne. Mais attention, ses jolies graines (et ses feuilles) sont vénéneuses pour les humains et les herbivores. Si on en ressent vraiment le besoin, c’est un excellent purgatif. Bonne chance !

Le fusain est un bon bois clair à grain fin pour la marqueterie, le tournage, la lutherie ou la sculpture. On en faisait des fuseaux de rouet, des aiguilles à tricoter et de petits objets domestiques. Avec l’enveloppe des graines, on concoctait de la teinture rouge. Les tiges carbonisées en vase clos deviennent fusains. Ceux du commerce sont bien souvent en saule.

1. « La carbonisation en meules en forêt de Paimpont », Encyclopédie de Brocéliande.

2. S. Gaston AKOUEHOU et al., « Fiche technique : Utilisation de la meule à cheminée de type casamançais – Casa GV – pour la production de charbon de bois au Bénin », République du Bénin, 2012.

3. « La production du charbon de bois », Energypedia.

4. « Histoire du charbon de bois », Temotec.

5. Jean-Baptiste FRESSOZ, « Crise climatique et énergétique : regarder la vérité en face », entretien avec Olivier BERRUYER, Les Crises, espace d’autodéfense intellectuel, 8 juin 2022.

6. Frédéric DOUARD, « LRCB, unités de carbonisation made in France », Bio Énergie International, 29 février 2012.

7. « Choice Cuts : how European & US BBQs are fuelled by a hidden deforestation crisis in South America », Earthsight, 5 juillet 2017.

8. Marie ASTIER, « Barbecue, soit. Mais d’où vient le charbon de bois ? », Reporterre, 25 juillet 2015.

9. « Enquête : analyse des sacs de charbon de bois », The Forest Trust, 2018.

Les granulés de bois

— Ce qu’il te faudrait dans ton salon, c’est un poêle à bois.

— J’y ai plus ou moins pensé, il y a là un raccordement à la cheminée. Il faudrait que je la fasse tuber.

— Ça te ferait un chauffage d’appoint, c’est sympa.

— Mouais. Je suis de moins en moins convaincue par l’idée. Ça prend de la place et j’en manque. Regarde, ma table de salle à manger est devenue un plan de travail pour modeler l’argile et réaliser mes compositions végétales. Plus le bois à stocker. Je le mettrais où ?

— Ben là, devant ta maison !

— Non, ça ne va pas. De toute façon, ma priorité, c’est l’isolation de la maison et le remplacement de ma chaudière à gaz. Cette année, j’ai encore pris 250 euros d’augmentation de gaz. 130 euros l’année dernière.

— Tu pourrais faire installer une chaudière à granulés.

— L’idéal pour moi, c’est la géothermie, mais ce sont de gros travaux, je n’ai pas les moyens. Même avec les aides de l’État. Je réfléchis à faire installer une pompe à chaleur.

— La chaudière que j’ai fait installer dans la nouvelle maison fonctionne aux granulés, c’est un investissement, mais je trouve que ça vaut vraiment le coup.

— J’ai des doutes sur l’aspect écolo du chauffage au bois, bûches ou granulés. Tu sais comment sont fabriqués tes granulés ?

— Ah mais oui, ce sont exclusivement des déchets de scieries, des broyats de branchages et de bois usagés et récupérés.

— Hum, j’ai pourtant vu passer quelques infos là-dessus. On parle d’arbres entiers broyés.

— Ah bon ? Je t’assure que les granulés, en tout cas les miens, sont produits à partir de déchets et de branchages sans intérêt. D’ailleurs, ils sont certifiés.

 

C’est vrai qu’ils sont séduisants, ces petits granulés de bois, aussi nommés « pellets » : 100 % naturels, des déchets valorisés comme source d’énergie, et un coût moindre que celui des énergies fossiles. Du moins jusqu’à l’année dernière, car, depuis l’agression russe en Ukraine, les prix du pellet ont flambé.

Dans une vie antérieure, que je partageais avec Zazoo, je les utilisais comme litière compostable. Enfin, pas moi, mais Zazoo, une chatte tricolore avec une flamme sur le nez. C’était avant de changer de maison et de poser une chatière. Maintenant, Zazoo repose en paix sous un géant aux milliers d’yeux vert-de-gris.

De quel bois on se chauffe

Le processus de fabrication des granulés est des plus simple et ne requiert aucun additif. S’il emploie peu de main-d’œuvre, il nécessite quelques machines. Tout commence avec de la sciure, celle récupérée ou celle fabriquée à partir de broyats ou de plaquettes forestières. On la déshydrate dans un tambour sécheur pour en extraire le plus d’humidité possible, on la met ensuite dans une presse pour comprimer fortement les particules qui s’agglutinent entre elles et forment ces petits granulés. Pour finir, ils sont refroidis, tamisés et mis en sacs1.

Si l’on veut connaître l’origine de ces petites particules boisées, il suffit de s’informer auprès du Comité interprofessionnel du bois-énergie (CIBE)2. La matière première est issue à 30 % des scieries (en voie de disparition en France), des produits bois en fin de vie (cagettes, palettes), de « produits ligneux agricoles et industriels » et de bois traités usagés. Les 70 % restants sont des plaquettes forestières pulvérisées. Que sont les plaquettes forestières ? Ce sont des produits forestiers (taillis, arbres, souches) transformés en broyats.

En réalité, si les déchets de scieries font autant défaut, c’est que les scieries ferment les unes après les autres3. Petites ou moyennes entreprises, elles étaient dix fois plus nombreuses il y a soixante ans. Aujourd’hui, les grumes de chêne et de hêtre partent en Chine via le port d’Anvers pour nous revenir sous forme de parquets, de placages ou de mobiliers.

En Nouvelle-Aquitaine, une étude de l’Ademe publiée en février 2020 s’est intéressée à la fabrication des plaquettes forestières pour le bois-énergie : elles émanent de coupes rases de taillis (feuillus et résineux), d’éclaircies de résineux (les arbres qu’on abat pour que d’autres se développent), de branches écartées lors de la coupe rase d’une futaie, ainsi que de quelques souches4.

Sans grand bruit, une certaine violence commence à s’exercer sérieusement sur nos amis arbres, que certaines entreprises rêvent de passer à la moulinette pour mieux les consumer. C’est écolo, mon beau ! Neutralité carbone, ma bonne ! D’autant que ces granulés de bois ne sont pas tous destinés à chauffer les logements ou les bâtiments collectifs : une part est employée pour produire de l’électricité en remplacement des centrales à charbon. C’est un fait, la France a négligé le développement de l’énergie solaire et éolienne, et favorisé celui de la biomasse.

La production et la combustion de granulés sont pour l’heure essentiellement « occidentales », et leur commerce extérieur d’une importance grandissante, au point que, en 2020, 67 % de la production mondiale en fait l’objet. En novembre 2014, l’Ademe a publié une enquête sur le marché international de la biomasse énergie et des granulés de bois. Ces derniers traversent l’Atlantique en containers maritimes pour débarquer dans les grands ports européens. Le Canada a été le premier exportateur de granulés pour l’Union européenne (et le Royaume-Uni), mais il a été surpassé dès 2012 par les États-Unis, qui visent clairement le marché européen. Au sein de l’Europe, ce sont, sans surprise, les pays d’Europe de l’Est (Roumanie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Serbie) et la Lettonie (déforestation alarmante de 23 % depuis 2000) qui sont les fournisseurs de l’Europe de l’Ouest. Et, bien sûr, la Russie. Alors que l’agence prévoyait une production mondiale de 47 millions de tonnes pour 2020, celle-ci s’est élevée à 53 millions de tonnes. Cette ressource énergétique est d’autant plus demandée aujourd’hui que les pays européens appuient le développement de l’industrie du bois-énergie pour réduire la dépendance au gaz russe.

Le nouveau charbon du XXIe siècle

Le granulé de bois est-il en passe de devenir le nouveau charbon du XXIe siècle, mais en plus polluant, car moins efficient en termes énergétiques ? C’est ce que suggèrent les résultats d’une enquête de l’ONG américaine Mongabay, publiée sous le titre « Les forêts sont-elles le charbon d’hier ? ». L’étude dénonce, entre autres, la déforestation des forêts tropicales et tempérées pour alimenter, notamment, les centrales de l’Union européenne et du Royaume-Uni5. Cet engouement européen pour le développement de la filière bois-énergie ne fait pas rire les ONG américaines6, témoins de l’abattage des arbres dans les forêts du sud-ouest de leur pays régulièrement ponctionnées pour en faire de la sciure. Il ne fait pas rire non plus les habitants et habitantes de Bourgogne-Franche-Comté. Dans le Morvan, les espaces boisés appartiennent à une multitude de propriétaires dont la plupart confient la gestion de leurs biens à une coopérative forestière. Peu à peu, les forêts de feuillus sont remplacées par des plantations de pins douglas dont la pousse rapide fait espérer des profits à plus court terme. En 2021, une contestation menée par l’association Canopée s’est dressée contre les pratiques contestables de la coopérative Unisylva, impliquée dans des coupes rases alimentant l’usine de granulés locale Biosyl, à laquelle la coopérative est associée7.

En Corrèze, à Viam et à Bugeat, la population, regroupée dans une première association baptisée « Non à la Montagne-Pellets » puis dans le collectif « Biomasse critique », s’est opposée à l’installation d’une usine de granulés torréfiés censée fournir des pellets aux centrales thermiques locales. Une première enquête publique a eu beau faire état sur six cents pages d’arguments largement en défaveur du projet, le commissaire enquêteur est un magicien, puisque sa synthèse résumée en dix pages se montre favorable à l’entrepreneur (Pierre-Henri Gaudriot). Collectifs et associations organisent alors une enquête publique dans tous les villages concernés par les approvisionnements en bois de l’usine. La population, mieux informée sur le projet, l’appréhende sous un jour nouveau, mais la préfecture décide, contre l’avis général, de le maintenir. Un recours a été déposé auprès du tribunal administratif, qui finalement a donné raison aux associations. Affaire classée. Depuis, quelques personnes ont continué à militer pour défendre une forêt vivante qui réponde aux besoins de l’ensemble du territoire : biodiversité, bois d’œuvre de qualité, écosystèmes sains, paysages protégés8.

Quant à la centrale de cogénération (production d’électricité et de chaleur) de Gardanne, l’ancienne unité de charbon convertie au bois a dû son démarrage à l’importation de 76 000 tonnes de bois brésilien. L’entreprise a, depuis, décidé de renoncer au bois d’Amérique du Sud pour ne s’approvisionner qu’en Europe. Il n’en reste pas moins que, ici comme ailleurs, les espaces forestiers seront fortement sollicités puisque les cahiers des charges prévoient, en complément des déchets, le broyage de bois ronds (des grumes)9.

Et puis, on aura beau retourner la question dans tous les sens, quand on brûle du bois, ça dégage du CO2. Un arbre sur pied l’absorbe, un meuble en bois le stocke, un morceau de bois qui brûle l’envoie dans l’atmosphère, point final. La neutralité carbone du bois-énergie est un pur fantasme. Parler d’énergie renouvelable à son propos est un abus de langage. Pour que ce soit véritablement le cas, il faudrait qu’un équivalent de la quantité de bois brûlée ait pu repousser à qualité égale dans le même laps de temps. Or le rythme de son renouvellement n’a évidemment rien à voir avec celui de sa combustion. En quelques mois pour un chauffage individuel, ou en une journée pour une centrale électrique, ce sont quarante, cinquante ou cent ans de lente croissance qui partent en fumée10. D’ailleurs, en décembre 2022, l’Australie a retiré de la classe des énergies renouvelables la biomasse ligneuse tirée de ses forêts11.

