Quel rapport entre les spectres d’un couvent parisien, des héroïnes séquestrées dans des châteaux gothiques et les flâneurs des passages couverts de Paris ? Quel point commun entre les visiteurs des Expositions universelles, les joueurs captivés par les néons de Las Vegas et les badauds fascinés par les shopping malls ? Tous sont pris dans des lieux clos saturés d’imaginaire, des « rêvoirs » collectifs, des fantasmagories.
Depuis trois siècles, le capital façonne des environnements oniriques qui, refoulant leur origine économique, ordonnent les plaisirs individuels et collectifs sur fond de règne de la marchandise. Cette histoire de l’espace urbain est celle d’une mobilisation toujours plus structurée de nos désirs intimes par l’architecture.
Dans le sillage des écrits de Walter Benjamin sur le Paris du XIXe siècle, cet essai arpente les lieux d’un imaginaire capitaliste fait ville. En s’efforçant de déchiffrer ces espaces comme on interprète un rêve, il s’efforce de dégager l’éclat de l’utopie de la gangue qui l’enferme. Car le grand récit de la marchandisation de la ville a aussi ses anti-héros, qui se nomment Maximilien de Robespierre, Charles Fourier, Karl Marx, Auguste Blanqui, André Breton, Sergueï Eisenstein, Walter Gropius ou Ken Kesey…
Marc Berdet est spécialiste de Walter Benjamin. Il est chercheur à l’université de Postdam et anime le réseau de recherche anthropological materialism.