Comme le résume le journaliste Jake Dean : « Les recherches montrent que la compensation de la dette carbone de la combustion de biomasse issue du bois nécessite des dizaines d’années de repousse, et que reboiser des forêts de feuillus avec des pins à la croissance rapide pour en faire de la biomasse diminue la densité carbone des zones boisées (si les zones boisées ont augmenté dans le sud-est des États-Unis, il se trouve que leur séquestration de carbone a décliné dans le même temps)12. » Sans compter que les usines de production de granulés engendrent des rejets qui polluent les cours d’eau avoisinants…

Serait-ce les prémices d’une nouvelle période, où les forêts seront à nouveau aussi détruites pour en extraire du bois-énergie ?

1. « Fabrication du granulé », Propellet.

2. « Le bois énergie, état des lieux, lieux de controverses », Solagro, janvier 2021.

3. Guillaume PITRON, « Braderie forestière au pays de Colbert », Le Monde diplomatique, octobre 2016.

4. « État des lieux des moyens de récolte et production de bois énergie en Nouvelle-Aquitaine », rapport d’étude, Ademe, février 2020.

5. Justin CATANOSO, « Les forêts sont-elles le charbon d’hier ? La combustion de biomasse a bondi : l’alerte est donnée au niveau mondial », Mongabay, 14 octobre 2020.

6. Andrea BAROLINI, « Le granulé de bois utilisé en Europe détruit les forêts des États-Unis », Reporterre, 27 mai 2015.

7. Sylvain ANGERAND, « Des chênes centenaires transformés en granulés de bois », Canopée, 21 mars 2021.

8. « Non à la Montagne-Pellets ! Récit d’une victoire contre un entrepreneur de l’“énergie verte” [Revue Z] », Lundi matin, 20 juin 2022.

9. Pierre ISNARD-DUPUY, « La centrale de Gardanne bannit le bois du Brésil, sans rassurer les écolos », Reporterre, 5 août 2021.

10. « Le bois énergie, solution pour le climat ? Tout dépend comment on compte », TerraEco, 25 novembre 2015.

11. Justin CATANOSO, « Australia rejects forest biomass in first blow to wood pellet industry », Mongabay, 21 décembre 2022.

12. Jake DEAN, « Brûler des granulés de bois n’a rien d’écologique », Slate, 10 février 2022.

Le douglas

C’est parti pour une balade de 13 kilomètres. Deux cerisiers à fleurs au milieu du trottoir bitumé et, vingt mètres plus loin, deux érables sycomores. À droite, un terre-plein rasé de près, où ne subsistent qu’un althéa et les cacas du toutou parti en promenade. J’y avais planté deux boutures de figuier, disparues dès le lendemain. Une impasse s’étire entre des jardins familiaux et un talus SNCF embroussaillé de ronces, de robiniers faux-acacias, de houblons et de sumacs de Virginie qui y ont largement pris leurs aises. Pas de mûres cette année, le talus a été ratiboisé l’hiver dernier. Un petit coucou rapide à l’Huisne, on la retrouvera plus loin. Quelques colverts ont élu domicile ici, à l’abri sous le pont SNCF et la passerelle qui enjambent la rivière. Un canard blanc se mêle parfois à la tribu.

On passe sous le pont et la chicane. Il faut marcher un petit kilomètre dans la rue avant d’arriver au pont des Vendéens, un vieil édifice en pierre aux trois quarts détruit par les troupes mancelles lors de l’insurrection vendéenne sous la Révolution. Il annonce l’entrée du parc Newton, une longue bande enherbée entre la rivière et le quartier des Sablons. Peupliers noirs et robiniers. Ici s’écoulent les eaux paisibles de l’Huisne, à une vingtaine de minutes de rame de sa confluence avec la Sarthe, au niveau du parc du Gué-de-Maulny. Sauf qu’il est impossible de faire tout le trajet à la rame jusqu’au parc : un barrage en ferme l’accès juste avant.

Le parc Newton, lui, remonte le fil de la rivière passant par là après avoir sillonné tranquillement les campagnes depuis les hauteurs du Perche ornais. Le chemin traverse le parc, orné de multiples espèces originaires des quatre coins du monde. Un robuste platane surplombe un marronnier niché sous sa ramure comme pour s’y abriter. A-t-il assisté aux tumultes de la Révolution ? Au moins aura-t-il suivi, étape par étape, la construction du quartier, commencée en 1963, et de ses 361 habitations individuelles et ses 5 548 logements collectifs. Deux grandes tours ont été rasées en 2011.

Une renouée du Japon, une plante dite invasive. Ses délicates graines triangulaires et translucides accrochées à leur tige en pointillé rouge et blanc sont de véritables petits bijoux. Des érables de Montpellier, envahis de lierre. Un prunellier. Un rassemblement de marronniers d’Inde. Il fait tout à coup bien sombre. Et cette fraîcheur, quel bonheur par ce temps caniculaire ! Sur la berge, des frênes et un peuplier noir couvert de mousses et de lichens se tiennent de traviole. Érables champêtres et merisiers. Grand aulne glutineux.

Les frênes sont omniprésents dans ce parc. Des frênes communs et, semble-t-il, des frênes oxyphylles ? À fleurs ? Et les érables. Champêtres, sycomores, planes, argentés… Et les chênes. Pédonculés, d’Amérique, des marais, chevelus, rouvres… Frênes, érables et chênes colorent le parc quand d’autres essences apportent leurs motifs singuliers par touches disparates. Trois geais se poursuivent bruyamment et finissent leurs envols dans la cime d’un chêne. Des aubépines. Un rouge-queue claque du bec, perché sur un peuplier à l’écorce rugueuse et torsadée comme la maille d’un pull-over irlandais. Les pies sautillent dans l’herbe à la recherche de nourriture ou de matériau de construction. Près de la berge, une belle touffe de bambous fait paravent. Quelques mottes de terre tamisée trahissent la présence de taupes. Un groupe de tilleuls à grandes feuilles embaume. Des volées de pinsons y font escale quelques fois. Aulnes glutineux. Frênes, robiniers. Tulipier. Orme.

Un alignement régulier de peupliers couverts de gui fait face, sur la rive opposée, à des maisons surplombant des jardins pentus couverts de bambous. Certains sont façonnés en terrasses. Un chêne chevelu. Une fois l’an, c’est concours de pêche au pied des peupliers. Côté rue, un alignement de frênes blancs. L’herbe est peuplée d’oseille sauvage, de trèfles et de pissenlits. Juste avant la passerelle, des pins noirs d’Autriche, un pin laricio, des bambous nains, des saules argentés, un noisetier et des bouleaux laciniés au beau feuillage finement découpé. Après la passerelle, des cornouillers noirs, un peuplier baumier, des frênes et des osiers pourpres. Canards et poules d’eau pataugent gentiment. Un liquidambar. Certains jours, des nuées de mouettes se disputent un fretin visiblement très convoité.

Trois érables argentés. Hêtre. Cyprès. Orme du Japon. Bouleau. Cèdre du Liban. Un homme soudé à une barque accrochée à des joncs ne quitte plus l’endroit. Cela se comprend : l’ensemble est en bronze, et bien arrimé au sol. Une seconde passerelle. L’alignement de peupliers et de roseaux tamise la vue des jardins familiaux faits de bric et de broc sur la berge d’en face. Au sol, quelques pieds de jeunes daturas arrivés là par hasard. Allons voir ce cyprès chauve de plus près. J’ai connu plus chauve. Aulnes, saules, houblon et vieux chêne. Lierre. Des cornouillers et des cotonéasters. Le pont de la rocade au-dessus. Fin du parc Newton, début du parc Doumer, et l’Huisne toujours sur la droite. L’espace enherbé entre rivière et immeubles s’amincit de plus en plus. Aulnes et ronces ont remplacé l’alignement de peupliers. Orme d’Amérique. Au milieu de la prairie, un autre pêcheur en bronze. Lui et moi assistons à un attroupement d’une dizaine de corneilles disposées en cercle, en plein conciliabule. Il s’agit de ne pas faire n’importe quoi, les décisions importantes sont prises en collectif. Je respecte leur réunion et poursuis mon chemin. Le pêcheur, lui, décide de rester, on ne sait jamais. Deux gros chênes à petites feuilles. Un grand platane. Des érables à petites feuilles. Un cèdre du Liban. Un hôtel 4 étoiles. Frênes, cyprès chauves, pins noirs, cyprès communs, cèdres du Liban.

Une passerelle à droite permet l’accès à l’Île-aux-sports, un terrain aménagé pour différentes pratiques sportives et un plan d’eau artificiel de 3 hectares. Un catalpa isolé, planté devant un petit jardin partagé qui s’agrandit année après année. Un taillis d’érables et un épicéa. Bouleaux, cèdres, pins. Un très haut cyprès roussi par la sécheresse. Catalpas et grand pin noir d’Autriche. Des marronniers, un saule pleureur, un prunus rouge et un thuya mal en point. Un érable negundo, des tilleuls à petites feuilles. Un séquoia toujours vert. Érables, miscanthus. Un févier d’Amérique.

Et, au bout du chemin, la route de Changé. Un arbre de Judée et un alignement de gros platanes recépés. Prendre le pont au-dessus de la rivière, puis tout de suite à droite pour passer sous la route et déboucher à l’arrière de l’abbaye de l’Épau en suivant la rivière sur la gauche. Saules. Frênes, aulnes glutineux, prunier cerise, érables. Le département a racheté l’abbaye cistercienne et a restauré les bâtiments qui pouvaient l’être : l’abbatiale, la salle capitulaire où repose le gisant de Bérengère de Navarre, le scriptorium, le dortoir des moines. Devenu espace culturel, il s’y déroule, entre autres, le final de l’Europa Jazz Festival, les Siestes Tiriaki, le Festival de l’Épau (musique classique) et les conférences « La Voix au chapitre ». Des peupliers noirs, des buissons ardents et des prunelliers. Allée de peupliers, aubépines et aulnes blancs. Un févier couvert de lichens, un orme champêtre. Saule marsault.

Une belle prairie, où mâchonnent quelques vaches beiges robustes indifférentes au tumulte du monde. Nous voilà à l’Arche de la Nature, une aire « naturelle » de 500 hectares de bois, de bocage et de prairie. Le poumon de la ville du Mans, mon second terrain de jeu après le Gué-de-Maulny, tout près de chez moi. Un tremble, des cornouillers et une vaste prairie que longe le chemin planté d’un alignement de jeunes chênes. De l’autre côté du chemin, une haie épineuse bordant la rivière, mûriers, ormes, ronces. Cornouillers sanguins. Érable rouge. Bouleau pleureur. Ormes encore. Un néflier. Un champ de vingt-trois poissons volants réalisés par l’artiste Cédric Doret à partir d’objets en ferraille rouillés, genre robinets, scies et outils divers.

Cyprès chauve, troène, noisetier. Le grand cerf en fil de fer du sculpteur Didier Deret. Un chemin à droite. Une allée bocagère avec merisier, hêtre, nerprun cathartique, noyer noir, cormier, néflier. Un chemin à droite rejoint la Maison de la prairie et son superbe potager (trop jalouse), ses beaux cochons tachetés, ses petites biquettes, ses moutons noirs, ses lapins câlins, ses volailles… et ses alpagas. Dispersés dans les prairies du domaine, vaquent des ânes et de superbes percherons à la croupe charnue. Chêne, aulne cordé, frêne, noyer commun, charme, hêtre. Une poule d’eau surprise par mon apparition soudaine s’éloigne en râlant. Quelques cris échappés du parc d’attractions local me parviennent puis s’estompent. Aubépines, prunelliers, tilleul à feuilles en cœur, érable et saule. Orme, poirier sauvage, noyer, hêtre, noisetier, merisier. L’Huisne et moi nous séparons ici. Sorbier des oiseleurs, cormier, robinier. Encore quelques virages avant d’arriver à une allée toute droite bordée de chaque côté par de grands sapins sombres et, au bout, juste après la pommeraie, le bois. Un salut amical à Bob dit l’âne, une sculpture de Cédric Doret, gardien fidèle de la prairie à biquettes.

Allée de droite en lisière de bois. Une parcelle de forêt mixte accueillant chênes, châtaigniers, fougères aigles, Sceaux-de-Salomon, ronces, hêtres, pins maritimes, pins noirs, genêts, mousses, ajoncs, lichens, lierres, bruyères, bouleaux. Respire ! Marcher, marcher encore et s’enivrer des odeurs forestières. On est tranquilles, les espaces boisés sont peu fréquentés.

Sur quelques dizaines de mètres, un alignement particulièrement beau de conifères bien droits au-dessus d’un talus roux couvert d’aiguilles de pin et parsemé de chatons laineux de châtaigniers et de fougères aigles roussies. La canicule ne leur porte pas bonheur, quelques rameaux desséchés commencent à apparaître. Là, un cône brun-roux. Je le ramasse et le retourne dans tous les sens. Ah tiens, quelle drôle de pomme de pin : de fines languettes à trois pointes sortent d’entre les écailles ! Curieux. Je consulterai mon guide dès mon retour à la maison. Un mélèze. Bouleaux, pins, châtaigniers. Un alisier. Un cerisier acide. Un bouleau pleureur à l’écorce rosée. Une bourdaine. Un autre alisier. Des polypodes. Un tremble.

Route de Changé. Je passe cette fois devant l’abbaye de l’Épau et retrouve le chemin en bordure d’Huisne pour le retour à la maison. Alors, quel est ce conifère mystérieux ? Ça alors ! Un douglas ! C’est donc ça, le douglas ! Depuis le temps que j’en entends parler, de ce douglas. Pour le meilleur et pour le pire. Comme quoi, il se plaît très bien dans une forêt mixte.

Douglas, Pseudotsuga menziesii, sapin de Douglas (mais ce n’est pas un sapin), douglas vert, pin d’Oregon (ce n’est pas non plus un pin) et douglas de Menzies. Originaire de la côte ouest d’Amérique du Nord, ce géant toujours vert peut atteindre 100 mètres de hauteur dans son aire naturelle et vivre entre cinq cents et mille ans. Aussi à l’aise en plaine qu’en montagne jusqu’à 3 000 mètres d’altitude, il a besoin d’un peu d’humidité et de fraîcheur, de sols bien drainés, non compacts. Les tempêtes de neige sont son pire cauchemar : il ne supporte ni les vents violents ni le poids de la neige qui endommage sa ramure.

Il donne un bois rougeâtre dur et lourd de très bonne qualité, utilisé pour la charpenterie, la menuiserie, l’ébénisterie et la décoration. Ses performances mécaniques surpassent celles des autres résineux, et sa durabilité en fait un élément de construction de choix pour les réalisations architecturales comme les ossatures en bois, les charpentes, les bardages, les solives et les planchers. On en fait aussi des parquets et du lamellé-collé. Les jeunes aiguilles du douglas apportent une saveur d’agrumes et de citronnelle aux tisanes, sirops, sauces et sorbets1.

Les plus beaux spécimens sont des géants résidant dans leur terre natale, en Amérique du Nord. Doerner Fir s’élève à 100 mètres de hauteur en Oregon et son âge est estimé à 1 000 ans. Lynn Valley Tree, abattu à Vancouver en 1902, mesurait 126 mètres de haut. À Vancouver, Red Creek Fir, qui n’a plus sa cime, ne mesure plus que 74 mètres de hauteur, mais sa circonférence est de 13 mètres. Il est probablement âgé d’environ 1 000 ans. Le plus grand douglas d’Europe, planté en 1872 à Claveisolles dans le Rhône, s’élève à 57 mètres et mesure 4,50 mètres de circonférence.

Le botaniste écossais David Douglas, qui l’a introduit en Angleterre au début du XIXe siècle, lui a donné son nom. C’est ainsi qu’on entre dans la postérité sans avoir rien inventé, seulement inventorié. Chez les botanistes, on appelle ça l’égo des savanes.

L’arbre fait une entrée remarquée en France une bonne dizaine d’années plus tard. Le douglas pousse vite, très vite, haut, droit, et son bois est de très bonne qualité quand il a atteint un âge vénérable. C’est le top des résineux, le chouchou des industriels. Et ils sont comme ça, les industriels, si un truc leur plaît, ils sont prêts à tout pour l’imposer à tout le monde et pour leur seul profit, quoi qu’il en coûte. Les années 1950 sont marquées par une nouvelle phase d’enrésinement du territoire (après la campagne des Landes), subventionnée par le Fonds forestier national (FFN). C’est le début de la « malforestation » d’après-guerre, destinée à fournir rapidement du bois pour la fabrication de papier et pour la construction. Deux essences sont privilégiées, l’épicéa et le douglas. Le premier représente 8 % du couvert forestier métropolitain actuel, le second 5 %, planté massivement en monoculture dans le Massif central et plus précisément dans le Limousin et le Morvan. La forêt est soumise aux impératifs des industriels, alors que l’inverse devrait prévaloir. Ici aussi, les plantations d’épicéas sont ravagées par les scolytes. Cela devrait nous inciter à repenser l’avenir de nos forêts.

La « diagonale des scieries » et ses ennemis

Le Morvan. « Je ne suis pas si vieille que ça et dans ma vie j’ai déjà vu deux fois cette colline mise à blanc ! C’est énorme ! » Ainsi s’expriment la colère et le désarroi d’une habitante du Morvan dans le documentaire de Franck Cuveillier, Morvan, pour quelques douglas de plus, diffusé à la télévision en 2021. Les forêts spontanées de feuillus sont rasées pour être remplacées par des kilomètres carrés de douglas. « Mais madame, vous n’êtes pas propriétaire, vous n’avez pas votre mot à dire. » Dans le Morvan, les bois sont privés : 85 % des forêts sont réparties entre 19 000 propriétaires dont 8 % sont des investisseurs (banques, assurances ou fonds de pension)2. Le massif a beau être un parc naturel régional, cela ne semble pas le protéger particulièrement du mauvais sort.

Le plus gros problème des forêts françaises tient sans doute à leur gestion inégale et à un manque évident de vision sur le long terme pour assurer l’avenir d’une filière bois pérenne et de haute qualité. Seuls 25 % des espaces boisés français appartiennent au domaine public géré par l’ONF, dont 9 % de forêt domaniale. Les 75 % restants relèvent d’une multitude de propriétaires dont les parcelles, petites, grandes ou très grandes, sont héritées, vendues, louées, échangées, regroupées, divisées, plantées, rasées ou jardinées en futaie irrégulière. Le code forestier impose en principe les mêmes règles d’entretien aux forêts privées qu’aux forêts publiques, mais aucune consigne n’est donnée sur le type de sylviculture à conduire. Vivant souvent loin de leur lopin boisé et peu à même de l’entretenir, beaucoup de propriétaires confient cette mission à des forestiers ou forestières indépendantes ou à des coopératives forestières.

Dans un cas comme dans l’autre, leur rôle est d’établir le diagnostic de la parcelle, de proposer un plan de conduite sylvicole (monoculture, futaie régulière, futaie irrégulière…), le choix des essences, de prévoir et d’organiser les éclaircies – réalisées par un bûcheron à la tronçonneuse ou à l’abatteuse –, le débardage et la vente du bois, ou encore les coupes rases, le dessouchage, le labourage et la plantation lorsqu’il s’agit de sylviculture industrielle intensive.

Le devenir d’une parcelle dépend de qui la gère. Les coopératives forestières peuvent être consciencieuses et adeptes d’une sylviculture centrée sur la production de bois d’œuvre de qualité (donc suffisamment mature), qui respecte la biodiversité et les paysages, encourage la pousse naturelle et spontanée d’essences mixtes, et préserve la qualité des sols et de l’eau, quand d’autres ne visent que des profits pécuniaires immédiats. Monocultures, coupes rases d’arbres trop jeunes, dessouchage et destruction des sols, labourage et plantation uniforme… Tout cela au prix d’un investissement important pour vendre, à l’arrivée, du bois de qualité moyenne, qui ne conviendra bien que pour les palettes, le papier, peut-être le placage, tous les trente ou quarante ans.

En comparaison, dans le cas d’une forêt mixte à régénération spontanée présentant trois ou quatre étages, les dépenses des propriétaires se résument à l’intervention d’un bûcheron pour les éclaircies, la coupe des arbres arrivés à maturité et le débardage. Pour le reste, la nature sait faire, gratuitement, et souvent bien mieux que le bipède à tête creuse. Les revenus sont réguliers, au fil des abattages organisés ponctuellement. Les arbres arrivés à maturité à 70, 100, 200 ans et plus constituent des bois d’œuvre de qualité et, comme tels, davantage rémunérés.

Au début des années 2010, un mégaprojet de sciage de résineux et de production de bois-énergie doit voir le jour à Sardy-lès-Épiry dans le Morvan pour alimenter une centrale électrique. Le projet Erscia est porté par un industriel, Roland Jost, et par Pascal Jacob, président du Medef Bourgogne et du groupement d’intérêt économique Xylopolis, qui « fédère des sociétés de la finance et des métiers du bois » et qui « est proche du groupe belge IBV (Industrie du Bois Vielsam)3 ». La journaliste Nolwenn Weiler raconte : « La création de 120 emplois directs est annoncée. Les ateliers débiteront près d’un million de mètres cubes de bois par an tout en produisant de l’électricité par cogénération. Bref, création d’emplois se conjuguerait avec transition écologique et réindustrialisation. Approuvé par la quasi-totalité des élus locaux, le projet Erscia est vivement critiqué par une partie de la population. Ses détracteurs mettent en avant les risques de déforestation, de pollutions atmosphériques liées à la cogénération, la destruction des industries locales déjà installées, le trafic de camions, et la perte de ressources touristiques, importantes dans le Morvan. Et les 250 000 tonnes de granulés de bois produits alimenteront une usine d’électricité d’Electrabel en… Belgique. Le projet dessine aussi une nouvelle manière d’exploiter les forêts, qui pourrait bien se révéler davantage destructrice d’emplois et de ressources4. » La population ne s’en laisse pas conter et dépose un recours auprès du tribunal administratif de Dijon. En 2015, le projet est rejeté pour « des lacunes et des insuffisances rédhibitoires ».

Dans l’esprit de ses promoteurs, ce projet s’inscrit dans un grand plan de réorganisation de la « diagonale des scieries » (en référence à la « diagonale du vide »), qui va des Vosges aux Landes en passant par le Massif central. L’idée est d’implanter sur cet axe une poignée de mégacomplexes industriels de sciage conçus pour dévorer des milliers de tonnes de bois standardisé acheminé par camions5. Le genre de mégaplan à la noix qui ne fait rêver aucune personne un tant soit peu sensée. Forestiers et forestières, environnementalistes, habitants et habitantes s’y sont résolument opposés, préférant le redéploiement des petites et moyennes unités locales adaptées à la diversité des essences et des modes de traitement du bois. Tout comme ils et elles sont opposés aux monocultures de douglas, lesquelles occupent maintenant plus de 50 % du couvert forestier du Morvan.

Un troisième résineux s’est imposé dans la région, le sapin de Noël (le sapin de Nordmann). Chaque année, sur les 5 millions de sapins vendus en France (dont un million importé de l’étranger), un million est morvandiau.

Se réapproprier la forêt

Pour freiner la voracité des industriels et leurs pratiques délétères, les habitants et habitantes ont décidé de retourner contre eux leur arme principale : la propriété privée. En 2003, le Groupement forestier pour la sauvegarde des feuillus du Morvan a lancé une campagne d’achat de forêts pour les sauver de l’enrésinement et y perpétuer une sylviculture mixte à plusieurs étages. L’association, riche de 4 500 adhérents et adhérentes, a racheté 350 hectares de parcelles. Elle précise : « L’achat de parts du Groupement ne doit pas être considéré comme un placement financier. Le Groupement ne garantissant aucun rendement ni aucune plus-value, mais simplement le plaisir de participer à une action citoyenne pour la forêt6. »

Autre mode d’action des Morvandiaux et Morvandelles, symbolique cette fois : planter des feuillus sur une parcelle de résineux fraîchement rasée, comme ce fut fait dans le cadre de l’Appel pour des forêts vivantes, une mobilisation d’associations et de collectifs qui défendent un modèle forestier pérenne sur le long terme7.

Le rachat de parcelles forestières privées par des associations écologistes est une forme d’action qui fait son chemin en France. Puisque le domaine public n’a pas la main sur l’ensemble du couvert forestier, puisque l’État s’en désintéresse et puisque la forêt – ainsi que l’ensemble de son écosystème biologique – est en souffrance, des collectifs tentent d’y remédier avec les outils disponibles.

Si la propriété privée paraît contradictoire avec l’objectif de redonner à la forêt sa dimension de bien commun, c’est l’expédient qu’a choisi, à défaut de solution plus satisfaisante, l’Association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS). Son objectif, radical, est de créer des poches de forêt où les activités humaines sont proscrites afin de relancer un processus de vie sauvage dit « en libre évolution ». L’accès de ces réserves est ouvert à condition de n’y faire aucun prélèvement. Promenade, écoute, contemplation, respiration…8 Baptiste Morizot explique cette approche en ces termes : « C’est [la propriété privée] que ces initiatives vont saisir et détourner en toute légalité : si elle permet d’exploiter, pourquoi ne permettrait-elle pas de protéger ? […] Le concept est paradoxal : détourner à plusieurs, dans une mobilisation citoyenne par le don, le droit exclusif de la propriété privée, non pas pour une jouissance personnelle, mais pour une radicale restitution aux autres formes de vie. […] Ce n’est donc pas une initiative pour la nature au détriment des humains, ni une action au bénéfice de la nature en tant qu’elle est utile aux humains : c’est une manière d’agir pour le bien de la communauté inséparable des vivants, dont les humains sont membres9. »

D’autres stratégies coexistent. Quand ces collectifs s’attachent à se réapproprier des fragments de territoires de quelques centaines d’hectares seulement, d’autres ambitionnent de préserver un territoire écologique bien plus étendu. C’est le cas de l’Association Francis Hallé pour la forêt primaire, qui « agit pour la création d’un vaste espace de dimension européenne et de grande superficie – environ 70 000 hectares – dans lequel une forêt intacte évoluera de façon autonome, renouvelant et développant sa faune et sa flore sans aucune intervention humaine, et cela sur une période de plusieurs siècles. Cette zone, restant à localiser, sera transfrontalière, avec une base française10 ». Pour y parvenir, l’association entend convaincre les pouvoirs publics et les propriétaires de répondre à son appel en mettant en place un groupement d’intérêt public en charge de structurer le projet et de le mener à son terme. L’idée n’est pas d’interdire toute activité humaine sur l’ensemble de ce territoire (sept fois Paris), même si quelques poches sanctuarisées peuvent coexister, mais plutôt d’expérimenter un modèle de développement économique et culturel associant la forêt (avec l’ensemble de son écosystème), la valorisation du bois et la population dans une relation forte et respectueuse du vivant.

Si on laisse faire les industriels, le Morvan pourrait connaître un nouveau saccage de son massif forestier. À partir du XVIe siècle, il a été très sollicité pour approvisionner Paris en combustible et en bois de chauffage. La vie du massif s’articule alors autour des activités liées à l’exploitation du bois et son acheminement par voie d’eau, le flottage. Une fois coupé, le bois est débardé par charrette aux différents ports fluviaux situés sur l’Yonne et la Cure. Marchands et propriétaires y négocient le prix du bois pendant que, « sur les ports, le bois se repose, il finit de souffrir, il attend, il meurt doucement avant d’aller dans l’eau11 ». Il faut attendre le milieu de l’automne, que le niveau de l’eau remonte suffisamment, pour pouvoir véhiculer les « trains d’eau » conduits par les « flotteurs », des hommes équipés de longs bâtons terminés par un crochet. Pendant ce temps, le bois est martelé à l’insigne du nouveau propriétaire. Le trajet sur l’eau peut durer un mois. Arrivé dans les ports d’aval, le bois est trié par essence, catégorie et propriétaire.

Au XIXe siècle, l’exploitation du massif s’interrompt avec l’arrivée du charbon minéral. La forêt est déjà largement amputée quand l’agriculture occupe les espaces défrichés. L’exode rural est l’occasion pour la forêt de renaître, des taillis sous futaie de chênes et de hêtres, de charmes et de châtaigniers12. Le paysage est politique.

1. Cuisine sauvage.org.

2. Stéphanie BONNET, « Le massif forestier du Morvan : entre exploitation et développement touristique », The Forest Time, 1er juin 2018.

3. Géraldine PHULPIN, « Le financeur du projet de scierie Erscia placé en détention provisoire », Le Journal du Centre, 11 mai 2017.

4. Nolwenn WEILER, « La forêt en péril d’industrialisation », Reporterre, 23 mars 2015.

5. Maurice CHALAYER, « Création de scieries géantes ou développement de l’existant ? », La Forêt privée, no 336, mars-avril 2014.

6. Groupement forestier pour la sauvegarde des feuillus du Morvan.

7. Gaspard D’ALLENS, « Partout en France, des citoyens se liguent pour que vivent les forêts », Reporterre, 16 octobre 2021.

8. Réserve de vie sauvage®.

9. Baptiste MORIZOT, Raviver les braises du vivant, Actes Sud, Arles, 2020. Voir aussi Lionel MAUREL, « La propriété privée au secours des forêts ? », Terrestres, 26 juin 2020.

10. Association Francis Hallé pour la forêt primaire.

12. Stéphanie BONNET, « Le massif forestier du Morvan : entre exploitation et développement touristique », art. cit.

La cité côté jardin

Oh là là, ça brûle au Brésil ! Oups, ça brûle en RDC ! Oh, mais ça brûle aux États-Unis ! Ouille ouille ouille, ça brûle en Russie ! Aïe, au Canada aussi, ça brûle ! Oui, en Indonésie, ça brûle aussi beaucoup ! Et en Chine aussi, ça brûle ! Même en Suède, ça brûle ! Et au Laos ! Et en Bolivie ! Ça brûle en Birmanie ! Ça brûle en Angola ! Ça brûle au Mozambique ! Ça brûle en Malaisie ! En Finlande ! En Colombie ! Au Paraguay ! À Madagascar ! Ça brûle en Allemagne ! En Zambie ! Au Pérou ! En Inde ! Au Liberia ! Ça brûle en Australie ! Ça brûle en Thaïlande ! Ça brûle au Vietnam ! En Côte d’Ivoire ! En Argentine ! Au Cameroun ! En Guinée ! En Tanzanie ! Au Mexique ! Au Cambodge ! En Sierra Leone ! En France ! Ça brûle au Ghana ! Ça brûle au Nigeria ! Ça brûle en Turquie ! Ça brûle en Pologne ! Au Nicaragua ! En Papouasie-Nouvelle-Guinée ! En Espagne ! En Nouvelle-Zélande ! Au Chili ! Ça brûle en Norvège ! Ça brûle en Biélorussie ! Ça brûle en Centrafrique ! Ça brûle au Honduras ! Ça brûle au Venezuela ! Ça brûle en République tchèque ! Ça brûle au Congo ! Ça brûle ! Ça brûle ! Ça brûle !

Partout ça brûle. La forêt. Partout. Partout, la forêt brûle.

Les cités médiévales étaient construites de telle sorte que les habitations étaient tenues à l’écart des incendies de forêt par une succession de ceintures pare-feu : d’abord les potagers, ensuite les cultures, puis les prairies. Sans vraiment savoir où cet exercice me mènerait, j’esquissai la représentation d’une ville moyenne actuelle structurée sur ce modèle. Protéger les habitations de la propagation des feux de forêt, c’est bien, protéger la forêt des feux, c’est mieux. Un premier dessin m’aiderait probablement à y voir plus clair.

Crayon en main, je traçai sur le papier, en cercles concentriques réguliers, la ville, ses pare-feux, la forêt en exploitation et la forêt laissée en libre évolution. Soudain, l’évidence m’apparut dans toute son ironie : ce que tu dessines, ma fille, c’est l’ordre ! L’ordre ? Comment ça, l’ordre ! La police, les matraques, les régimes totalitaires ? Certes, les pare-feux sont bien ordonnés et calibrés, c’est un peu l’objet de ce schéma, non ? Montrer comment protéger les zones d’habitation des feux de forêt. Sauf que, dans la cité proprement dite, les bâtiments, les maisons, les potagers, les places, les parcs, tout ça est dans un désordre absolu ! Je regardai ma feuille de papier, dubitative, main et crayon en suspens, indécise. La main reposa le crayon.

Le chiendent, c’est une vraie chienlit. Surtout quand on le laisse pousser à sa guise, marcotter de-ci de-là, envahir plates-bandes et potager. Je donnais des coups de binette énergiques pour arracher la bande d’herbes indésirables autour de mes carrés potagers bien délimités. Dans ma tête, c’était le chaos : ordre, désordre, ordre, désordre… C’est quoi l’ordre, c’est quoi le désordre ? Quel rapport avec la forêt, les méga-feux, la cité et ses pare-feux ? Vraiment, ces herbes sont difficiles à arracher, le sol est tellement sec ! Depuis le temps que je me dis qu’il faut que je sème du trèfle dans les allées ! C’est bien joli de faire la maligne sur Visionscarto1, mais, pendant ce temps, dans le jardin, c’est une vraie pagaille ! Oh, le beau pissenlit ! Si l’ordre, c’est un régime totalitaire, le désordre, c’est l’anarchie ? Mais non, voyons, ça, c’est ce que les libéraux veulent faire croire pour décrédibiliser la démocratie directe. La vraie démocratie en quelque sorte. Ouais. Bon, alors, est-il possible d’associer symboliquement le paysage d’une ville inscrite dans son environnement à un système politique ? Dit autrement, peut-on imaginer la physionomie d’une ville matérialisant le système politique qui la gouverne et son rapport à la forêt ou à la nature ?

Sept cartes devraient suffire ! On peut en concevoir bien d’autres, très différentes, c’est assez subjectif comme approche. Une liste non exhaustive de mots-clés, moins subjectifs ceux-là, donne des indications plus précises sur les régimes décrits. Chaque tableau peut inspirer un récit sommaire.

De l’anarchisme à l’ultralibéralisme

Animé hors système monétaire, le temps des cités anarchistes ou des cités communardes n’est pas de l’argent mais du partage, de l’entraide, de l’échange, des idées, du débat. Du bon temps. Et du temps, on en a. Tout un chacun est responsable du bien-être de la communauté dans son ensemble, et chaque personne se voit garantir l’accès à un logement digne, à l’eau, à l’alimentation, à l’électricité, au chauffage, aux télécommunications, à la santé, à la culture, à l’éducation, à la formation.

Ici, les enfants jouent en toute sécurité dans les rues, sans courir le risque d’être renversés par un SUV roulant à vive allure, puisque les véhicules motorisés n’y sont autorisés qu’exceptionnellement. Et c’est le cœur joyeux que les bambins vont à l’école à pied, à vélo ou en véhicule hippomobile collectif, impatients de retrouver leurs camarades, d’apprendre de nouvelles choses, d’expérimenter, de découvrir des merveilles dans une atmosphère bienveillante.

La nature, dont nous sommes, est considérée comme une amie précieuse, une alliée. Si certaines activités utilisent des animaux, ceux-ci sont bichonnés, ainsi tout le monde s’y retrouve. Dans tous les domaines, on veille à préserver l’environnement, y compris dans celui des activités agroécologiques, qui se passent parfaitement d’intrants pétrochimiques.

Soleil et vent fournissent l’électricité, et la géothermie le chauffage. Dans ces cités à taille humaine, chaque individu, sans distinction, est respecté et pris en considération. Côté prise de décisions, conformément au principe de la démocratie directe, c’est l’ensemble de la population qui débat et définit les lois. En cas de conflit, une personne, désignée chaque année pour un mandat unique, conduit une médiation entre les parties. Pas vraiment le désordre.

Les ennuis arrivent quand des cités fédérées adoptent la démocratie représentative et, avec elle, un système hiérarchique qui soumet la population à l’autorité de quelques-uns et quelques-unes. Nous y voilà : l’autorité. L’autorité, le pouvoir et la propriété privée, trois principes susceptibles de pervertir les caractères influençables. Et c’est ce qui arrive dans la cité sociale-démocrate qui se compromet avec le capitalisme. Le commencement de la fin.

Pressée par les capitalistes, l’Autorité publique se fait de plus en plus contraignante en imposant à ses citoyens et citoyennes de grands projets inutiles sans leur consentement. Plus le système se libéralise, plus les pouvoirs sont brutaux et coercitifs avec les individus, les animaux, l’environnement, l’air, l’eau, les sols… et répondent de moins en moins aux aspirations du plus grand nombre.

Les biens communs sont capturés, les droits fondamentaux bafoués. Il faut se plier aux desiderata des oligarques, qui mènent la danse, et s’endetter à vie. On accumule à n’en plus finir des produits-déchets aux dépens de la planète entière. Humains et environnement sont déconsidérés, malmenés, traités avec la même violence, la même condescendance et le même mépris.

Qu’en est-il des espaces boisés ?

Les terres des cités anarchistes sont communautaires, et un droit d’usage est reconnu à celles et ceux qui en travaillent une parcelle. Dans les haies implantées le long des chemins, des cours d’eau et des champs, les arbres sont recépés pour fournir du bois à la communauté tout en préservant l’écosystème en place et ses dynamiques.

La forêt est exploitée dans les limites du strict nécessaire de la population locale : pas de coupe rase, seulement des éclaircies planifiées chaque année. On dénombre, parmi ces forêts mixtes à couvert continu de taillis et de futaies, au moins 190 espèces différentes. Elles offrent du bois d’œuvre pour tout un éventail d’activités artisanales : construction, mobilier, lutherie, agencement, boissellerie, vannerie, etc. Les papiers-cartons sont, eux, fabriqués en fibres de coton (principalement des chiffons recyclés), de lin et de chanvre. Sous la canopée, on récolte des plantes médicinales, des champignons, des fruits sauvages ; et le bétail, en nombre limité, y trouve une partie de sa nourriture. L’entretien des sous-bois, assuré par les chèvres, contient la propagation du feu en cas d’incendie. Une éclaircie laissée par une coupe d’arbres est sitôt semée de graines potagères, de plantes médicinales ou tinctoriales, profitant pleinement du soleil le temps qu’un cormier ou un merisier y prenne son essor. On ne chasse pas.

Au-delà, la forêt, laissée en libre évolution, se gère toute seule comme une grande, ainsi qu’elle le fait depuis des millions d’années. La « régulation » des espèces, c’est son affaire. Les incendies sont exceptionnels et minimes.

Du côté des cités communardes, le rapport aux espaces naturels est sensiblement le même que chez les anarchistes. Seule différence notable, la mutualisation des moyens matériels entre les différentes communes. Les travaux forestiers sont décidés, préparés et effectués en commun. Ici, pas de zone sanctuarisée, l’exploitation raisonnable de la forêt est ouverte à tous les massifs.

Dans les cités fédérées, finie la démocratie directe, finie l’organisation sociale sans hiérarchie. Un système monétaire et la propriété privée s’immiscent dans les affaires des cités. Terres et forêts restent globalement dans le giron du domaine public, mais, sous la pression de la demande, des parcelles sont vendues. Les productions agricoles sont encadrées afin d’assurer l’approvisionnement des populations en quantité, en qualité et en diversité. Leurs prix sont réglementés pour empêcher la spéculation et limiter les fluctuations dues aux aléas extérieurs (intempéries, ravageurs, épidémies). En cas de gros pépin, des indemnités compensatrices sont versées. En forêt, les éclaircies sont programmées chaque année et subviennent aux besoins des familles et des espaces publics. Là aussi, les tarifs sont réglementés. Le bois issu des forêts privées est vendu au plus offrant. La chasse est autorisée et le bétail, de plus en plus important, n’y est plus le bienvenu.

La cité sociale-démocrate pactise avec le capitalisme et son principe d’accumulation. Toutes les conditions (hiérarchie, pouvoir, appropriation) sont réunies pour faire naître une société promise aux dérives en tout genre : domination, abus de pouvoir, inégalités. On ne parle plus de communauté, tant les populations sont fractionnées entre corporations. C’est la fin de la paysannerie, et chaque famille rurale est spécialisée dans une activité agricole précise : élevage bovin, ovin, caprin, porcin, avicole ou piscicole ; céréaliculture ; viticulture ; arboriculture fruitière ; maraîchage. Le pouvoir central peut envisager la planification des productions ou laisser libre cours aux aspirations des entreprises agricoles qui visent les marchés internationaux. L’administration des forêts est confiée au département de l’Agriculture, partisan fidèle du modèle agro-industriel. Les activités agricoles (cultures, élevage) n’ont plus droit de cité dans les espaces boisés. Plus exactement dans les espaces plantés, car les campagnes de plantations monospécifiques vont bon train pour débiter des marchandises industrielles. Les arbres à pousse lente tendent à disparaître des paysages et, avec eux, de nombreuses espèces animales et végétales.

L’économie de marché fait loi. Dans la cité libérale, la concurrence remplace la solidarité, l’individualisme divise les organisations sociales, on privatise à tour de bras. La forêt, comme la nature dans son ensemble, est considérée comme un gisement de ressources commercialisables et, en tant que telles, vouées à engendrer des profits. Les plantations homogènes remplacent peu à peu les forêts mixtes avec pour objectif l’uniformisation des utilisations du bois. Telle essence, pour telle industrie (plus ou moins utile à la société), dans telle région, avec tel ou tel type de gros et coûteux matériel. Ce que l’on ne transforme plus, on l’exporte. Ce qu’on ne fabrique plus, on l’importe. Les grumes partent à l’étranger, les parquets et les meubles arrivent de régions lointaines. Une vingtaine de variétés d’espèces peuplent les massifs boisés désormais vulnérables aux agressions (incendies, tempêtes, sécheresses, nuisibles). Les écosystèmes s’appauvrissent inexorablement.

La cité néolibérale n’est qu’une démocratie de façade, caractérisée par l’égoïsme et le mensonge. La classe laborieuse se tient bien sage, terrorisée à l’idée de rejoindre, au moindre faux pas, la classe indigente éreintée par les maltraitances incessantes que les autorités lui infligent. Les organisations sociales, environnementales et humanitaires, attaquées de toutes parts, sont impuissantes à réagir. Le pouvoir est aux mains de grandes entreprises toxiques pour la planète : au droit d’usage s’est substitué le droit d’usure. Les principaux massifs forestiers sont privés, livrés à une gestion court-termiste des ressources : plantations monospécifiques de résineux à pousse rapide, coupes rases d’arbres trop jeunes pour fournir du bois d’œuvre de qualité, labourage des parcelles et utilisation d’intrants pétrochimiques, destruction des litières et des écosystèmes, compaction et imperméabilisation des sols, disparition des espèces animales et végétales, dégradation des paysages, disparition des structures sociales, des savoir-faire et de l’artisanat. Le bois, s’il n’est pas débité en bois-énergie, est transformé en cagettes à usage unique, en palettes et en cartons d’emballage, véhicules d’une société de surconsommation globalisée poussée à son extrême. Quelques forêts mixtes privées subsistent pour permettre aux possédants d’organiser des parties de chasse barbares. On ne rencontre plus qu’une petite dizaine d’espèces différentes dans les massifs forestiers, et l’extinction de la faune et de la flore sauvages empire de jour en jour. Chaque année, des plantations monospécifiques sont anéanties par des incendies, des tempêtes, des sécheresses ou des invasions de nuisibles.

Dans la cité néolibérale totale, la forêt se meurt. Les méga-feux dévorent tout sur leur passage, les ouragans font rage, aux inondations succèdent des sécheresses de plus en plus sévères.

 

Je sais ce qu’est le chaos et quelle en est l’origine.

Je sais aussi que c’est Nature qui aura le dernier mot !

1. Visionscarto est un excellent site Internet auquel participe l’autrice : https://visionscarto.net/ (NdÉ).

La balade des botanistes

Le sentier étroit monte en lacets à travers une lande de faux-genêts et de spartiers faux-joncs. Ne pas s’inquiéter de ne pas savoir faire la distinction entre les deux espèces, c’est la même chose. On grimpe toujours. Le chemin croise le lit caillouteux d’un ruisseau clair où frétillent deux petits poissons d’argent. On imagine bien la fraîcheur de l’eau. La voir et entendre son clapotis suffisent à nous revigorer. Ça tombe bien, parce que la pente est assez raide. On passe le serpent d’eau en deux ou trois enjambées sautillantes. Hop. Bientôt, un massif de daphnés faux-oliviers apparaît. Ici, le sentier se divise, il faut prendre celui bordé de chaque côté de chênes à feuilles d’olivier et d’oliviers de Bohême (lesquels ne sont pas des oliviers). C’est le point culminant, on l’appelle le mont des Faux-Oliviers. Par temps clair, la vue sur la vallée est magnifique. Par temps couvert aussi, pour peu que le soleil couchant rosisse l’épaisse couche cotonneuse de cumulus humilis.

Mais ne nous attardons pas trop, il faut repartir, et la descente est quelque peu abrupte. En plus, le chemin est pierreux, attention de ne pas faire de faux pas. Un groupe de faux-pistachiers sans prétention nous indique la bonne direction. Visible de loin, un grand faux-poivrier nous aide à nous repérer. Il y a juste à passer une courbe ample, et nous revoilà face à notre ruisseau clair bordé de saules-amandiers et de poiriers faux-amandiers. On descend en lacets, encore et encore. Les pentes sont couvertes d’une rocaille de coronilles faux-baguenaudiers et de coronilles à tiges de jonc (qu’il ne faut pas confondre avec les spartiers faux-joncs déjà vus).

La pente devient plus douce. En cas de petite faim et si votre appétence pour le régime végétarien a ses limites, l’arbre à saucisses (ou saucissonnier) que vous rencontrez au détour d’un lacet abrité des vents du Nord pourrait vous donner de faux espoirs. Prendre à gauche, le sentier vire en épingle à cheveux, et admirer les cytises faux-ébéniers, les anthyllis faux-cytises et les cytises à feuilles de lin que l’on pourrait penser être des faux-baguenaudiers, alors que non. Le chemin remonte à travers une garrigue rocheuse où s’agrippent des poiriers des rochers et des lauriers-roses des Alpes qui ne sont ni des lauriers ni des lauriers-roses (même s’ils y sont lointainement apparentés), mais des rhododendrons. On monte un raidillon flanqué de cistes et de viornes. D’abord un massif de cistes à feuilles de lin séparé d’un massif de cistes à feuilles de peuplier par une viorne à feuilles d’érable. Prendre le petit passage entre le pileostegia à feuilles de viorne et la viorne à feuilles de prunier. Dès qu’on arrive au niveau des cistes à feuilles de sauge, s’engager dans le sentier qui descend au milieu d’un tapis d’hélianthèmes faux-alyssons.

Nos pas parcourent une grande courbe sillonnant sous le coteau rocheux. Ici des poiriers à feuilles de sauge, là des sauges à feuilles de lavande parmi lesquelles poussent des spirées à feuilles de saule et des spirées à feuilles de millepertuis. D’ailleurs, un peu plus bas, la prairie est couverte de millepertuis à odeur de bouc. La pente s’adoucit et on entrevoit, derrière un alisier faux-néflier, les étangs ombragés par des plaqueminiers faux-lotiers et, à quelques centaines de mètres, des faux-vernis du Japon. Nous avons atteint la vallée : saules-lauriers et robiniers faux-acacias y prospèrent, tout comme les faux-indigos, dont les feuilles rappellent un peu celles du robinier faux-acacia. On aurait pu l’appeler le faux-indigo à feuilles de robinier faux-acacia.

Nous voilà sur la berge d’une belle rivière qu’il faut traverser en empruntant un petit pont de bois. Courage, ce n’est plus très loin. Une touffe de chênes-bambous s’étire le long de la rive à notre droite. À gauche, l’espace verdoyant entre la rivière et le sentier se révèle être une acéraie plantée d’érables à feuilles de chêne, d’érables à feuilles de frêne et d’érables à feuilles d’obier. Sur la rive opposée, un alignement de peupliers à feuilles d’érable. Mais continuons sur le chemin qui se faufile entre des mûriers à feuilles de platane et des platanes à feuilles d’érable. Il nous mène dans une chênaie composée de chênes à feuilles d’érable, de chênes à feuilles de saule et de chênes à feuilles de châtaignier. Au bout de la futaie jardinée, une clairière de faux-chênes-lièges nous accueille pour une ultime pause.

C’est la dernière ligne droite, tout en courbes légères. Si on remarque le séquoia à feuilles d’if, c’est qu’on est tout près du but. De toute façon, même si on ne sait pas reconnaître cette essence de résineux, c’est un tel géant qu’on ne peut pas le manquer. Un gaulis d’ormes à feuilles de charme succède à un perchis de charmes-houblons. À l’extrémité du chemin, un faux-bouleau. Sachant que l’on fabrique du papier avec le bouleau, fait-on des faux papiers avec les faux-bouleaux ? Voilà, on arrive enfin devant chez Francis Hallé qui nous invite à prendre un thé accompagné de macarons (pralinés). Dans le cas contraire, on est perdus. Pour de vrai.

Le papier et le carton

De l’ancienne Chine aux nouvelles usines

En Chine, le papier composé de fibres de bambou, de mûrier et de plantes annuelles (chanvre et lin) remonte au IIIe siècle avant notre ère. Son usage n’est alors pas réservé à la seule écriture mais entre dans la confection d’objets, de chapeaux et de vêtements. Fabienne Pavia et Olivier Placet nous en donnent le détail dans le bel ouvrage Papier(s). Le Japon l’adopte au VIIe siècle. À Samarcande, en 751, les Arabes sortent victorieux d’une bataille engagée contre des Chinois et font des milliers de prisonniers. Parmi eux, des artisans papetiers transmettent à leurs nouveaux maîtres la méthode d’obtention des feuilles de papier plus maniables que le papyrus utilisé jusque-là. Ni bambou ni mûrier mais des fibres de roseau, de lin et des chiffons.

L’expansion arabe (et le retour des croisés au bercail) est allée de pair avec celle du papier : Bagdad en 793, Le Caire en 900, l’Espagne en 1056, la Sicile en 1102, Fabiano – qui a donné son nom à la célèbre marque de papier d’art italienne – en 1276 et, quelques dizaines d’années plus tard, la France. En Europe, pendant des siècles, la matière première de la pâte à papier n’était pas la fibre végétale brute, mais des tissus usagés, les « chiffes », collectées par les chiffonniers – un très bel exemple de mise en valeur des déchets.

Avec l’invention de la typographie et de l’imprimerie, l’industrie papetière connaît son premier grand essor. Le papier est produit dans des moulins à papier, des moulins à eau (fonctionnant avec des roues à aubes) spécialement conçus à cet effet. L’énergie hydraulique actionne les maillets broyeurs de fibres mises à détremper dans un pourrissoir. Mais la ressource en chiffe commence à se faire rare ; les linges contaminés au cours d’épidémies sont détruits par mesure d’hygiène, et le coton remplace le lin dans l’habillement.

En Hollande, faute de moulins assez puissants pour pilonner les chiffes, celles-ci sont broyées dans un cylindre muni de lames. En France, un certain Louis Nicolas Robert invente la machine à produire du papier en continu, afin de se dispenser d’une main-d’œuvre trop revendicatrice à son goût. Sa machine est composée d’une cuve remplie de pâte à papier chiffon et d’un tapis en toile sans fin actionné par une manivelle. Le procédé est repris par les frères Fourdrinier et amélioré.

En 1840, un tisserand allemand, Friedrich Gottlob Keller, invente la pâte mécanique obtenue à partir de bois défibré à la meule. Les pâtes chimiques sont mises au point vers 1850. Dans un cas comme dans l’autre, le principe de base consiste à séparer la cellulose du bois des autres composants que sont la lignine et les hémicelluloses.

Tandis que le papier artisanal décline, une industrie, dite lourde car elle nécessite de gros moyens, se met en place pour produire du papier non plus en feuilles mais en bobines. D’énormes bobines dans d’énormes usines. Au début du XXe siècle, la plus grosse machine, construite en Angleterre, déroule 165 mètres de papier journal à la minute. En 2000, la vitesse atteint 1 800 mètres à la minute1. Ce qui me frappe, lorsque je regarde des photographies de papeteries modernes, c’est l’énormité des machines (combien de tonnes de matières premières ?) et l’absence de personnels. Louis Nicolas Robert a, semble-t-il, gagné son pari.

Les pâtes à papier

De nos jours, pâtes mécaniques et pâtes chimiques continuent de circuler entre les rouleaux. On les appelle « pâtes vierges », par opposition aux pâtes qui résultent du recyclage de papiers et de cartons récupérés après usage. À partir de ces deux composantes, toutes les combinaisons sont possibles, du 100 % bois au 100 % papier recyclé. 10-90, 20-80, 30-70, 40-60, 50-50, etc. Les pâtes sont transformées en balles puis en papier sur le même site ou conditionnées pour être transportées ailleurs ou exportées. Ce sont les pâtes marchandes.

Les pâtes mécaniques ont le meilleur rendement – on obtient au moins 900 grammes de pâte avec 1 kilogramme de bois –, mais elles nécessitent une forte dépense énergétique. Les papiers sont de qualité moyenne, peu résistants, et ils jaunissent avec le temps. On en fait du papier journal, du papier bouffant pour l’édition, et certains papiers d’hygiène.

Parmi les pâtes mécaniques, la pâte de meule est obtenue à partir de rondins râpés au défibreur, une très grosse meule maintenue humide qui va broyer les fibres et les séparer les unes des autres. Celles-ci sont ensuite plongées dans plusieurs bains successifs afin de les nettoyer et d’obtenir une pâte homogène composée d’un mélange de fibres longues et de fibres courtes, liées entre elles par la lignine. Cette première pâte peut être améliorée par pression et action de la température : c’est la pâte de meule sous pression. Pour la pâte de raffineur, on remplace les rondins par des copeaux. Le procédé de la pâte thermomécanique accroît la quantité de fibres longues grâce à l’étuvage des copeaux à une température supérieure à 100 °C. Les pâtes chimicothermomécaniques, quant à elles, mobilisent l’action chimique de la soude et du bisulfite de soude afin de faciliter le défibrage. À noter que les pâtes mécaniques sont blanchies avec des réactifs non chlorés, peroxydes ou hydrosulfite de sodium.

L’appellation « pâtes chimiques » regroupe des produits obtenus soit par procédé acide (bisulfite), soit par procédé alcalin (sulfate ou soude). Dans un cas comme dans l’autre, 1 kilogramme de bois donne 400 ou 500 grammes de pâte à papier. Il s’agit de cuire les copeaux de bois et de dissoudre la lignine (cause du jaunissement du papier), les gommes et les résines dans un lessiveur sous pression contenant des agents chimiques à une température de 130 °C à 180 °C. Les fibres de cellulose séparées et assouplies sont lavées, rincées, épurées. Les pâtes chimiques non blanchies sont dites écrues.

En suivant la méthode acide, la cuisson dure cinq heures pour l’obtention d’une pâte blanche assez peu résistante. Elle entre dans la fabrication de papier d’hygiène (papier toilette, essuie-tout, mouchoirs) ou d’ouate de cellulose pour les couches et les protections féminines.

Dans le cas du procédé alcalin, la cuisson dure deux heures et aboutit à une pâte résistante mais difficile à blanchir. On en fait des papiers graphiques si la pâte est blanchie, et du papier d’emballage sinon. C’est la méthode Kraft, qui a donné son nom au fameux papier. Une pâte chimique est blanchie en mélangeant la pâte avec un réactif qui peut être du chlore gazeux, de l’hypochlorite de soude (l’eau de Javel), du dioxyde de chlore, du peroxyde d’hydrogène (l’eau oxygénée), de l’oxygène et de l’ozone. C’est l’étape la plus polluante du procédé. Les effluents chlorés doivent être traités en station d’épuration2. On trouve aussi des pâtes mi-chimiques qui combinent action mécanique et action chimique.

Les balles de pâte sont ensuite préparées pour la suite du processus. La pâte est diluée dans de l’eau, battue, puis additionnée de charges minérales (kaolin, carbonate de calcium, marbre, dioxyde de titane, talc) et de colles (alun, colophane). Ces traitements ont pour but de renforcer la résistance du papier, son élasticité, son imprimabilité (notamment pour empêcher que l’encre ne bave sur la page). C’est à cette étape que l’on ajoute éventuellement de la pâte de papier recyclé, des colorants ou des éléments végétaux pour donner un « effet matière » à la feuille.

La pâte ainsi préparée va cheminer sur des dizaines de mètres. Elle passe d’abord entre deux rouleaux recouverts de feutre absorbant calés pour régler le débit, puis sur un tamis roulant (table de formation) donnant forme à la feuille, et un premier égouttage est effectué grâce à des racles. La feuille poursuit sa route entre une série de rouleaux pour le pressage, une autre encore pour le séchage et une dernière pour le calandrage (des papiers couchés ou surfacés). En sortie de chaîne, le papier est roulé en bobines ou découpé en format. Une bobine destinée à l’impression de journaux sur rotative peut contenir 20 kilomètres de papier de 40 gr/m² ou 50 gr/m².

La présence de lignine ou de certains adjuvants comme la colle rend les papiers acides et moins résistants aux assauts du temps. En vieillissant, ils jaunissent et finissent par se désagréger, un inconvénient que ne connaissent pas les papiers à base de chanvre, de lin ou de coton. Le papier aquarelle sur lequel je peins est un papier sans acide 100 % coton. Des documents anciens fabriqués avant l’usage de pâte à papier bois sont en parfait état de conservation quand d’autres, plus récents, ne sont plus consultables. Les bibliothèques et les établissements d’archives doivent procéder à des opérations de désacidification et de restauration pour les sauver. Une norme a donc été établie il y a une trentaine d’années pour fabriquer des papiers « permanents » sans acide3.

Les résineux représentent 75 % des essences utilisées pour fabriquer de la pâte à papier : pins, épicéas et sapins. Leurs fibres de cellulose sont longues, propices à conférer de bonnes qualités mécaniques au papier. Les feuillus, aux fibres courtes, lui apportent, eux, opacité et imprimabilité : charmes, châtaigniers, hêtres, trembles, bouleaux, eucalyptus. Il est précisé dans les statistiques de l’Union française des industries des cartons, papiers et celluloses (Copacel) que les produits connexes de scieries (PCS), c’est-à-dire les déchets de scieries, représentent moins de 1 % des produits bois4. Le bois dont est fait le papier vient surtout de coupes d’éclaircie et de plantations comme celles des Landes de Gascogne.

La France, en 2021, a importé 311 100 tonnes de bois pour la fabrication de pâte. Elle a produit 1 615 000 tonnes de pâte vierge, chimique principalement, et en a importé 1 622 800 tonnes. 40,7 % de ces pâtes proviennent d’Amérique du Sud (33,8 % du Brésil), 54,2 % de l’Union européenne (14,7 % de Suède et 10,6 % de Finlande). Les exportations de pâte s’élèvent à 414 900 tonnes : 52,7 % vers l’Union européenne (Italie, Espagne, Allemagne), 43,2 % vers l’Asie (29,1 % vers la Chine).

En France, la part des papiers et des cartons récupérés après usage se monte à un peu plus de 80 % de l’ensemble. Une fois récupérés, les vieux papiers sont acheminés dans des entreprises de recyclage. Ils sont alors triés puis introduits dans un tambour de trituration. Les papiers sont mélangés à de l’eau et à des produits chimiques (soude, silicate de soude et peroxyde) servant à séparer l’encre des fibres. Puis la pâte est transvasée dans un second tambour, où les corps étrangers, comme les agrafes, sont rejetés. Plusieurs étapes d’épuration successives éliminent des impuretés de plus en plus fines. En fonction du papier que l’on souhaite obtenir, la pâte peut être désencrée par flottaison pour en extraire la boue de désencrage. La pâte est filtrée, épaissie et éventuellement blanchie. C’est un processus gourmand en eau et polluant, à plus forte raison si le papier est désencré. 64 % des emballages en carton et 70 % des papiers graphiques sont recyclés. Les emballages contiennent en moyenne 74 % de fibres recyclées5, les papiers graphiques 41 %6. En 2021, la France a récupéré 5 249 300 tonnes de vieux papiers à recycler, en a importé 938 000 tonnes et exporté 2 563 000 tonnes. Seulement un peu plus de 60 % des papiers-cartons sont recyclés en France.

Les usages du papier

Les papiers et cartons sont classés en trois catégories : usages graphiques, emballages et conditionnements, papiers d’hygiène. En 2006, la production de papier à usage graphique était à peu près équivalente à celle des emballages. En 2021, sous l’effet d’une paperasserie devenue de plus en plus numérique et de campagnes de sensibilisation appelant à économiser la ressource, elle a considérablement baissé. Quant à la consommation des papiers d’hygiène, elle progresse légèrement. L’usage de lingeries de protection en tissu lavable la freine sans doute un peu, mais bientôt l’effet Covid se fera sentir dans les statistiques futures, avec l’explosion du nombre de masques jetables jetés.

Le carton ondulé

Le carton ondulé est un matériau résultant de l’assemblage d’une feuille de carton cannelé encollée à une (simple face) ou deux (double face) feuilles de carton plat. La cannelure apporte rigidité, souplesse et amorti. On trouve des cartons à double ou triple cannelure. Le carton ondulé simple face est inventé en Grande-Bretagne en 1856 pour la chapellerie. C’est aux États-Unis, en 1871, qu’on a l’idée d’en faire des emballages. Rapidement, ce matériau, devenu double face, est de plus en plus employé par les industriels. Une première onduleuse d’importation est montée dans l’Hexagone en 1889, avant qu’une onduleuse made in France ne voie le jour, en 1914.

Il existe deux qualités de carton : le test liner et le kraft liner. Le premier, de qualité inférieure, est issu de papiers recyclés à 100 %. Le second, plus robuste, est fabriqué à partir d’une pâte chimique faite de fibres de résineux à 80 % et de papiers recyclés à 20 %. Outre les emballages, les cartons ondulés sont des matériaux très solides et légers qui trouvent un certain succès auprès des entreprises de design et de petits mobiliers. On en fait des fauteuils, des tables, des étagères, des stands d’exposition et des revêtements isolants pour l’habitat. Ce peut être aussi la matière première d’artistes, comme Eva Jospin dont les sculptures en carton ondulé découpé sont impressionnantes.

On peut également fabriquer des cercueils 100 % carton recyclé. Quelle bonne idée. La mort nous emporte, mais à quoi bon sacrifier des arbres pour nous servir de sépulture ? Les cercueils en carton ne sont autorisés en France que depuis 2009. Leur conception doit respecter des normes de solidité, d’étanchéité et de résistance à la crémation (pour ne pas s’enflammer trop vite). Certains sont d’une sobriété ascétique, d’autres sont ornés de couleurs vives. Les plus basiques sont peu chers, les plus sophistiqués plus coûteux.

C’était mon choix, il n’y a pas si longtemps, d’être emballée dans une boîte en carton avant d’être incinérée. Mais j’apprends que, aux États-Unis, le compostage post-mortem des corps humains est légal dans certains États. Enveloppé dans un linceul en papier crépon, le corps est mis en terre selon un protocole précis pour son « humusation », un processus d’un an, au terme duquel on peut amender une plante en pot ou un jardin. Ça me plaît bien. Il faut juste que je décide où amender.

3. Lucie FAVIER, « Le papier permanent », Gazette des archives, no 155, 1991, p. 268-274.

4. Rapport statistique 2021 de l’industrie papetière française, Copacel, juillet 2022.

5. Adeline ABEGG, « Emballages en papier-carton : on fait le point ! », Citeo, 1er décembre 2022.

6. Adeline ABEGG, « Tri et recyclage des papiers : on fait le point ! », Citeo, 1er septembre 2022.

L’eucalyptus

— Coucou mon grand !

— Ffee felee feleefelee flepflepflep feee flepflepflepflepflep feeele…

— Tu as l’air en forme, dis donc.

— Flepflepflep ffee lee fleflefle flepflep…

— En tout cas, tu as grandi à une vitesse folle !

— Fleflefle feeee flepflepflep fleee…

— À ce propos, comment dire, la dame qui vit de l’autre côté du mur va faire refaire la toiture de sa dépendance et m’a demandé de te couper la tête pour ne pas gêner les couvreurs… J’ai pas le choix…

— Flee fleeee fle fleflefle flepflep…

— C’est pas pour tout de suite, on ne taille pas à cette époque, mais je préfère te prévenir. Ça ne m’enchante pas, tu sais, mais, d’un autre côté, tu vas peut-être t’étoffer en largeur et apporter un peu d’ombre aux plantes qui poussent à ton pied. Je n’avais pas bien anticipé une pousse aussi filiforme, et le fait que tes feuilles soient disposées à la verticale.

— Fleflefle feeee fleee…

— Bon, je retourne à mes occupations, passe une bonne journée, bisous.

— Fleflefle feeee fleee… fleflefle feeee fleee… fleflefle feeee fleee…

 

— Coucou mon grand !

— Fee lee fleflefle fleeee fle fleflefle fffff…

— Allez, courage, faut y aller.

 

Équipée d’une scie égoïne et d’une grande échelle, je m’apprête à tailler l’Eucalyptus gunnii, ou eucalyptus à feuilles rondes, planté quatre ans plus tôt, et qui mesure à présent au moins 5 mètres de hauteur. Je prévois de couper à environ 3 mètres du sol. J’appuie l’échelle contre le tronc, le plus à la verticale possible, car la tige est souple, en essayant de ne pas me mettre en danger. Je commence à grimper un, puis deux, puis trois, puis quatre échelons. Au fur et à mesure que j’escalade, je sens un léger fléchissement, puis un net fléchissement, et voilà la tige qui se penche à l’horizontale par-dessus le mur mitoyen. Deux tentatives plus tard, je dois admettre que je ne vais pas y arriver comme ça.

L’avantage de ces petits jardins de ville, c’est qu’ils sont étroits. L’autre côté du jardin est bordé d’un grillage maintenu par des poteaux en ciment. À cet endroit, une touffe de lauriers-sauce est bien ancrée chez l’autre voisine et un des gros troncs est pile calé derrière un poteau. Des sangles, il me faut des sangles. Je sangle le tronc de l’eucalyptus le plus haut possible, je sangle un barreau de l’échelle en laissant un peu de mou, puis je fixe l’autre extrémité au tronc du laurier. Voyons voir. Ça fonctionne parfaitement, je peux jouer de l’égoïne avec aisance et en toute sécurité ; l’eucalyptus et l’échelle se tiennent bien sages. Je peux même me fendre de quelques acrobaties. Les branches tombent sans trop de fracas. Les petites passeront au broyeur, les plus grosses nourriront une butte de permaculture ou deviendront bordures. Et voilà.

— J’espère que tu vas bien te remettre, mon… Bon courage, ça va aller.

— F f fe… fe… fe…

Snif.

 

C’était il y a quatre ans. En 2022, il a très largement repris de la hauteur et domine à présent arbres et maisons du voisinage avec un houppier devenu bicéphale. Nulle exubérance chez ce compagnon paisible, il se fait plutôt discret, malgré sa taille. De ma chambre, à l’étage, je vois sa double cime dodeliner doucement avec le vent en faisant chuinter ses feuilles. Ce printemps, les branches les plus hautes accueillaient chaque soir une chanteuse de talent pour un récital attendu que j’écoutais au pied de l’arbre. Le chant de cette fauvette à calotte est particulièrement mélodieux. Des ornithologues sexistes l’ont baptisée « fauvette à tête noire », mais seul le mâle est coiffé d’une calotte noire, celle de la femelle est châtain. Je l’appelle donc la fauvette à calotte.

Un mystère demeure. Du sol partent deux troncs, un petit et un gros : les feuilles du plus gros sont allongées, celles du plus petit, arrondies. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait de feuilles juvéniles, c’est une des étrangetés de ces arbres. Les jeunes sont rondes, alors que les feuilles adultes sont allongées. Mais il y a une nette différence entre les deux tiges. Et, à y regarder de plus près, l’écorce du plus petit est légèrement cuivrée et grise alors que celle du gros fait apparaître des nuances de tons vert pâle et cuivrés et, une fois détachés, les lambeaux d’écorce deviennent brun-rouge. S’agit-il de deux variétés différentes ou bien d’un rejet qui fait son intéressant ? La floraison pourrait me donner des indices, mais ni l’un ni l’autre n’ont fleuri.

Originaires d’Océanie, les eucalyptus regroupent au moins six cents espèces. Les plus petits mesurent moins de 10 mètres, les plus grands peuvent atteindre 70 mètres. L’arbre fait continuellement sa mue, et des lambeaux d’écorce odorants se détachent, enroulés sur eux-mêmes, en laissant à nu un tronc bien lisse de couleur variable selon l’espèce – cuivre, rougeâtre, verte, blanche ou grise. L’eucalyptus arc-en-ciel, Eucalyptus deglupta, originaire des Philippines, se singularise en revêtant successivement les couleurs du spectre de l’arc-en-ciel : du vert clair au jaune, puis bleu, violacé, orange et, enfin, marron.

Les feuilles bleutées, agréablement parfumées de fragrances balsamiques, sont persistantes, rondes dans leur prime jeunesse, allongées et pointues avec le temps. Disposées à la verticale, elles laissent passer la lumière, d’où la réputation de l’eucalyptus de donner des forêts sans ombre. Les feuilles sont très utilisées en pharmacopée pour leurs propriétés antiseptiques dans les traitements des voies respiratoires. Les fleurs sont mellifères.

L’arbre est aussi remarquable par la rapidité de sa pousse (de 1 à 4 mètres par an selon la variété et le lieu où il est planté), d’où l’attrait qu’il exerce sur l’industrie. C’est en Australie, en Nouvelle-Guinée et en Indonésie qu’il est le plus répandu. Les Anglais firent sa connaissance au cours d’une expédition menée entre 1768 et 1771. Une trentaine d’années plus tard, un botaniste français rapporta de Tasmanie des graines d’Eucalyptus globulus, ou gommier bleu, et d’Eucalyptus cordata, qui furent plantées avec succès au jardin botanique de Toulon. À partir du milieu du XIXe siècle, des plantations de gommiers bleus jaillissent sur la Côte d’Azur, en Corse, et en Algérie, alors sous domination française.

À la même époque, outre-Atlantique, les eucalyptus accompagnent les pionniers partis tenter leur chance en Californie dans la ruée vers l’or. Certaines espèces sont de véritables pompes à eau, on les plante pour assécher les marais et lutter ainsi contre la malaria.

Les eucalyptus sont des arbres frileux, beaucoup ne résistent pas à des températures négatives. Cependant, quelques individus se plaisent en altitude, comme dans les vallées andines du Pérou, où ils prospèrent à 3 000 mètres d’altitude. Étant donné qu’ils sont peu exigeants sur la qualité des substrats qui les portent, on les plante parfois sur des terres fatiguées pour freiner l’érosion du sol.

Leur bois dur et lourd est trop difficile à travailler pour être communément utilisé comme bois d’œuvre. On le réserve plutôt à la confection de poteaux, de pilotis, de traverses de chemin de fer (on y revient), au bois-énergie (aussi) et surtout au bois de râpe pour fabriquer du papier. Les plantations d’eucalyptus, dont des variétés OGM, couvrent actuellement des centaines de milliers d’hectares au Brésil, engendrant des conflits fonciers avec les peuples autochtones dont les terres sont spoliées à cette fin.

Au Portugal, l’Eucalyptus globulus occupe plus de 800 000 hectares destinés à l’industrie papetière. L’essence, facilement inflammable, s’est embrasée en 2017, entraînant un méga-feu qui a ôté la vie à plus de soixante personnes. Le gouvernement, prenant conscience de l’ampleur de la catastrophe, a décidé l’année suivante d’une mesure interdisant dorénavant toute nouvelle plantation d’eucalyptus1. Le pays a en outre créé une agence de gestion des feux qui a fixé des bonnes pratiques en matière de prévention, notamment celle de mettre en place un système d’entretien des espaces boisés par éco-pâturage en y laissant paître des chèvres pour éviter les feux de broussailles. La plantation d’espèces locales comme le châtaignier, le chêne, l’arbousier ou le chêne-liège a été fortement encouragée.

En Espagne, les plantations d’eucalyptus couvrent 600 000 hectares destinés là aussi à l’industrie papetière (et, là aussi, les incendies sont fréquents).

Les plantations d’eucalyptus ont une fâcheuse tendance à appauvrir les sols : les feuilles et les racines libèrent en effet une substance, l’eucalyptol, qui détruit les bactéries, participant au processus de décomposition des matières organiques. Cela tend à limiter fortement la biodiversité végétale et animale. Elles sont aussi de grandes consommatrices d’eau. En Équateur, dans la province de Cotopaxi, les plantations d’eucalyptus ont asséché les terres de cultures vivrières des populations autochtones locales, entraînant des conflits d’usage. Une partie de ces plantations approvisionnent l’industrie pharmaceutique américaine, et une autre, l’industrie papetière japonaise. Le problème est d’autant plus grave que les eucalyptus se reproduisent spontanément dans toute la région et que leur expansion devient hors de contrôle. Face à l’inaction des autorités, un groupement de quatre cents membres a acquis une parcelle de 40 hectares de terre pour en faire une réserve naturelle et aménager un réservoir d’eau2.

À part dans le Sud, les plantations industrielles d’eucalyptus n’ont pas vraiment trouvé leur place en France métropolitaine, et c’est tant mieux. Gunnii et globulus sont les espèces que l’on rencontre le plus fréquemment, surtout comme arbres d’ornement. C’est l’une des essences forestières de l’île de la Réunion : Eucalyptus robusta, Eucalyptus citriodora et Eucalyptus tereticornis.

Les plus grands – Eucalyptus regnans – prospèrent dans leur aire d’origine, l’Australie, et plus précisément en Tasmanie. Centurion est le petit nom d’un eucalyptus toujours en vie qui a atteint les 100 mètres de haut. Icarus Dream, dans le même coin, mesure 97 mètres, et Triarius, 87 mètres. L’Abuelo (l’aïeul en espagnol) vit dans une plantation installée en Galice en 1860 ; il s’élève à 62 mètres au-dessus du sol. Plus modeste par sa hauteur, 28 mètres, mais remarquable par sa stature, qui n’a rien à envier à nos vieux chênes, l’eucalyptus de Porto-Vecchio en Corse a un tronc de 7,83 mètres de circonférence et un houppier de 34 mètres d’envergure.

1. Mathilde LE PETITCORPS, « Pourquoi de nombreux pays s’inspirent-ils du Portugal pour lutter contre les incendies ? », Ouest-France, 21 juillet 2022.

2. Johnny MAGDALENO, « Indigenous farmers fight eucalyptus damage to water source in Ecuador », Mongabay, 28 août 2017.

Épilogue

Un cinquième élément, la forêt

On doit à la philosophie grecque présocratique le concept des quatre éléments structurant le monde : le feu, l’air, l’eau et la terre.

Certaines cultures asiatiques en retiennent cinq.

Japon : feu, vent, eau, terre, vide.

Chine : feu, métal, eau, terre, bois.

Bouddhisme : feu, air, eau, terre, espace.

Hindouisme : feu, air, eau, terre, éther.

Et si l’on repensait notre façon de percevoir le monde ? Les sciences nous ont beaucoup appris, ces dernières années, sur le fonctionnement de la forêt, sur ses interactions avec le vivant, et sur celles avec les quatre éléments symbolisant les quatre états de la matière (plasmatique, gazeux, liquide, solide). Si la forêt, état de la matière consciente et sensible, était ce cinquième élément essentiel de notre système vie, la matière des matières ?

La forêt capte la lumière du soleil, la transforme en énergie. Elle fait écran aux rayons du soleil et régule le climat. À l’état sec, elle nourrit le feu, à l’état humide, elle l’étouffe.

La forêt fixe le gaz carbonique et libère de l’oxygène. Elle assainit l’air et fait barrage aux vents violents.

La forêt pompe de l’eau par les racines et la rejette par les feuilles. Elle exerce une influence sur la pluie. Elle purifie l’eau qui s’écoule dans la nappe phréatique et préserve des inondations.

La forêt sort de terre et y retourne en lui restituant une couche d’humus fertile. Elle protège les sols de l’érosion, empêche les glissements de terrain, arrête l’avancée du désert.

La forêt est beauté. La forêt est monde. La forêt est notre cinquième élément.

« C’est ça le problème avec les humains, à la racine de tout. La vie court à leurs côtés, inaperçue. Juste ici, juste à côté. Créant l’humus. Recyclant l’eau. Échangeant des nutriments. Façonnant le climat. Construisant l’atmosphère. Nourrissant, guérissant, abritant plus d’espèces que les humains ne sauraient en compter. Un chœur de bois vivant chante aux oreilles de la femme : Si ton esprit était seulement un peu plus vert, nous te noierions de vérité. Le pin auquel elle s’adosse dit : Écoute. Il faut que tu entendes ça », Richard Powers, extrait de L’Arbre monde.

Sources et références

Les chapitres suivants, mis à jour, ont été publiés initialement sur Visionscarto :

– L’appel de la cagette

– Les alchimistes du sol

– La cité côté jardin

– Épilogue. Un cinquième élément, la forêt

DOCUMENTAIRES

CUVEILLIER F., Morvan, pour quelques douglas de plus, 2021.

DROUET F.-X., Le Temps des forêts, 2018.

REPORTAGES

Nos forêts, des usines à bois ? Terra terre, 16 juillet 2019.

GEOFFRAY C., Forêts françaises, en quête d’avenir, Lato Sensu Productions et Public Sénat, 2022.

RADIO

Histoires de forêts, série de quatre émissions, in MAUDUIT X., Le Cours de l’histoire, France Culture, août 2022.

LIVRES

BABY F., La Guerre des Demoiselles, Lacour-Ollé, Nîmes, 2022.

BROSSE J., Larousse des arbres, Larousse, Paris, 2010.

CHALVET M., Une histoire de la forêt, Seuil, Paris, 2011.

DOMONT P. et MONTELLE E., Histoires d’arbres. Des sciences aux contes, Delachaux et Niestlé/ONF, Lonay/Paris, 2003.

DUCHÊNE M. (dir.), Tout savoir sur les arbres et les arbustes. Au jardin et dans la nature, Sélection du Reader’s Digest, Cachan, 2004.

FETERMAN G. et ASSOCIATION A.R.B.R.E.S., Histoires d’arbres remarquables, Plume de carotte, Toulouse, 2014.

FRESSOZ et J.-B. et LOCHER F., Les Révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique, XVe-XXe siècle, Seuil, Paris, 2020.

GADANT J. (dir.), L’Atlas des forêts de France, J.-P. de Monza, Paris, 2002.

HAMERY O., Arbres remarquables de Bretagne, Éditions Palantines, Quimper, 2005.

HARRISON R., Forêts. Essai sur l’imaginaire occidental, Flammarion, Paris, 1994.

LIEUTHAGHI P., Le Livre des arbres, arbustes et arbrisseaux, Actes Sud, Arles, 2004.

MANSION D., Les Trognes. L’arbre paysan aux mille usages, Éditions Ouest-France, Rennes, 2019.

MORIZOT B., Raviver les braises du vivant. Un front commun, Actes Sud, Arles, 2020.

PATER J., Arbres remarquables d’Europe, Éditions du Rouergue, Arles, 2006.

PAVIA F. et PLACET O., Papier(s), Seuil, Paris, 2000.

POWERS R., L’Arbre monde, Le Cherche Midi, Paris, 2018.

SELOSSE M.-A., Jamais seul. Ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations, Actes Sud, Arles, 2017.

TILLON L., Être un chêne. Sous l’écorce de Quercus, Actes Sud, Arles, 2021.

VIDALOU J.-B., Être forêts. Habiter des territoires en lutte, Zones, Paris, 2017.

WOHLLEBEN P., La Vie secrète des arbres. Ce qu’ils ressentent, comment ils communiquent : un monde inconnu s’ouvre à nous, Les Arènes, Paris, 2017.

SITES INTERNET

Site de l’Office national des forêts (ONF) : https://www.onf.fr/

Site de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) : https://www.ign.fr/

Wikipedia pour un petit débroussaillage de terrain.